Dîner et bureau

Les deux hommes ne furent pas très long sous la douche. Quand Christian éteignit le jet brûlant qui coulait sur eux et fit signe au blond de sortir, ce dernier s'empressa de le faire. Il attrapa une serviette et se tourna pour en donner une à son dominant. Cependant, il se figea quand son regard se posa sur le dos du châtain encore dans la cabine de douche. Il avait le front posé contre la paroi, les yeux fermés.C'était la première fois qu'il le voyait de dos... Il comprit ce qu'avait voulu dire son maître quand il lui avait annoncé que sa famille aussi était sévère. De longues cicatrices s'étalaient sur le dos musculeux du plus grand. Sur son omoplate droite, un corbeau noir, serres sorties et ailes vers l'arrière, couvrait certaines des marques. Il se retint de lui poser une question et détourna le regard. Troublé, il bafouilla :


- M-maître ?Votre serviette...

- Merci, Kitty,répondit-il en se retournant pour prendre le bout de tissu que lui tendait Alexei.


Ils finirent de se sécher et partirent remettre leurs vêtements. Le mannequin partit vers la porte, toutefois, il sentit la poigne ferme de Christian se refermer sur son poignet. Il se tourna vers son dominant en l'interrogeant du regard. Ce dernier soupira légèrement et demanda:


- Réponds-moi honnêtement. Tu les as vues ?

- Oui, Maître.


Le châtain grimaça.Il n'avait pas été très prudent, Alexei n'aurait jamais dû voir ces cicatrices. Il relâcha son poignet et, alors qu'il allait sortir, le plus jeune l'interrogea :


- Il ne vous frappe plus, hein ?

- Bien sûr que non, Alexei, répondit Christian en lui faisant un sourire rassurant,en fait, va directement te coucher dans ta chambre après le dîner.J'ai certaines petites choses à faire.


Alexei hocha la tête, mais un mauvais pressentiment l'envahit quand il croisa une fraction de seconde son regard inquiet. Cependant, le gérant du club ne s'éternisa pas et déverrouilla la porte pour sortir de la chambre. Ils se rendirent tous deux dans la salle à manger où étaient déjà attablés les parents de Christian. Ils se mirent en face de Maria, son père étant en bout de table. Morgane leur apporta l'entrée, un velouté de champignons frais, ce qui fit légèrement sourire le mannequin. La femme avait compris qu'il ne devait pas trop manger, alors elle avait fait léger. Cette dernière lui fit un clin d'œil et s'éloigna dans la cuisine, les laissant manger dans un silence de plomb. Ce fut le père du châtain qui brisa le silence en demandant de sa voix froide qui figea le blond sur place :


- Et donc... Alexei, c'est bien ça ?

- Oui, monsieur,répondit-il après une légère hésitation.

- Que faîtes-vous,dans la vie ?

- Je suis mannequin.

- Mannequin,intervint sa mère en le jaugeant du regard, vous ne m'avez pas l'air spécialement beau, pourtant.

- Ce sont ses yeux qui font son originalité, répliqua Christian, ses iris vertes lançant des éclairs à ceux plein de dédain de sa mère.

- Quoiqu'il en soit, ce métier n'est qu'une passe de jeunesse, je suppose ?

- J'espère l'exercer le plus longtemps possible. Mais si ce qui vous intéresse ce sont mes études, alors sachez que j'ai mon diplôme d'avocat, se braqua le mannequin en relevant les yeux de son assiette.

- Oh...intéressant. Et sinon, que faîtes-vous en vacances par ici ?

- Ce ne sont pas vraiment des vacances, se défendit-il avant que le châtain n'ait pu dire quoi que ce soit, j'avais une séance photo dans le coin et Christian devait venir travailler par ici aussi. Nous avons fait d'une pierre deux coups, en venant tous les deux. De plus, il m'a proposé de me faire visiter un peu la région, comme il la connaissait. Mais je crains que ce ne soit tombé à l'eau,termina-t-il en les fixant de ses yeux si déroutants.


L'homme grinça des dents avant de plonger sa cuillère dans le délicieux velouté.Christian adressa un sourire fier au blond, nul doute qu'il avait la maîtrise des mots et des gestes qui pouvaient déstabiliser et fermer son clapet à son adversaire. Il n'avait jamais vu quelqu'un moucher son père avec autant de facilité. Décidément, son soumis le surprenait de jour en jour. Il croyait qu'il courberait l'échine mais il fallait croire que Aiden avait raison. Il n'y avait qu'avec lui et seulement lui que ce petit ne se débattait pas toutes griffes sorties. Devant le silence gênant, la mère du châtain demanda :


- Et sinon, quel âge avez-vous ?

