Chapitre 1 : La chute.
C'est fini. Tout est fini. Le coup de sifflet final retenti sur le terrain et son monde s'écroule. Les autres exultent, crient et pleurent de joie, exécutent leurs danses de la victoire, leurs sauts acrobatiques dignes du cirque du soleil et même un clapping final avec le public, dernier pied de nez de l'équipe gagnante mais dans le fond il ne leur en veut pas vraiment, il aurait probablement fait pareil.
En attendant il reste figé au milieu du terrain, s'imaginant à leur place sans la moindre difficulté, enviant les hurlements de joies du public, du monde. Son rêve vient d'exploser. Ils ont perdus. 2-1. Un score honorable pour certain. Une défaite cuisante et humiliante pour son équipe. Il avait mené le jeu jusqu'à la seconde mi-temps.Enfin, ils avaient menés le jeu. Lui et son équipe. Son équipe et lui.
Il secoua la tête d'un air affligé en baissant les yeux sur ses crampons maculés de boue. Il s'était mis à pleuvoir. Comme quoi,c'était écrit, ils ne devaient pas gagner.
Un gars du staff s'approche de lui en lui tendant une bouteille d'eau, un peu inquiet et franchement dégoûté :
– Le coach t'attend dans les vestiaires pour un dernier débriefing.
Le joueur ricane en se saisissant de la bouteille d'un geste rageur :
– Pourquoi faire ? On a perdu, fin de la putain d'histoire, pas besoin d'en rajouter.
Il se détourne pour regagner son vestiaire sous les hués et les pleurs de ses fans, sous le regard furieux des supporters qui les ont soutenus pendant plus de deux ans. Ce n'est pas seulement sa finale qui tombait à l'eau, pas seulement ses rêves. Il venait de cracher sur tous les espoirs du 12éme homme.
Dans les vestiaires l'ambiance est austère. Tendue, pleine de ressentiment et de non-dits. Leur boulot est parti en fumée, ils se sont effondrés.
Fini les rêves de gloire et de reconnaissance. Ils étaient la risée du football maintenant.
Le coach lui fait signe de prendre place sur son siège en cuir grand luxe avec son numéro fétiche brodé au centre : 0. Il retint un sourire lorsqu'il se souvint du ravage que ce choix de numéro de maillot avait provoqué. Un véritable scandale. Il s'était contenté de dire aux médias qu'il était avant le numéro 1. Donc il était le Zéro. Le meilleur des meilleurs. Et le Monde se l'était arraché.Publicitaires, recruteurs, managers et plus encore. Et pour cause. Il était le meilleur des meilleurs. Jusqu'à ce soir.
– Je peux savoir ce que vous avez foutu, bordel de merde, hurla finalement le coach après une longue minutes d'un silence de mort. On menait.Je dirais même mieux, on gagnait. On gagnait cette putain de finale de merde. L'Euro. Vous vous rendez compte que nous venons nous faire humilier par une équipe de seconde zone en finale ? Qui ne serait certainement pas là sans pots de vins et magouille politique ? On a écrasés les allemands, les espagnols, les anglais et les italiens et on perd face aux russes ? Cette finale était offerte putain !
Le vieux coach retourna la table de stratégie sous la colère. Il transpirait, était rouge et le sommet de son crâne luisait. Il avait balancé sa veste de costume dans un coin de la pièce et sa chemise blanche était si imbibée de transpiration qu'elle en était devenue transparente, dévoilant allègrement une petite bedaine.
L'homme avait été un champion extraordinaire. Deux ballons d'or. Une coupe du monde, deux Euros et trois ligues des champions. Il avait fait partie des meilleurs clubs et les meilleurs clubs se l'arrachait pour avoir l'espoir de le voir dispenser ses conseils. Il était naturel qu'il soit le sélectionneur de cette équipe de France à la dérive.Il avait travaillé d'arrache-pied, virant les vieux, formant les jeunes. Il les avait menés jusqu'en demi-finale de la précédente coupe du monde et cet euro c'était le leur.
Ils devaient gagner.
Rien que pour faire honneur au vieux coach Lopez.
