01. Fumée et miroirs

« Souviens-toi de ce soir, car c'est le commencement de toujours. »

↳ Thomas Shelby ↲


1924

Londres


Merde.

Le mot familier s'enfuit des lèvres de Rose Salvage pour la millième fois cette nuit tandis qu'elle se cogna à un coin de l'un des nombreux couloirs élégants du Ritz Hotel de Londres. Elle entendait battre son cœur dans ses oreilles, et pourtant personne qui ne passait à côté d'elle dans les corridors n'aurait été capable de voir l'état de détresse dans lequel elle se trouvait. En général, c'était dur pour les autres de voir les sentiments de Rose, au même titre que ça lui était dur de les ressentir vraiment. Elle ne laissait aucune trace d'émotion la trahir ; les gens le faisaient bien assez. 

Rose était entrée dans le bâtiment avec une mission, mais à cause d'une rare succession d'événements, elle en était devenue la cible. Elle avait entendu de la part de ses contacts que deux espions allemands logeaient au Ritz pour un jour ou deux, et s'il y avait quelque chose que Rose ne supportait pas, c'était les Allemands qui avaient combattu pendant la Grande Guerre contre son pays. Donc naturellement, Rose était là pour les tuer, mais maintenant celle qui avait commencé la chasse était celle qui était pourchassée. 

Sa décision de s'occuper de la mission elle-même et de n'en parler à personne ne se montrait pas des plus utiles non-plus, maintenant qu'elle pouvait entendre les pas des Allemands à quelques couloirs du sien. Quelqu'un dans ses contacts l'avait trahie, et elle ne savait pas qui. Non seulement les Allemands savaient qu'elle venait, mais ils l'attendaient, et c'était vraiment in extremis qu'elle avait échappé à leur première tentative de la tuer. Ils n'échoueraient pas une seconde fois.

Comme toute personne à deux doigts de toquer aux portes de la Mort, Rose commençait à remettre les choix qu'elle avait faits dans sa vie en question. Elle n'avait pas peur de mourir, et cela lui était même égal. Mais elle avait peur d'imaginer ses sœurs devant s'en sortir sans elle. Dans un monde rempli de raisons de mourir, ses sœurs étaient son unique raison de vivre, et cela l'emportait sur tout. Il n'y avait rien de plus important pour elle que la sécurité de ses sœurs. Elle aurait pu vivre toute sa vie en danger si cela signifiait qu'elles étaient saines et sauves. 

Mais si Rose mourrait cette nuit, ses sœurs ne seraient jamais en sécurité. Ces bâtards d'Allemands ne seraient pas satisfaits de ne tuer qu'elle et ne se reposeraient que quand tous ses proches seraient morts. 

Aussi rapidement et silencieusement qu'elle pouvait bouger, Rose tourna à un autre angle mais les escaliers et l'ascenseur étaient trop loin. Les couloirs étaient vides à l'exception d'elle et de ses assaillants. En plein milieu de la nuit, elle pouvait facilement imaginer que tous ceux qui étaient dans leurs chambres étaient endormis. 

Rose s'était déjà sentie prise au piège auparavant, mais jamais comme cela. Il y avait trop de gens qui dépendaient d'elle, et elle pouvait sentir leurs vies sur ses épaules plus que la sienne. Elle n'aimait pas cela, mais c'était le prix à payer en échange de la loyauté et du respect qu'elle avait obtenus au fil des ans. 

Les Allemands s'approchaient. Son cœur était plus vivant qu'il ne l'avait jamais été. Elle s'arrêta devant une porte et toqua aussi silencieusement que possible. 

Ouvrez, ouvrez, ouvrez, supplia-t-elle. Si vous n'ouvrez pas, je suis morte.

Pendant deux secondes affreusement lentes, personne n'ouvrit. Rose allait mourir, laissant derrière elle un héritage d'insultes, d'os cassés, et plus de francs et de livres sterling que d'endroits où les garder. 

