🎸 12. Efforts sociaux

« Sweet Home Alabama

Where the skies are so blue

Sweet home Alabama

Lord I'm comin' home to you »

Sweet Home Alabama – Lynyrd Skynyrd

* * *

PDV Joe

Quatre ans plus tôt, je me trouvai dans la phase de l'expérimentation de la clope. Je fumais uniquement parce que ça me plaisait plutôt bien. Puis, rapidement, ma consommation avait passé d'une cigarette par semaine, à trois par jour. J'en devenais dépendant. J'en avais conscience, mais je refusais néanmoins de tout arrêter. Il me fallait cette dose de tabac, mêlé à la nicotine pour tenir le coup.

Ainsi, je pris mon mal en patience, me décidai à attendre l'instant-clope prévue par l'accoutumée. Du coin de l'œil, je perçus la Grande Perche s'emparer d'un tabouret, puis s'installa à mes côtés.

Ayant saisi qu'il était inutile de riposter face à son côté coriace, je ne bronchai point, me contentant de poursuivre mon solo de guitare interrompue.

Au moins, avec Sweet Home Alabama, je ne pris aucun risque de tourner au ridicule, avec un mauvais accord. C'était une mélodie douce, enivrante, que je parvenais à reproduire à la perfection. Mes doigts connaissaient leur destination. Ainsi, leurs mouvements se faisaient d'eux-mêmes. Puis, je n'avais également pas de soucis à briser une corde, la capricieuse ayant été changée.

— Avec ma basse, je parviens aussi à jouer quelques morceaux.

Cette remarque ayant éveillé ma curiosité, j'interrompis une nouvelle fois mon solo. Intrigué, je relevai mes prunelles sur le géant. Cette fois-ci, il avait su capter toute mon attention. Ainsi, la Grande Perche possédait également un goût pour la musique, une passion commune.

Sans un mot, je désignai une basse entreposée sur un socle. Avant de me laisser berner par ces propos, je tenais à m'assurer que ce n'était pas des conneries. Empli par le mutisme, le garçon s'exécuta, avec une expression ravie.

La première chose qui me frappa lorsque je l'aperçus avec l'instrument en main, fut l'harmonie que cet ensemble dégageait. Lui et cette basse s'accordaient déjà si bien ensemble au niveau visuel. Je compris alors que la suite ne pouvait être que prometteuse.

Aussi, je fus stupéfait par son jeu de doigts, habile, assuré. Il avait opté pour une chanson que je ne pouvais que connaître, puisque que je l'avais jouée quelques instants plus tôt, avant que la corde de Sol ne se brise. Cette mélodie était bien trop magnifique pour laisser la Grande Perche l'interpréter à lui tout seul.

Vérifiant que toutes les cordes possédaient la tonalité adéquate, je vins à rejoindre la symphonie du bassiste avec une sonorité plus électrique. Les deux instruments composèrent une harmonie si somptueuse, qu'elle m'en coupa le souffle. Jamais, je n'avais soupçonné l'existence d'une telle fusion possible.

La démo achevée, je laissai la stupéfaction s'imprimer sur mon faciès, dévisageai la Grande Perche, la bouche entrouverte.

— Depuis combien de temps joues-tu de la basse ? finis-je par questionner.

— Je dirais quatre ou cinq ans.

Me laissant engloutir par le silence, j'émis un hochement de tête. Je me trouvai dans un état de béatitude, chamboulé par les récents événements. Jamais je n'avais escompté un tel talent se dissimulant chez ce garçon. Je n'étais pas préparé à subir un tel retournement d'émotions.

— On ne s'est pas présenté. Je m'appelle Mitch, déclara le bassiste, après un long instant de silence.

Maintenant ce mutisme qui lui parut être désagréable, je le toisai avec une incompréhension luisant dans le creux de ces prunelles. Que croyait-il ? Qu'après notre prestation en duo, nous allions devenir les meilleurs amis ? Il pouvait se mettre un doigt dans l'œil. J'étais destiné à vivre seul. Ce n'était donc pas sa présence qui allait y changer quoi que ce soit.

