Chapitre 2
Ses mains tremblaient et ses jambes refusaient de lui obéir.
Cela faisait plus de deux ans, mais la mention inattendue de son frère la plongeait toujours dans un état de panique incontrôlable.
La jeune fille se plia en position foetale alors que les souvenirs qui l'assaillaient paralysaient son corps et son esprit.
Max, le sourire au lèvres, s'introduisant dans son dortoir par la fenêtre pour lui donner du chocolat.
Max, le regard timide, lui avouant qu'il était en couple, avec un homme.
Max, protecteur, lui expliquant qu'elle devait avoir de hautes attentes envers les hommes.
Max, le regard cerné, affirmant avec un sourire fatigué que tout allait bien.
Max, la voix rauque, l'ai désespéré, refusant de lui dire ce qui lui arrivait.
Max, enfin, pendu à la poutre de sa chambre, les yeux clos.
Max mort.
Olivia prenait de grande inspiration, tentant de retrouver un rythme cardiaque régulier. Ces crises n'étaient pas nouvelles, elle s'y était même presque habituée. Mais la douleur n'en était pas moins oppressante.
Lentement, petit à petit, ses muscles se relâchèrent, la brume qui embrouillait ses pensées se dissipa.
Combien de temps s'était-il écoulé ?
Quelques minutes ? Une heure ?
Impossible à dire. La jeune fille avait complètement perdu la notion du temps.
Elle serra les dents et se mordit l'intérieur de la joue pour s'assurer que la crise était finie.
La douleur de la morsure la lui confirma.
Elle se leva avec précaution et sortit de la cabine. Elle se passa un peu d'eau sur le visage, bénissant sa paresse de se maquiller le matin même, et quitta les toilettes.
Le silence régnait dans les couloirs, tout le monde devait être au réfectoire.
Alors qu'Olivia allait les rejoindre, on lui coupa la route.
La jeune fille qui venait de l'arrêter posait sur elle un regard calme mais inquiet. Sa peau mate semblait légèrement dorée sous la lumière du soleil qui passait par les large vitraux du couloir. Elle portait un incroyable maquillage aux teintes vertes paré de strass et le lourd sac accroché à son épaule paraissait contenir une toile.
-Sam, sourit Olivia, tu es là. Je te cherchais justement !
Son amie lui lança un dernier coup d'oeil suspicieux avec son visage ne s'éclaire à son tour d'un sourire :
-Oui ! Moi aussi ! Il faut AB-SO-LU-MENT que je te montre ma nouvelle peinture, j'en suis trop fière !
Toutes deux faisaient mine de rien, mais Sam savait. Elle avait compris, à l'instant où elle avait croisé le regard de son amie, que quelque chose s'était passé. Quelque chose qui avait provoqué une crise. Elle joua néanmoins le jeu. Elle passa son bras sous celui de son amie et l'entraîna vers le réfectoire en la submergeant d'anecdotes et de détails sur la confection de son œuvre. Olivia se laissa porter par le flot de paroles, remerciant silencieusement Sam de faire la conversation pour deux.
Elles finirent par atteindre la salle à manger.
Plus qu'un réfectoire, c'était une immense pièce au plafond en coupole dans laquelle étaient amassés tables, chaises, fauteuils et banquettes. Aucune règle n'était attendue des étudiants, ils pouvaient s'asseoir où ils le voulaient, avec qui ils le voulaient et manger ce qui leur plaisait. Chacun apportait sa nourriture et profitait ainsi de la pause à sa manière.
Le groupe d'Olivia et Sam était des plus singuliers.
Composé d'une quinzaine de personnes, ils étaient si nombreux qu'ils ne trouvaient parfois pas assez de places assises pour tout le monde. Ils s'empilaient alors les uns sur les autres, ou s'asseyaient à même le sol.
Ils riaient, parlaient fort, ou se taisaient et restaient simplement là. Le plus important était qu'ils soient ensemble.
Quand Olivia et Sam rejoignirent le groupe, Thalia releva la tête et s'exclama :
-Enfin ! On croyait que vous ne viendrez jamais !
Un sourire éclatant ornait son visage et ses yeux bleus, libre de toutes inquiétudes, brillait d'un éclat rieur.
Olivia lui rendit son sourire et s'assit en tailleur par terre.
