🎸 14. Confessions


" I see the stars come out of the sky"

The Passenger – Iggy Pop

PDV Joe

* * *

— Tu sais ce que dit Roberts à mon sujet, à propos de ma mère ? questionnai-je, mes prunelles vertes relevées sur Mitch.

Il ne pouvait qu'être au courant de la raison de ma persécution, puisqu'il m'avait défendu alors qu'Alan venait m'affronter en jouant avec le décès de maman.

Au hochement de tête de bassiste, je pris une profonde respiration, déglutis non sans difficulté. Les mots qui s'apprêtèrent à franchir la barrière de mes lèvres m'écorchaient d'avance la gorge. Si cette confession me mettait déjà dans un tel état, comme allais-je finir après avoir lâché ma peine ?

Dans un élan d'affection, Mitch s'installa à mes côtés, son bras enlaça mon corps, puis le colla contre le sien. Ce contact auquel je n'étais guère habitué me procura un certain apaisement, mais pas assez puissant pour chasser complètement mon chagrin qui me dévastait depuis si longtemps.

— Et bien, c'est vrai, lâchai-je d'une voix étranglée.

— Je suis désolé.

Ce fut les seuls mots que le bassiste prononça. Cela suffisait. Je refusais qu'il en dise davantage, refusant de sa pitié. Il était d'une bonne écoute, c'était tout ce dont j'avais besoin en cet instant. D'être écouté sans être jugé, sans être moqué.

— Elle est morte dans un accident de voiture à  Evergreen Ave, il y a cinq ans, poursuivis-je, le cœur toujours aussi lourd.

À présent que le sujet était lancé, autant tout dévoiler. Or, après cette révélation, je sentis le corps de Mitch se crisper.

Inquiet, je relevai mes prunelles sur le garçon, presque en proie à des regrets. L'expression que j'y lus sur le faciès de ce dernier reflétait une certaine stupeur de sa part. Une stupeur que je ne pouvais comprendre.

— J'en ai entendu parler, murmura-t-il d'une voix absente, perdu dans d'anciens souvenirs.

Le regard que je lui adressai parla à ma place. Comment pouvait-il être au courant de cet accident, alors qu'il avait été passé sous silence ? Dans mon encéphale, un tourbillon de question s'abattit avec virulence dans mon encéphale.

— Après les cours, lorsque ma sœur était encore à la maison, ma mère est rentrée en trombe et nous a expliqué qu'il y avait eu un accident sur cette même route. C'est ce qui nous a poussés à emménager dans le coin.

Chamboulé par cette révélation, je réalisai que Mitch était ce fameux nouveau étant arrivé durant le mois de décembre 89. Contrairement à ce dont je m'étais persuadé, nos routes avaient fini par se croiser. Comme quoi, le destin organisait bien les choses.

_____

Le cœur emplit d'appréhension, je suivis Mitch dans les rues englouties par l'obscurité. Il n'était pas dans nos habitudes de traîner le soir, alors que le jour avait décliné. Or, cette fois-ci se révéla être une exception. Pour la première fois depuis le début de notre amitié, je me trouvai invité chez lui et j'allais ainsi rencontrer sa mère. Suite à ma confession, le bassiste m'avait également fait part de sa situation familiale. Après le départ de son père, sa mère adoptait une attitude stricte à son égard, mais également envers sa sœur.

Ce dernier ne m'avait jamais parlé de cette dernière, hormis la fois où j'avais évoqué le décès de maman.

Lorsque ma sœur était encore à la maison.

Cette phrase contenait deux sens différents, pouvant se superposer aux deux membres de ma famille. J'espérai pour Mitch que sa sœur avait opté pour la même décision que Joeffrey avait choisi auparavant, plutôt que de connaître le même sort que ma mère. Or, cette incertitude me pesait sur le cœur. Je devais savoir, afin d'éviter tout malaise pas la suite.

— Ta sœur, elle est ... ? hésitai-je, incertain d'aborder un sujet difficile.

Ça l'était, mais d'un point de vue différent.

— Elle est partie de la maison, vivre seule.

Un Joeffrey au féminin ! Or, contrairement à moi, la liaison que Mitch entretenait avec sa sœur était soudée. Depuis leur enfance, cette proximité chamboulant le bassiste les liait. Néanmoins, tout comme moi, Mitch avait perdu une figure importante, à laquelle il y tenait plus que tout. Après son départ, il s'était retrouvé perdu, avec cette illusion de ne plus être à sa place dans cette société pourtant si vaste.

