Chapitre 50

Souviens-toi de moi comme on se souvient de notre dernière cuite.

Greyson — 34 ans et un coeur brisé.

-    Harper n'est toujours pas là ? Je demande à John qui regarde son téléphone en attente d'un message de notre amie.

-    Non, toujours rien, me dit celui-ci. C'est bizarre, elle m'avait affirmé qu'elle avait besoin de pleurer un bon coup, max une heure, et qu'elle viendrait.

-    Je vais aller voir, je déclare en sortant mes clés de voiture. Elle ne raterait ça pour rien au monde.

John acquiesce et me demande de le tenir au courant tandis qu'il rejoint sa femme qui se goinfre de gâteau pour noyer sa peine. Je la comprends, je fais pareil depuis tout à l'heure.

Je monte dans ma voiture puis conduis jusqu'à chez elle en vitesse. Un mauvais pressentiment me tord le ventre mais je l'ignore. Entre l'enterrement de Gareth, ramener Eden à l'hôpital et tout ce qui s'en est suivi, mon esprit est assez retourné. Je me gare devant sa petite maison mais tout suite, quelque chose est étrange. L'atmosphère est lourde, pesante. Le quartier est bien silencieux, trop calme même.

Certain que ce n'est que mon imagination, je sors pour me diriger vers la porte. Je sonne une fois. Deux fois. Trois fois. Personne.

Au bout de 5 minutes, je décide de presser la poignée, dans l'espoir que la porte soit ouverte, et bingo ! La poignée s'enfonce sous le poids de ma main, et j'entre sans difficulté dans la maison.

-    Harper ? J'appelle mais personne ne répond.

Je me dirige dans le salon, rien. Dans la cuisine, rien. Une bouteille de vodka est sur le comptoir, signe qu'elle est bien passée par là.

Connaissant sa chambre particulière, je décide de monter les escaliers en moquette. Il y a quelques temps, j'ai aidé Isaac à faire une double chambre pour Harper, lui permettant de libérer sa créativité à l'écart de ses parents. L'endroit est assez bien isolé, ça ne me choquerait pas qu'elle se soit réfugiée là pour pleurer, sans entendre mes appels. Je monte les marches deux à deux sans cesser de l'appeler, mais toujours rien.

Je bifurque à gauche pour trouver la porte de sa chambre fermée. Je toque doucement plusieurs coups secs, mais personne ne répond.

-    Harper, je sais que tu es là. John et Courtney commencent à s'inquiéter, et moi aussi d'ailleurs.

Le silence.

-    C'était courageux de ta part de faire ce discours, j'ai été touché. Miranda aussi d'ailleurs, elle m'a dit de te dire que c'est un très bel homme à son beau frère. Ça l'a touchée que tu fasses un clin d'œil à son mari à la fin, malgré tout.

Une mouche vole.

-    Tu m'en veux ? Je peux comprendre. Ces derniers jours ont été durs à digérer, j'ai tout fait pour que ça aille. Mais après ton malaise quand tu as su pour Gareth... J'ai tellement eu peur pour toi. Je m'en voudrais toute ma vie de ne rien t'avoir dit, de m'être perdu dans un état trop bizarre. Tu sais, j'avais l'impression d'être dans un rêve. Je ne me souviens presque pas de ce qu'il s'est passé entre l'appel de l'hôpital et nous face au médecin. Elena, la psychologue du Milady, m'a dit que c'est normal après un tel choc. Mais je m'en veux quand même.

Toujours rien.

-    Même si tu m'en veux, je vais devoir entrer ma belle. Tout le monde t'attend et Courtney va finir tout le gâteau si tu ne viens pas.

Et rien. Je soupire d'agacement et la préviens que j'entre, donc qu'elle doit crier si elle est nue mais le silence m'accueille encore et toujours. Je presse la poignée et pousse la porte sans difficulté.

Puis le ciel me tombe sur la tête.

Je lâche la porte et cours vers le lit où git Harper dans une marre de sang absorbé par ses draps blancs.

Tout est rouge.

Les marques sur son poignet remontent le long de son avant bras, saignant encore, et j'arrache ma chemise pour faire un garrot. Mes mains tremblent tendit que j'essaye de faire un nœud qui tienne. Sa main inerte retombe quand je la lâche.

Pris de panique, je cherche mon téléphone pour contacter les urgences le plus rapidement possible, tout en constatant qu'elle respire encore. Sa poitrine se lève imperceptiblement, et je sens son souffle quand je mets mon oreille près de son nez.

Quand quelqu'un me répond enfin, je ne peux pas m'empêcher d'aboyer dans le haut parleur en expliquant tout ce que je constate. La femme a l'autre bout du fil tente de me rassurer d'une voix calme et posée, mais rien n'y fait. Les larmes dévalent mes joues quand elle me dit qu'elle envoie une équipe et de ne surtout pas raccrocher. J'essaye de me concentrer sur ses paroles mais je ne peux pas m'empêcher de voir tout ce sang, les cheveux d'Harper, ses paupières closes, sa bouche légèrement entrouverte.

-    Monsieur ? M'interpelle quelqu'un en me touchant le bras.

Je sursaute en faisant barrière de mon corps pour protéger Harper, mais l'homme en uniforme lève les bras, m'indiquant qu'il ne me veut rien de mal.

-    Excusez-moi, je souffle en pleurant, je ne vous avais pas entendu arriver.

-    On va s'occuper d'elle, laissez-nous faire, annonce le pompier en prenant mon bras pour m'écarter du lit.

