🎸 7. Séparation éternelle

"Mother, you had me but I never had you,

I wanted you but you didn't want me"

Mother – John Lennon

* * *

PDV Joe

Les yeux plantés dans le vide, mon esprit fut transporté à mille lieux d'ici, tandis que mon cœur fut catapulté dans ma trachée à l'entente de cette bombe. Les paroles de l'oncle Spencer résonnèrent dans mon encéphale dans un écho infernal, s'enfonçant dans un tunnel infini, tel le dong assourdissant d'une grosse cloche. Il était impossible de faire taire cette voix me répétant de tels mots inconcevables.

Si j'éprouvais une déchirure effroyable au niveau de ma poitrine, Tandis que tonton Spencer me plaqua contre lui, au travers d'une étreinte dévastée, je ne lâchai aucune larme. Il m'était encore impossible de conscientiser la réalité, de digérer les mots de mon oncle, ceux-ci munis d'une violence extrême. Le choc fut bien trop présent pour accueillir la dévastation, la laisser posséder mon être entier.

Jacksonville – FL – 15 novembre 1989

Installé sur le rebord de la fenêtre du salon, avec la tristesse luisant dans le creux de mes prunelles vertes, je contemplai le ciel gris de cette triste journée. Ce jour, je l'avais tant redouté, tant appréhendé. Pourtant, je ne n'avais pas d'autre choix que d'y faire faire, et ce, même si j'étais loin d'être prêt à affronter ce qui m'attendait. Jamais je n'allais être prêt.

Encore à ce jour, je peinais à réaliser qu'elle n'était plus présente parmi nous, qu'elle nous avait quitté il y a peu de temps. Dès que son visage se formait dans mon encéphale, ma gorge se serrait, les larmes me montèrent aux yeux. C'était impossible, puisque ses paroles résonnaient encore à mes oreilles, comme s'il elle n'était jamais partie. La maison semblait encore porter son odeur. Il m'était impossible de concevoir, d'accepter cette réalité.

Le cœur lourd comme du plomb, la gorge nouée, je patientais dans cette pièce enchevêtrée d'ombres, jusqu'à l'arrivée de l'oncle Spencer. Ce dernier devait m'accompagner jusqu'au cimetière.

Le cimetière. Voilà un endroit où je n'avais jamais mis les pieds, alors que j'en entendais beaucoup parler, surtout dans les histoires. Dans le milieu de l'imaginaire que j'avais laissé tomber à l'âge de sept ans, le scénario habituel représentait cet endroit, tel un lieu sinistre, terrifiant. Un emplacement où les morts reposaient en paix, jusqu'à ce qu'une quelconque malédiction, ou la période d'Halloween venaient les réveiller.

Or, cette fois-ci, cette place possédait un aspect, ainsi qu'un rôle différent de ceux que l'on trouvait dans les contes. En ce jour de novembre, on allait mettre sous terre une personne de plus, un être si cher à mes yeux. Ainsi, j'étais loin d'être prêt à me confronter à ce moment. Je ne le voulais pas.

Les pas délicats de l'Oncle Spencer qui parut dans le salon détournèrent mon attention. Essuyant quelques larmes ayant humidifié mes joues, ma tête pivota en direction de l'homme se postant dans l'embrasure de la porte. En dépit de l'obscurité teignant la pièce, je pus imaginer l'expression grave inscrite sur son faciès. Ce même rictus sombre présent depuis ce jour.

Depuis le jour où mon oncle avait été contraint de m'annoncer cette effroyable nouvelle, ce dernier était resté à la maison, afin de veiller à la santé mentale de mon père, ainsi que de la mienne.

Il fallait préciser que ma figure paternelle ne m'avait pas pris une seule fois dans ses bras, suite la disparition de maman. Ce manque de contact, de réconfort, m'avait fait comprendre qu'il devait être seul. Ainsi, je veillai à respecter son choix, puis me tournai vers l'oncle Spencer.

Je m'évertuai à refuser la perte de maman. Dans les tréfonds de mon esprit, une partie de moi avait la conviction que tout ceci n'était que des mascarades, que ma figure maternelle était encore en vie.

Elle ne reviendra pas... Elle est morte.

Ces paroles n'étaient que des balivernes. Tonton avait énoncé des propos erronés, j'en étais persuadé.

Lorsque ce dernier se posta dans le cadre de lumière terne transperçant la vitre, je découvris le costume enveloppant le frère de ma mère. Comme moi, il était entièrement vertu de noir, avec des mocassins de la même couleur. Ses cheveux châtains mi-longs étaient laqués en arrière, puis pour couronner le tout, un air dévasté dessinait les traits de son visage.

Si mon oncle reconnaissait les sentiments qui l'habitaient, pour ma part, j'ignorais dans quel état d'âme je me trouvais. C'était le néant total, puisque le choc était toujours présent dans mon psychisme.

— C'est le moment, Joe, annonça tonton Spencer, d'une voix grave.

Sans un mot, je me levais, me dirigeai vers l'homme qui plaça avec délicatesse sa main dans le creux de mon dos.

Enveloppés dans un silence de glace, nous attendîmes papa dans le véhicule. Je perçus Spencer me jeter des coups d'œil au travers du rétroviseur, inquiet par mon mutisme. Pourtant, je refusais de prononcer le moindre mot. Il n'y avait rien à dire.

Mon père finit par apparaître quelques minutes plus tard. Au travers d'une démarche maladroite, il regagna l'intérieur du véhicule, puis s'installa sur le siège passager, aux côtés de son beau-frère. Ne faisant aucune remarque, je connaissais néanmoins la raison de son état. Depuis le départ de maman, je peinais à reconnaître l'homme qui m'avait élevé, qui m'avait aimé.