Sam cala précautionneusement sa toile contre un fauteuil et s'assit sur les genoux d'une jeune fille brune portant des lunettes avec un large sourire.
Celles-ci posa sa tête sur l'épaule de Sam et lui demanda :
-Ton nouveau chef d'œuvre ?
Des fossettes naquirent sur la peau chocolat de l'artiste et elle répondit avec enthousiasme :
-Oui ! Et j'ai déjà un acheteur potentiel !
Elle se lança ensuite dans une description détaillée de son tableau, des couleurs choisies et de sa source d'inspiration.
Olivia la regardait parler d'un œil affectueux. Depuis qu'elle laissait Sam assister à ses "séances", la jeune artiste s'inspirait largement des expressions - de terreur ou de souffrance - que les durs mots d'Olivia faisaient naître sur les visages. Même si la jeune fille ne comprenait pas toujours l'engouement de son amie pour la souffrance humaine, elle appréciait sa présence dans ces moments. Cela lui évitait de perdre le contrôle.
L'ambiance du groupe était chaleureuse. La nourriture et des bouteilles circulaient, de mains en mains, de lèvres en lèvres, cela n'avait pas vraiment d'importance. Olivia commençait doucement à se sentir mieux, les muscles de son visage se détendirent lentement et elle parvint même à lâcher quelques éclats de rire. La crise était passée, et l'étudiante reprenait peu à peu le contrôle de son esprit.
La joyeuse troupe finit tranquillement son repas. Alors qu'ils sortaient de la salle, Sam agrippa le bras d'Olivia et la tira dans un couloir, un étrange sourire aux lèvres. Son amie fronça les sourcils.
-Cette tête annonce des problèmes, qu'est ce qui se passe ?
L'artiste lui répondit :
-Pas ici, dans mon atelier.
Puis elle la prit par le bras et l'entraîna dans le dédale de couloir de l'école. L'atelier de Sam se trouvait au sous-sol, entre les caves à vin et les anciens souterrains. Elle n'était pas tout à fait autorisée à s'y installer, mais ce n'était qu'un désaccord de plus avec l'administration de l'établissement et elle n'en avait plus grand chose à faire. Les deux jeunes filles passèrent par les cuisines, en subtilisant un saucisson au passage, avant d'atteindre enfin le repère de l'artiste.
Celui-ci était illuminé par des dizaines de guirlandes lumineuses. Le chevalet de Sam était posé dans le faisceau de lumière naturelle que la seule lucarne de la pièce prodiguait. Trois tables étaient calées contre les murs, recouvertes de matériel divers et variés : de la peinture, des crayons, des pinceaux, de l'aquarelle, de l'argile, quelques morceaux de marbres et des outils de sculpture. Tout ce qui pouvait servir à l'art.
Un canapé bleu en forme de demi-cercle était installé au fond de la pièce, recouvert de coussins de toutes formes dans les mêmes tons.
Les étudiantes s'y affalèrent.
Sam posa le saucisson sur la table basse posée devant le canapé tandis qu'Olivia sortait un petit couteau d'un espace dissimulé dans sa ceinture. Elle commença à couper le saucisson.
Après quelques bouchées, la jeune fille reprit :
-Alors, où voulais-tu en venir ?
Les téléphones étaient interdits au sein de l'établissement, mais Sam n'en avait que faire, et elle sortit de son sac son portable. Après quelques recherches dans sa galerie, elle trouva finalement ce qu'elle cherchait.
-Tu vois ce tableau ? commença-t-elle en lui montrant une photo sur le petit écran, c'est ma dernière commande.
Olivia se pencha sur la photo. C'était La nuit étoilée, de Van Gogh, un chef d'œuvre bien connu dont même la jeune fille, qui ne s'intéressait pas tant que cela à l'art, avait entendu parler.
-Joli coup, j'espère que c'est bien rémunéré.
-Bien sûr, tu me connais.
L'artiste éteignit son téléphone et pointa du doigt une large toile empaquetée dans une épaisse couche de papier kraft dans un coin de la pièce.
-J'ai déjà finit la copie, je vais chercher l'original le week-end prochain. Mais j'aurais besoin de ton aide.
-Pourquoi donc ?
Sam soupira et s'étira avec un bâillement.
-Tu pourrais stocker la toile dans un des coffres de ton casino ? Cet endroit n'est pas sûr. En principe, personne ne vient ici, mais on ne sait jamais. Mieux vaut ne pas prendre le risque.