Soudain la porte s'ouvrit, et Rose se sentit sauvée. Pendant un instant seulement, jusqu'à ce que ses yeux se posent sur l'homme devant elle et qu'elle soit décontenancée par des yeux bleus tortueux et des traits aussi aiguisés qu'un couteau. Merde, merde, merde. De toutes les chambres du Ritz, bien-sûr que Rose avait toqué à la porte de Thomas Shelby ; elle avait une agaçante tendance à se précipiter dans le danger, et non à s'en écarter. Elle ne savait même pas qu'il était là. Elle avait étudié les clients avec attention, en faisant en sorte que personne d'importance majeure ou quoi qui put risquer de faire tomber son plan à l'eau ne soit présent ce soir. Mais de quelle que manière que ce soit, Thomas Shelby lui avait échappé. Peu importe comment, il y parvenait toujours.

Mauvaise chambre, dit-il impassiblement, la fixant à travers des yeux aussi bleus et tumultueux qu'une tempête en plein océan. Son regard était violent. Peut-être était-ce la chose la plus violente chez lui.

S'il vous plaît, monsieur, plaida-t-elle, autorisant sa voix à craquer pour que sa garde en fasse de même. J'ai besoin de votre aide. Vous devez me laisser entrer. 

Thomas leva un sourcil mais ne bougea pas. Sa posture intimidante criait la menace tout autant que les Allemands. Rose pouvait entendre leurs pas se rapprocher, ce qui signifiait qu'il le pouvait aussi. Ils seraient dans ce couloir à n'importe quelle seconde. La porte de la chambre était juste légèrement ouverte, assez pour qu'un éclat de lumière puisse glisser dans le corridor. Elle regarda le couloir désert, puis le regarda lui de nouveau. Il l'observait, peu convaincu et distant. Ce n'était pas le genre de réaction que Rose déclenchait généralement chez les hommes, et pour quelque raison que ce soit, cela l'agaça. 

Si vous ne me laissez pas rentrer, je suis quasiment sûre que vous serez interrogé demain au sujet d'un décès au Ritz, dit-elle d'une voix soudainement véhémente, sans aucune trace de fragilité ou de faiblesse que l'on puisse attendre de quelqu'un dans sa situation. Si le Birminghamien était impressionné par le changement, il ne le montrait pas. Il continuait de la fixer comme elle s'imaginait qu'une statue le ferait. Monsieur, s'il vous plaît... Ils sont allemands. 

Il haussa légèrement les sourcils, mais c'était suffisant pour que Rose réalise qu'elle aurait dû commencer par ça. Thomas s'écarta et ouvrit la porte juste assez pour la laisser passer, la refermant rapidement derrière elle. Puis il se déplaça vers la bougie qu'il avait allumée sur la table de chevet et éteignit la flamme avec ses doigts.

Ils se tenaient là en silence dans l'obscurité, avec pour seule compagnie leurs souffles respectifs, en entendant les hommes dehors passer devant la chambre et s'en aller. Rose savait qu'elle devait demeurer alerte, qu'elle n'était pas en sécurité, pas quand elle partageait une chambre avec le leader du plus infâme gang de Birmingham. Elle savait qui il était et qu'il avait fait mieux que les autres. Elle avait étudié les chiffres de la criminalité les plus importants de la région, et Thomas était tout en haut de cette liste. C'était un homme dangereux qui avait fait de très mauvaises choses. Peut-être aurait-elle dû ressentir de la peur, mais ce n'était pas le cas. Parce qu'elle était tout autant dangereuse, et les choses qu'elle avait faites étaient tout aussi mauvaises. 

Quand le bruit des pas des hommes déclina, Thomas tira le rideau de la fenêtre juste assez pour laisser un bout du clair de lune entrer dans la chambre. Mais le ciel était blafard en comparaison avec lui. Il avait la Lune dans ses yeux. La face cachée de la Lune.

Merci, dit Rose, brisant le silence, incertaine de ce qu'elle devait faire. Elle était dans une situation inconnue, avec un homme qu'elle ne pouvait contrôler. Elle ne pouvait imaginer pire scénario. De m'avoir laissée rentrer.

Thomas ne répondit pas, à la place, il s'écroula sur le lit et attrapa la boîte de cigarettes sur la table de nuit. Il l'ouvrit sèchement et regarda les cigarettes. Puis il vota contre et reposa la boîte. 

Ils vont revenir, murmura-t-elle, luttant pour maintenir son regard sérieux sur elle. Ils vont vérifier chacune des chambres quand ils réaliseront que je ne suis nulle part.

Laissez-les faire, dit-il dans un haussement d'épaules, la voix rauque et grave.

Vous n'avez pas peur qu'ils vous tuent juste pour m'attraper ?

