Prologue

« Il suffit d'un hôpital pour comprendre ce qu'est la guerre. »

↳ Rose Salvage ↲


Août 1916

Amiens, France


Pour Rose Salvage, la seule chose qui était pire que la guerre était son odeur. Cette odeur acre et maladive qui se propageait autour d'elle, remplissant ses narines, attaquant ses poumons et menaçant son existence juste parce qu'elle osait être dans le même espace qu'elle.

Ce n'était pas que le sang ou la sueur ou la saleté, c'était l'odeur de la mort elle-même collée à chaque corps, redessinant toute âme. Rose savait que dès que quelqu'un sentait une telle odeur, il ne pourrait jamais en revenir. Pas comme ce qu'il fut avant. Quelque chose en ces gens-là avait dû changer, car ils avaient vu et avaient été vus par la Mort et devaient désormais supporter cette rencontre dans leurs vies.

Et en vingt-trois ans de vie, Rose avait vu la mort plus qu'elle ne l'aurait dû, et appris que la pire partie de cette entité était les cris la précédant, les cris perçants et agonisants des soldats blessés tandis qu'ils saignaient dans les draps blancs pour leur pays, pour un foyer qu'ils n'obtiendraient de voir qu'à travers un cercueil.

C'était la France actuellement, un cimetière sans fin où les seules choses qui avaient l'air en vie étaient les obusiers et les mitrailleuses, non pas les gens qui les actionnaient. Ils étaient loin derrière les lignes, mais la guerre ne se passait pas uniquement sur le champ de bataille ou les tranchées, elle se produisait aussi dans les hôpitaux, dans les villages capturés, dans les villes et les champs détruits, dans l'esprit des soldats, et dans son cœur.

Même après deux ans de service à la Croix Rouge, Rose ne pouvait toujours pas supporter l'odeur ou les cris, et partout où elle se tournait, il y avait des corps qu'on couvrait et des soldats qui pleuraient en silence un Dieu qui ne paraissait jamais écouter.

L'hôpital dans lequel elle avait été assignée était situé à Amiens, près de la Somme, et le bâtiment décrépi était plein à craquer depuis que la Bataille de la Somme avait commencé un mois plus tôt. Etant donné la quantité de blessés qu'ils avaient reçus, Rose avait l'impression que ce serait une bataille terrible, peut-être l'une des plus sanglantes de cette maudite guerre. Et pourtant c'était son travail de les traiter, de faire en sorte qu'ils puissent y retourner, ou au moins rentrer à la maison. Mais à ce sujet, et comme pour toutes les guerres, Rose avait eu plus de défaites que de victoires.

Rose... Rose..., une voix douce fit derrière elle pendant que des mains essayaient de l'éloigner d'un soldat sur un lit. Il n'y a rien que tu puisses faire. Le pauvre petit est mort. Tout ce que nous pouvons faire est le laisser se reposer. 

Rose tourna sa tête de côté vers la nonne qui l'avait toujours regardée avec empathie. Elle était résignée. Elle fit le signe de croix et s'en alla. Rose ne pouvait pas.

A quoi bon ? demanda-t-elle, et elle ne savait pas à qui elle s'adressait, si c'était à la bonne sœur, à Dieu, à quelqu'un d'autre, à elle-même. Si on ne peut pas les sauver, qu'est-ce que nous faisons là ? 

— Rose, ma chère, tu es jeune. Tu es si jeune. Bientôt tu apprendras que tu ne peux pas sauver tout le monde. 

Alors que puis-je faire, Mère ? Prier ? Leur donner quelques mots réconfortants et les regarder mourir ? Certains n'ont même pas dix-huit ans ! Ce soldat n'avait même pas dix-huit ans ! Quel genre de Dieu permet cela ?

— Rose, je comprends que tu sois bouleversée, mais nous ne devons pas remettre en question notre foi. Il y a des choses au-dessus de toi et moi, choses dont seul Dieu décide. Nous ne sommes pas là pour lui demander pourquoi. 

— Eh bien, je le suis. Pourquoi ça ? Pourquoi la France ? Pourquoi mes amis, mes compatriotes, mon père, mes frères ? Non. Je refuse d'accepter ceci, tout ceci. Il n'y a aucun sens à la guerre, il y a juste la mort. Et j'ai l'impression qu'ici, au lieu de la combattre, on la laisse gagner. 

