🎸 8. Démission parentale
"Wherever would I be without you
I'd be nowhere "
Wherever would I be without you – Cheap Trick
* * *
PDV Joe
Jacksonville – FL – 12 Décembre 1989 (1 mois plus tard)
Depuis l'ensevelissement de maman, quatre semaines s'écoulèrent. À cette époque, je l'ignorais encore, cette période signa le début d'une longue et sinistre ère de mon existence.
Après la cérémonie où tout le monde m'avait fait part de sa pitié à mon égard, oncle Spencer avait déclaré ne pouvoir rester davantage de temps chez nous, à mon grand désespoir.
— Tout va bien se passer. Je gère la situation, avait assuré papa à son beau-frère.
Il m'était impossible à déterminer si ces propos avaient été énoncés dans le but de rassurer mon tonton, ou si ma figure paternelle y croyait lui-même. Or, ces mots étaient loin de représenter la vérité.
Papa ne gérait pas la situation, comme il l'avait prétexté. Sa présence à la maison étant bien rare, les uniques occasions où je l'apercevais, il se trouvait dans un état effroyable, possédé par l'alcool. Je n'osais pas aller à sa rencontre, de peur de croiser ses yeux rougis, meurtris par le chagrin l'accablant. Ainsi, je restai cloîtré dans ma chambre, muré dans un profond silence, affrontant ma propre peine qui grandissait à mesure que le temps passait.
Or, ce blanc était davantage pesant que la solitude qui m'accompagnait durant chaque jour. Ainsi, à bas volume, je laissai ma petite radio allumée, donnant un fond sonore plus agréable que le mutisme qui m'envahissait. La présence de la musique, dont quelques titres me prenaient aux tripes, était une compagnie fort chaleureuse.
Certaines paroles appuyèrent sur mes blessures, posèrent des termes précis sur les émotions qui m'habitaient. La musique représentait ce réconfort que je cherchais, celui que mon père ne parvenait pas à m'apporter.
Un autre lieu où ma sensation de solitude atteignait son paroxysme était l'école. N'ayant aucun ami, je restai isolé. Il fallait dire que le contact avec les autres élèves ne relevait pas de mes priorités. Je portais la conviction que ce genre de compagnie n'allait pas pouvoir m'aider à soulager mes maux.
Cependant, j'étais loin de représenter ce cliché du garçon déversant sa colère sur tout le monde, les professeurs y compris, en me refusant de me plier au règlement, commettant frasques après frasques. J'étais un enfant sage, pas scolairement génial. J'illustrais le genre de gamin simplement invisible.
Étant en retrait, j'avais eu de vagues échos concernant l'arrivée d'un nouvel élève au sein de l'établissement scolaire, en ce mois de décembre. En raison de mon désintérêt à l'égard de cette nouvelle, je n'avais pas cherché plus loin. Cela ne m'importait guère de connaître son prénom, son âge. Nous n'étions pas dans une fiction, où le héros de l'histoire se liait d'amitié avec la nouvelle recrue. Après tout, qui voudrait bien de moi, un orphelin de mère, reclus du moindre contact social ?
Ainsi, je poursuivais la routine que je menais depuis toujours. Opérer en solo, sans attache. Il s'agissait de ma meilleure arme pouvant me servir de protection. Or, je n'avais pas prémédité le retour d'Alan Roberts en jeu. Avec le temps, il était resté le même, voire pire. Ce petit blond au regard niait qui me toisait avec un certain dégoût, lorsqu'il me croisait dans les couloirs. Je compris que lui aussi conservait les souvenirs que nous partagions au jardin d'enfants. Cependant, je n'y prêtais aucune attention particulière, ayant d'autres préoccupations plus importantes. Notamment chez moi, où l'état de mon père se montrait davantage inquiétant.
Le douze décembre de l'année 89' je me trouvais dans ma chambre, ma radio allumée. Les prunelles rivées sur le plafond gris, je laissai la puissance de la musique pénétrer chaque parcelle de mon métabolisme. Tandis que Wherever Would I Be fut diffusé, j'enregistrai chaque parole, me laissait porter par la mélodie. La triste énergie émanant de ce titre des Cheap Trick s'incrusta dans ma chair, atteignant mon cœur. Je ressentis un douloureux pincement qui m'incita à plisser les yeux. Je vivais de la musique, elle divulguait les maux que je m'évertuais à taire.
