Zéphyr se pose tranquillement, dos au tronc d'un arbre, la respiration haletante. Il tourne légèrement la tête sur le côté, Édith, toujours bloquée dans le monde des cauchemars semble en proie à une peur infinie.

— Heureusement qu'elle n'utilise pas toute sa force... J'aurai eu du mal sinon. Maintenant, où est Lana ?

Il se relève quelques secondes après son interrogation et attache sa camarade pour l'empêcher de se mouvoir de nouveau.

Une fois l'action faite, le chef des Vandergrift jette un coup d'œil en direction de la zone de Daren.

— Si je vais dedans, je vais tomber dans le piège comme ces deux imbéciles.

Au même instant, une aura plus sinistre que la Mort elle-même paralyse l'homme. L'instant d'après un cri retentit, des éclairs se forment au dessus de la forêt et pleuvent sur celle-ci.

— Lana... Qu'est-ce qui lui arrive ?

**

Toute la zone autour de la détentrice se charge en électricité, l'adolescente s'élève dans les airs et libère en elle une partie de son pouvoir emmagasiné.

La foudre sort littéralement de son corps et anéantit absolument tout autour d'elle. L'une de ses pupilles enneigée se fait remplacer par celle bleuâtre de la véritable Lana.

La jeune fille retombe sur ses appuis, se tient fermement la tête en hurlant à s'en déchirer la voix.

Son aura s'étend, son magnétisme atteint un nouveau stade. Le moindre grain de métal se retrouve attiré par la détentrice, transformée en un aimant plus efficace qu'un trou noir.

En quelques minutes, une véritable nuée de gravillons de fer vole autour de l'adolescente prise d'une folie intarissable.

Rapidement, le flot de limailles de fer l'entoure comme si elle était enfermée dans un cocon.

Subitement, elle libère férocement les particules de métaux, détruisant ainsi toute la végétation environnante. Son attaque détruit une partie de la forêt, jusqu'à atteindre le lieu où Daren se trouve.

L'aura du jeune garçon vacille en revenant à la réalité, il observe son épaule ensanglanté et gémit bruyamment.

Zéphyr perçoit la zone du gûzen de Daren se réduire à grande vitesse, il s'enfonce à son tour dans la forêt à la recherche de sa partenaire.

— Je sens quelque chose de bizarre, elle est différente de d'habitude.

Il devient le vent et se précipite vers sa coéquipière, continuant de tout détruire dans un élan de folie. Le ciel se teinte peu à peu de couleur sombre, il entame rapidement un funeste concert. Les orages chantent à s'en déchirer la voix, le sol acclame bruyamment, tandis que les arbres tombent à la renverse devant une telle prestation. La cheffe d'orchestre se charge en électricité, deux éclairs en main, elle les jette en direction du chef des Vandergrift.

À seulement quelques mètres de la position de la détentrice, le géniteur d'Eve perçoit les attaques et parvient à les éviter de justesse. Sans hésiter, il se donne un ordre à lui-même.

Son aura se décuple à vu d'œil, il déchire sa chemise blanche et se prépare à l'attaque.

— Désolé Lana, je fais ça pour ton bien.

Il donne un coup de poing dans le vide, l'air se déforme devant la puissance de ce mouvement, l'onde de choc qu'il engendre touche l'adolescente de plein fouet. Elle s'écrase une trentaine de mètres plus loin, le dos ancré par terre.

La fille aux cheveux blanchâtres se relève sans difficulté et lance son regard emplit de démence sur Zéphyr.

Elle s'élance vers lui avant de s'écrouler brutalement au sol sous l'air abasourdi du chef des Vandergrift.

— Qu'est-ce qui lui arrive ?

La détentrice se tient fermement la tête en roulant sur le sol comme si elle brûlait de toute part. Son hurlement brise le cœur de Zéphyr qui ne peut que l'observer, sans rien faire.

— Sors de ma tête !! crie-t-elle d'une voix frisant le démoniaque.

Elle se relève, toujours les mains posées sur son crâne, le géniteur d'Eve tente de s'approcher, un flot de limaille de fer protège l'adolescente de son supérieur. Peu à peu, les gravillons de métal entourent littéralement la fille qui se recroqueville peu à peu sur elle-même en se fermant au monde.

— Lana !!! s'exclame Zéphyr devant la boule qui les sépare tous les deux. Reprends toi ! Tu n'es pas faible, tu peux y arriver !

Dans l'esprit blessé de la détentrice, lieu où deux âmes se combattent à mort, une voix s'élève plus qu'une autre.

— Pourquoi m'appelle-t-il ? Je ne le connais pas... murmure Lana esquivant le coup de sa sœur.

— C'est moi qu'il appelle... rétorque Leyla, à bout de forces.

Elles fondent l'une sur l'autre, le corps enveloppé d'électricité. La main de Lana perce le ventre de Leyla.

— Tu m'as touché aussi... murmure Lana en observant son poumon.

Les sœurs tombent, entrelacées au sol. Leyla pleure à chaudes larmes en constatant son crime une nouvelle fois.

—  Non... Pas encore... Pas toi... gémit l'adolescente, au bord d'un gouffre si profond qu'elle n'en voit pas le fond.