Tu es une femme curieuse, Rose, dit la religieuse, plaçant une main réconfortante sur son épaule. Cette curiosité te posera des problèmes. Tu dois apprendre que les hommes posent les questions et nous, les femmes, nous essayons de leur donner les réponses dont ils ont besoin. C'est tout ce que nous pouvons faire. 

Parce que c'est vrai qu'ils se sont si bien occupés du monde. Se tuer les uns les autres pour des raisons tellement futiles. S'il y a bien une chose que la guerre m'a apprise, c'est combien les hommes sont bêtes, ricana Rose, mais son attention dériva vers la fenêtre et les ambulances arrivant des lignes de front, et elle regarda avec terreur un cheval tomber dans un cri bruyant et hurlant, se tordant et se tournant sur l'herbe sous le coup de la douleur.

Pourquoi personne ne fait rien ? souffla-t-elle avec désespoir.

— Comme tu peux le voir, tout le monde est trop occupé à soigner les blessés. 

— Mais ce cheval est aussi blessé. Il souffre !

— Ils s'en occuperont dès qu'ils le pourront, j'en suis sûre. Le cheval devra être piqué, nous ne pouvons plus rien faire pour lui. 

— Encore une cause perdue, hein ? questionna Rose, et chaque hurlement du cheval était comme un coup de poignard dans son cœur. Elle détesta cela. Elle détestait voir les gens souffrir, mais exécrait bien plus de voir les chevaux en faire autant.

— Oui. Et nous ne perdons pas de temps en nous occupant de causes perdues. Nous n'en avons malheureusement pas les moyens. 

— Dommage, rétorqua la jeune femme, ses ongles plantés dans ses paumes. J'en ai les moyens. Les causes perdues semblent être ma spécialité. 

Un autre glapissement fit souffrir le cœur de Rose comme si des centaines d'obus y avaient été lâchés. Elle avait déjà vu tant de choses, avait traité et consolé des hommes, écrit des lettres aux veuves et aux orphelins, dont de nombreux qu'elle connaissait, leur disant que leurs maris ou leurs pères ne reviendraient pas, et pourtant elle était encore complètement indignée par chaque mort, complètement désarmée. Elle pouvait se sentir s'abandonner à l'agonie, à l'impuissance qu'elle ressentait à chaque fois qu'un soldat mourrait entre ses mains, à la peur de savoir que la même chose pouvait être en train d'arriver à son père et ses frères.

Elle était réveillée la nuit par la possibilité d'avoir à écrire à sa propre mère les pires nouvelles possibles, et pourtant la seule chose qui lui permettait de continuer était son devoir envers ces hommes qui avaient bravement donné leurs vies pour défendre son pays, et nombre d'entre eux n'étaient même pas français ; et l'espoir qu'elle pouvait avoir de l'importance, qu'elle pouvait aider, que devant la mort, elle pouvait faire vivre les autres. Mais parfois, tout ce qu'elle pouvait donner était de la compassion. Ce cheval allait avoir une mort lente et misérable, et Rose pouvait y faire quelque chose.

Elle s'écarta de la vitre et fit demi-tour.

— Rose, reste là, je vais avoir besoin de ton aide pour m'occuper des hommes ! ordonna la nonne pendant que Rose s'en allait. Les pleurs du cheval étaient la pire chose qu'elle n'avait jamais entendu. C'était comme si la Mort elle-même était en train de mourir. Tu ne peux pas le sauver, Rose ! Bon Dieu, qu'est-ce que tu vas faire ?

Ignorant la nonne qui l'appelait, Rose arriva rapidement à la porte et attrapa un pistolet abandonné avant de sortir à l'extérieur et se frayer un chemin dans la horde de brancards et de soldats avec le cœur lourd mais l'esprit clair. Autour d'elle, les hommes criaient qu'on fasse taire le pauvre animal, mais avant que n'importe qui ne le puisse, Rose se rapprocha du cheval moribond.

Elle pointa le pistolet sur sa tête et tira une fois. Les hurlements du cheval cessèrent, remplacés par ceux des religieuses et des soldats.

— Rose, oh mon Dieu, Rose, qu'as-tu fait ? hua Mère d'en-haut.

— J'ai mis fin à ses souffrances, voilà ce que j'ai fait, répondit-elle. Peut-être au prix de commencer les miennes.