Pas plus que vous ne sembliez craindre qu'ils vous tuent d'abord, rétorqua-t-il. En fait, vous n'avez pas du tout l'air d'avoir peur, non ?

Il ne parlait pas que des Allemands, et elle le savait.

Eh bien, devrais-je avoir peur ?

Non, répondit-il, et il y avait de la solennité dans sa voix, un poids. Rose ne le croyait pas, mais avant qu'elle ne puisse répondre, le son des pas revint dans le couloir et trois coups bruyants retentirent sur la porte à côté de la leur.

Thomas se leva dans un clignement d'œil, approchant son doigt de ses lèvres pour signifier de faire silence et lui indiqua de se déplacer dans la salle de bain. Elle fit comme il lui dit, mais eut le temps de le voir chercher un revolver. Un frisson courut le long de sa colonne vertébrale, plus causée par l'intensité de cet homme que par la menace que représentaient les deux autres. 

Quand les coups atteignirent leur porte, Rose frissonna encore. Elle n'avait aucune garantie que Thomas n'allait pas la balancer. Il n'avait aucun devoir à son égard, et si elle savait bien une chose à son sujet, c'était que s'il pensait qu'il pouvait l'utiliser pour son propre intérêt, il le ferait. Rose n'aimait pas être à la merci de quelqu'un. Mais elle détestait encore plus que ce quelqu'un soit lui.

Excusez-nous, monsieur, dit l'un des hommes avec un accent allemand très subtil quand Thomas ouvrit la porte. Nous nous excusons de vous réveiller si tard dans la nuit, mais voyez-vous, une amie à nous a un peu trop bu ce soir et n'est jamais rentrée dans notre chambre. Nous avons peur qu'elle se soit perdue... Vous ne l'auriez pas vue ?

Non. Je n'ai pas vu une femme dans le coin à part mon épouse, et celle-là, eh bien, j'aimerais ne pas l'avoir, gloussa-t-il. Le mensonge était fluide, et si croyable qu'il força Rose à risquer un coup d'œil à la chambre.

Eh bien, notre amie... Elle peut être très persuasive quand elle est dans un autre état, et nous ne vous blâmerions pas si vous étiez en train de nous la cacher. Non pas que nous voulions manquer de respect à votre parole, monsieur, mais cela ne vous dérangerait sûrement pas si nous vérifions rapidement ?

Pas du tout, ça ne me dérangerait pas, mais ma femme, vous voyez, cela la dérangerait. C'est une mauvaise dormeuse, et a un assez mauvais caractère. Si elle se réveille et voit que j'ai laissé deux étrangers entrer dans notre chambre... Vous ne voudriez sûrement pas que ce soit la raison de notre divorce, répondit-il. Son accent de Birmingham était fort, mais c'était sa façon de mentir qui l'impressionnait. Thomas Shelby savait comment mentir. Même mieux qu'elle le faisait.

Il y eut une pause, une pause durant laquelle on aurait dit qu'on pesait le pour et le contre de la vie de Rose. Elle avait commencé cette nuit en pensant qu'elle prendrait deux vies et maintenant elle devait la sienne à cet homme.

Bien-sûr, monsieur, nous comprenons, finit par dire l'Allemand. Nous ne vous dérangerons plus dans ce cas. Passez une bonne nuit.

Rose regarda Thomas fermer la porte. Il resta immobile le temps de les entendre s'éloigner du couloir et poser la même questions aux autres clients. Ce fut seulement quand il fut certain que les Allemands étaient complètement partis qu'il reposa le pistolet, s'assit sur le lit et attrapa les cigarettes, en en sortant une du paquet cette fois.

C'était risqué de votre part de regarder, commenta-t-il sans lui jeter un regard. En général, quand quelqu'un ne veut pas être trouvé, il reste caché. 

Elle se tint devant la porte de la salle de bain, l'observant pendant qu'il allumait la cigarette avec une allumette. Il l'avait choisie plutôt qu'eux et elle ne savait pas comment se sentir à ce sujet. 

Eh bien, ils ne m'ont pas remarquée, non ? demanda-t-elle, se déplaçant pour caler son dos contre le mur opposé à lui. Je suis sûre qu'ils étaient trop distraits par votre performance très convaincante, de toute façon. 