Lana, dans un mouvement accompagné d'une douceur à toute épreuve, caresse la joue de Leyla, pleurant à chaudes larmes.

— Tu m'as libérée... Ne t'en veux pas...

Ses yeux marins brillants de soulagement croisent ceux illuminés de tristesse de sa soeur.

— Mais je t'ai tué...

— Tu n'étais pas toi-même...Puis je n'étais pas morte...Tu as récupéré tes souvenirs, hein ?

Sa voix se perd dans les méandres de la fatigue, elle use de toutes ses forces pour placer la moindre syllabe.

— Oui...

— Donc... Tu sais que tu ne m'as pas tué... Je vivais en toi depuis la destruction de Forsaken... Depuis notre affrontement... Mais... Je n'étais qu'un fragment de peur... C'est quand je me suis éveillée totalement que tes souvenirs sont revenus...

Les yeux de Leyla s'écarquillent, l'incompréhension se joue de son esprit, se moque d'elle.

— Shit... Je comprends rien...

— Mon gûzen Leyla... Tu sais que je peux fusionner plusieurs choses ensembles... Nous l'avons fait toutes les deux... Mais il ne peut y avoir qu'une âme pour un corps...

Lana semble partir dans un monde lointain tandis que Leyla, impuissante ne peut rien y faire.

— Pourquoi... Si tu veux mon corps prends le... J'en veux pas...

— C'est trop tard... Tu as déjà pris le dessus... Mais au moins j'aurais réussi à complètement te régénérer... Je suis désolée que ma part mauvaise soit ressortie contre ton amie... J'avais si peur...

— Alors c'est pour ça que des fois je perdais le contrôle... comprend Leyla en observant sa sœur fermer lentement les yeux. Mais tu voulais dire quoi par régénérer ? J'avais un problème ? Lana ? Lana ?

Les pétales de fleurs de lys environnantes s'envolent toutes en même temps que l'esprit de Lana, désormais libérée de la prison de chair qu'était sa sœur. Sans un mot, Leyla observe sa moitié disparaître à jamais.

Les larmes s'enfuient de son corps rongé par la haine, elle reste assise, par terre, au milieu des abîmes, bloquée dans son inconscient.

Elle revient peu à peu à la réalité, les arbres détruits l'entourent, le vent souffle puissamment et Zéphyr, plus loin, scrute Leyla avec appréhension.

La détentrice lève les yeux au ciel, serre les poings comme elle ne l'avait jamais fait. Un rire s'échappe de sa bouche, il se transforme rapidement en un gloussement macabre. Elle rigole si fort qu'elle pourrait en mourir.

Mourir de rire en ayant véritablement envie de mettre fin à ses jours.

— Lana ? s'enquiert le chef des Vandergrift en s'approchant prudemment.

— Putain de merde ! s'exclame Leyla, en frappant le sol. Ça fait si longtemps que je cherche cette foutue Leyla ! Tout ça pour apprendre que c'est moi... Mais quelle conne...

Les mémoires de l'Enfer s'enchaînent dans l'esprit de Leyla, désormais presque complète. Il ne reste qu'une zone d'ombre dans son esprit.

— Je me rappelle même pas pourquoi j'ai tué ma jumelle ! Il faut que je reste amnésique juste au bout ! Putain de monde ! Putain de moi ! hurle-t-elle pitoyablement.

Sans un mot, elle se lève et marche plus loin, Zéphyr la suit sans prononcer la moindre syllabe. L'adolescente s'approche des corps inertes appartenants aux agents du CCI hypnotisés. Elle fouille leur veste, trouve ce qu'elle voulait.

Couteau en main, prise d'une frénésie meurtrière, Leyla se plante le couteau dans le bras, puis dans l'épaule, elle répète l'action en gémissant de rage.

— Je suis qu'une conne ! Qu'une conne ! Putain de conne ! s'écrie-t-elle en continuant de se faire du mal.

Zéphyr se rue sur elle, lui subtilise l'arme et immobilise la détentrice. Elle tente de se débattre, de se libérer de ses maux, de sa souffrance. Le regard écarlate du chef des Vandergrift croise celui de Leyla.

— Calme toi Lana, ordonne-t-il alors que l'esprit de la jeune fille assimile lentement l'information.

Avant de plonger totalement dans l'obscurité envahissant son âme, une pensée s'appuie sur toutes les autres pour atterrir au sommet de l'inconscient de Leyla.

« Il m'appelle Lana... Ils n'ont pas besoin de moi... Je suis Lana... Il faut que je sois elle... »

Les yeux de Lana se ferment progressivement, jusqu'à embrasser les abysses. Le géniteur d'Eve prend l'adolescente sur ses épaules. Il scrute les alentours, ne perçoit plus Daren, il téléphone, demande l'intervention du CCI.

Une trentaine minutes plus tard, une équipe de secours retrouve les corps inertes d'Édith et Leonart ainsi que ceux des autres agents.

Pendant ce temps, le géniteur d'Eve ainsi que la belle aux cauchemars ambulants arrivent tous deux au 5ème district. Ils le traversent jusqu'à aller devant l'immense mur des Vandergrift.

Un mur désormais anéanti.