— Les pistolets ne sont pas pour les femmes, mademoiselle ! Donnez-moi ça, exhorta un soldat, prenant l'arme de ses mains avec force, plus dérangé par le fait qu'une femme ait utilisé un pistolet qu'elle ne l'ait fait pour tuer. Mais Rose n'écoutait pas, regardant le flot de sang s'écoulant du trou qu'avait fait la balle. Le cheval était mort, et Rose sentit qu'une part d'elle-même l'était aussi. Elle le regardait et se souvenait à quel point elle en voulait un quand elle était petite, parce qu'ils avaient l'air si libre avec leurs crinières dans le vent. Maintenant, il gisait sur le sol devant elle et tous ses rêves d'enfant. Ils étaient tous faux, tous morts. La guerre ne prenait pas juste les vies, elle prenait les rêves et les idéaux aussi.

Ne restant pas là plus longtemps, elle retourna au bâtiment, ignorant les mots désapprobateurs des religieuses et s'en allant à une aile différente. La plupart des soldats étaient en convalescence et ils avaient l'air de bien l'aimer, elle et son sourire, et nombreux étaient ceux qui essayaient souvent de raconter des plaisanteries juste pour le voir apparaître.

— As-tu entendu ce cheval, Rose ? demanda l'un quand Rose s'approcha de lui pour changer ses bandages. Les autres autour de lui se ragaillardirent à son arrivée, comme si elle était la seule chose qui les retenait de mourir. Mais Rose avait l'impression de n'être un médicament pour personne. S'il y avait bien une chose qu'abattre ce cheval avait prouvé, c'était que ses épines étaient empoisonnées.

— Oui. C'est pourquoi je l'ai tué.

Je suis soulagé que tu l'aies fait, dit-il après un moment de silence. Je ne supportais plus ses cris. 

— Moi non plus. C'est juste cruel d'entraîner les animaux dans les guerres. A ce rythme, aucun homme ne mettra les pieds au paradis. Nous avons tous notre place en enfer. 

— Ne laisse pas les bonnes sœurs t'entendre, Rose. Déjà qu'elles ne t'aiment pas beaucoup... 

— Comment peux-tu être d'accord avec ça ? marmonna-t-elle en secouant la tête. Comment ne pas se révolter ? Les empereurs et les généraux font la guerre et font payer les chevaux et les hommes pour ça. Ça ne ressemble pas à un échange très équitable pour moi. Vos vies contre leur gloire. 

Tu es une femme intelligente, Rose, ajouta un autre. Pas étonnant que tu n'aies pas encore trouvé un homme. Ils doivent tous avoir peur de toi. 

Eh bien ils devraient, rétorqua-t-elle. Mais c'est vrai. Si tous les hommes refusaient de combattre, il n'y aurait aucune guerre. 

— Mais les hommes se battent. C'est dans notre nature, dit un troisième soldat. Comme c'est dans ta nature de prendre soin de nous. 

— Non, c'est mon travail, répondit Rose, le fantôme d'un sourire sur ses lèvres. Et ce n'est pas que je n'ai pas trouvé un homme. C'est juste que je n'en ai pas trouvé un suffisamment intelligent pour moi. 

— Rose, tu répares nos os mais tu brises nos pauvres cœurs. 

— Ne me méprenez pas, les gars, je vous apprécie. Mais vous êtes trop Français pour moi. 

— Rose, ne nous dit pas que tu préfères ces rosbifs prétentieux ? Ils sont tellement pompeux !

— Non, ils ne le sont pas, gloussa Rose, et ce sourire dont les soldats discutaient quand elle n'était pas là et qui était connu dans l'hôpital entier les fit sourire aussi.

— Tu as des sœurs, Rose ? demanda l'un d'eux et le sourire de Rose s'élargit quand elle opina du chef. Penser à ses sœurs l'avait toujours fait sourire. Sont-elles aussi belles que toi ?

— Elles sont plus belles. Mais je suis la plus intelligente, dit-elle, un léger sourire narquois sur les lèvres.

— Sont-elles infirmières, elles aussi ?

— Non. Après que les hommes soient allés à la guerre et que je me sois engagée en tant qu'infirmière, notre mère a interdit quiconque de quitter la maison. C'est mieux pour elles de toute façon. Personne ne devrait être témoin de telles horreurs. Et mes sœurs... Elles ne sont pas comme moi, vous voyez ? Elles croient encore que le monde est bon. 

— Peut-être que ce n'est pas le cas, mais il ne peut pas être entièrement mauvais, Rose. Sinon tu ne serais pas là.

— Tu es trop gentil, mon cher, sourit encore Rose, embrassant le soldat sur le front et faisant applaudir et siffler quelques autres. Ne laisse pas la guerre te prendre ça.