Je me laisse faire, ne lâchant pas les hommes des yeux tandis qu'ils s'occupent du corps inerte d'Harper, gisant dans cette marre de son propre sang.

***

À son chevet depuis deux jours, le médecin m'indique qu'elle ne tardera pas à se réveiller. Ses cheveux roux entourent sa tête comme une couronne, tandis que je regarde sa respiration régulière lever et baisser son torse. À sa droite, des dizaines de fleurs colorées donnent un peu plus de vie à sa chambre d'hôpital blanche.

Trois petits coups se font entendre sur la porte, et j'invite l'inconnu à entrer. Un petit corps entre dans la pièce, main dans les poches de son jean noir. Ses cheveux noirs trop longs cachent presque ses yeux, ce qui l'oblige à donner un mouvement de tête pour les écarter.

-    Coucou tante Harp', déclare Nate en passant près d'elle. Salut Greyson.

Je le salue d'un hochement de tête qu'il ne voit pas, car il part déposer un baiser sur la joue de sa tante qui dort, paisible.

-    Elle va mieux ? Il me demande en venant s'assoir sur la banquette en face d'elle près de moi.

-    Elle est stable.

-    Merci de l'avoir trouvée.

Je ne réponds rien, pas d'accord avec lui. À quel moment il doit me remercier pour ça ?

-    Tu sais pourquoi elle a fait ça ? Il me demande en la fixant comme si elle allait se réveiller d'un moment à l'autre.

-    Non, elle devait aller très mal, mais c'est fini.

Ces mots m'écorchent la bouche tant le mensonge est énorme. En vérité, je ne peux pas lui dire ce qu'il s'est passé. Je ne peux pas lui révéler ce message débile que j'ai reçu tandis que nous étions dans l'ambulance, en direction de l'hôpital. Je ne peux pas lui dire que comme pour Kabir, Liam a fourré son nez dans mes affaires. Je ne peux pas lui avouer que mon père pensait avoir tué Harper, me demandant de revenir à New York le temps que tout se tasse, pour faire des interviews sur la mort de ma fiancée.

Fiancée qui n'est pas morte. Mort qu'il aurait dû savoir à la limite quelques jours plus tard comme tout le monde, pas une heure après qu'elle se soit ouverte les veines.

Lui seul est à l'origine de ça, j'en suis persuadé.

-    Qu'est-ce qu'on va faire ? Continue Nate en poussant sa mèche de cheveux.

-    Nous ? Rien.

-    Mais elle est connue.

-    Connue ?

-    Oui, vous faites bien semblant de sortir ensemble, non ? Je pense que ce n'est pas une bonne idée qu'elle revienne comme une fleur alors que ton père va très vite en parler.

-    Dis donc, tu es plus futé que tu en as l'air. Mais tu as raison, rien ne peut échapper aux hommes puissants. Il saura qu'Harper a tenté de...

Je déglutis, incapable de dire ce mot qui est si faux.

-    Bref, il faut la préserver. C'est pour ça que ce mot existe, je lui dis en montrant un bout de papier posé sur la table basse.

-    Qu'est-ce que c'est ?

-    Une lettre, tout simplement. Ta mère a dû te dire qu'elle allait être transférée en France ?

-    Oui, mais elle n'a rien voulu me dire de plus. C'est dur pour elle en ce moment, papa essaye de la réconforter mais elle ne fait que pleurer.

-    C'est normal, Nate. Mais elle va être transférée, Eden va veiller sur elle avant de partir en tour du monde je crois. Ensuite, Harper fera ses études et elle reviendra. Mais comme tu dis, il faut qu'elle s'éloigne de nous un peu, qu'elle se retrouve pour ne plus faire ce genre de choses.

Le petit fronce le nez, pas vraiment content de ce que je lui raconte, et je comprends. Moi aussi je n'ai pas envie qu'elle parte, mais c'est le meilleur pour elle. Loin de nous tous, loin de mon père, des médias qui vont la traquer, loin de moi. Le temps que tout se tasse.

-    Elle reviendra Nate, elle comprendra notre démarche, j'en suis sûre. Elle veut faire des études, elle me l'a dit. Partir là-bas lui fera du bien, elle reviendra pour les vacances et tout ira mieux.

-    Tu te charges de tout ?

-    Je me charge de tout.

-    Elle va nous en vouloir.

-    Non, elle va m'en vouloir. Pas toi.

-    Mais on l'abandonne.

-    Non, elle comprendra.

Le petit hoche la tête en se levant, puis se dirige rapidement vers la porte, toujours les mains dans les poches.

Il se retourne une dernière fois pour me parler.

-    Papa et maman ne savent pas que je suis ici, ne leur dit pas s'il-te-plaît, ils vont m'engueuler sinon.

-    Je serais une tombe.

Un sourire en coin se dessine discrètement sur son visage enfantin, puis il se retourne pour disparaitre, me laissant seul une dernière fois avec Harper avant son départ.

Je me lève aussi, me dirige vers son lit. Son visage d'ange sourit. Peut-être qu'elle rêve ? Je m'approche d'elle doucement, et dépose un bref baiser sur ses lèvres, sachant pertinemment qu'elle n'en aura aucun souvenir.

Elle m'en voudra. Peut-être qu'elle me haïra en lisant cette lettre. Non, pas de peut-être. Elle me détestera. Mais pour elle, elle doit partir. Elle reviendra. Mais pas maintenant.

J'observe une dernière fois son nez en trompette, ses taches de rousseurs éparses, ses longs cils clairs, ses cheveux si beaux, et me décide enfin à partir.

Ce n'est qu'un au revoir, de toute façon.

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