Olivia sourit.
-Bien sûr, aucun problème, tu veux qu'on y aille maintenant ?
-Ça m'arrangerait.
-Très bien.
Sam se leva et sortit d'un tiroir encastré sous la table un long sac qui lui servait à transporter ses œuvres. Elle récupéra le paquet qu'elle glissa dedans puis, avec un sourire malicieux, elle lança :
-Allons-y !
Les deux étudiantes empruntèrent une des galeries que les moines avaient autrefois creusées pour pouvoir fuir en cas de danger. A présent, la plupart d'entre elles étaient liées à des lieux appartenant aux membres de leur groupe : la résidence secondaire d'Hélios, le manoir d'Eden...et le casino d'Olivia.
On pouvait aisément s'y repérer grâce à la couleur des LEDs qui éclairaient doucement les parois. Le chemin vers le casino était ainsi bercé d'une lumière rouge.
Le dédale menait à une porte d'un noir d'obsidienne. Seule Olivia en détenait la clé et le verrou était si complexe qu'il demanderait au moins plusieurs heures de travail au plus expérimenté des crocheteurs de serrures.
La petite clé pendait au bout d'une chaîne le long du cou d'Olivia.
La jeune fille ouvrit la porte et fit signe à son amie d'entrer avec une ironique révérence.
Sam se prit au jeu et fit mine d'être une célébrité défilant sur le tapis rouge, un sourire éclatant aux lèvres.
Elles montèrent une volée de marche et débouchèrent sur le bureau d'Olivia. Une odeur de feu de bois régnait dans la pièce, ce qui faisait sens puisque la seule source de chaleur provenait d'une large cheminée dans laquelle un feu brûlait.
-Je peux faire en coffre à ton nom, commença Olivia en jetant un œil à la pile de documents qui l'attendaient sur son bureau, ou, si tu préfères, je peux mettre la toile dans mon coffre personnel. Qu'est ce que tu préférerais ?
-Je pense que ton coffre sera plus sûr, déclara Sam après un instant de réflexion, ça t'irait ?
-Oui bien sûr. Écarte-toi un instant.
Les jeunes filles quittèrent le large tapis qui s'étalait devant la cheminée. Olivia en saisit une extrémité et le tira petit à petit, révélant une dalle de marbre un peu plus blanche que les autres et dont les angles étaient légèrement décalés par rapport au reste du sol. La jeune fille souleva la dalle par les coins. Elle se révéla être très fine et, en dessous, se trouvait un coffre des plus classiques. Olivia entra son code et fit de nouveau tourner la clé qu'elle avait autour de son cou dans la serrure. Le coffre s'ouvrit. Bien plus grand qu'il n'y paraissait. Il contenait principalement des documents, et quelques bijoux précieux.
Sam sortit le paquet de son sac et le déposa précautionneusement dans la coffre que son amie referma ensuite.
-Bien ! Une bonne chose de faite ! Une petite partie ? proposa Olivia.
Un sourire malicieux se forma sur les lèvres de son amie.
-Seulement si les cartes sont en nôtre faveur !
Elles éclatèrent de rire, sachant pertinemment qu'elles trichaient toutes deux bien plus habilement que n'importe quel croupier.
Après avoir tout remis en place, elles quittèrent le bureau d'Olivia et après être descendues en ascenseur jusqu'aux salles de jeu, se laissèrent emporter par le tourbillon du casino. Au son des "Bonjour Boss !" ou "Bienvenue Madame !", elles déambulaient dans le casino avec aisance. Olivia s'arrêta à quelques tables auxquels jouaient des invités et se laissa même tenté par deux ou trois parties de poker tout en trinquant régulièrement avec Sam sa coupe de champagne.
Le casino était son monde. Elle en maîtrisait chaque recoin, connaissait chaque visage et était informée de chaque mot qui circulaient en ces lieux.
Alors que les deux amies allaient engager des paris sur une roulette russe, un croupier glissa un papier entre les doigts d'Olivia.
Celle-ci le lû et un sourire inquiétant naquit sur ses lèvres.
Sam le remarqua aussitôt.
-Bonne nouvelles ?
La jeune fille prit une gorgée de champagne avant de répondre :
-Très bonnes. Neil a du nouveau.
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