 Rose, le jour où tu trouveras un mec, c'est le jour où tu en feras l'homme le plus chanceux du monde, et le jour où tu rendras tous les autres les plus malchanceux.

— Vous me surestimez, les gars. 

Eh bien, tu ne nous as pas abandonnés alors que Dieu l'a fait. Qui sait, peut-être que ce jour est aujourd'hui et... 

— Y a-t-il des infirmières disponibles ici ? demanda une nonne depuis la porte. Nous avons besoin de toute l'aide possible, une nouvelle cargaison de soldats vient d'arriver et ils saignent tous plus qu'un agneau dans un abattoir. 

— Reviens nous vite, Rose, tu nous fais du bien, pria un soldat tandis qu'elle se levait elle suivait la bonne sœur vers une zone plus bondée. Rose fronça instantanément le nez à cause de l'odeur et sa vue était envahie d'images horribles de corps mutilés et de blessures répugnantes. Voilà ce qu'était la guerre. La perversion complète du mot « humain ».

Faites ce que vous pouvez, recommanda la nonne aux jeunes infirmières. Mais souvenez-vous que nous avons besoin de lits, et l'équipement est rare. Pour ceux qui sont aux portes de la mort, nous ne pouvons qu'essayer de les installer confortablement et prier pour un passage sans danger vers l'au-delà. 

Les infirmières se dispersèrent dans une hâte frénétique, et parmi tant de douleur Rose ne savait pas où commencer. Mais soudainement, son tibia heurta un lit et ses yeux se posèrent sur un homme étrangement serein. Ses yeux étaient clos et son visage n'était que boue et sang, et tellement contusionné que Rose ne pouvait imaginer ce qu'il avait enduré.

L'homme avait l'air mort, et quelqu'un d'autre avait certainement pensé que c'était le cas, car les draps étaient sur lui comme s'il était sur le point d'être emmené. Mais sa poitrine se relevait toujours, alors Rose se rapprocha de lui, animée par cet espoir dont elle ne pouvait se démettre, cet espoir qui lui disait qu'elle pouvait guérir plus que blesser. En le regardant de plus près, Rose réalisa qu'il était inconscient, et saignant terriblement d'une blessure laide sur l'abdomen.

— Excusez-moi, monsieur, pourquoi personne ne s'occupe de cet homme ? Il est blessé, demanda Rose avec urgence au docteur le plus proche, qui regarda à peine le soldat avant de répondre.

— C'est une cause perdue, celui-là. On ne peut pas se permettre de perdre notre temps ou des ressources pour lui. 

— Non, il est toujours en vie. Il a certainement besoin d'une opération, mais... 

— Ecoutez, mademoiselle, nous avons besoin d'aider ceux qui ont réellement une chance de s'en sortir. Notre travail est de renvoyer autant de soldats que possible au front. Si vous pensez que nous sommes ici pour sauver des vies, vous avez tort. Nous retardons simplement les morts jusqu'à ce que les Alliés gagnent. 

— Bien-sûr. Parce qu'ils sont de la chair à canon. Ils ne comptent pas.

— Mademoiselle, je vous conseille de garder votre bouche fermée et vos mains pleines si vous ne voulez pas avoir de problèmes, cracha le docteur avant de partir. Rose regarda le soldat à nouveau, sachant que toute personne sensée l'abandonnerait. C'est vrai qu'il avait l'air impossible à sauver. Mais Rose ne pouvait pas. Après le cheval, elle ne pouvait pas le laisser.

— Excusez-moi, monsieur ! appela-t-elle un autre médecin d'un ton résolu. S'il vous plaît, pourriez-vous m'aider ? Cet homme a besoin d'être opéré et... 

Le docteur la regarda, puis le regarda. Il secoua la tête derechef et s'en alla. Refusant d'abandonner, elle attrapa le bras d'un autre, sa voix plus véhémente. Elle était différente ainsi. Plus les gens lui disaient non, plus sa volonté s'accentuait au lieu de décliner.

Monsieur, j'ai besoin que vous emmeniez cet homme à l'aile chirurgicale le plus vite que possible. Il a une sérieuse hémorragie, le foie et la rate ont certainement été atteints, et le plus il attend, le plus il court le risque d'avoir une infection.

— Mademoiselle, je n'ai pas besoin que vous me disiez comment faire mon travail. Cet homme est un homme mort. Concentrez-vous sur les vivants. 

