Chapitre 54
« Il y a des larmes d'amour qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel » — Charles Peguy
Greyson — 38 ans
Un énorme bruit retentit dans le couloir, me faisait rater la signature d'un document. Je constate l'énorme trait noir qui barre la feuille sur dix bons centimètres, et soupire en la jetant dans la poubelle à ma disposition.
Je me lève, réajuste ma chemise bleu ciel et sors de mon bureau pour comprendre d'où vient ce bruit. Le Milady n'ouvre pas avant deux bonnes heures, donc il n'y aucune raison à ce vacarme.
Las, je déambule dans le couloir allant des chambres aux vestiaires, sans croiser âme qui vive. Je décide de passer la tête par l'encadrement de la porte menant aux vestiaires des femmes, et me redresse quand je vois Courtney debout sur la pointe des pieds, perchée sur un banc.
Mon amie se fige, écarte rapidement les cheveux longs grâce à des extensions qu'elle vient de mettre qui ont atterrit dans sa bouche, puis me sourit avec gêne. Je lui souris aussi, un peu méfiant.
- Salut Courtney... Qu'est-ce que tu fais ... ?
- Rien ! Elle me répond trop vite et trop fort. Je cherchais une vieille tenue pour ce soir.
Je fronce les sourcils, et mon regard se porte plus loin vers les douches, où j'entends couler de l'eau. Je le reporte sur Courtney qui a viré au rouge pivoine.
- Tu n'es pas seule ? Il y a encore un peu de temps pour le show.
- Non ! Je suis avec... Anna ! Oui, on est allé à la plage, elle s'est baignée donc on voulait être plus tôt pour être propre.
- Très bien, c'est noté... C'est ton dernier jour je crois ? Je ne sais plus... Enfin bon, j'espère que tu feras sensation, comme à chaque fois, je déclare avec un sourire forcé.
- Tu peux compter sur moi.
J'hoche la tête, et m'écarte pour retourner dans le couloir. Courtney finit sa route au Milady ce soir, pour rejoindre les rangs de son mari. Je suis heureux pour elle, évidemment, mais en même temps profondément triste. Elle aussi part. Notre groupe autrefois si joyeux, soudé, se retrouve divisé comme jamais, réduit au néant.
Je décide d'aller jeter un coup d'œil à l'extérieur, au-cas-où nous soyons menacés de mort. Peut-être que j'ai juste rêvé, que le bruit n'a jamais existé et que je deviens fou ? Ça ne m'étonnerait même pas en réalité.
Sur le trajet menant à la porte d'entrée du club, je regarde rapidement les réseaux sociaux et mon cœur se serre. Tous mes comptes sont passés en public sous la demande de mon père, m'obligeant à recevoir des centaines de milliers de notifications plus détestable les unes que les autres.
« Grrr dans mon lit lui »
« Bon, on attend toujours des news de ta fiancée menteur »
« WTF ELLE COUTE COMBIEN SA MONTRE ??!! »
« De toute façon, célibataire ou non, on t'aime ! »
Je fais une grimace de dégoût en lisant tout ça sous un post que j'ai fais il y a quelques jours, me montrant dans un refuge pour animaux abandonnés. Je ne suis pas une putain de star de cinéma, toutes ces réflexions, toutes ces déclarations, ça n'a rien à faire sous ce genre de photo. Les gens ne savent pas commenter intelligemment.
Parfois, j'ai envie de leur répondre. De leur dire de ne pas croire ce qu'ils voient, de ne pas se fier aux médias, aux gens que je côtoie. Tout n'est que mensonge.
Je relie le message parlant de ma fiancée à contre-cœur, mais je ne peux pas m'en empêcher. D'un commun d'accord avec Liam, incluant de nombreuses clauses et des heures de discussion, je me dois de poster sur les réseaux sociaux, d'accepter des interviews. En échange, il me laisse raconter ce que je veux sur ma fiancée, évitant qu'il ne révèle « sa tentative de suicide malheureuse » et son identité complète. Il sait que je sais. Mais il sait aussi que sans preuves sur la soirée qui a changée la vie d'Harper, je ne peux rien contre lui.
La tête qu'il a fait quand il a compris qu'elle était bien vie et intouchable. Mémorable, mais un bordel sans nom. Pour vous dire, je n'ai jamais vu un contrat si long.
Si un jour elle me revient, peut-être que nous pourrons envisager des poursuites. Pour l'instant, la version officielle est qu'elle est partie en France sous ordre de ses parents pour étudier la langue et l'économie. Le mariage est en pause, notre couple est discret et nous nous rejoignons loin des caméras.
En gros, on est toujours ensemble, ils ne savent pas à quoi elle ressemble.
Quand j'arrive près de la porte grise à motifs, je la tire pour voir devant moi le nouveau videur en période d'essai, parlant à une femme brune. Je fixe la femme à la fois inconnue et très familière. Quand je comprends face à qui je suis, je me prends un coup de massue dans la gueule, manquant de me faire tomber par terre.
Son corps petit et fin me fait un salut de la main, et je me contente de ne rien dire en ouvrant encore plus la porte pour la laisser entrer. Je referme derrière elle, et quand ses yeux verts se posent sur moi je ne peux pas m'empêcher de me précipiter pour la prendre dans mes bras.
