Chapitre 7 - ESTHER

Le gros malade :

Lève ton gros cul et va bosser.

Esther :

Ce n'est pas comme-ci que je recevais un salaire après tout.

Le gros malade :

Ne me pousse pas à bout, princesse. 

Dépêche-toi de te bouger, sinon je vais le faire à ta place, et je doute que tu apprécies.


J'ai horreur de ce surnom débile et il le sait pertinemment, ça me met en colère à chaque fois. Je fronce les sourcils d'agacement et enfonce mon téléphone dans mon sac, comme si ça allait apaiser ma haine. Il m'excède à un point tel que j'ai juste envie de le jeter contre un mur. N'a-t-il aucun respect pour les femmes ? Il sait parfaitement comment les séduire, mais traiter quelqu'un avec dignité semble au-dessus de ses compétences.

Un soupir m'échappe tandis que je relève la tête et aperçois la caméra fixée au plafond. Même là, il ne me lâchera pas. Je sens la pression, l'angoisse de savoir qu'il peut me surveiller à chaque instant. C'est comme s'il se moquait de moi, de mes réactions. Une chaleur désagréable monte à mes joues alors que je repense à ses dernières paroles. Je suis ici pour une raison et je ne peux pas me permettre de perdre le contrôle. Mais son arrogance me rend folle. Si seulement je pouvais lui faire comprendre à quel point il me met hors de moi.

Je prends la tenue qui m'est destinée, placée dans le casier. Je me hâte dans les toilettes, située juste en face. Je me dévêts pour enfiler une jupe qui frise la limite de la décence, tandis que le haut blanc, presque transparent, laisse ma poitrine à découvert, comme pour attirer davantage de clients. Je ne pourrai pas supporter cela très longtemps. J'ai l'habitude de m'habiller de manière séduisante, mais, cette fois-ci, cela frôle presque le vulgaire. Je serre les dents, passe une main dans mes cheveux pour les remettre en ordre, puis sors pour rejoindre la brune.

En train de servir des cocktails à deux hommes, elle se tourne vers moi, un sourire aux lèvres. Je m'approche pour me tenir à ses côtés. Derrière nous, des étagères remplies d'alcools s'étendent jusqu'à un blason ornant le plafond. Ce dernier arbore une couronne de plumes tachées de sang, symbole du Faucon. Une musique serbe résonne dans les haut-parleurs tandis que les individus encouragent les danseuses à se trémousser. Après que les deux clients se soient éclipsés avec leur consommation, elle revient vers moi, une serviette sur l'épaule.

— Pour ce soir, je ne t'en demanderai pas énormément. Au pire des cas, observe et tu pourras reproduire la même chose la prochaine fois, d'accord ?

— Oui, euh...

— Milena, répond-elle. Je réalise que je ne me suis pas présentée dans la précipitation.

Je lui adresse un sourire, puis je me décale légèrement pour ne pas entraver son travail. L'idée de lui poser des questions sur son expérience et sur ce qui l'a retenue ici me titille, mais je préfère garder le silence pour ne pas la perturber pendant son service.

La première partie de la soirée se déroule sans accroc. J'observe Milena avec attention et j'assimile tout de suite les différentes tâches. J'ai même réussi à apprendre les noms des bouteilles, un petit exploit compte tenu de mon stress. Certaines ne sont pas encore gravées dans ma mémoire, mais je fais de mon mieux pour suivre le rythme. Juste en dessous du fût à bière, tous les verres sont rangés de manière à ce que je puisse les attraper rapidement lorsque la clientèle m'assaille.

Cependant, la fatigue commence à peser sur moi, mes jambes paraissent prêtes à céder sous mon poids. Je n'ai pas vraiment dormi et encore moins pris le temps de manger un bon repas depuis des jours. Alors que je m'administre discrètement mon cinquième café pour tenir le coup, un homme aux longues boucles noires s'approche de moi. Je le regarde, hésitante un instant. Mon cœur s'emballe un peu. Est-ce qu'il me demandera quelque chose ? Je ne suis pas encore à l'aise dans ce nouveau rôle, et chaque interaction me met plus à l'épreuve.

— Сипај ми чашу вотке, драга.

Les pupilles dilatées, je le fixe, incapable de déchiffrer. C'est super déstabilisant de réaliser que je ne comprends pas un mot de ce qu'il dit. Ironiquement, le Faucon m'a forcée à travailler ici, mais je me sens désorientée, comme une étrangère dans cet univers singulier. Je me mords la lèvre, frustrée par mon incompétence, par le vide béant de ma mémoire concernant cette soirée il y a seize ans. C'est comme si on avait effacé une partie de ma vie.

— Разумеш кад разговарам са тобом, жедан сам јадна кучко.

Avant même que je puisse réagir, il saisit brutalement mes cheveux et écrase mon visage contre le comptoir. Je reste sans voix, les larmes perlant au coin de mes yeux. Cette sensation, ce contact violent, n'est pas nouveau pour moi. Des souvenirs douloureux, enfouis dans les replis de ma mémoire, refont surface. Je sens mon cœur battre à tout rompre, comme s'il souhaitait s'échapper de ma poitrine. Mon souffle se fait court, oppressé. Je suis en train de revivre des instants que je voudrais oublier, et chaque battement me rappelle à quel point je suis vulnérable.