- Je vais avoir vingt-six ans le mois prochain.


Et les anges recommencèrent à passer. Morgane ne fut pas longue à arriver avec le plat principal, un délicieux fumet de poisson sur un lit de légumes. Il fut englouti dans la même ambiance, lourde et extrêmement silencieuse. N'en pouvant plus, Alexei finit par se lever et rejoindre la gouvernante dans la cuisine. Cette dernière sortait la tarte du four. Elle le regarda arriver avec surprise avant de demander :


- Qu'est-ce que tu as, mon petit chou ?

- Je déteste les repas lugubres.

- Comme je te comprends ! C'était beaucoup plus joyeux du temps où Christian était jeune, tu sais ? Et puis son père a décidé de durcir son éducation. Il a perdu toute joie de vivre, le pauvre enfant.

- Pourquoi les parents se sentent-ils toujours obliger de faire souffrir leurs enfants d'une manière ou d'une autre, soupira tristement le blond.

- Je ne l'avais jamais vu aussi heureux que quand il est avec toi, tu sais ? Tu es un ange tombé du ciel, dit-elle en encadrant son visage de ses mains, ne le quitte pas, je t'en prie.

- Je ne peux rien promettre, Morgane, mais je ferais mon possible pour rester à ses côtés.


La femme hocha la tête et relâcha son visage pour reprendre la découpe des parts de tarte. Il décida de l'aider puis il alla reprendre place à côté de son dominant. Il remarqua aussitôt le changement d'ambiance dans la pièce. Ce n'était même plus lugubre. C'était carrément terrifiant !

Il tourna la tête vers Christian et remarqua que sa mâchoire était crispée, ses yeux émeraude assombris par la colère. Il sentit son cœur se serrer à cette vue mais il dû se retenir de faire le moindre geste trop intime, pour éviter d'attirer l'attention des parents de son maître.Alors il se contenta de poser froidement le regard sur le père du châtain, qui regardait son fils avec un air de vainqueur sur le visage. Il se rembrunit bien vite en le sentant peser sur lui. Maria,elle, se contentait de regarder Morgane débarrasser silencieusement la table puis servir la tarte. Il fut le seul à la remercier avec un petit sourire, qu'elle lui renvoya, désolée. Le dessert ne fut pas long à être mangé dans un silence de plomb. À la fin du repas,Christian et son père se levèrent puis disparurent dans le couloir.


- Alexei ? Voulez-vous un thé, demanda la mère du plus vieux.


Il se tourna vers elle, furieux, et articula froidement :


- Comment pouvez-vous me proposer un thé après avoir essayé de me rabaisser?

- De bien grands mots pour une simple boutade.

- Oh, vraiment ?Alors quelle sorte de boutade votre mari a-t-il dit à Christian, au juste ? Parce que celle-là non plus, n'avait pas l'air drôle.

- Vous ne savez rien, jeune homme. Et vous ne saurez jamais rien.

- Bonne nuit,madame.


Sur ces mots, il quitta la salle à manger. Mais arrivé dans le hall, il fixa le couloir dans lequel son maître semblait avoir disparu plus tôt. Il se mordit la lèvre, sachant pertinemment qu'il avait pour ordre de partir directement se coucher. Il hésita un peu mais décida de partir dans le couloir qui menait à une seule porte. Cette dernière laissait passer un fin rayon de lumière sur le sol, laissant deviner que quelqu'un s'y trouvait. Le mannequin s'appuya discrètement dessus et posa son oreille sur le bois épais. Il n'entendit que des brides de conversation mais il parvint à comprendre que le père de son dominant était furieux, qu'il insultait ce dernier et qu'il le menaçait de s'en prendre à lui s'il n'obéissait pas. Alexei serra les poings contre la porte, comprenant qu'il l'utilisait comme moyen de pression sur son dominant. Mais que pouvait-il dire ? Que pouvait-il faire ?


- Tu as intérêt à remonter la pente. On a presque perdu la moitié de notre territoire à cause de tes lubies de bar gay ! Je t'assure que si tune récupères pas tout d'ici Noël, je m'occupe de ce garçon.Compris ?