Eden me rend son étreinte avec une douceur dont elle est la reine, et moi je la serre comme un idiot pour me convaincre qu'elle est bien face à moi, en chair et en os.
- Ça fait combien de temps ? Je lui demande en m'écartant.
- Longtemps, elle me répond en souriant.
Les larmes menacent de couler sur mes joues mais je renifle pour reprendre mes esprits. Cinq ans que cette chère demoiselle a disparu, faisant le tour du monde sans passer par chez nous. Si elle donnait des nouvelles à Courtney tous les mois, ce laps de temps a finit par s'agrandir, se faisant de plus en plus rare.
Si, comme pour mes autres amies, je suis heureux qu'elle fasse ce qui lui semble le mieux pour elle, ces années ont été les plus solitaires de ma vie. Le seul avantage, c'est que je me suis concentré sur le travail, ouvrant une dizaine de club à travers le monde pour m'occuper. Je me suis enrichi, trop même, au point que tout me semble vain, ennuyant. Encore pire qu'avant.
- Viens avec moi, les filles travaillent toujours ici.
Eden hoche la tête puis me suis à travers le couloir de graffitis qui n'a pas vraiment changé au fil des années. Nous débouchons vite sur la grande salle puis dans le couloir des vestiaires, où le mystère du bruit n'est toujours pas résolu. Je m'arrête pour regarder Eden dans sa petite robe noire observer tout ce qui l'entoure, un sourire nostalgique aux lèvres.
Courtney sort du vestiaire en se débattant avec un corset, sûrement parce qu'elle m'a entendue venir, mais la surprise se lit sur son visage quand elle se fige au milieu du couloir, fixant la femme à mes côtés.
Un hoquet de surprise lui échappe, puis c'est à mon tour de me figer quand j'aperçois une chevelure rousse magnifique sortir derrière Courtney en riant. Son sourire éclatant n'a pas changé tout comme ses yeux verts qui s'arrêtent brièvement sur moi. Sous ses taches de rousseurs, elle vire au rouge avant de fuir mon regard pour trouver celui d'Eden.
Harper ne s'arrête presque pas, se précipite vers Eden pour la prendre dans ses bras. Eden amortit le choc comme elle peut, en riant légèrement de nervosité. Courtney les rejoint en courant, pleurant toutes les larmes de son corps.
Si mon nez me pique comme elles, je n'arrive pas à me détacher d'Harper. Son corps caché par ses amis, elle ne les lâche pas en se balançant légèrement de gauche à droite. Elle n'a pas changé. Après tant d'années sans la voir, sans lui parler, sans rien, je constate qu'elle n'est plus dans un lit d'hôpital. Harper a continué à vivre quand ma vie s'est réduite au néant.
Ses cheveux ont légèrement poussé et semblent plus lisses, mais c'est tout. Sa posture est plus droite, plus stricte mais son visage est le même visage que j'ai quitté il y a cinq ans.
- Je t'en veux énormément tu sais, dit Courtney à Eden en séchant ses joues du revers de la main.
J'observe les filles un peu en retrait, choqué que Courtney m'ait menti sur la personne qui lui tenait compagnie. Elle savait que j'aurais tout fait pour ne pas être ici tout en sachant qu'Harper le serait.
Elle a été très clair en ne me contactant pas même après son retour qui date de je ne sais quand. Et je tiens à tenir ma promesse, ne pas interférer avec la vie qu'elle s'est reconstruite.
- Je sais. Moi aussi, répond Eden qui étouffe à cause d'Harper.
- Heureusement qu'Instagram existe, la réprimande Courtney, pour qu'on puisse suivre un peu ton tour du monde. Mais ça n'empêche pas que tu aurais pu répondre à nos messages.
Eden change de couleur, perdant deux ou trois teintes, et profite de ce moment pour écarter Harper qui semble totalement bouleversée. Mais celle-ci se trouve dos à moi, m'ignorant totalement.
Putain, ça fait plus mal que ce que je croyais.
- Je le sais bien, se justifie la brune en calmant ses larmes. Mais tu comprends aussi pourquoi.
- Vient boire un verre tout à l'heure, déclare enfin Harper.
Même sa voix n'a pas changé, elle fait toujours autant vibrer ma peau.
- On prendra une pause pour parler de tout ça. On n'a pas le temps, là, tout de suite, et cinq ans, ça ne se rattrape pas en cinq minutes...
Oui, cinq ans ne se rattrapent pas en cinq minutes. Mais j'aimerais tellement...
- Je verrai si j'ai le temps, j'ai quelque chose à faire avant.
Un blanc s'installe, parce qu'on sait tous ce qu'elle veut dire. Elle doit aller voir Gareth.
À ma connaissance, elle n'a pas été le voir depuis l'enterrement. Enterrement où elle n'était que l'ombre d'elle-même. Si ça ne me rassure pas de la savoir affronter ça toute seule, je peux comprendre qu'elle veuille le faire en paix, le deuil ayant été assez douloureux.
- On se retrouve ce soir, j'espère, j'arrive à dire malgré tout.
Le corps d'Harper se tend devant moi, ses poings se serrent. Au moins, je ne suis pas le seul mal à l'aise.
- Moi aussi, elle me répond en souriant, venant m'étreindre une dernière fois en au revoir.
Sans un mot de plus, elle part en arrière pour nous abandonner. Et j'espère de tout mon cœur qu'elle ne s'enfuira pas encore.
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