Chapitre 52
Tsunami en vue
Harper — 25 ans
La poche de ma veste en jean se met à vibrer fort, signe qu'un message vient de m'être adressé. Ou peut-être dix. Au milieu de l'aéroport, je m'arrête et lâche ma valise noire pour m'emparer de cet engin, le seul qui me relie à ma famille de l'autre bout du monde.
Nate : Tu m'envoies un message quand tu arrives.
Nate : Enfin, quand ton avion est posé.
Nate : Quand tu sors quoi.
Je souris en voyant mon neveu s'exciter sur les textos, toujours un point strict marquant la ponctuation à la fin de ses messages. Je profite de ce court arrêt pour attacher mes cheveux dans une queue de cheval volumineuse avant de lui répondre.
Moi : Pas de soucis, chef ! N'oublie pas de dire à ta mère de venir me chercher, je n'ai pas envie de venir à pied
Nate : T'inquiète, hâte de voir ta petite tête.
Moi : Tu me manques, j'ai envie de tous vous prendre dans mes bras et de crier ma joie !
Nate : Calmos, tu rigoleras moins quand tu seras avec nous.
Moi : Tu vas me montrer ton premier poil sur le torse ?
Nate : Rêve.
Je ris doucement toute seule, puis range mon appareil pour retourner attendre l'avion. Depuis Noël dernier, soit plus de six mois, je n'ai pas vu mes amis et ma mère. Si mes derniers pas à la faculté ont été haut en couleur et en émotion, ce dernier semestre m'a semblé insurmontable tant la date de mon retour approchait.
Pendant mon voyage de plusieurs années, Nate a été très présent pour moi, plus que quiconque, ce qui m'a assez étonné. Lui étant très secret, il s'est un peu plus dévoilé en discutant par messages chaque jour, prenant des nouvelles de ma vie, me racontant la sienne.
Dans les enceintes de l'aéroport, on m'indique que l'avion menant à San Francisco est prêt à nous accueillir alors je me presse d'aller faire les dernières procédures pour rentrer chez moi. Un dernier regard sur mon poignet désormais marqué d'un pansement licorne à l'encre noire indélébile, et c'est le cœur palpitant, le sourire aux lèvres, je me mets à courir dans l'aéroport en ignorant la foule de gens pressés et anxieux.
Adios les Français grincheux, je retourne chez moi.
***
Je sors à peine du bâtiment en tenue de sport qu'un cri strident de plus en plus proche m'explose les tympans. Épuisée mais préparée à ce qui m'attend, j'abandonne ma valise et ouvre les bras pour accueillir la femme qui me saute dessus. Je la serre de ton mon être en tanguant légèrement sous la brutalité de notre étreinte, mais je suis heureuse.
Plus loin, je vois deux hommes qui nous rejoignent les mains dans les poches, soupirant bruyamment en nous observant. Je leur souris en m'écartant de Courtney qui pleure à chaudes larmes, lui pose un baiser sur la joue, sans cesser de la prendre dans mes bras.
- C'est le grand jour, hein ? Elle demande en reniflant.
- Oui, il me semble que tu as devant toi une diplômée en astronomie et astrophysique, je lui dis dans un grand sourire.
- C'est tellement merveilleux ! Je suis si heureuse pour toi !
Je la serre contre moi une dernière fois avant que nous nous éloignions à contre cœur. John arrive me saluer en me faisant une rapide étreinte. Je le serre fort aussi, heureuse de le voir. Si ses cheveux blonds et ses yeux toujours aussi translucides n'ont pas changé en deux mois, je suis étonnée de voir qu'il a voulu se laisser pousser la barbe. Conclusion : je vais tout faire pour qu'il abandonne le projet.
- Le trajet s'est bien passé ? Il me demande de sa voix grave en me lâchant.
- Parfait ! Long, très long même, mais comme d'habitude.
C'est vrai qu'en cinq ans d'absence, mes aller-retours pour les USA se comptent par dizaines ! Passer des heures dans un avion devient presque une habitude, mais même si c'est souvent ennuyeux, je donnerai tout ce que j'ai pour voir mes proches encore plus de fois. Mais maintenant, je vais pouvoir rester à leurs côtés.