Les mains plongées dans les poches de mon pantalon, je conservai mon regard rivé sur le sol goudronné. J'espérai que ma venue n'allait guère déplaire à Madame Peterson, en dépit de son accord.

— On y est, déclara Mitch, alors qu'on atteignit une maison aux apparences typiques, constituée de fresques en briques.

Pénétrant dans la demeure, je fus surpris de constater les pièces encombrées de multiples cartons, dissimulant le vaste espace des lieux. M'adonnant à ma contemplation dans ce milieu nouveau, mon regard se porta ensuite sur Mitch. L'expression de ce dernier se métamorphosa à l'entente de voix féminines retentissant dans la maison.

— C'est ma sœur qui est revenue, souffla-t-il, les yeux écarquillés de réjouissance.

Pris de court par ce retournement de situation, je l'observai se ruer dans ladite pièce où les individus se trouvaient. Il était préférable de rester à la périphérie de ces retrouvailles familiales auxquelles je n'étais pas convié.

Ce fut la première fois que je découvris Mitch aussi heureux. Il avait retrouvé l'unique personne qui comptait à ses yeux. En réalité, il ne l'avait jamais perdue, elle était toujours en vie. Seulement, elle avait pris son envol, tout comme mon frère l'avait fait. Or, un fossé profond m'avait créé une distance froide avec Joeffrey. Et ce, aussi loin que je m'en souvenais.

En cet instant, la famille Peterson, ou du moins les deux enfants, parurent empli d'un bonheur que j'enviais. Pourtant, le mien était impossible à devenir réel. J'en avais pleinement conscience. Mais une partie située dans les tréfonds de mon être persistait à s'accrocher à ce désir chimérique.

— Voici Joe.

La voix de Mitch, ainsi que l'entente de mon prénom m'arrachèrent de ma torpeur. Je découvris Mitch reculer à mon niveau, ainsi que le regard des deux femmes braqué sur moi, avec une curiosité qui me plaça dans un certain inconfort.

L'une d'elles – que je supposais être la mère – portait un chignon laissant échapper plusieurs mèches de ses cheveux noires. Son regard était souligné d'un trait de sévérité qui me noua l'estomac d'appréhension.

La deuxième – certainement la frangine – arborait un style bien différent. J'appréciais particulièrement ses cheveux colorés en rose, ainsi que ces vêtements entièrement noirs. Elle m'aspirait que de la sympathie. Puis, contrairement à la mère Peterson, le sourire inscrit sur son faciès démontra que j'étais le bienvenu chez eux, apaisant ainsi mes incertitudes.

— Il joue de la guitare, rajouta Mitch.

Désarçonné par cette remarque me concernant, j'adressai un coup d'œil au bassiste. Ce dernier avait son expression rivée sur sa figure maternelle. Au travers de leurs échanges visuels, je pus y percevoir une sorte d'affrontement désagréable. Que cherchait-il en précisant ceci ? À impressionner sa mère afin de dégager une meilleure impression ? J'avais été informé que les liens avec cette dernière se révélaient particuliers, mais pas à ce point.

— C'est vrai ? Il ne vous manque plus qu'un batteur et vous allez enfin pouvoir monter un groupe ! lâcha la frangine, d'un ton réjoui.

Sauvé par Barbe à Papa !

À l'entente de sa phrase, mon cœur rata un battement, rappela un désir m'ayant habité durant mes plus sombres moments de solitude, dans ma chambre à jouer de la guitare pour apaiser ma peine. Un groupe.

Mitch possédait un talent indéniable à la basse, puis moi, je m'en sortais plutôt pas mal avec la guitare. Néanmoins, c'était une possibilité ou plutôt, un objectif qui surgit dans mon encéphale. Croisant le regard intrigué de Mitch, il y avait de grandes chances pour que ce dernier ne fût pas contre cette idée si délicieuse, si fantastique.

___

Avec le temps, ma capacité auditive s'était accoutumée à ce brouhaha carillonnant au sein de la cantine. Ainsi, ce fut sans éprouver une quelconque gêne que je dévorais mon plat, avec mon habituel appétit d'ogre. Il fallait admettre que le plat du jour m'avait séduit, enivré d'une excitation faisant crier mon estomac. Des spaghettis à la carbonara.

— Joe, qu'attends-tu de la musique ?

