Chapitre 45
Zut, même pas de slip
Harper — 20 ans
Seule dans un coin, j'observe Greyson qui s'occupe du bar comme un pro. Qui aurait cru que le patron savait lui-même faire nos jobs ? Strip-teaseur un coup, barman un autre...
Près de lui, Eden discute avec Nate qui balance frénétiquement ses pieds dans le vide. Heureuse d'avoir cette ouverture inattendue, je les rejoins pour discuter. Même si Eden a pris le temps de tous venir nous voir pour remercier un à un, il y a un peu de monde et nous n'avons pas eu le temps de discuter réellement.
J'attrape un verre de soda déjà remplit sur une table qui en contient une dizaine, puis me dirige vers eux en tendant l'oreille. Je ris discrètement en entendant le petit garçon critiquer le petit écart d'âge entre Eden et Gareth. Si trois ans le dérangent, qu'est-ce que ça serait si je sortais avec Grey.
Mais qu'est-ce que je dis moi ?
- Moi, tout ce que je retiens, je déclare en arrivant à leur niveau, c'est qu'on aura bientôt plein de petits Gaden dans les pattes ! Je vais être encore tata !
Je donne le verre de soda à Nate qui l'accepte mais le pose directement sur le comptoir. Comme j'ai envie de le taquiner, je l'attrape dans mes bras et il s'accroche à mon cou pour ne pas tomber de sa chaise.
Le rire clair d'Eden nous atteint et je crois même en entendre un de Nate. Quand je m'écarte du garçon, Eden nous salue rapidement pour rejoindre son bien aimé qui revient, changé et propre.
Je souris en la voyant le rejoindre, jusqu'à qu'il la prenne dans ses bras avec douceur.
- Tu te fous d'Eden mais quand est-ce que toi tu auras des gosses ? Me demande Nate en sirotant le verre que je lui ai offert.
Je me tourne vers lui et il se met à bouger ses sourcils de haut en bas en m'observant de ses yeux noirs. Je ris, lui passe une main dans ses cheveux sombres, tandis qu'il me tire la langue.
- Faudrait déjà que j'ai un mec, vaurien. Et à ce que je sache, je suis solo !
- Mais pourtant t'as le choix, vu le nombre de mec que tu bra...
- Nate ! Ne finit pas cette phrase ! T'as 10 ans, putain...
- Et ma mère est strip-teaseuse.
Il pose son verre avec nonchalance, une certaine tristesse dans son regard froid et distant. Quand Nate a débarqué dans ma vie, il y a deux ans, une connexion s'est directement faite entre nous. Malgré ses airs de mauvais garçon, c'est l'enfant le plus sage que j'ai pu rencontrer. Peut-être trop, en fait.
Souvent, Courtney me fait part de ses inquiétudes vis-à-vis de lui et de sa distance. Elle a peur d'être une mauvaise mère, qu'il ne la déteste. Elle pense être la cause de son caractère froid et sec, de son attitude distante et lasse quant aux enfants de son âge. En vérité, je ne pense pas qu'elle soit la cause de tout ça. Nate est le genre d'enfant qui se retrouve dans la solitude, qui aime apprendre seul, lire dans son coin. Je me retrouve un peu dans son regard.
Petite, j'étais exactement comme lui, plongée dans des bouquins d'astronomie, sans amis avec qui jouer ou partager ma vie. Enfin, s'il y avait quelque chose à en dire. Nate a tout ce qu'il veut, des parents en or, il n'a pas de raison d'être triste ou je ne sais quoi, c'est lui, tout simplement.
- N'empêche que tu es trop jeune pour parler de ce genre de choses. Je veux bien être la tata cool mais y a quand même des limites. Je ne tiens pas à me faire taper sur les doigts par tes parents.
- Hum, attends, qu'est-ce que tu me disais à tue-tête quand j'étais plus jeune déjà ... ?
Je sens ma bouche s'ouvrir pour former un « o », mais je n'ai pas le temps de l'empêcher de dire ce qui lui vient que c'est déjà trop tard.
- L'appel du pipou est plus fort que tout ! S'exclame Nate avec un faux enthousiasme.
Des têtes se tournent vers nous et je sens la honte me submerger.
- Je n'ai pas dit ça, je le contredis en ayant soudain chaud.
- Si tu l'as dit, il réplique.
- Si, tu l'as dit, approuve Greyson de l'autre côté du bar.
Un sourire se dessine sur le visage de Grey qui nous écoutait depuis le début, évidemment. Je soupire bruyamment pour faire comprendre mon mécontentement à ces deux hommes qui semblent de mèche, et me contente de m'éloigner.
- Je vais rejoindre mes vraies amies, puisque tout le monde se ligue contre moi !