Vous devriez être contente qu'ils le fussent, lâcha-t-il tandis que la fumée se déversait paresseusement autour d'eux comme un voile d'incertitudes. Rose savait prévoir les choses. Mais cet homme avait créé ses propres règles au lieu de jouer avec les siennes, et elle ne pouvait démentir le fait qu'elle était intriguée. 

Merci. Vous n'aviez pas à m'aider mais vous l'avez fait. La plupart des gens m'auraient vendue en voyant des hommes si imposants.

Thomas l'observa de nouveau, sa cigarette oubliée entre son index et son majeur. 

Ces hommes ne sont pas simplement allemands. Ce sont des espions allemands. 

Comment le savez-vous ?

Je sais tout ce qui se passe dans cet hôtel, répondit-il simplement, emmenant la cigarette à ses lèvres, ses yeux ne quittant jamais les siens. Hormis qui vous êtes. Ou pourquoi ils vous poursuivent.

Je suis une femme, dit-elle en haussant les épaules. Et je suis française. N'est-ce pas une raison suffisante ?

Il secoua négativement la tête. 

Pas pour moi.

Elle resta silencieuse pendant qu'il l'étudia, essayant de prédire sa prochaine action. Elle ne pouvait pas le laisser savoir qui elle était. Cela aurait été un autre type de meurtre.

Vous voyez, j'ai déjà été berné, affirma-t-il, faisant un geste vers elle avec sa cigarette. Par une femme comme vous. Donc si j'avais à parier, je dirais qu'il y a un pistolet dans ce sac à main. 

Alors vous perdriez, répondit-elle, lui jetant son sac. J'avais prévu de tuer ces bâtards d'une autre façon. Regardez par vous-même.

Je suis un gentleman, dit-il en se levant sans inspecter le sac à main et le lui rendant. Elle l'accepta, et aucun d'eux ne bougea ; l'air entre eux était trop dense.

Aucun autre endroit où vous aimeriez chercher ? le défia-t-elle, un sourcil levé. 

Je ne saurais dire si c'est une invitation ou une menace.

C'est une menace, assura-t-elle, et il grogna. 

C'est dans vos habitudes de menacer les gens qui viennent de sauver votre peau ?

Non, dit-elle, un bord de ses lèvres se recourbant légèrement. Vous êtes le premier. 

Je vois, lâcha-t-il en apportant la cigarette à sa bouche et y prenant une longue bouffée. Ses yeux n'avaient pas quitté les siens. Soudainement la fumée autour d'eux semblait porter quelque chose de plus.

Monsieur, vous m'avez sauvé la vie ce soir, et je vous suis très reconnaissante pour cela. Je vous suis redevable. Mais il est tard, et je dois y aller. 

Si vous partez maintenant, vous n'avez aucune garantie qu'ils ne vous retrouveront pas, articula-t-il en s'asseyant encore sur le lit, ses yeux insistant sur les siens. Elle dû lutter contre l'urgence de regarder ailleurs. Ou plus près. Je dirais que votre meilleure chance de vous en sortir vivante est de rester ici. Ou trouver quelqu'un qui a envie de se battre contre deux Allemands pour vous, et je suis sûr que ça ne sera pas difficile à faire. 

Rose soupira. Apparemment, le sarcasme était leur langue maternelle à tous les deux. 

Comme vous avez dit... Ils sont Allemands. C'est une raison suffisante.

Elle était de nouveau là, cette profondeur dans la voix. Elle fit s'asseoir Rose sur le canapé en face de lui. 

Vous étiez en France ? questionna-t-elle. Elle n'avait pas à préciser quand. Depuis 1914, la France était synonyme de guerre.

Oui. Et certaines nuits, comme celle-ci, j'ai l'impression d'y être encore, dit-il en écrasant la cigarette dans le cendrier et en relevant les yeux pour rencontrer les siens. Ça n'aide pas qu'une femme française pourchassée par des Allemands débarque dans ma chambre en plein milieu de la nuit.

Il la poussait à raconter la vérité en utilisant son empathie, espérant obtenir ce qu'il voulait d'elle. Mais il n'était pas le seul à savoir comment jouer à ce jeu.

