Chapitre 7

   « Bien. C'est déjà un début. Maintenant, j'aurais besoin d'autres renseignements. Savez-vous pourquoi votre existence aurait-elle pu être effacée ? Est-ce que vous auriez omis de me parler de quelque chose d'important ? insistais-je. »

Dans le fond, j'espérais que oui. S'il m'avait raconté vraiment tout ce dont il se souvenait, alors là, ce serait beaucoup plus compliqué, parce qu'il n'y aurait plus rien d'autre à faire. Soudain, Louis se leva à nouveau et commença à arpenter la pièce tel un lion en cage.

   « Louis ? l'appelais-je. »

Quand il posa ses yeux sur moi, je fus stupéfait d'y lire de l'appréhension, de la peur. Mais que redoutait-il au juste ?

   « Désolé, hum, je ne sais pas comment expliquer ceci. avoua-t-il, soupirant.

   - Comme cela vous vient serait déjà un bon début. souris-je, légèrement moqueur. »

Il leva les yeux au ciel, exaspéré, et épousseta les manches de sa chemise pour s'occuper. Je savais que je lui en demandais beaucoup, voir beaucoup trop. Et peut-être que je m'impliquais un peu trop, mais si je voulais pouvoir faire quelque chose, j'étais obligé d'être insistant.

   « Je pourrais tout aussi bien me taire et ne rien te révéler. De toute façon, je te dis depuis le début que ça ne servira à rien. me dit-il en frappant ses mains sur la table. »

Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il sortit de la pièce et se précipita dans les escaliers. Comme s'il voulait me fuir... Peut-être que c'était d'ailleurs ce qu'il cherchait à faire. Même si ma raison me criait que c'était totalement déplacé, je ne pouvais m'empêcher de me demander ce que cet homme enfin, ce fantôme, pouvait bien vouloir cacher à ce point. Malheureusement, cette fois-ci, ma raison perdit le combat et je me dépêchais de rejoindre Louis qui venait de s'enfermer dans une chambre au deuxième étage. Lorsque je poussais la porte, un courant d'air me fit frissonner. C'était probablement la pièce la moins éclairée et donc la plus froide de la maison. Je repérais rapidement Louis, assit sur un banc devant un magnifique piano droit.

   « Vous savez en jouer ? demandais-je, ma curiosité passant une nouvelle fois la barrière de mes lèvres, sans que je ne puisse la retenir. »

Il posa délicatement ses doigts sur les touches et appuya. Le son provoqué, normalement mélodieux, ne l'était pas du tout et me fit grimacer.

   « Oui, je sais en jouer. Mais je préfère le faire sur un piano accordé. C'est un instrument capricieux, le froid le désaccorde. expliqua-t-il.

   - Et vous n'avez pas essayé de le descendre, ainsi il serait exposé à une température ambiante et au sec... Cette chambre m'a l'air assez humide, je ferais bien d'y mettre un peu de chauffage... »

Louis se tourna vers moi et rigola.

   « Je l'ai voulu, en effet. Mais comment voulais-tu que je fasse. Cette maison, qui est pourtant la mienne, a toujours été habitée et je ne pouvais pas simplement sortir de ma cachette et demander que ce piano soit descendu !

   - Pourtant, sortir de votre cachette, c'est bien ce que vous avez fait avec moi, non ?

   - C'est différent... dit-il en se levant et en fermant la porte derrière moi, comme s'il avait peur que quelqu'un puisse écouter notre conversation.

   - Je ne vois pas en quoi. En tout cas, dès que je le pourrais j'appellerai quelqu'un pour le descendre.

   - Merci. »

C'était un simple mot et pourtant, ses yeux brillants me prouvaient que ce simple acte lui tenait beaucoup à cœur. J'en vins à me demander si, un jour, quelqu'un avait réellement fait quelque chose pour qu'il soit heureux. Mais je préférais ne pas avoir la réponse, parce que, au fond de moi, je savais pertinemment qu'elle serait négative.

   « Dites, vous savez pourquoi vous n'êtes pas qu'une silhouette flottante ? Pourquoi je ne peux pas traverser votre corps ? Et pourquoi vous pouvez me parler ?

   - Oh, alors je suis tombé sur un jeune imbécile qui croit aux fantômes, mais seulement sous forme de nuages blancs et de voix désincarnées ? C'est assez drôle... Pour répondre à ta question : non, je n'en ai pas la moindre idée. J'imagine que je suis maudit. affirma-t-il en haussant les épaules. »

Sa réponse me fit rigoler. J'avais regardé de nombreux épisodes de Ghost Adventures, cette série américaine où trois hommes "s'amusaient" à visiter des lieux hantés. Certaines choses ne pouvaient être simplement inventées, il y avait plus que ça... J'en avais d'ailleurs parlé à ma mère, qui, bien que septique, avait avoué que certaines séquences foutaient vraiment les miquettes. Mais justement dans cette série on ne distingue jamais réellement la forme d'un corps, ou alors il faut utiliser des détecteurs de chaleur... Mais Louis est tout à fait visible, son corps est fait de chair dure et il peut manger. C'est comme s'il était né en 1900 et qu'il était devenu immortel, traversant simplement les années seul, isolé du reste du monde. Mais il est bel et bien mort, tué sauvagement par une personne, qui, ma fois, semblait pas mal lui en vouloir.