La voix de Mitch m'obligeant à redresser mes prunelles sur lui, je constatai qu'il me fixait avec intensité. Les sourcils froncés par sa question, j'aspirai mon spaghetti qui projeta une goutte chaude de sauce sur mon front. Tant de grâce en moi.

— Je veux dire, pourquoi joues-tu de la guitare exactement ? Pour le plaisir, pour séduire des filles...

Je le coupai par un ricanement sarcastique qui s'échappa de ma bouche. Les filles ? N'avait-il donc pas encore compris que les séduire n'était pas dans mes intérêts ?

— Un groupe de musique ? tenta-t-il, avec une certaine hésitation teintant le timbre de sa voix.

Nous y voilà !

Mon attention éveillé, je focalisai mon attention sur le bassiste. Ainsi, possédons-nous des idées convergeant vers la même optique ?

— Ce n'est pas ce que tu veux ? fis-je, ayant décelé la réticence qui l'habitait.

J'avais toujours su que la musique était mon échappatoire, mon élixir pour ajouter un peu de gaieté à mon existence si terne. Dès mes débuts à la guitare, mes rêves avaient commencé à tourner autour d'un avenir musical, avant de s'estomper à mesure que le temps s'écoulait. Néanmoins, il n'avait jamais disparu. Ce fut la sœur de la Grande Perche qui avait ravivé ce fantasme, le rendant plus ardent, plus concret à présent que j'avais un bassiste avec moi.

Mais qu'en était-il de Mitch ?

— Disons que j'ai toujours cru que je n'étais pas assez bon pour ce niveau.

Je manquai d'avaler un spaghetti de travers. Comment pouvait-il douter de son talent ? Contrairement à moi, il n'avait émis aucune fausse note, cassé aucune corde. Ce devait être moi qui devais avoir l'illusion d'être mauvais. Or, ce n'était pas le cas.

— Mitch, il faut que tu prennes confiance en toi. Sinon, tu n'avanceras jamais dans la vie. Aie des rêves, des objectifs et mets tout en œuvre pour y arriver. Il n'y a que comme ça que tu pourras progresser et réaliser le chemin parcouru.

Ma phrase achevée, une curieuse sensation venue envahit mon être. Aux sourcils relevés du bassiste, je compris que la réaction était partagée.

Jamais auparavant je n'avais employé un tel discours face à une personne. Pour dire, je restai dans mon coin, à éviter le moindre contact social. La présence de Mitch aidait à faire surgir une facette de moi que j'ignorais jusqu'à présent, me contraignait à émettre des allocutions surprenantes.

— C'est ainsi que l'élève en vient à dépasser le maître, lâcha-t-il avec un sourire gratifiant imprimé sur ses lèvres.

Poussant un autre ricanement amusé, je repris une autre bouchée de spaghetti, avant que celles-ci ne refroidissent.

L'appui de Mitch à mes côtés avait un lien avec cette progression étonnante de ma part. Il m'encourageait à construire une armure bien plus solide, résistant aux atrocités de Roberts. Or, en dépit de ces leçons de mon ami, les remarques acerbes d'Alan parvenaient toujours à m'atteindre en plein cœur, avec ce sujet qui me peinant tant ; la disparition de maman.

L'acharnement de ce blondinet ne faisait que d'intensifier la douleur que je tentais en vain d'anesthésier, d'oublier. Je devais néanmoins me satisfaire de la présence du bassiste, ainsi que celle de la musique, ces dernières m'aidant à tenir le coup, à supporter mon existence. Puis, L'idée de fonder un groupe ne pouvait être que bonne. Elle mettait ensemble, deux acteurs principaux de ma survie.

Or, un détail vint freiner mon entrain. Pour l'instant, il n'y avait qu'un guitariste et un bassiste. Sans percussionniste, nous n'allions aller pas très loin.

— On le cherche quand ce batteur ? lança Mitch, qui parut avoir lu dans mes songes.

D'une lenteur contrôlée, je laissai un sourire énigmatique élargir mes lèvres, en proie à un élan de réjouissance.

— Maintenant ?

Ma réponse libéra un sourire ravi qui étira les lèvres de mon ami. Ainsi, durant la même journée, l'idée d'infiltrer la salle d'informatique en dehors des heures scolaires m'avait traversé l'esprit. Mitch ne parut guère emballé par ce plan, mais il y fut contraint de me suivre. Si nous espérions trouver un batteur rapidement, les démarches pour les recherches devaient commencer dès à présent.

