Arc The Artist : L'art du passé.




Le bruit du cul de la poêle contre le métal chauffant, le saumon qui claque sous la chaleur, les pâtes qui bouillent lentement. Un homme, en tablier, préparant le déjeuner du midi. Ses camarades sont réunis autour de la table prête à accueillir ce somptueux repas.

Au milieu de ce bonheur artificiel, des documents, stylos, feuilles. Un regard acéré, rempli d'une concentration à toute épreuve. Une personne prête à tout pour réussir, comme si elle était dans une compétition.

Mais ce n'est pas un sport, ni un simple évènement. Il s'agit de la réalité, d'un monde dans lequel, seule la loi du plus fort régit. Les règles et les différentes constitutions ne sont que des spores hypnotiques cachant les coulisses de la destruction, d'une société primaire.

— Bon... Elles enquêtent sur un tueur en série qui se fait appeler "l'Artiste", c'est bien ça ? interroge Lana en plongeant dans l'actualité de Link, à la recherche d'article.

Son cerveau bloque sur un fait divers récent, un vase géant retrouvé avec deux têtes entremêlées. Des personnes disparues, faisant référence à ce qu'elle avait déjà vu aux informations.

— Je vois, aurions-nous affaire à cet homme ? Où est-ce quelqu'un d'autre...

Mark pose le repas sur un dessous de plat et rejoint son équipe en s'asseyant aux côtés de Lana. Un plan s'affiche rapidement dans son esprit, un plan qu'il n'hésite pas à partager.

— Il faut jouer sur plusieurs tableaux. Lana, ta sœur était très proche d'un métissé étrange. Je me souviens qu'il pouvait manipuler les ombres et se rendre dedans. Il pourrait être intéressant de faire appel à lui, notamment pour espionner Eve et Lily qui enquêtent sur cet artiste.

Dean lève la main, alors que la frangine de Leyla et Sayuri se servent à manger, Mark, en retrait, lui donne la parole.

— Je peux m'occuper de le contacter, je vais vous donner l'adresse de l'endroit où Alice a rencontré ce Samaël. Vous pourrez pirater les caméras de surveillance et le retrouver plus facilement.

L'ancien chef de l'Hydre approuve d'un signe de tête tandis que les goinfres acquiescent aussi comme elles le peuvent.

**

Alors que l'après-midi prend le relai sur la matinée, dans le 4ᵉ district, un rassemblement de voitures ainsi que de fourgons du CCI a lieu. Plusieurs agents disposent des rubans de balisage jaune de sorte que personne ne puisse intervenir dans la zone. Les passants sont écartés tandis que dans un chapiteau construit à la va-vite, des habitants sont interrogés.

Au milieu de tout ce monde, Lily, Eve et Keyna parviennent sur ce qui semble être, une nouvelle scène de crime.

— Alors ? interroge la supérieure des filles, à l'homme le plus gradé de l'opération.

Le brigadier de première classe effectue un salut militaire avant de faire son rapport. Eve observe les alentours d'un air désabusé.

— Nous avons affaire à lui, la prédisposition des corps, cette forme d'art macabre et toujours un trépied entreposé devant les victimes, c'est sa signature. Nous n'avons pas encore regardé la vidéo. Tout est en ordre, seulement l'équipe d'analyste a touché les corps ainsi que les traces laissées par ce monstre. Ils vont enverront les différents résultats dès que possible.

— Merci pour le rapport, vous nous êtes d'une grande aide.

— On ne fait que notre devoir, Madame. Je me permets de me retirer, j'ai des ordres à donner et à recevoir. Si vous avez besoin, mes hommes seront présents pour vous.

L'officier s'éloigne, laissant ainsi le champ libre aux filles pour découvrir l'œuvre de ce tueur en série.

Elles s'avancent parmi le brouhaha incessant, les nombreux va-et-vient des soldats. Lily ressent la pression à travers son ventre qui se creuse et qui ne demande qu'à se libérer de ce qu'elle a mangé le midi. Eve n'a qu'une chose en tête, retourner dans ce monde onirique, retrouver ce fou à lier, le trucider, retrouver Leyla. Keyna, déterminée à en crever, à l'en crever, ne recule pas, s'avance en première jusqu'à un champ de papillons morts.

Au milieu de ce cadre bercé par la mort et la beauté, deux silhouettes écarlates, fusionnées l'une à l'autre. La jeune Vandergrift se rapproche, constate ce qui semble être une mère et sa fille. Elle perçoit ensuite une rose à la place de chaque œil. Keyna manque de vider son estomac en voyant la génitrice tenir dans sa main le cœur de sa progéniture. Les larmes coulent le long de la joue de Lily, observant la même chose chez la petite.