Mais ils avaient merdés dans les grandes largeurs.
– Alors, hurla-t-il en faisant les cent pas. Je veux une putain d'explication.Pour avoir un truc à dire aux rapaces qui n'attendent que ça dehors.
Les mains dans le dos, il marmonnait en tournant en rond. Il savait qu'il devait passer pour un dingue mais il n'en avait strictement rien à faire. Il voulait des réponses. Il se stoppa net face au numéro zéro :
– Le meilleur des meilleurs, le capitaine de l'équipe, doit certainement avoir des réponses ? Ou du moins il doit certainement être en mesure de m'expliquer pourquoi cette seconde mi-temps ne l'intéressait pas ? Pourquoi est-ce qu'il a manqué deux tirs au but, trois passes décisives et pourquoi il resté figé sur ce putain de terrain sans rien faire tandis que le ballon lui passait devant, et ceux cinq fois ?
Devant le silence entêté de son joueur Lopez cru faire une attaque. Il se passa une main sur le visage et souffla pour se donner le courage de ne pas le tuer, se répétant encore et encore qu'il ne ferait qu'alimenter ses foutus journaux qu'il détestait tant. Il décida finalement de le menacer. Peut-être que la peur le ferait réagir,alors il s'exprima d'une voix calme et posée, bien plus sérieuse et redoutée que les cris, tous savait que ce n'était jamais des paroles en l'air :
– Raphaël tu me donne une explication claire ou je fais en sorte que tu ne sois plus jamais sélectionné en équipe nationale, que ton club actuel te vire et que toutes les autres équipes du monde te ferment leurs portes tant et si bien que tu te retrouveras dans le club minable de ton dérisoire village perdu au plus profond du trou du cul de la France ?!
Le meilleur des meilleurs baissa les yeux. Il perdait tout. Son univers s'effondrait morceau par morceau, lui filant entre les doigts plus efficacement que le plus fin des grains de sables.
Il perdait peu à peu le contrôle de sa vie et il détestait ça. Mais franchement ? Que répondre à cela ? Il avait été tellement bouleversé... Tellement ébranler par la visite d'Ella. Ses mots...Ses pleurs.
Il n'était pas parvenu à se les sortir de la tête. Et ils avaient perdus. Il déglutit et s'attrapa les cheveux avec les mains en tirant fort dessus, comme pour lui arracher le sourire narquois et les grands yeux bleus innocent de l'esprit. Il ne pouvait pas dire ça. Il ne pouvait pas rejeter la faute sur Ella.
Il était coupable lui aussi. Il couchait avec la petite-amie de son meilleur ami et coéquipier.
Tout partait en vrille. Il se sentait flancher et il paniquait. Il ne perdait pas le contrôle. Jamais. Chaque élément de sa vie était réglé comme du papier à musique.
– C'est ma faute coach... j'ai été déconcentré et j'ai mené l'équipe à sa perte. On a perdu à cause de moi. Mes échecs ont pesés sur le moral du groupe. J'en assume l'entière responsabilité.
Le coach le dévisagea un instant tandis que le reste de l'équipe retenait sa respiration. Ils avaient tous enchaînés les erreurs,jouant comme des débutants. Après tout Raphaël Lerieux n'était ni gardien, ni défenseur. Il était attaquant, redoutable, rapide, puissant, précis et stratège. Le meilleur. Et là... Le coach les tira de leurs pensées en explosant de rire, les mains sur le ventre,penché en avant. C'était déroutant et effrayant.
– Pour en assumer la responsabilité, ça !
Le vieil homme ricanait encore en secouant la tête :
– Tuas conscience que tu vas affronter toute cette merde ? Les médias ?Le public ? Les politiques ? L'opinion du monde ? Crois-moi ta côt ede popularité va descendre en flèche et ton club va te mettre sur la touche pendant des mois ! Tu crois que tu vas assumer ? Tu n'es rien de plus qu'un petit merdeux prétentieux ! Tu as du talent mais tu crois que le monde tourne autour de toi ! Et monsieur crois qu'il va pouvoir assumer ? Tu n'as jamais rien eu à assumer ! Tu sais la notoriété quand tu gagnes est beaucoup plus simple à vivre que lorsque tu conduits ton équipe à l'abattoir !