Installé devant le post d'ordinateur, je tentai de réaliser un prospectus indiquant notre désir de recruter un batteur, en dépit de mes talents en graphisme et en informatique presque inexistants. Derrière moi, je sentais l'incertitude de Mitch le gagner petit à petit. Tout comme notre visite surprise dans la salle de musique, il craignait à l'idée que l'on nous surprenne. Quel trouillard.

Néanmoins, cette fois-ci, j'étais certain que nous n'avions rien à craindre. Ainsi, l'attitude du bassiste me procura plusieurs ricanements amusés. Le garçon parut se détendre lors de l'impression des documents.

Analysant la première copie prête, je conclus que le résultat n'était pas si mauvais. Avec l'espoir que ces affiches attirent l'attention, nous quittâmes la pièce, au plus grand soulagement de Mitch.

Ayant chacun un paquet d'impressions en main, nous commençâmes notre tâches ; épingler les feuilles parmi les tableaux d'exposition prévus à cet effet.

— Mais Mitch, ne le met pas à côté des annonces de studios ! m'écriai-je, jetant un coup d'œil en sa direction.

— Qu'est-ce que ça change ?

— Personne ne verra notre annonce, protestai-je, arrachant sa copie de son emplacement, afin de l'épingler dans un endroit bien plus visible.

— Mais bien sûr qu'ils la verront ! Ces temps-ci, pas mal de monde sont à la recherche de studio, surtout les terminales, pour l'université.

Une expression lasse imprimée sur mon faciès, je me tournai vers le bassiste :

— Je le sais bien. Cependant, le candidat que l'on recherche doit être sans cesse disponible. Je n'ai pas envie qu'un futur universitaire intègre le groupe pour se tirer quelques mois plus tard, parce que monsieur veut se consacrer à ses études.

Pour toute réponse, Mitch conserva le silence, me donnant l'illusion que je n'avais pas tort.

— On se dépêche, il ne nous reste qu'un quart d'heure avant la reprise des cours, déclarai-je, affairé à afficher les impressions en ma possession.

Néanmoins, je perçus son soupir las, ainsi que son coup d'œil dirigé dans ma direction, mais je n'y prêtai guère attention. Dès l'instant où Mitch avait émis son désir de fonder un groupe, la motivation d'entreprendre les démarches nécessaires à la fondation de ce dernier n'avait fait qu'une bouchée de moi.

Perdu dans le fil de mes pensées, de mes attentes concernant mon avenir, j'en vins à oublier la présence de Mitch à mes côtés. Cette idée avait ravivé mon existence qui jusque-là, avait été insipide. Empli d'une réjouissance, j'avais enfin conscience de mon réel centre d'intérêt. Ma vie semblait enfin posséder un sens.

Tournant ma tête vers le bassiste, je constatai que ce dernier avait cessé sa tâche. Immobilisé, son regard fut perdu au travers de la foule d'étudiants défilant devant nous. Plus précisément, vers cette même blonde qu'il avait aperçue quelques semaines plus tôt.

Le fait qu'il soit sous son charme ne me déplaisait pas, au contraire. Or, ce fut sa position de statut qui me déplut. Soit, il allait lui parler afin de faire bouger la situation. Soit il restait immobile et perdait son temps à la contempler en se faisant de fausses illusions.

— Bon, tu te bouges pour finir d'épingler ses annonces, ou tu te secoues le fion pour aller lui parler.

De manière volontaire, j'avais prononcé ces mots assez forts pour qu'il se décide à se remuer. Or, contrairement à ce que j'avais excepté, l'attention oppressée sur nous emplit Mitch d'un soudain malaise qu'il ne put contenir.

Sans m'adresser un seul regard, il plaqua son paquet d'impressions contre mon thorax et pris la fuite. Avais-je merdé sur ce coup, alors que mon unique intention était de lui venir en aide ? Très certainement.

Yups... ouais, je suis toujours pas très doué avec les interactions sociales... mais qu'est-ce que vous voulez ?  Mais c'est la faute de cet abruti d'être aussi susceptible. Je ne voulais que l'aider.

Bref, j'espère que ce chapitre vous a plu. Il était plus long que d'habitude (2'500 mots), parce que j'avais beaucoup de choses à raconter.

On se retrouve au prochain chapitre !

Joe

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