— C'est horrible... Comment un humain peut-il imaginer ça... murmure la jeune agente, dans les bras d'Eve, dégoûtée par cette vision d'horreur.

— Il faut qu'on regarde la vidéo. Je sais que c'est dur Lilydiote, mais on est obligées.

Toutes les trois se rendent devant le trépied, elles trouvent directement la vidéo de l'homme. Il filme dans la forêt, un jeu de lumière l'illumine au milieu de la pénombre de la nuit. Il porte un costume gris, avec un masque doré, mettant en avant ses cheveux blancs, relevé vers l'arrière comme si du vent les avait poussés.

— Bonjour mes trois détectives en herbe... Lily, Keyna et bien sûr... Celle qui a détruit ma belle Cinderella, Eve. Si vous regardez cette vidéo, c'est que vous êtes encore en retard et que je suis toujours, le maître de ce magnifique jeu...

L'aura d'Eve s'intensifie à l'instar de ses pupilles qui brillent de fureur.

— Espèce de salaud.

Une fois la première partie de son discours terminée, d'autres éclairages mettent en avant la scène de crime qu'elles ont devant leurs yeux.

— Cette fois, mon œuvre s'intitule "Un amour fusionnel". La famille... La relation entre une mère et sa fille... N'est-ce pas pur, magnifique, unique ? La progéniture est toujours au centre de la vie de la génitrice et inversement... Mais les liens entre les deux peuvent aussi être empoisonnés, déchirants... Un peu comme une rose, à la fois douce et plus piquante qu'un frelon. D'où les fleurs à la place des yeux... Mais je ne veux pas trop en dire, à vous d'interpréter mon art comme vous le voulez. Eve, tu es la seule qui m'intéresse, la seule qui puisse me retrouver. C'est un jeu dont la fin déterminera ma mort ou votre frustration... Je me languis de savoir qui va gagner. Que l'art soit à vos côtés.

La vidéo se termine sur ces paroles, laissant les filles dans un silence total. Frappées à la tête, abasourdies par tant de violences. Dévastées par la souffrance qu'ont dû ressentir ces deux personnes, le corps meurtri pour les bénéfices d'une performance macabre.

— Pour lui, tout ça n'est qu'un jeu... murmure la détentrice aux cheveux violets. Toute ma haine, toutes mes recherches... Et le seul moyen que j'ai de l'avoir, c'est de passer par toi, Eve.

La jeune Vandergrift, concentrée par le flux d'aura qui tourne sur lui-même non loin des cadavres, finit par s'avancer sans répondre à sa supérieure. Lily fait le rapprochement avec la dernière scène de crime et appelle instantanément le service médical.

— Elle va nous refaire comme la dernière fois ! Nom de dieu, mais amenez tout de suite un brancard !

Quelques instants plus tard, son amie s'écroule par terre, tandis qu'une équipe l'entoure pour surveiller ses constantes.

**

Les yeux d'Eve s'ouvrent subitement, elle regarde son corps, transparent, comme si elle n'existait pas, à l'instar d'un fantôme.

Plusieurs voix retentissent, lointaines. Un environnement se crée de toute pièce, le jeu se lance lui-même, progressivement, le monde dans lequel elle se trouve, se construit, jusqu'à devenir une autre réalité.

En tant que spectatrice, elle observe la naissance du personnage principal dans un hôpital, une mère souriante, en sueur, exténuée. Une sage-femme, un médecin, son mari, un commencement basique pour une vie remplie de vice et d'effusion de sang.

— Mon bébé... Enfin, mon garçon... murmure la génitrice, bébé en bras.

Le docteur applaudit et soupire de soulagement.

— Comment s'appelle-t-il ?

Le père joint sa main à celle de sa bien-aimée.

— Ezékiel. Ce sera son prénom... Mon petit ange...

"Alors c'est ça le prénom de cet artiste..."

Les premiers jours passent, jusqu'à ce que les parents puissent emmener le nourrisson chez eux, dans le 3ᵉ district. L'enfant ne pleure pas, ne ressort aucune émotion. Quant aux parents, ils sont si irradiés de bonheur qu'ils ne s'en rendent pas compte.

Les premières années passent, dans un cadre de vie idyllique. Grand quartier résidentiel, maison de plusieurs centaines de mètres carrés, une piscine, une salle de jeux. Une vie de roi, une famille de rêve.

Le garçon aux cheveux d'or se complait dans les livres, le dessin. Il passe ses journées à s'instruire sans sortir de sa chambre. Il passe sa soirée à regarder la Lune, si belle à ses yeux.