— Joe.

Puis, je reportai mon attention sur la guitare. J'avais accepté de donner mon prénom, c'était déjà pas mal. Or, ça n'irait pas plus loin et ce Mitch avait intérêt à le comprendre.

Pourtant, l'arrivée de cette Grande Perche dans la salle de musique fit germer un désir enfoui dans les tréfonds de mon être, si bien que je n'avais pu le conscientiser. Il avait commencé à se manifester que bien plus tard.

Sans un mot, je rangeai la guitare dans son étui, imité par Mitch.

— Ravi d'avoir fait ta connaissance, lâcha-t-il, alors que je m'apprêtai à quitter la salle.

Je n'émis aucune réponse. Uniquement un sourire forcé. La hâte me prenant aux tripes, je me ruai à l'extérieur, où je possédais la certitude de ne croiser personne.

J'ai vraiment besoin de ma pause-clope.

____

Jacksonville – FL 14 juin 1994

Ignorant la présence de Mitch face à moi, je préférai dévorer mon plat. Ce dernier parut chercher à entrer en contact avec moi. Or, je m'y refusais. Pourtant, en dépit de mon mutisme à son égard, la Grande Perche s'évertuait à me côtoyer. Peut-être le message n'était-il pas assez précis ? Si cela était le cas, il me fallait régler ce malentendu. Mais plus tard. Mon assiette était plus importante.

— Tes cours se sont bien passés ?

Mes prunelles arrondis par l'incompréhension qui s'insinua en moi, je toisai le jeune homme en silence. Si j'acceptais ses vaines tentatives de converser avec moi, je refusais néanmoins qu'il aborde le sujet des cours. Je ne possédais aucune opinion à partager, puisque l'école avait fui mes centres d'intérêt. Pourquoi ne souhaitait-il pas discuter autour de la musique ? Ça faisait partie de nos passions communes, d'après mes constatations lors de notre rencontre.

À l'entente du soupir de Mitch, je compris qu'il abandonna toutes tentatives.

— J'ai compris, il ne faut pas te parler.

Une bonne nouvelle, et également une sage décision.

Mon repas achevé, je relevai mes prunelles vertes sur la Grande Perche. Ce dernier parut égaré, son regard braqué dans le vide.

Il est parti sur Orbite et ceci me donne l'occasion de filer en douce pour la pause-clope.

Prenant garde à ce qu'il ne détecte pas mes mouvements, je me retirai sans délicatesse de ma chaise, me débarrassai de mon plateau, puis quittai la cantine. Frappé par la hâte de fuir cette pression exercée par cette sociabilité inhabituelle, je me frayai un chemin parmi le petit troupeau d'étudiants présents dans les couloirs.

Veillant à ce que personne ne m'avait suivi – coup d'œil à gauche, puis à droite, je m'engouffrai dans un couloir peu fréquenté par les élèves, jusqu'à me trouver face à une porte en bois. Avec une impatience ayant atteint son paroxysme, je la poussai avec une pointe de brutalité dans mon geste.

Les yeux clos, je laissai l'air chaud de ce mois de juin se heurter contre mon faciès. C'était si bon, si agréable. Le contact avec l'extérieur chassa d'un coup de vent les tensions habitant mon métabolisme. Puis, pour couronner le tout, ce fut la dose de nicotine qui détendit chacun de mes muscles.

Cet endroit était devenu mon repaire. Personne ne devait se douter de l'existence de cette sortie, excepté le concierge. Or, ce dernier restait très discret. Ainsi, on ne le voyait presque jamais. Ceci renforçait ma conviction portant sur la fréquentation inexistante de ce lieu. Je pouvais donc recharger mes batteries avec l'esprit serein.

Tandis que la fumée s'infiltra dans mes voies respiratoires, je laissai mes songes vagabonder au loin. Peut-être que désormais, un avenir différent se profilait devant moi. Je n'étais plus destiné à finir seul, si je me référai à la coriacité de la Grande Perche.