Je m'excuse pour l'intrusion et toute la peine que je vous ai causé, monsieur, je m'excuse, dit-elle en mordant sa lèvre, baissant ses yeux vers ses genoux. Je... J'ai passé la nuit avec cet homme, vous voyez ? Le fils d'un ami de mon père. J'ai cru que parce que je le connaissais, ça ne me ferait pas de mal, non ? Mais il ne me traitait pas vraiment... gentiment alors j'ai quitté la chambre, et c'est à ce moment que j'ai entendu une conversation entre les Allemands, et elle devait être compromettante car ils sont devenus furieux quand ils m'ont vue. J'ai essayé de les convaincre que je n'étais pas une menace, que je ne parlais même pas allemand et que je n'avais pas compris un mot de ce qu'ils disaient, mais ils ont entendu mon accent français et sont passé en mode guerre, je suppose. 

Hmm, marmonna-t-il, la regardant avec des yeux étroits. Rose était une bonne menteuse. Mais cet homme était sceptique par nature. 

Vous avez dit que vous vous sentiez comme si vous étiez encore en France. Moi aussi, confia-t-elle en un souffle. Parler de son pays lui était douloureux, comme ouvrir les points de suture d'une blessure refusant de guérir. Plus qu'un pays, la France est devenu un sentiment. Un sentiment que j'espérais ne pas ressentir. Alors imaginez comment je me suis sentie quand deux Allemands en avaient après moi. Je suis venue en Angleterre pour quitter ce sentiment.

C'était la chose la plus vraie qu'elle eut dit de toute la nuit, mais Thomas n'avait pas l'air d'y croire. Peut-être aurait-elle dû apporter ce pistolet avec elle après tout.

Puis il parla. 

Je suis désolé. Pour ce qu'ils... ce que nous avons fait à votre pays.

Rose releva la tête et leurs regards s'entrechoquèrent. 

Je suis désolée aussi. Pour ce que mon pays vous a fait.

C'est le passé. 

Tout est le passé, murmura-t-elle en regardant la rue tranquille du dessous par la fenêtre. Quand elle l'observa de nouveau, il avait posé sa tête contre le mur, la regardant, regardant tous les angles et toutes les ombres de ses yeux déconcertants. Dieu, il était beau, et Rose savait que ceux-là étaient les pires.

Votre famille, dit-il. Sont-ils aussi venus en Angleterre ? 

Ceux qui ont survécu, répondit-elle de façon énigmatique. Il n'avait pas abandonné l'idée de découvrir qui elle était, il usait simplement d'une nouvelle tactique. Si un tel terme peut être appliqué aux gens qui ont vécu la guerre.

Ils retombèrent dans le silence, le genre de silence qui disait plus que ce que les mots le peuvent.

Alors vous restez ? demanda-t-il après un moment. Elle risqua un regard vers lui. Ses yeux étaient implacables, et Rose pouvait sentir leur poids dans les siens. Elle avait besoin d'une pause. Une pause de cette nuit, de la mission ayant mal tourné, de lui. Rose n'avait aucune envie d'entrer dans un autre combat, et c'était exactement ce que Thomas Shelby semblait promettre. 

Eh bien, vous l'avez dit vous-même, les boches vont s'attendre à me voir sortir de ma cachette à n'importe quel moment. Ma meilleure chance est de partir demain matin, comme la plupart des gens le feront. Mais vous devriez dormir, je vous ai assez dérangé. Je resterai sur le canapé et partirai avant que vous ne vous réveilliez. Vous ne remarquerez même pas que je suis partie. Ça sera comme si je n'avais jamais été là. 

Thomas secoua de nouveau la tête. Il y avait quelque chose de tragique et de poétique quand il le fit. Comme s'il était seul contre le monde.

Ce n'est pas possible, chérie. Je vous ai vue maintenant. Vous ne pouvez pas me demander d'oublier. 

Sa gorge s'assécha. Parmi de nombreuses choses, elle connaissait la réputation de Thomas avec les femmes. Plus que cela, elle savait qu'il était veuf, et certainement encore en deuil. Elle n'avait pas l'intention d'interférer là-dedans. 

Je crois comprendre que vous ne voulez pas dormir, n'est-ce pas ?

En effet.

Eh bien, qu'allons nous faire alors ? Pour passer le temps ?

Il haussa les épaules, sa langue courant sur sa lèvre inférieure. 

On pourrait discuter.

Je ne pense pas que nous ayons la même définition de  « discuter », monsieur Shelby, dit-elle, et pendant une demi-seconde, elle fut capable de voir sa surprise, brute et non-dissimulée, jusqu'à ce que son visage se ferme de nouveau. Il hocha doucement la tête.