Raphaël tiqua mais ne répondit pas. Il avait été distrait. Ils avaient perdus.
– Hors de ma vue, grogna finalement Lopez en désignant les douches de l'index. Je veux plus te voir et pour la soirée je ne veux aucun commentaire. Pas de tweet, pas de facebook, ni aucune autre connerie dans le genre et je tue le premier trou du cul qui parlera à la presse !
Le meilleur des meilleurs se leva, abattu, et trouva avec soulagement le chemin des douches. L'eau chaude sur son corps lui permis d'oublier.Pendant une courte seconde tout allait bien. Pas de match, pas de défaite et pas d'Ella. Putain cette fille était la pire erreur de sa vie.
– C'est pas ta faute.
Il sursauta. Il n'avait pas entendu Jeweel approcher. Son meilleur ami. Depuis l'enfance. Ils avaient grandis ensemble, travaillés et rêvés ensemble. Ce n'était pas seulement son rêve qu'il avait détruit se rendit-il compte finalement. C'était le sien également.
– On a tous été à chier... Et je n'étais pas dans le match non plus... Ella est venue me voir et-
– Quoi ? Elle est venue te voir ? Mais quand ? Comment ? Qu'est-ce qu'elle te voulait ?
Son ami baissa les yeux en secouant la tête, passant une main nerveuse dans ses cheveux crépus. D'une mère anglaise et d'un père réunionnais Jeweel avait ce genre de physique qui marque, qui impressionne. Ses yeux bleus ressortaient sur sa peau mate et son mètre quatre-vingt-dix ne laissait personne indifférent. Mais à cet instant Raphaël avait l'impression de revoir le gamin de dix ans qui s'entraînait toujours plus pour espérer être meilleur que lui. Fragile et en colère.
– Elle a rompu. Elle m'a larguée, cette conne m'a larguée pendant le match le plus important de ma carrière. Et tu sais quoi ? Elle pleurait en me répétant qu'elle était désolée, qu'elle ne voulait pas tomber amoureuse d'un autre gars et tout un tas de connerie dans ce style...
Jeweel se laissa glisser contre le carrelage, le regard perdu dans le vide. Raphaël lui était blanc comme la mort, fébrile et n'osait pas sortir de sa cabine de douche. Il ne voulait pas affronter le regard de son meilleur ami.
– Tu me diras, grinça-t-il, au moins je sais qu'elle n'est pas là pour mon fric ou pour la gloire.
Jeweel était amer. Il était avec Ella depuis près de trois ans maintenant, et lui, il l'aimait. Elle l'avait soutenue dans des moments difficiles de sa vie, la mort de son père, sa déchirure des ligaments croisés, sa rébellion... elle avait même convaincue les actionnaires de son club de ne pas le viré lorsqu'il avait commencé à sérieusement déconné. Alors qu'elle le largue, comme ça, comme s'ils ne partageaient rien... aucun doute, Raphaël n'était pas le seul fautif.
– Tu sais de qui...
Raphaël avait posé la question alors que le battant de la cabine de douche le séparait toujours de son ami. Il était lâche.
Et, pour la première fois depuis le début de cette histoire il envisagea sérieusement le fait qu'il pourrait perdre bien plus que sa finale. L'idée de perdre son ami d'enfance au milieu de tout ça le terrifiait.
– Non. Rien.
Il ferma les yeux et s'appuya avec soulagement au carrelage froid. Il ne le perdrait pas. Du moins pas toute suite !
Mais ce n'était pas le plus urgent. Il devait sortir d'ici, porter ses couilles et présenter ses excuses aux membres de l'équipe et au staff. Ensuite il rentrerait chez lui, préparerait sa conférence de presse, mettra au point le plus grand léchage de cul du monde, travaillera à la reconquête de son public, et, ensuite ,éventuellement, il pensera à Ella.
Enfin, tout cela serait possible seulement s'il arrivait à se la sortir de la tête.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top