— Joeffrey va venir ?

Le son de ma voix soudaine suscita la surprise chez mon oncle. Il s'agissait de mes premiers mots depuis la chute de la bombe. Ainsi, tout ce que je désirais savoir était la présence de mon frère.

— Bien évidemment, chuchota l'homme, avec une pointe d'incertitude filtrant dans sa voix.

J'aspirais à retrouver Joeffrey dans l'espoir de renouer un lien, en dépit des tristes circonstances nous ayant réunis. Or, mon oncle ne parut guère convaincu par la présence de mon ainé. J'espérai qu'il ait tord.

— Le chignon te va bien, Joe, souffla papa, me jetant un bref coup d'œil vers la banquette arrière.

Ce furent les premiers mots qu'il m'adressa depuis ce fameux jour où je l'avais retrouvé à la maison, en larmes. Ne trouvant rien à répondre, je conservai mon mutisme habituel.

Le véhicule en marche, je scrutai le paysage terne défilant devant mes yeux verts, l'esprit évasif. Un silence grave emplit l'intérieur de la voiture une nouvelle fois, alors qu'avec maman, la musique était mise à plein tube. Avec elle, les éclats de rire emplissaient nos tympans. Tout paraissait bien plus gai, bien plus simple.

Le contraste flagrant entre ces deux ambiances me noua l'estomac. L'amertume de cette nostalgie pas si lointaine me pesa sur le cœur. Tout ceci n'était qu'illusion, j'allais émerger de ces chimères.

Or, mon réveil s'avéra bien plus brutal que je ne l'avais songé. Les multiples paries d'yeux braquées sur moi, à mon arrivée sur ce terrain glauque, suscitèrent un torrent brusque de pression qui s'exerça sur ma poitrine ; tétanisant mon organisme tout entier. Je fus épris d'une seule envie ; fuir cette attraction, me terrer au fond d'un trou. Comme Alice l'avait fait pour atterrir au pays des merveilles. Sauf que ce lieu représentait une réalité à laquelle je tenais tant. Celle où ma famille était loin d'être brisée, celle où Joeffrey était parmi nous, sans son caractère détestable.

Mais ces souhaits appartenaient à la catégorie des souhaits irréalistes, impossibles. La vérité était toute autre. La présence de l'Oncle Spencer, se trouvant derrière moi, m'incita à affronter la petite foule présente, à l'expression attristée. J'étais donc contraint d'affronter cette épreuve qu'aucun enfant de neuf ans n'avait à subir.

Dans la petite foule, la première chose que je constatai fut l'absence de Joeffrey. Ce dernier n'avait même pas daigné de venir nous retrouver, être un soutien pour moi, pour papa. Ceci aurait été une occasion pour recommencer un nouveau départ tous les trois. Or, mon grand frère avait décidé de faire le mort, comme il le faisait depuis son envol.

Je perçus des regards outrés qui étaient adressés à mon père.

— Il se trouvait déjà ivre à son mariage et le revoilà dans un état bien plus pitoyable pour l'enterrement de sa femme. Quelle honte tout de même, entendis-je, m'avançant jusqu'au cercueil qui me guettait d'un air vicieux, malsain.

J'ignorais ces remarques qui ne me concernaient point. Mon esprit était affairé à une tâche bien différente, tenir le coup jusqu'à la fin de la cérémonie. Arrivé à quelques mètres de la boite située devant moi, je m'immobilisais. Il m'était impossible d'émettre un pas de plus.

Je levai les yeux au ciel. Triste. Tout comme l'était l'ambiance dans laquelle nous étions tous plongés. Je croisais de nombreux regards me toisant avec pitiés. Tous, ou la majorité des personnes présentes devaient être persuadés qu'il m'était difficile de réaliser la scène se tramant devant moi. Il s'agissait d'une semi-vérité. D'un côté, je m'efforçais à croire en mes chimères, celles où maman était encore de ce monde, qu'elle m'attendait à la maison, prête à me réconforter dans ses bras. De l'autre, je faisais face au cercueil recouvert de fleurs, me rappelant la terrible vérité à laquelle je refusais d'y croire.

Le contact de la main de Spencer qui reposa sur ma petite épaule confirma la réalité dans laquelle j'étais prisonnier. Mon cœur se serra avec une douleur fulgurante, arpentant l'ensemble de mon corps. Aussi, pour la première fois depuis l'annonce de la perte de ma figure maternelle, les larmes me montèrent aux yeux. La gorge nouée, je ne pus les retenir bien longtemps.

Depuis petit, je m'étais habitué aux séparations avec maman, bien qu'elles aient été pénibles à vivre pour moi. Cependant, le souvenir de la retrouver au bout de quelques heures suffisait à me consoler. On finissait toujours par se rejoindre au travers d'une étreinte qui me procurait le plus grand bien. En ce triste jour de novembre, je me trouvais à nouveau séparé de maman. Or, cette fois-ci, il s'agissait d'une absence éternelle.

C'était le moment de lui faire mes adieux, une dernière fois. Je m'y refusais, pourtant, il le fallait. Il fallait lui dire « au-revoir » une dernière fois, avant qu'elle ne disparaissait sous terre à jamais.

Ne me laisse pas, maman Yaya.

Exceptionnellement, la note d'auteur ne sera pas longue. Tout simplement parce que ce chapitre reste très éprouvant pour moi... chose que vous pouvez comprendre.

J'espère simplement que cette scène vous aura quand même plu

Joe

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top