Un mois s'était écoulé depuis notre rencontre, dans la salle de musique. Depuis, il ne cessait de me retrouver durant les pauses et ce, en dépit de la distance que je persistais à placer entre nous.

Depuis bien longtemps, je m'étais convaincu de ne pas être doué pour les interactions sociales. Et si cela s'avérait être faux ? Je ne détenais tout simplement pas d'entraînement en la matière. Il fallait dire qu'avec l'individu restant dans ma famille qui rentrait tard le soir, l'occasion d'échanger avec lui ne se présentait jamais.

Mitch représentait donc le signal m'indiquant que je n'avais plus à être seul, à contenir mon chagrin pour moi-même. Or, mon manque d'expérience m'effrayait au plus haut point.

Peut-être devrais-je y aller petit à petit ?

Certainement. Un peu de contact avec d'autres êtres humains ne pourrait pas s'avérer nocif pour moi. À l'unique condition de bien les choisir. Ainsi, Mitch sembla entrer dans la catégorie des individus dignes de confiance. Il me fallait me détacher petit à petit de ma solitude liée à mes craintes, de tenter de m'approcher de cette Grande Perche.

Écrasant ma clope sur le sol goudronné, je crachai la dernière dose de fumée me restant en bouche, puis retournai à l'intérieur. Mon cœur se noua d'appréhension à l'idée que Mitch me rejette, lassé par mon attitude glaciale à son égard.

Pourtant, il ne s'agissait que d'un essai. Si la réaction du garçon se révélait positive face à ma tentative, ceci était le signe que je pouvais continuer mes efforts. En revanche, s'il refusait mon approche, ça confirmait ce dont j'étais convaincu dès le début ; je devais poursuivre d'opérer seul et sans attache.

Avec une surprise teintant les traits de mon visage, je constatai que la masse d'étudiants avaient fortement crûe en l'espace de quelques instants. Ce qui n'était guère surprenant, puisque la plupart des élèves avaient fini leur repas.

Scrutant la foule avec parcimonie, je m'attendais à apercevoir la silhouette de Mitch dans mon champ de vision. Ce dernier devait avoir quitté la cantine, à moins qu'il soit resté sur orbite.

Cette supposition se révéla erronée, puisque je le découvris à quelques mètres de moi, toujours autant perdu. Lorsque je me plantai face à lui, je constatai une expression emplie de surprise. Il ne s'attendait pas à mon retour. Ou alors, il n'avait pas pris conscience de mon départ et se montra étonné de mon talonnement.

— Ne tentais-tu pas de me semer, par hasard ? fis-je, tentant une pointe d'humour, ce qui était loin d'être dans mes habitudes.

Le garçon m'analysa durant quelques secondes, chamboulé par le contraste d'attitude.

— Non, je... Je te cherchais.

Une nouvelle fois, je me laissai attraper par le silence. J'en venais presque à douter de la sincérité de ses mots. Pourquoi ? Le Méfiant sommeillant en moi m'incitait à agir ainsi. Pourtant, ce comportement contribuait à repousser Mitch. Ce que je ne désirais pas.

— J'avais des choses à faire, c'est pour ça que je suis parti tel un voleur.

Moins j'en dévoilais à ce sujet, mieux c'était pour moi. Je ne tenais pas à ce que mes actes illégaux aux yeux du système scolaire remontaient jusqu'aux oreilles du proviseur. Ceci à cause d'un trop gros élan de confiance.

Petit à petit, on a dit.

Ouais, bon j'admets que cette Grande Perche est douée. Mais surtout collante. Mais bon, vous connaissez la suite... on va devenir des supers ennemis pour la vie.

J'espère que ce chapitre vous a plu. Je devine qu'une personne en particulier est toute heureuse de voir l'homme de sa vie débarquer dans l'histoire. Elle sait très bien que je la vise, hehehe. Grillée dès le départ, ma chérie. -peacemaker

Bref à la prochaine et je vous fais pas de bisous, de kissouilles ou autre chose

Joe

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top