Après avoir passé une journée entière à endosser le rôle du loup solitaire, cette séance m'était devenue primordiale. Certains titres me pinçaient le douloureusement le cœur, rappelant les soirs où, étant enfant, je dansais, riais, dansais avec mes parents.
Ces sourires sincères, emplis d'une gaité indéniable constituaient une image qui restait gravée dans mon encéphale. Un souvenir qui m'était impossible d'oublier, puisqu'il représentait une époque que je regrettais tant. Désormais, Maman avait disparu sur la route, alors qu'elle avait quitté son poste de travail plus tôt qu'à l'accoutumée, pour moi.
Tonton Spencer m'avait conté dans les grandes lignes les circonstances de son accident, me dévoilant ainsi l'essentiel. Pour moi, elle s'était rendue dans un magasin de musique, pour l'achat d'une guitare. Dans l'unique optique de me faire plaisir, elle avait modifié son emploi du temps, ce qui l'avait amené sur la mauvaise route, celle qui l'avait conduit vers la mort.
La guitare n'avait subi aucun dégât. Pourquoi ? Pourquoi m'avait-on arraché celle qui comptait tant pour moi, bien plus qu'un simple instrument ?
Pourtant, je l'avais conservé. De son vivant, l'intention de maman avait été de me l'offrir. Ainsi, me débarrasser de la guitare représentait une forme d'insulte à son égard. Elle se trouvait donc dans son étui, entreposée dans un coin de ma chambre.
De mon lit, je pouvais l'apercevoir me lorgner avec une certaine forme de moquerie. Elle m'appelait, désirait que je la prenne afin de sentir mon toucher, que je jouais avec elle. Or, je m'y refusais. Elle était la responsable de la perte de maman.
Tu portes une rancune à une guitare, c'est idiot!
En effet, c'était ridicule. Pourtant, par la faute de cet instrument, maman avait péri dans un accident de la route. Ou plutôt....
... Est-ce ma faute ?
C'était pour moi qu'elle avait été prendre possession de cet objet, parce que je l'avais désiré, réclamé tant de fois. Sans ce caprice, maman aurait continué sa journée de travail de manière tout à fait normal. Ainsi, jamais elle ne se serait trouvée sur le chemin de la mort.
Je suis donc responsable de son décès.
Cette réalité m'arracha un sanglot que je ne plus retenir, suivit d'un autre, puis encore un autre. Jusqu'à ce que cette chaîne de larmes se mue en une grosse crise de pleurs. La main posée sur mon cœur crevé par l'acerbité de cette réalité, la douleur convulsive se propagea dans mon être tout entier.
Je me trouvais minable, faible, fautif. Mais surtout seul. Je possédais la désagréable sensation d'être perdu, noyé dans le chagrin m'étouffant petit à petit. Il n'y avait personne pour me venir en aide, pas même mon père. Ce dernier m'avait complètement oublié, ou du moins, c'était l'impression qu'il me procurait.
Le soudain retentissement de la sonnerie interrompit ma session de pleurs. Mon cœur fit un large bon dans ma cage thoracique, ma curiosité s'éveilla de manière accrue. Il ne me semblait pas que nous attentions des invités.
Comme mon père n'émit aucune réponse, l'individu mystérieux insista, faisant rugir la sonnette une deuxième fois, puis une troisième. Agacé par ce bruit, je me décidai à ouvrir la porte, découvrant ainsi l'identité de cet invité.
La surprise envahit les traits de mon faciès, lorsque j'aperçus, face à moi, deux citoyens, vêtus de costumes noirs identiques. Les sourcils froncés, ils me détaillèrent avec une incompréhension luisant dans le creux de leurs orbites. Ils étaient loin de s'attendre à faire face à un gamin de neuf ans. Or, en dépit du malaise qui infiltra chaque parcelle de mon métabolisme, j'arborais une expression impénétrable, fuyant l'intimidation que rejetaient ces deux hommes.
— Bonjour, petit, commença l'un deux, le rouquin aux yeux marron. Ton père est-il ici ?
Que cherchaient-ils ? Au travers d'un mouvement de méfiance, j'émis un pas en arrière. Je craignais que leur présence fût le signe d'ennuis pouvant nous tomber dessus. Tout était possible. Ainsi, je me devais d'être vigilant à l'égard de ces messieurs.
— Oui, fis-je d'une petite voix, venant trahir mon assurance.
— Nous aimerions nous entretenir avec lui, ajouta le second homme, un brun aux yeux bleus.