Elle retourna aux côtés du lit avec frustration, analysant la blessure et considérant faire l'opération elle-même. Elle avait assisté les docteurs plusieurs fois, alors peut-être qu'elle pourrait réussir son coup.

— Rose, laisse tomber. Viens m'aider, demanda l'une des infirmières. Tu ne peux rien faire pour lui. 

S'il y avait bien une chose que Rose détestait, c'était qu'on lui dise ce qu'elle pouvait faire ou non. Sa mère disait toujours que cela la ferait courir à sa perte, cette manie de vouloir prendre des risques pour les gens. Elle regarda tout autour de la salle, espérant trouver un des quelques médecins appréciant son travail acharné au lieu de la mépriser car elle n'était pas un homme.

— Monsieur ! cria-t-elle en courant après l'un d'eux. Monsieur, s'il vous plaît, j'ai besoin de votre aide. Il y a un homme avec une blessure grave à l'abdomen qui a besoin d'être opéré le plus tôt possible. 

— Mademoiselle, tout le monde dans cette salle a besoin d'être opéré le plus tôt possible.

— S'il vous plaît, monsieur... Venez juste le voir, gémit-elle en prenant ses mains dans les siennes car il ne bougeait pas. S'il vous plaît, je vous en supplie.

Le docteur soupira mais la suivit, fronçant les sourcils quand il vit l'état du soldat tranquille. 

Je doute qu'il survive à une opération. Il y a plein d'autres qui pourraient le faire. 

Rose haussa les épaules. C'était une guerre qu'elle était sûre de gagner. 

Monsieur, avec tout le respect que je vous dois, j'ai tué un cheval aujourd'hui. Ne me faites pas responsable de la mort de cet homme également.

Le docteur soupira de nouveau, pinçant son nez. 

— Emmenez-le à l'aile chirurgicale. 


***


Rose avait perdu le compte du nombre d'hommes dont elle s'était occupée ce jour, pourtant son esprit ne pouvait cesser de penser à cet homme en particulier. Il y avait quelque chose de différent à son sujet, et elle ne pouvait dire quoi. Peut-être était-ce parce qu'il était la seule chose paisible que Rose avait vu depuis le début de la guerre. Elle avait assisté à son opération comme elle l'avait pu mais avait été rappelée à ses devoirs avant qu'elle sache si l'homme avait survécu, alors dès qu'elle eut une seconde de libre, elle chercha le docteur dans l'hôpital.

— Il a survécu, monsieur ? S'il vous plaît, dites-moi qu'il a survécu. 

— Mademoiselle Salvage, dit le docteur en essuyant la sueur de son front. Il semblait absolument épuisé et Rose pouvait deviner qu'elle avait le même air. Oui. Il a survécu. 

Une vague de soulagement déferla sur elle tandis que son cœur bondit comme si quelqu'un venait d'allumer un feu dans sa poitrine. 

Merci, dit-elle, attrapant son visage et l'embrassant deux fois sur chaque joue. Merci. 

— Il n'est pas encore hors de danger, cependant. Il est en convalescence, et on aura besoin de garder un œil averti sur lui car le risque d'infection est encore très élevé. Si vous voulez que je vous dise, c'est un miracle. Je peux compter sur les doigts de ma main le nombre d'hommes qui ont survécu à une opération comme ça. Il s'est bien battu. Et vous avez sauvé une vie aujourd'hui, mademoiselle Salvage. Il semblerait que vous ayez un nom de famille approprié. 

J'ai besoin de le voir. 

J'étais sûr que vous diriez cela. Venez avec moi, dit le docteur en la guidant à travers des couloirs et des couloirs jusqu'à ce qu'ils arrivent à une grande salle relativement plus calme. Le dernier lit à droite.

Rose s'y avança et s'assit sur le lit aux côtés du miraculé. Il était impassiblement immobile, ce qui l'impressionna. Beaucoup de soldats criaient et se tortillaient après une opération, pourtant le voilà qui était si serein que pendant une seconde Rose craignit le pire. Mais il respirait, et dans son sommeil, ses doigts bougeaient. Sans réfléchir, Rose attrapa sa main, peut-être juste pour en sentir la chaleur, la vie. Elle ne verrait plus jamais cet homme et il ne la connaîtrait jamais. Mais Rose espérait qu'il puisse survivre à cette guerre, rentrer chez lui, et faire de belles choses avec la deuxième vie qu'on lui avait offerte.