Derrière eux, Nate émerge avec ses cheveux noirs coupés courts, et sa mine sombre habituelle. Je lui souris en l'attrapant pour le serrer contre moi, et il se laisse gentiment faire. Si maintenant il n'a que quinze ans, je vous assure qu'il a grandi. Loin de nous le petit Nate d'il y a cinq ans ! Heureusement que je suis déjà quelqu'un d'assez grande, parce qu'il arrive presque à ma taille.
- Lâche-moi sorcière, tu m'étouffes, il déclare d'une voix tremblante caractéristique de mue.
- Monsieur devient un homme ! Je ris en le libérant.
Je lui donne un coup de poing dans l'épaule mais il se laisse mollement faire, faisant semblant que je viens de lui briser la clavicule.
- Et je ne suis pas une sorcière, morveux !
Un léger sourire en coin se dessine sur son visage, mais je suis déjà contente. Il ne faut pas s'attendre à plus d'émotion que ça de la part de Nate.
- Heureux de te revoir en tout cas.
- Bon ! déclaré John en tapant dans ses mains. Je vous aime, mais je suis garé à un endroit... pas approprié on va dire. Donc on file !
J'acquiesce d'un hochement de tête et Courtney me rejoint en trottinant pour attraper mon bras et me guider vers la voiture familiale. Je me retourne, inquiète pour ma valise, mais Nate s'en charge sans qu'on ne lui dise quelque chose. Je le remercie en silence, et il me lance un regard entendu qui me fait sourire.
- Trop hâte que tu m'expliques ta remise de diplôme ! J'aurais tellement voulu être là, mais tu sais, il s'est passé ça la semaine dernière...
Je ris doucement en écoutant mon amie commencer son long monologue habituel pour me résumer tout ce que j'ai loupé ces derniers mois. Si je suis déjà au courant de tout car elle m'appelle tous les jours, je ne dis rien et la laisse parler. Si ça lui fait plaisir, ça me fait plaisir aussi. Je ne l'échangerais pour rien au monde ma meilleure amie.
***
À cause de Courtney qui m'oblige littéralement à ouvrir moi-même la porte de chez Henriette, je commence à flipper à l'idée que la maison soit gorgée de confettis. J'adore mon amie, mais si elle m'a fait une connerie comme ça, je n'ai pas envie de passer ma soirée à nettoyer des bouts de papier plutôt que d'être dans mon lit.
Avant de tourner la poignée de la porte en bois, je dois respirer un bon coup comme à chaque fois que les flashbacks me reviennent en tête. Si j'ai tourné la page depuis longtemps, notre maison reste une épreuve difficile à surmonter pour moi.
Quand je me suis réveillée totalement à l'ouest dans cette chambre d'hôpital, j'étais persuadé d'être morte. Alors quand des infirmiers ont débarqué avec un grand sourire aux lèvres, j'ai eu peur. J'ai eu peur parce que je ne voulais pas être au paradis, ou en enfer. J'ai eu peur parce que j'avais mal partout, que mon corps ne répondait pas vraiment et que mon cerveau était ralenti.
J'ai eu peur parce que je me voyais encore couler du rouge.
Au bout de quelques heures, on m'a enfin expliqué que je n'étais pas morte, mais qu'on m'avait sauvé de moi-même.
Oui, sauvée de moi-même.
Qu'est-ce que j'ai fais ? J'ai ris. J'ai ris parce que j'étais en vie et qu'on croyait que je voulais mettre fin à mes jours. Je n'ai pas eu la force de les contredire. De toute façon, qui croirait à mon histoire ? Absolument personne.
Je pousse la porte, mais aucun confetti ne me tombe dessus. Au lieu de ça, des dizaines de personne scandent mon nom dans le salon, tous pourvus de chapeaux colorés et de bracelets fluo. Henriette, mes anciens collègues du Milady... Tant de monde que je n'avais pas vu depuis des mois, voire des années pour certains.
Je ris en les voyant tous chanter je ne sais quoi pour moi, m'applaudissant à tout va comme si c'était mon anniversaire.
- Waouw, vous m'aimez tant que ça ? Je dis en riant tout en avançant pour que les Howard puissent rentrer aussi.
Ma mère se détache de la foule compacte pour venir me serrer dans ses bras. L'âge n'aidant pas, elle marche bizarrement et ses mouvements sont ralentis, donc je lui rends doucement son étreinte en faisant attention.
- Comment ça va, maman ? Je t'ai manqué je suis sûre.