   « Vous savez, j'ai vraiment besoin d'en connaître un peu plus sur vous pour pouvoir trouvé, un jour peut-être, la personne qui vous a fait ça. »

Un nouveau soupir se fit entendre, il passa nerveusement sa main sur son visage et retourna s'asseoir sur le banc du piano. À nouveau, la peur habilla les traits de son visage et pendant un instant, j'eu peur qu'il ait commis un acte impardonnable, avant de me dire que non, je ne le voyais pas du tout faire ça. Cela faisait quoi, deux jours que je le connaissais, il était énervant, parfois blessant, mais je ne le voyais pas faire du mal à quelqu'un. Il était plutôt du genre à subir la violence des autres sans jamais se plaindre.

   « Dans ma quête à l'oubli, j'ai réellement perdu des souvenirs et je ne pense pas pouvoir les retrouver. Je t'ai raconté mon histoire, sans toutefois te révéler un élément essentiel. Je n'en ai jamais parlé à personne, même de mon vivant. Mais tu en auras besoin pour tes recherches alors...

   - Vous savez, si vous ne voulez pas le dire à voix haute, vous pouvez l'écrire. Sinon, je peux tout à fait attendre que vous soyez prêt. lui proposais-je. »

Il ne répondit pas, mais me fit signe de m'installer à ses côtés. Les traits de son visage étaient coincés dans une expression de sérieux que je ne lui avais encore jamais vu. Ça ne lui allait pas d'être si sérieux, si grave. Accédant toutefois à sa demande, j'allais m'asseoir près de lui. Je fus un instant déconcerté de me retrouver si proche de lui, de cet homme ayant une impressionnante prestance et qui, pourtant, a bien tristement terminé sa vie...

   « Ce que je vais te dire... Ce n'est pas facile pour moi d'en parler parce que les rares personnes que j'avais mises au courant m'ont totalement délaissées quand je leur ai annoncé. Mais ce n'est pas ma faute, ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi... Je voulais simplement pouvoir être moi...

   - Vous savez Louis, je peux tout entendre... Mais vous feriez mieux de ne pas vous baser sur ce que les autres pensent. Je vous dis ça et pourtant je suis le premier à ne pas le faire, mais vous vivez pour vous, Louis, pas pour les autres. expliquais-je. »

Louis me sourit, puis baissa la tête.

   « C'est ce qu'elle me disait aussi. Et pourtant je n'ai jamais réussi à le faire. chuchota-t-il, mais que j'entendis parfaitement.

   - Qui ça ? ne pus-je m'empêcher de demander.

   - Ma femme, je crois qu'elle me le répétait au moins une fois par jour, je m'en souviens maintenant... Mais jamais je n'ai pu vivre pour moi. On ne m'a pas éduqué dans ce sens. »

Evidemment, il était mieux de paraître que d'être réellement. C'était assez triste finalement : vivre une vie fausse et malheureuse pour mourir et tomber dans l'oubli. Peut-être tombons-nous à nouveau dans ce genre de société, mais j'aime à espérer que quelqu'un pleurera mon absence lorsqu'il sera temps pour moi de m'envoler.

   « Est-ce que vous vous souvenez d'autre chose concernant votre épouse ? demandais-je. »

Il sembla hésité quelques instants, puis son visage s'éclaira. Je compris alors que ses souvenirs lui revenaient petit à petit.

   « Je ne l'aimais pas. Enfin si, je l'aimais, elle était adorable, elle était ma meilleure amie, mais je ne l'ai jamais touché intimement. C'est elle qui m'a proposé cette idée de mariage et j'ai accepté : je ne voulais vraiment pas que mes parents sachent- il s'interrompit et ferma les yeux. »

Je ne l'incitais pas à continuer. Je comprenais qu'il avait du mal à parler de tout cela, il en serait de même s'il me posait des questions sur mes parents. J'avais compris que cet homme avait été blessé par la vie, mais je crois que je n'avais pas vraiment réalisé à quel point. Il avait énormément souffert, je pouvais le lire dans ses yeux. Et à cause de cette souffrance, il n'avait pas pu trouver le repos éternel qu'il méritait. Il était mort, jeune, alors qu'il avait encore de belles années à vivre. Qui sait, peut-être que s'il n'était pas mort il aurait pu réaliser ses rêves, divorcer et côtoyer la personne qu'il aimait réellement. Peut-être aurait-il eu des enfants, et enfin, peut-être que ses parents lui auraient enfin montre la fierté dont il était digne...

   « J-je suis homosexuel, Harry. J'aime les hommes. Et dans la société dans laquelle je vivais, ce n'était pas acceptable. Et je pense que c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai été tué. m'avoua-t-il enfin, les yeux dans les yeux. »

Oh, c'était donc ça qu'il essayait de me dire depuis tout à l'heure. C'était pour cela qu'il n'a jamais aimé son épouse. Pour toute réponse je lui souris. Parce qu'il pouvait être fier d'avoir eu assez confiance en moi pour le dire à voix haute, pour me le confier. Et parce qu'il pouvait être fier de ce qu'il était, tout simplement.

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