Chapitre 1

  Je pense que je me souviendrai à jamais de ce jour. De ce jour où, pendant un cours de philo, la CPE -bizarrement celle que j'aimais le moins-, était venu me chercher, prétextant quelque chose d'important à me dire.

  Certains élèves de ma classe avaient eu l'ai surpris, d'autres avaient ri. Si je me souviens bien, l'un d'entre eux a même chuchoté : « Ah, le gosse de riche a fait des conneries ? Attention, papa et maman ne vont pas être content ! », tout ça sur un air ironique, dans lequel j'avais très bien perçu la méchanceté qu'il voulait pourtant cacher.

Mais je ne m'en étais pas occupé : j'avais l'habitude.

  La CPE, dont le nom m'échappera toujours, m'avait alors conduit jusque dans son bureau et une fois dans celui-ci, elle m'avait invité à m'asseoir. Son visage m'avait presque paru soucieux. Ses yeux marrons étaient fixés sur moi et ne me lâchaient pas, son front était plissé et elle jouait nerveusement avec ses mains.

Je crois que c'est à ce moment-là que je me suis vraiment inquiété. Je savais pertinemment que je n'avais rien fait de mal : jamais, durant ma scolarité, je n'avais reçu une heure de colle. Jamais je n'avais répondu à un professeur. Je n'étais donc pas ici pour des raisons disciplinaires.

Mais bêtement, je me disais que c'étaient certainement mes parents qui ne pourraient pas rentrer à la date prévue... ce qui aurait posé un souci puisque nous n'avons aucune autre famille pour m'accueillir.

C'est cette idée qui prédominait dans mon esprit. Et je n'avais cessé de penser à cela, jusqu'à ce que le Proviseur en personne entre dans la pièce et aille s'asseoir à côté de Madame Archer, dont le nom m'était revenu grâce à la petite plaque posée sur son bureau. C'est ça qui m'a fait comprendre que les faits étaient en réalité beaucoup plus graves.

Et malheureusement, c'était vrai : je venais de perdre mes parents. D'un truc con en plus, il avait fallu que le jour où ils se déplaçaient dans un autre pays, leur avion soit piloté par un imbécile aux tendances suicidaires. Tendances suicidaires qui avaient coûtées la vie à plus de deux cents personnes, dont Des et Anne Styles, mon papa et ma maman.

  Au début, après l'annonce, j'ai eu un gros moment de vide. Je n'arrivais pas vraiment à y croire, je ne pouvais pas imaginer, me faire à l'idée que jamais plus je ne reverrai mes parents. Malgré mon état second, on m'avait laissé rentrer chez moi. Je m'étais alors laissé péniblement entraîner jusqu'à un bus dans lequel j'étais monté pour gagner la grande maison familiale. Le trajet, je l'avais passé en étant amorphe et en me sentant complètement vide. Vide de tout.

  Tout m'était vraiment tombé dessus quand je suis entré dans la maison. Je voyais encore ma mère courir partout, répétant qu'elle était en retard dans la préparation de leurs affaires, je voyais encore mon père me frapper gentiment l'épaule me disant qu'il était fier de moi. Leurs odeurs mélangées flottaient encore dans le salon, comme s'ils n'étaient jamais partis...

J'aimais mes parents. Vraiment. Certes, ils ont toujours eu de l'argent. Beaucoup d'argent même, mais jamais ils n'en ont joué. Non, loin de là.

Certes nous habitons dans un endroit magnifique, et nous avons la chance d'avoir un chauffeur, une cuisinière et un agent de sécurité, mais c'est tout. Ma mère et mon père avaient toujours voulu me protéger de tout ça et, même si parfois cela avait été difficile, ils avaient réussi. Malgré la pression qu'ils recevaient en tant que meilleurs avocats de Londres, ils avaient toujours été là lorsque j'avais eu besoin d'eux. Je n'avais jamais manqué d'amour. Jamais.

  Le jours suivant l'annonce, je n'avais rien fait : j'étais resté enfermé dans ma chambre, et je n'avais parlé à personne. Ce qui était assez drôle puisque, justement, je n'avais plus personne à qui parler. J'étais tout seul.

  Leur enterrement s'était déroulé quinze jours après leur mort, le temps que leurs corps soient rapatriés et que toutes les analyses puissent être faite. Il y avait les familles de David, Paul notre agent de sécurité et de Louisa notre cuisinière.

Moi, j'étais encore tout seul.

  La cérémonie avait été brève mais riche en émotion, bien que je n'eusse pas versé une larme. J'étais arrivé au stade où je n'y arrivais plus. Toutes celles que j'avais avaient déjà coulées sur mes joues lorsque je me souvenais de l'absence de mes parents, le soir, avant d'aller me coucher. Ils avaient toujours l'habitude de venir me faire un câlin avant que je ne m'endorme. Cela peut paraître enfantin mais, étant victime de terribles terreurs nocturnes, ça me rassurait un peu... Même de ça j'étais privé maintenant.

Alors j'avais ressenti le besoin de partir, de quitter la maison. Le quartier. La ville. Je ne pouvais plus prendre le bus chaque matin au même arrêt et passer devant la pâtisserie préférée de ma mère. Je ne pouvais pas aller au lycée alors que mon père y avait un bureau. Je ne pouvais juste plus faire tout ça.