Mon cœur s'affolant dans ma cage thoracique, je me trouvai partagé entre deux décisions ; celle de laisser entrer ces inconnus dans notre demeure, prenant ainsi le risque de subir leurs intentions malveillantes à notre égard. Puis, celle de leur fermer la porte au nez.
— Hum.
Or, je n'eus pas à choisir, puisque le raclement de gorge de mon père retentissant dans mon dos – qui me réprima d'un sursaut brutal – indiqua que mon devoir s'acheva ici.
Ma figure paternelle arborait une expression à l'allure plutôt terrifiante. Les traits de son visage étaient tirés, de grands cernes avaient fait leur apparition sous la poche de ses yeux verts. Aussi, sa barbe, qui habituellement était entretenue à la perfection, était désormais une vaste pousse, où ses poils s'entremêlaient les uns aux autres. Il était loin, l'homme que j'admirais étant petit. Face à moi, se trouvait à présent un étranger.
— Va dans ta chambre, m'ordonna-t-il, d'une voix lasse.
Les lèvres pincées, mon cœur fit un salto dans ma poitrine. Ce fut les premiers, les seuls mots qu'il m'adressa depuis la disparition de maman. L'indifférence qu'ils contenaient me secoua de manière effroyable. Ainsi, à ses yeux, j'avais perdu toute forme d'importance, d'intérêt. Je n'étais plus rien.
Contenant les larmes qui me montèrent aux yeux, je retournai dans ma chambre, l'unique endroit où je pouvais retrouver un peu de compagnie. Seul dans mon antre, je cédai à la pression émanant de mes larmes, devenant plus forte. Le cœur oppressé, je me recroquevillai sur moi-même.
Papa ne m'avait pas seulement renvoyé dans ma chambre, il avait anéanti l'ensemble de mes espoirs de le retrouver. Il n'était plus mon père. Il avait donné sa démission pour ce rôle, dont il en avait la responsabilité. Et ce, jusqu'à la fin de ses jours.
J'aurais pu rester dans ma pièce, comme il me l'avait ordonné. Mais cette désagréable sensation de mise à l'écart m'insupportait. Puis, la présence de ces deux individus était loin d'être le fruit du hasard, j'en avais la conviction. Je désirais donc connaître la raison de leur compagnie parmi nous.
Jamais, auparavant, nous avions eu de telles visites, pas même après le départ de Joeffrey. Ça devait certainement avoir un lien avec maman. Je ne trouvais aucune autre explication possible. Mais sa disparition remontait à deux mois, quant à son enterrement, lui, datait d'un mois. Alors pourquoi se pointer seulement maintenant ?
Peut-être que ma théorie n'était qu'une illusion enfantine. Quoiqu'il en fût, je me vis envahir par une vague de détermination pour découvrir le fin mot de l'histoire.
À pas feutrés, je longeai le mur blanc du couloir reliant les chambres aux autres pièces de la maison. Mon père se trouvait dans le salon, installé sur le canapé, en compagnie de ces deux hommes. En dépit de la conversation qu'ils échangeaient à voix basse, avec un certain sérieux emplissant la pièce, je pus retenir quelques brins de phrases.
L'accident de votre femme...
Ainsi, comme je l'avais deviné, cette visite concernait bien maman. Pourquoi n'étais-je pas convié à cet entretien ? En raison de mon jeune âge ? Pourtant, je me sentais également concerné par cette histoire, puisque je désirais connaître en détail, les circonstances de sa perte. Ça pouvait contribuer à l'apaisement de mon deuil, comme ça pouvait ramener papa.
Or, il était inutile de m'appuyer sur des espoirs incertains. Ma chute pouvait s'avérer brutale, voire mortelle. Mais j'étais bien loin de m'imaginer ce qui m'attendait.
Dissimulé derrière le mur blanc, j'épiai la conversation des adultes, tendis l'oreille lorsque les voix s'abaissèrent. Un silence demeura durant quelques secondes, jusqu'à ce que l'un des hommes perce ce blanc avec une voix grave.
— L'affaire sera étouffée.
Mais bonjour vous ! Ouais, je sais toujours pas commencer une intro... ne me jugez pas !
Ce chapitre est un poil plus long que les précédents, parce qu'il a plus de choses à raconter, tiens ! J'espère que ça vous plait, même si vous connaissez le gros de l'histoire.
Et je ne sais toujours pas terminé une note comme celle-là... donc tchô !
Joe
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