- Nate, check !
Je me retourne pour voir le garçon taper son point contre celui de Greyson, fier d'avoir gagné cette bataille. Pas la guerre mon coco. Pas la guerre.
Plus loin, Eden discute avec Gareth mais Courtney n'est pas loin. D'un regard, elle comprend ce que je m'apprête à faire et se joint à mes côtés. Je ramasse une poignée de confettis au sol avec elle, prête à lancer nos armes.
Assez proches des amoureux, nous lançons en même temps les bouts de papiers multicolores, allant se loger dans leurs cheveux. Gareth nous lance un regard noir, du genre « vous m'avez fait foirer mon coup », tandis qu'Eden se prête au jeu et en récupère en riant pour nous atteindre, en vain.
- Roooh, les filles vous abusez sérieux, râle Gareth en enlevant un bout de papier de son oreille. J'en ai partout !
Eden n'a pas l'air gênée car elle rit de plus belle, frottant les cheveux de son mec pour faire tomber les restes.
- Arrête de râler grincheux ! C'est le rôle d'Eden d'habitude, je dis en riant.
Avant qu'Eden ne puisse répliquer à ma pique, Courtney prend la parole en prenant mon bras et celui d'Eden, l'arrachant à Gareth.
- Et nous, on te l'emprunte ! Fini les bisous, place à la danse !
J'approuve et me laisse entraîner sur la piste de danse où peu de gens osent aller. Quand nous commençons à nous déhancher en rythme, collées les unes aux autres, certains se joignent à nous.
Eden se laisse aller comme lorsque nous faisons des show ensembles, mais je n'arrive pas à la prendre au sérieux avec sa dégaine. Si j'avais un doute depuis tout à l'heure, le fait de se dandiner écarte ses longs cheveux de sa capuche, révélant des oreilles à celle-ci.
- C'est des oreilles sur ta capuche ? Je demande en lui montrant son sweat-shirt.
Mon amie éclate de rire quand ses yeux verts trouvent la capuche, prouvant que j'ai raison. La pauvre, c'est vrai qu'on ne s'attendait pas à ce qu'elle débarque en pyjama à cette heure-ci...
- Alors, le plan c'était que j'amène une chemise neuve à Gareth puis Titanic en pyjama dans mon canapé, elle explique en se rapprochant pour que Courtney entende. Comment te dire que je n'ai pas voulu me changer donc je suis actuellement en pyjama sous cette veste.
Je me retiens de lui dire que sweat ou pas, on devine facilement qu'elle est en pyjama. Elle doit être déjà assez embarrassée comme ça, je ne vais pas en rajouter.
- Je donnerai cher pour voir ce qu'il se cache en dessous, nous dit Courtney avec un grand sourire de tentation.
- Ça m'étonnerait que ça soit aussi sexy que mes pyjamas mais bon, c'est vrai que c'est rigolo, j'approuve en touchant les petites oreilles roses.
Je m'écarte pour reprendre la danse que nous avions arrêtée, mais mon regard se dirige plus loin derrière Eden, un crâne chauve se diriger à toute allure sur la piste de danse. Mon sang ne fait qu'un tour et je me précipite vers l'homme en courant.
- Non papa ! Pense à ta hanche !
Ne m'écoutant pas, il s'élance sur la piste en dansant comme un vieux — oui, oui, vous savez très bien de quoi je parle —, mais ma mère le rejoint, essoufflée.
Elle me fait comprendre qu'elle gère, mais je reste à proximité, trop peur qu'il ne se fasse mal.
La semaine dernière, Isaac a décrété qu'il pouvait tondre seul la pelouse. Finalement, il s'est vite retrouvé au sol, la hanche en vrac. Heureusement, rien de cassé ! Je n'imagine même pas comment on aurait fait si c'était arrivé... Du haut de ses 80 ans, je ne suis pas sûre que son corps réussirait à se reconstruire, ou qu'Henriette ait la force de l'aider. Déjà que je suis moins souvent à la maison en ce moment, je ne peux pas la laisser seule aussi souvent avec autant de travail.
La santé d'Isaac ne va pas en s'améliorant, mais je suis quand même heureuse que sa maladie stagne au même stade pour le moment. L'avantage, c'est qu'Isaac est très facile à vivre, et même quand il ne nous reconnaît pas, il se laisse faire en nous faisant pleinement confiance. Cet environnement sain doit sûrement l'aider, mais je pense que son amour pour Henriette en est toute la cause. Même si c'est dur pour elle de voir son mari sans souvenirs, je pense qu'elle a plus de preuves que nécessaire du fait qu'il l'aime. Mais il l'aime avec un grand A.
Je les envie.