Alors vous savez qui je suis. Vous savez ce que je fais dans la vie ?

Je sais que les fortunes comme les vôtres ne sont pas construites avec des mains propres.

Et vous n'avez toujours pas peur ? D'être avec moi ? Seule ?

Rose détesta cela, mais la manière dont cet accent accentua certains mots la captiva. Maudite soit-elle et le truc qu'elle avait avec les Anglais.

J'ai survécu à une guerre, dit-elle simplement. Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Shelby, vous ne représentez pas tellement une menace pour quelqu'un qui a survécu à une guerre. Et certainement pas dans ces vêtements.

Elle fit un geste vers sa chemise blanche et les bretelles pendant de son pantalon, et contre toute attente, ses lèvres s'étirèrent légèrement, formant le plus petit des sourires.

Vous connaissez mon nom. Je ne connais pas le vôtre.

Rose.

Rose, essaya-t-il dans sa bouche, et cela sonnait bien. Trop bien. C'est un joli nom. 

Oui, sourit-elle, et pour un quart de seconde l'expression dessinée sur le visage de Thomas la ramena des années en arrière, aux soldats dont elle s'occupait dans les hôpitaux de guerre, à comment ils arrêtaient tout ce qu'ils faisaient quand elle souriait. Si à l'époque c'était rare, aujourd'hui c'était le genre d'événement qui avait disparu. Les gens ont tendance à voir les pétales et oublier les épines.

Oh, mais je vois les épines. Mais les jolies choses ne sont pas jolies si elles ne coupent pas.

Serait-ce un compliment, monsieur Shelby ?

Oui, c'est un compliment, répondit-il en scellant ses yeux aux siens, ses longs cils envoyant des ombres sur ses joues. Soudainement Rose se sentit en danger, pas parce que sa vie ne tenait qu'à un fil mais parce que ses émotions l'étaient. C'était une très mauvaise idée. On ne partageait pas une chambre avec Thomas Shelby sans perdre quelque chose en retour. Et mon invitation à discuter tient toujours.

Tout autant que mon refus, contra-t-elle. Elle pouvait être dingue parfois, mais elle ne l'était pas assez pour partager ses draps avec le diable. Rose ne couchait avec des hommes que pour en soutirer des informations, alors sauf si elle avait désespérément besoin de quelque chose de lui, elle préférait aller en enfer plutôt que faire l'amour avec Thomas Shelby.

Je ne suis pas un homme auquel les gens disent non en général.

Et je ne suis pas une femme qui dit oui en général. Bonne nuit, monsieur Shelby, dit-elle en jetant un coup d'œil au canapé d'un air suspicieux, son âme d'infirmière reprenant le dessus. Vous... n'attendiez personne d'autre ?

Non. Mais si vous ne me croyez pas, je vous en prie, dormez par terre.

Vous qui disiez être un gentleman...

Un sourire en coin léger se dessina sur sa bouche. Peut-être le plus grand miracle de la soirée était de voir Thomas Shelby sourire. 

Vous pouvez prendre le lit, si vous voulez. Personne n'était là non-plus. Je dormirai sur le canapé.

Non, vous en avez assez fait pour moi, dit-elle en fermant les yeux. Elle ne comptait pas dormir, pas quand sa présence était si troublante, mais elle ne voulait pas parler non-plus. Cet homme savait y faire avec les mots et Rose ne voulait pas en être victime. Elle lui avait déjà dit trop de choses. La dernière chose qu'elle souhaitait, c'était que le Peaky Blinder s'immisce dans ses affaires, même si elle était sûre qu'il enquêterait sur elle dès qu'il le pourrait. Elle devrait faire profil bas pendant un moment.

Elle l'entendit soupirer et se lever, et quand elle rouvrit les yeux, il lui tendait une couverture.

Prenez au moins ça.

Pour une raison inconnue, Rose avait l'impression qu'il lui donnait plus qu'une simple couverture.


***


Le matin suivant, quand Thomas Shelby se réveilla, Rose Salvage était partie. S'il n'y avait pas son cœur battant plus vite qu'il n'aurait dû et le parfum de rose qui embaumait encore la pièce, il aurait pu jurer que la nuit dernière n'était qu'un rêve.


*

DISCLAIMER : ce chapitre est l'oeuvre de endIesstars ; je ne fais que le traduire en français.



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