Alors j'avais attendu que le notaire de mes parents me contacte afin de m'informer de tout ce que j'allais recevoir de leur lègue. Ainsi, ce dernier, un homme assez âgé mais très aimable m'informa quelques jours plus tard, que j'allais toucher la totalité de la somme présente sur le compte en banque de la famille. Autant dire beaucoup d'argent. De plus, la maison et tout ce qu'il y avait à l'intérieur revenait à la mairie afin d'en faire un refuge pour les sans-abris qui souhaiteraient pouvoir bénéficier d'une nuit ou deux au chaud. J'avais été content de tout ça. Tout le monde y gagnait : les SDF de la rue pourraient manger et dormir convenablement et moi, j'avais assez d'argent pour me casser.

  Tout s'est fait très vite : le jour même, après l'appel du notaire, j'étais allé au lycée les informer que je ne reviendrais plus. Par la même occasion, je leur ai demandé à qui je pourrais m'adresser afin de passer mon Bac par correspondance Parce que oui, il fallait tout de même que je finisse mes études afin de faire quelque chose de bien de ma vie.

Mon plus grand rêve était d'être journaliste, ou bien écrivain, pour passer du temps dans les archives et les histoires de famille. Mais après tout ce qu'il venait de m'arriver, j'avais juste les idées embrouillées et penser à mon avenir me semblait compliqué...

  Finalement, c'est le Proviseur qui voulut se charger de tout, et cela m'a permis de me retrouver tranquille pour chercher une maison ce qui, évidemment, fut le plus dur. Aucune annonce sur le net ne m'intéressait. Ou alors je tombais sur des trucs bidon où le numéro de téléphone était incorrect, ou n'avait même d'ailleurs jamais existé !

J'avais failli abandonner. J'étais à bout. J'étais à bout de force, j'étais fatigué, mon estomac me faisait souffrir du fait que je n'étais plus capable d'avaler quelque chose de consistant... Pendant un moment, j'ai vraiment voulu abandonner. Et puis un jour, alors que j'allais me balader après avoir été visité mes parents au cimetière, je suis tombé sur une gigantesque maison. Enfin manoir serait le mot le plus juste. Une grande pancarte « À vendre » était accrochée au portail, et après avoir remarqué que cette dernière était entièrement pourrie, je me fis la réflexion que ce bâtiment n'avait pas été habité depuis un moment. Mais je ne pouvais en détourner mon regard. Cette façade aux pierres blanches où aucune saleté n'était présente m'attirait, m'appelait... Le perron où siégeait un vieux rocking-chair, les fenêtres paraissant neuves, le toit où la mousse était invisible... Ce manoir paraissait vivant, presque immortel.

Alors je n'avais pas perdu de temps, et j'avais joins l'agent immobilier en charge de l'affaire. Cela m'avait permis d'apprendre que cette baraque appartenait à une vieille dame décédée depuis presque une année et qu'aucun de ses enfants n'en voulant, la petite commune n'eut pas d'autre choix que de la mettre en vente. Apparemment, le bâtiment fut un lieu de fête où, durant les années vingt, tous les habitants étaient invités pour de grands bals très renommés dans le pays.

Moi qui aimais beaucoup l'histoire, celle de cette maison fit qu'elle m'attira encore plus. J'avais alors déclaré que je voulais l'acheter. J'avais donc dû expliquer à l'agent que oui, j'avais seulement dix-sept ans, mais que j'avais été émanciper par un juge et j'avais donc dû lui expliquer pourquoi. Après une rapide analyse de mon compte en banque et une petite signature, je pouvais enfin emménager.

  Je n'avais pas emmené grand-chose avec moi : j'avais seulement deux valises pleines de vêtement plus une troisième où se trouvait toutes les babioles que j'avais pu entasser aux fil des ans. J'avais bien évidemment gardé les albums photo ainsi que la guitare de mon père. J'avais la chance d'arriver dans une maison déjà meublée, je n'avais donc pas besoin de me stresser avec ça pour le moment.

  Le jour où enfin on me donna les clefs, un policier de la commune, très attaché au lieu, vint me trouver afin de voir si tout aller bien. Il en profita pour éloigner les curieux qui s'étaient rassemblés devant le portail.

   « Que font-ils tous ici ? lui avais-je demandé.

   - Oh, ne t'inquiète pas de ça. Les gens d'ici aiment bien les anciennes légendes. Mais ne t'en fait pas, tu ne crains rien. »

Je n'avais pas compris ce qu'il était en train de me dire, mais un pressentiment bizarre me retint d'insister.

  Après quelques heures, la conclusion que je pouvais faire était que je m'étais vite habitué à mon nouvel environnement. En une soirée à peine, j'arrivais déjà à m'orienter dans la maison : je savais où se trouvait la salle de bain, les toilettes, la cuisine et ma chambre. Ce qui était déjà pas mal.

Je n'avais pas encore pu visiter toutes les pièces, parce qu'il y en avait pratiquement une vingtaine et que la nuit commençait déjà à tomber. Alors j'avais préféré me faire à manger -une soupe suffirait-, et regarder un bon film d'action.

Quand ce dernier fut terminé, j'étais épuisé et décidais donc d'aller me coucher. Je passais rapidement par la salle de bain afin de me changer et de prendre une douche, et je gagnais enfin mon nouveau lit deux places très confortable.

  Alors que le sommeil m'emportait, des grincements se firent entendre dans l'escalier menant à l'étage. Le manoir étant assez âgé, je ne m'en préoccupais pas plus que ça, me rassurant en me disant que c'était seulement le bois des marches qui jouait un peu. Je me tournais donc sur le côté afin de m'endormir, vérifiant tout de même que la porte de ma chambre était bien fermée.

  Le lendemain matin, un courant d'air froid me réveilla. La première chose que je remarquais en ouvrant les yeux était que la fenêtre était grande ouverte. La deuxième, que ma porte de chambre l'était tout autant.

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