Je réprime une nausée qui monte pendant qu'une bouffée d'adrénaline me traverse. Mes poings se crispent instinctivement, je lutte pour reprendre le contrôle. Sans réfléchir, guidée par une force que je ne savais même pas avoir, je saisis le verre à portée de main et l'abats sur mon agresseur. Le bruit du verre brisé retentit dans la pièce. Je me recule, le souffle court, les yeux rivés sur lui alors qu'il s'effondre au sol, les doigts pressés contre son crâne ensanglanté.

— Убићу те прљава курво !

Ces mots tournent en boucle dans ma tête. C'était déjà arrivé pendant le cambriolage, au moment où j'avais eu le courage de défendre ma peau en mordant l'un des individus.

Je vais te buter, sale pute.

Les larmes coulent sur mes joues alors que je tente de respirer. Il faut que je parte, que je trouve un endroit loin de tout ça. Mais avant que j'aie le temps de réagir et de fuir, un nouveau bruit éclate. Je tourne instinctivement les yeux vers la source du son. L'homme gît à terre, le crâne ouvert, le sang éclabousse tout, même moi. Les mots se coincent dans ma gorge, étouffés par l'horreur qui me fige. Une nausée m'atteint, me faisant vaciller sur mes jambes déjà chevrotantes.

— Nettoyez-moi ce bordel ! ordonne le Faucon.

Les mains tremblantes, je les pose devant moi, l'esprit embrouillé. C'est comme si tout autour de moi était flou. Sans réfléchir, je me précipite vers les toilettes et me penche pour expulser tout ce que j'ai dans l'estomac.

Je dois quitter cet endroit au plus vite.

Je serre les poings si fort que mes ongles s'enfoncent dans ma peau. En récupérant mon sac, je traverse rapidement la salle, où deux gars s'affairent à nettoyer les restes de l'homme. Une sensation étrange me glace le sang, comme si le Faucon me surveillait, tapi dans l'ombre. L'adrénaline me submerge, je me mets à accélérer le pas. Les bruits environnants s'estompent, je cours, je fuis.

J'ouvre la porte d'entrée et sors sur le trottoir, en direction de la droite. La nuit est noire et seules les lumières vacillantes des lampadaires éclairent mon chemin. Mes jambes deviennent lourdes, ma tête chancelle, mais je continue d'avancer. Je tourne à gauche et me retrouve devant le pont. Je m'arrête, les mains sur les genoux, tâchant de reprendre ma respiration. Mes poumons brûlent, le froid mord ma peau, mais surtout, ma cheville me fait atrocement souffrir. J'ai besoin de quelques minutes de repos, juste quelques minutes pour ne pas m'écrouler.

Alors que je souffle dans mes paumes pour essayer de me réchauffer, le bruit des pneus crissant résonne sur le bitume. Je déglutis difficilement, et à peine ai-je le temps de me redresser pour repartir, que la portière s'ouvre et mes yeux se posent sur les siens.

— Monte, exige-t-il.

Je scrute les environs, mais je suis coincée. À ma gauche, deux hommes en noir, armés jusqu'aux dents, et à droite, c'est la même chose. Mon corps tout entier tremble, mon cœur bat si fort que je pourrais presque l'entendre résonner dans mes oreilles.

— Et tu comptes faire quoi ? ricane-t-il.

Je ne réponds pas et tourne légèrement la tête pour regarder l'eau qui se déchaîne.

Elle doit être glaciale.

— Tu ne sauteras jamais, donc bouges ton cul et vas t'asseoir dans la voiture avant que je te montre l'étendue de ma colère. J'ai été patient jusqu'à maintenant, mais là, tu commences vraiment à me gonfler.

Alors qu'il avance vers moi, déterminé à m'attraper, je panique. Je crie comme une folle, mes vocalises brisées par la terreur. Ses pupilles rivées sur moi, il ne tarde pas à poser sa paume sur mes lèvres, exigeant que je garde le silence. L'effroi s'intensifie dans ma poitrine, mon cœur tambourine.

Désespérée, je lui assène un coup de pied dans les parties intimes. Il recule, surpris, laissant échapper un gémissement. Mais je n'ai pas le temps de m'attarder là-dessus. Je commence à courir. Pourtant, une douleur vive m'élance au pied, et des larmes perlent au coin de mes yeux. Mes dents sont serrées, mon esprit concentré uniquement sur ma course.

Devant moi, un gros mastodonte se dresse, bloquant ma route. Je panique, me déplaçant rapidement sur le côté pour l'éviter. Il tente de me capturer, mais ma chaussure glisse sur le sol mouillé. Je n'ai pas le temps de me rattraper, je tombe dans le fleuve.

L'impact, brutal, me coupe le souffle. Je lutte pour reprendre pied, mes bras battant dans l'eau froide. Chaque seconde qui passe me semble une éternité, et la réalité se brouille autour de moi. Mon corps s'enfonce petit à petit, je sens le fond de la rivière m'aspirer, comme si cette noirceur m'appelait à elle. Mes poumons brûlent, chaque inspiration devient un supplice. Les bulles d'air s'échappent de ma bouche tandis que mes yeux se ferment peu à peu.

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