Prise d'un drôle d'élan, ou peut-être pour me faire pardonner de toute ma distance de ces derniers temps, je me rapproche d'eux. Je prends ma mère par la main, sentant sa peau fripée contre la mienne mais surtout sa chaleur. Elle ne dit rien mais son visage trahi sa surprise. J'en fais de même avec Isaac qui danse maintenant une sorte de tecktonik bancale, ce qui me surprends car ce n'est pas du tout sa génération. Henriette prend sa main, et nous formons dorénavant une drôle de ronde dansante.
Isaac lâche très vite nos mains pour se lancer dans une autre danse, alors j'en profite pour prendre ma mère dans mes bras, nous balançant doucement de gauche à droite.
- Merci, je lui chuchote dans le creux de son cou.
- Non, c'est nous qui te remercions ma chérie. Sans toi, Isaac ne serait déjà plus de ce monde.
- C'était le souhait de Noah, il vous aimait.
- Mais il t'aimait encore plus, Harper. Ne pense pas le contraire. Tu étais sa seule raison de vivre, la seule qui faisait tourner son univers. Il t'aimait plus que personne, on le voyait dans ses yeux. Il serait fier de toi.
Une larme coule sur ma joue en silence, tandis que je serre plus fort ma mère de cœur. J'hésite un instant, mais quelque chose en moi me dit que c'est le moment de le faire.
- Tu sais que je ne suis pas vraiment serveuse, n'est-ce pas ?
- Je ne suis pas bête, nous le savons. Tu crois qu'il y a écrit quoi à l'entrée de cette pièce ? Mais nous voulons le meilleur pour toi. Tu es heureuse ?
Je réfléchis quelques instants, surprise qu'elle me pose ce genre de question. Est-ce que je suis heureuse ? On ne m'a jamais demandé ça. On m'a déjà demandé par principe comment j'allais, si ma famille se portait bien, mais si j'étais heureuse, non.
- Je crois que je le suis, j'ai tout ce que j'ai toujours voulu, je n'ai pas le droit d'être triste.
- Tout le monde a le droit d'être triste, ma chérie. Toi plus que quiconque. Je n'ai jamais connu de personne aussi forte que toi.
Mon cœur se serre dans ma poitrine tant ce qu'elle me dit raisonne en moi. J'ai le droit d'être heureuse mais j'ai le droit de pleurer, d'être triste. Peut-être qu'il est temps de l'accepter.
- Ma chérie, elle chuchote tout bas pour que seule moi l'entende, j'ai vendu beaucoup de petites créations dernièrement. Enfin, ça fait des années comme tu le sais et je mets tout de côté. Mais cette année, c'est un peu exceptionnel, les gens aiment et achètent vraiment. J'aimerais que tu prennes cet argent.
Je m'écarte vivement d'elle pour la voir en face de moi, mais ma mère me sourit simplement avec tendresse.
- Pour quoi faire ? Je travaille, j'ai de l'argent. Gardes tout pour les frais de papa ou pour vous faire plaisir, je n'en ai pas besoin.
- Je sais, ma chérie, mais ce n'est pas pour ça. Je veux que tu ailles à l'université, que tu fasses des études. Noah mettait déjà un peu d'argent de côté pour la maison et pour tes études. Je me suis renseignée, et il y a un cursus de physique et astronomie pas très loin, ça pourrait te plaire.
Je ne sais pas quoi faire, mon corps cesse de bouger et donc celui d'Henriette aussi. Je ne sais pas quoi lui dire, je ne sais pas comment réagir, je...
Depuis que je suis enfant, je sais que je ne ferais pas d'étude. Mon objectif a toujours été de travailler jeune pour mettre de côté et quitter ma caravane pourrie. Mais maintenant que l'occasion se présente, est-ce que j'en ai envie ? Est-ce que la petite Harper de six ans aurait voulu en savoir plus sur les étoiles et notre univers ? Ou d'autres choses, bien que je ne visse le monde qu'à travers ça.
- Tu n'es pas obligée de répondre de suite, continue Henriette. J'ai vu tout ça avec Greyson, il m'a aidé parce que tout est bien compliqué pour moi. Il pourra t'aider à faire les inscriptions et tout ça. Il m'a dit qu'il te devait ça, je n'ai pas trop compris mais tu as le temps de réfléchir. Tu nous le dis dans une semaine peut-être ? Ou même plus tard, ton ami a bien assez de contact pour te faire entrer en cours d'année. Et je suis persuadée que tu rattraperas tout rapidement.
J'hoche la tête, sans voix. Ma mère me prend dans ses bras, puis se remet à danser contre moi, me faisant prendre son rythme. Je m'enfonce dans ses cheveux courts, perdue, mais avec une drôle envie de sourire. Oui, de sourire.
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