Eve laisse le petit dans sa chambre et traverse la maison à la recherche des adultes. Elle surprend une discussion dans le salon. Assise sur le canapé, sa mère se tient les cheveux en observant le sol. Son mari regarde la fenêtre, les bras croisés.

— Je ne sais pas quoi faire avec Ezékiel... On dirait qu'il ne m'aime pas, il ne fait que lire, il ne parle presque pas, ne demande rien, ne pleure pas... Chéri, tu penses qu'on a mal fait quelque chose ?

Le conjoint se retourne, la tristesse de sa femme lui déchire le cœur, il se rapproche d'elle, pose sa main sur son genou.

— Non... Tu sais très bien qu'on a bien fait les choses ma belle... Il est juste différent, plus intelligent, plus avancé. Il n'a que six ans, il va grandir et apprendre, tu vas voir.

Entre deux reniflements, la mère acquiesce d'un signe de tête, elle tente de se persuader que son fils va rentrer dans le moule.

Qu'il va devenir normal.

Le cœur d'Eve se serre en sachant ce qu'il fait dorénavant, malgré cette jolie famille qu'il a eu.

« C'est juste un monstre... Ils ont créé un monstre sans le vouloir... »

Quelques jours plus tard, sous un soleil éclatant, Ezekiel joue dehors tranquillement avec son lapin de compagnie. Le garçon prend l'animal dans ses mains et caresse sa tête, le sourire aux lèvres.

— Tu parais si faible mon petit lapinou ! dit-il en donnant des tapes sur la tête du mammifère, se débattant comme il peut dans ses bras.

« Mais pourquoi me montre-t-il ça ? J'apprends rien avec ce rêve ! »

Soudainement, la tête du lapin se change progressivement, devenant peu à peu rouge, jusqu'à se transformer complètement en fleurs.

Le regard éberlué d'Eve reste bloqué sur cette création saugrenue. Une sorte de fascination malsaine se créée, mélangée à une peur tangible et destructrice.

« Quoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Le haut de son corps s'est transformé en plante ! Et ça a fusionné avec son corps comme si ca avait toujours été le cas ! »

Le visage du garçon rayonne tellement de bonheur que la jeune Vandergrift se demande si elle n'a pas rêvé. Elle ferme les yeux avant de les rouvrir et constate toujours la même horreur.

— Tu es beaucoup plus beau comme ça... Tu ne bouges pas, les fleurs sont super belles... On dirait un mélange entre la nature et les animaux ! C'est trop bien !

Alors que le garçon se lève, subitement, il se stoppe dans son mouvement. Les sourcils de la détentrice se fronçent tandis que le temps semble se figer. Après quelques secondes à attendre, le cou du garçon se tord sur lui-même. Les yeux imbibés de sang du petit se croisent au rouge brillant des pupilles de l'adolescente.

— Alors Eve, tu aimes cette partie de moi ? Est-ce que ça t'aide dans ta petite enquête ? Je vais te montrer tout ce qui a fait l'homme que je suis. N'est-ce pas une performance inégalée, que de romantiser son passé en l'imageant totalement ? Tu pourras ainsi me détester tout en te fascinant pour ce que je suis... Le jeu n'en sera que plus drôle.

La gorge nouée, la jeune Vandergrift fixe le possédée d'un air hésitant. Son corps tremble de toute part, ses poils se hérissent tandis que son coeur palpite à la vitesse d'une fusée. Plusieurs images lui viennent en tête, Mark, Picks, Emric, la destruction du laboratoire, du repère de l'Hydre.

Dans ce rembobinage total, elle puise dans ses ressources et souffle en reprenant son calme.

— Tu es fou, complètement timbré. Je te retrouverai juste et je vais utiliser ton passé pour réussir.

L'enfant se lève, la torsion de son cou manque de faire dégurgiter Eve restant tout de même sur ses gardes.

— La folie est propre à chacun, c'est une vision personnelle et non universelle comme on veut le faire croire. C'est un débat inutile, stérile. Ce qui m'intéresse, c'est cette chasse à l'homme. Mais attention, Eve. Le loup que vous poursuivez, peut-être lui même, le chasseur. Utilise les moyens que je te donne, vit l'Art que je te transmets. J'ai hâte de voir ce que la suite nous réserve, à bientôt, madame la détective.

Une brume apparait lentement, aveugle Eve et la plonge dans un inconnu sordide et terrifiant.

Le brouillard s'épaissit, jusqu'à ce que le champ de vision d'Eve se teinte de noir.

Jusqu'à ce qu'elle se réveille, dans un lit.

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