- Oui, père.


Les larmes lui montèrent aux yeux. Il était incapable d'agir, comme paralysé parla porte. La dernière phrase de Christian fut suivie d'un long silence. Puis un claquement. Deux. Trois. Quatre. Le blond reprit ses esprits et tenta d'ouvrir la porte. Il voulait aider Christian. Mais elle ne s'ouvrit pas. Et les claquements continuaient. Il fut obligé de s'éloigner discrètement pour ne pas se faire voir, tentant de retenir ses sanglots.


~~~


Le châtain sortit du bureau de son père en claquant violemment la porte et remit son chandail bleu. Il sentit le sang, à la fois sec et frais,s'accrocher au tissu sur son dos mais il n'y prêta pas plus d'attention et partit dans sa chambre, fulminant contre son père. Il avait menacé Alexei, son soumis, qui était devenu en si peu de temps la chose à laquelle il tenait le plus au monde et tout ce qu'il avait pu faire s'était... courber la tête. Il n'avait pas défendu Alexei, alors que c'était son rôle. Il avait laissé son père faire ce qu'il voulait avec lui parce qu'il avait eu peur d'être incapable de défendre son soumis.

Toutefois, à force de réfléchir, il avait maintenant la solution. Ce n'était pas la meilleure et il aurait aimé en avoir une autre. Mais c'était tout ce qu'il pouvait faire, malheureusement.
Il haïssait son père. Le haïssait de le forcer à faire ce qu'il détestait le plus, ce qu'il avait toujours détester, et qu'il détesterait toujours. Tuer. Tuer pour son empire familial de merde. Alors que lui, il n'avait rien demandé. Après tout, Jean aurait très bien pu se débrouiller seul. Mais non. Il fallait que ce soit lui le chef.Il soupira en ouvrant la porte de sa chambre. Aussitôt, il sentit un corps se presser contre le sien, tremblant, et il baissa le regard sur la tête blonde qui tentait de se cacher dans son cou.

Quand il remarqua son teint pâle ainsi que ses yeux rouges, il fronça les sourcils.Il avait pleuré ? Il caressa sa tête et releva son visage vers le sien. Alexei bredouilla alors :


- V-vous allez bien ? J'ai pris de quoi vous soigner et...

- Attends. Comment sais-tu ce qui viens de se passer ?


Le mannequin baissa le regard et traîna Christian sur le lit, se mettant dans son dos.Il prit la trousse de secours qu'il avait été cherché en comprenant ce qui arrivait à son dominant et souleva son pull. Il commença à désinfecter les plaies faites par la ceinture de son père mais le châtain ne sembla pas être de cet avis, même si au fond et il ne pourrait jamais l'avouer, il serait toujours reconnaissant envers son soumis pour ce qu'il avait fait. Il grogna :


- Je t'ai posé une question, Kitty.

- Pardon, j'ai désobéi... Je vous ai suivis... et je...

- Pourquoi,demanda-t-il durement. Il voulait paraître énervé, et il avouait que l'erreur du plus jeune l'arrangeait dans ses plans. Il pourrait le mettre à l'abri.

- Parce que je...j'avais peur p-pour vous !

- Je t'avais dit d'aller dans ta chambre !

- Je sais, cria le mannequin, en larmes, mais je n'ai pas pu ! Je n'ai pas pu !

- Tu aurais dû.Dès qu'on rentre, je mets fin au contrat. Maintenant va dans ta chambre.

- Q-quoi ? N-non,attendez je...

- Dans ta chambre,cria Christian avant d'inspirer pour retrouver une voix plus basse,tu n'aurais jamais dû entendre tout ça. Tu m'as désobéi délibérément. Tu croyais t'en sortir avec des fleurs ?


Alexei baissa les yeux et posa les compresses d'antiseptique sur le côté avant de se lever. Il tenta de se justifier à nouveau, mais un simple regard de son dominant l'en dissuada. Il sortit donc, totalement perdu, et partit dans sa chambre sans retenir les sanglots qui faisaient trembler son corps.

Il pleura toute la nuit, en boule dans son lit. Sans se douter que de l'autre côté du mur, Christian fixait le plafond en retenant des larmes, tentant de se persuader que c'était le meilleur choix pour le protéger des folies de son patriarche, des folies des autres, mais aussi pour se protéger lui-même de ses sentiments.


Heureusement pour lui, il lui avait facilité la tâche en désobéissant.

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