- La maison est trop vide sans toi, je commençais à ne plus en pouvoir de tes études même si je suis heureuse que tu sois diplômée.
- Va t'asseoir maman, tes jambes tremblent.
Henriette hoche la tête avant de retourner vers le nouveau canapé que je lui ai offert cette année pour ses 80 ans, et elle s'affale dessus en tombant comme une masse.
Ça fait maintenant 2 ans qu'Isaac nous a quitté, suite à sa maladie. Au début, tout est allé très vite. Moi qui quittais la maison, les problèmes de dos et de hanche d'Henriette, l'incapacité de s'occuper d'Isaac, son départ en institut privé. Et après tout ça, la lenteur. Nous avons eu le temps de nous faire à l'idée qu'il parait, qu'il était en train de nous quitter à petit feu, mais la douleur reste.
Il s'est endormi, comme on ferme les yeux pour se reposer quelques instants, mais lui ne les a jamais réouvert. Je me suis déplacée pour l'enterrement, quelque chose de très simple et intimiste, puis nous sommes rentrées boire un chocolat chaud avec plein de bonbons. Et la vie a continué.
Si j'ai pu faire mon deuil rapidement à cause de mes cours très prenant, je me doute qu'Henriette se sentait seule. Trop seule dans cette grande maison. Alors, pour quelque chose qui m'échappe, Courtney et Nate ont commencé à s'occuper d'elle, à passer du temps avec. De fil en aiguille, elle aussi est devenue un membre de leur famille.
Parfois, en y pensant, je souris toute seule. Les Hayes n'ont jamais eu de famille, mais avec le temps, ils s'en sont construit une de cœur. Je trouve ça beau.
- Bon, s'exclame Courtney, c'est un petit truc mais demain, tu reviens au Milady pour un show ! J'ai tout prévu, je t'ai même commandé une tenue spéciale pour l'occasion. Et après, je démissionne.
J'ouvre la bouche pour répondre mais rien ne sort. Trop d'informations en peu de temps là.
- Je veux faire comme toi, elle m'explique en grattant l'arrière de son crâne, tourner la page. J'ai bientôt 30 ans et je ne me vois pas faire ça toute ma vie. John va me trouver un travail dans la finance, comme lui. Il m'apprend quelques trucs pour que je m'en sorte.
- Je suis contente pour toi Courtney, si c'est ce que tu veux, fonce !
Mon amie me sourit et John la rejoint en la prenant par la taille. Il dépose un baiser sur ses lèvres, et les yeux de Courtney s'illuminent à son contact.
- Je suis fier d'elle, et je la soutiens peu importe son choix.
- Par contre, j'interviens en hésitant, désolé de tout casser comme ça, mais je ne suis pas sûre de vouloir pour le show...
Courtney tourne la tête pour me regarder de ses yeux bruns, les sourcils froncés. Elle savait que j'allais dire ça, et elle va me taper sur les doigts.
- On en avait parlé Harper... Tu ne pourras pas fuir indéfiniment. Autant arracher le pansement d'un coup.
Instinctivement, ma main passe sur mon poignet où est gravé pour toujours le souvenir de mon frère. Je sais qu'elle a raison, je sais que je ne pourrais pas éviter Greyson toute ma vie. Et pourtant...
- Parfait ! Je prends ça pour un oui vu la tronche que tu tires, elle déclare catégoriquement. Aller, Henriette a fait du gâteau ! Et demain midi tu manges avec nous et les Davis.
Je hoche la tête en soupirant. Si j'avais hâte de tous les retrouver, je pensais le faire progressivement. J'apprécie l'enthousiasme de Courtney, mais je viens de faire dix heures de vol d'un autre pays. Même si je suis née ici, je vais mettre un petit moment à m'habituer à la culture, à reprendre le cours de ma vie.
Mon téléphone vibre dans ma poche quand John et Courtney se dirige vers la table basse, pour aider Henriette à couper du gâteau et le distribuer aux invités. Je le sors pour observer le message, et souris en le lisant.
Nate : Promis, dans une semaine elle en aura marre de voir ta tête.
Moi : C'est moi qui en aie déjà marre de la tienne, va voir ailleurs si j'y suis
Nate : Je squatte ta chambre le temps qu'ils bouffent tout ça, tu sais où me retrouver quand t'en a marre.
Moi : « clin d'œil »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top