Anglais, pensa Rose en le regardant. Et possiblement beau, s'il était en bonne santé.

Elle se leva et retourna faire son devoir, interceptant une bonne sœur alors qu'elle se dirigeait vers la porte. 

Excusez-moi, Mère, sauriez-vous le nom de cet homme ?

Laisse-moi voir... articula la nonne en fronçant les sourcils en regardant le tableau dans ses mains. Son identification était délavée quand elle est arrivée. Tout ce qu'on a, c'est Michael S.


***


— Rose ? appela une infirmière alors que Rose finissait de donner leur dîner à un groupe de soldats. C'est toi qui t'es occupée de Michael cet après-midi ? 

— Oui, pourquoi ? demanda-t-elle avec inquiétude. Elle dû poser le bol de soupe qu'elle tenait à cause du tremblement soudain de ses mains.

Il te demande. Du moins, il demande la "jolie infirmière". J'ai pensé que c'était toi vu qu'il ne semble pas y avoir une bonne sœur répondant à cette description. 

— Comment... Il ne m'a même pas vue...

— Oh, les hommes y parviennent toujours, gloussa une autre femme. Tu as de la chance, il est vraiment adorable. Je comprends pourquoi tu préfères les Anglais. 

— Je ne préfère pas les Anglais, râla Rose en levant les yeux au ciel tout en allant rejoindre le soldat. Il semblait s'être endormi entre-temps, alors Rose ravala sa déception et ajusta les couvertures autour de lui. Tout en sachant qu'elle devait s'en aller, elle s'assit au lieu de partir et était presque endormie quand il parla.

— Connaissez-vous le poème « In the bleak midwinter » ? demanda-t-il, les yeux fermés et la bouche bougeant à peine. Rose fut décontenancée, non par sa question, mais par sa voix ferme et grave et son fort accent étranger. Rose n'aurait su dire d'où il venait, mais elle savait qu'elle voulait le savoir.

Oui, je le connais.

— Vous le connaissez, souffla-t-il en passant sa langue sur ses lèvres, et pour une raison inconnue les yeux de Rose bloquèrent sur ce mouvement. Eh bien, si je meurs, je veux que vous récitiez ce poème pour moi. D'accord ? 

— Je... D'accord, répondit Rose, sa voix n'étant plus qu'un simple murmure. C'était un homme se rétablissant d'une opération lourde et gisant sur un lit d'hôpital, mais il réussissait quand même à être plus intimidant que les nombreux responsables qu'elle avait rencontré. Mais je n'aurais pas à le faire. Vous n'allez pas mourir. 

— Ah oui ? Qu'est-ce qui vous fait dire ça, chérie ? Vous avez lu dans les feuilles de thé pour moi ? 

— Eh bien non, car pour cela il me faudrait du thé et nous n'avons que du café amer, ria-t-elle, et l'homme bougea très faiblement à ce son. Ses yeux ne s'ouvrirent toutefois pas, et Rose ne pouvait s'empêcher de se demander de quelle couleur ils étaient. Mais je vois néanmoins la vie en vous. Et je sens que dès que les docteurs le permettront, vous retournerez directement au front alors que la plupart des hommes se précipiteraient chez eux. 

— Mes frères sont au front. Si j'y retourne, c'est pour eux.

— En parlant d'y retourner, je dois y aller, dit Rose, remarquant que les religieuses la regardaient. Elles n'avaient jamais aimé qu'elle passe trop de temps à parler avec un homme, même si « trop de temps » était pour elles tout ce qui dépassait une minute. Et vous devez vous reposer. « In the bleak midwinter » ? C'est un beau poème. 

— Oui. C'est un beau poème. 

Rose se leva et s'en alla, un sourire fleurissant sur ses lèvres comme la première fleur du printemps.

— Rose, je suis désolée de t'avoir dit de le laisser tomber, lui dit l'infirmière avec qui elle avait discuté cet après-midi. Mais je suis contente que tu ne m'aies pas écoutée. Même si tu ne le fais jamais. Tu n'écoutes jamais personne, sourit-elle en faisant signe vers le soldat sur le lit. Tu ne peux vraiment pas te tenir à l'écart des causes perdues, n'est-ce pas ? Dis-moi, qu'as-tu vu en lui ? 

Tout.

Un homme qui valait la peine d'être sauvé.


*

DISCLAIMER : ce chapitre est l'oeuvre de endIesstars ; je ne fais que le traduire en français.

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