Chapitre 4

Un rêve se transforme rapidement en cauchemar.

Harper — 7 ans

Vite ! Vite !

Je cours à travers le couloir le plus rapidement possible pour ouvrir à mon frère qui vient de toquer doucement à la porte d'entrée.

C'est le grand jour ! Aujourd'hui, il va me prendre avec lui.

Depuis un an, il travaille beaucoup à l'école mais aussi dans un vrai travail pour pouvoir prendre ma garde à pleine temps, comme papa le lui a demandé. Il a réussi à habiter dans un petit appartement pas très loin d'ici, et a mis des sous de côté pour mon arrivée. Papa m'a promis de donner 10 euros si je partais avec mon frère. On va être riches.

C'est enfin maintenant !

Quand j'ouvre la porte à la hâte, je ne vois pas tout de suite la tignasse rousse de Noah mais plutôt la valise bleue à paillettes qu'il tient devant lui, fier par son sourire.

-    Tiens Miss, c'est ta nouvelle valise.

Je la prends quand il me la tend, et elle est parfaitement à ma taille. En plus, il y a des petites roulettes pour que je puisse la tirer plutôt que de me faire mal aux mains en la portant. J'ai beaucoup d'affaires à prendre, moi !

-    Merci Noah ! J'ai trop de chance d'avoir un grand frère comme toi.

-    Je sais, je suis extraordinaire. Et beau, et...

-    Tu entres ? Je lui demande, dubitative.

-    Non, tu sais très bien que je n'arrive que ce soir quand Linda et papa seront rentrés. Je n'aime pas l'idée qu'ils te laissent seule dans la caravane mais tu es une grande fille, maintenant. J'ai confiance en toi.

-    Oui ! Et puis, ils le font souvent, donc je n'ai plus peur quant les poules font un drôle de bruit.

Il hoche la tête, jette un coup d'œil dans le salon pour être sûr que papa n'est pas là, avant de revenir au pas de la porte. C'est devenu une habitude depuis quelques temps, comme s'il avait peur de le croiser. Papa est souvent méchant mais bon, ça reste papa. Maman n'était pas mieux.

-    Donc la marche à suivre je te la rappelle, il reprend en coiffant ses beaux cheveux. Là, je vais travailler avec mon collègue, donc je reviens ce soir. Pendant ce temps, tu prépares ta valise et ton sac à dos d'école avec toutes tes affaires. Je sais que tu as assez de place pour tout emmener. Fais un petit tri si tu veux, dis-toi que tu ne reviendras plus ici. Ensuite, je viens te chercher, je fais signer quelques papiers à papa et tu viens avec moi. On emménage tous les deux et quand on aura ramassé assez d'argent, on trouve une jolie maison avec Isaac et Henriette !

-    Bien, chef ! Je m'exclame sur le même ton en faisant un signe militaire du bout des doigts.

Il me sourit de toutes ses dents avant de me faire un dernier câlin. Je le serre fort dans mes bras, écartant mes cheveux pour ne pas qu'il les mange. Ce n'est pas bon les cheveux.

-    À tout à l'heure, mon chat. Mais avant, j'ai quelque chose à te montrer.

Il s'écarte de moi et remonte son pull bleu que je trouve très moche même si je ne lui dis pas. Il me tend son poignet, mais pas le blessé que j'aime soigner. Sur celui qu'il me montre, on voit un dessin à l'encre noir qui n'était pas là il y a quelques jours.

-    J'ai fait des boulots en douce chez des amis pour me le payer.

-    C'EST TROP BEAU ! Je hurle à plein poumon, ignorant le voisin qui fume une cigarette.

En effet, l'encre dessine les contours du pansement en forme de licorne que je lui ai posé il y a un an. Je m'en souviens très bien car c'est la première fois que je l'ai soigné, s'en est suivi une multitude de séance hôpital à domicile.

-    Maintenant, je t'aurai près de moi toute ma vie. Dommage que ce jour-là, tu ne m'aies pas posé un pansement plus classique, sans les licornes. Le tatoueur s'est bien foutu de moi en le faisant. Mais après tout, je m'en fous. C'est toi et moi contre le reste du monde, Harper.

-    Je t'aime, Noah ! C'est le plus beau cadeau.

Je prends son poignet pour inspecter le tatouage une nouvelle fois mais je n'ai rien à dire, tout y est. Même les petits nuages qui décoraient le fond.

-    Mais ça dure comme un tatouage Malabar ?

Il explose de rire mais je ne comprends pas trop pourquoi. Je me mets à rire pour faire comme lui, attendant qu'il termine sa crise. Même quand il rit comme ça, il est beau.

-    Mais non, andouille. C'est pour toute la vie. Il ne s'effacera jamais.

Mes yeux verts s'écarquillent très grand — j'exagère un peu la grimace —, la bouche ouverte.

Toute la vie ?! Mais c'est énorme ! Enfin, il est déjà bien vieux et proche de mourir, mais quand je vois Henriette et Isaac qui sont encore plus vieux... Ça veut dire qu'il va avoir ce tatouage quand il sera tout fripé ?

-    Mais ça sera moche quand tu seras vieux !

-    Je m'en fiche, Harper. L'important, c'est que je t'ai sur ma peau. Si ça devient moche, je n'aurais qu'à me rappeler comme c'était beau. Bon, là je dois vraiment y aller ! À plus, sois sage mon ange.

Il me fait un bref bisou sur le front et se retourne pour partir. Je l'observe disparaître entre les caravanes, le cœur plus serré que jamais, sans qu'il ne se retourne.

Bientôt, je vais pouvoir tresser sa barbe quand je le veux.

***

Je n'oublie pas Maximus, que je mets dans mon sac d'école entre les cahiers et d'autres petites peluches. Il va être bien là, au chaud.

Je n'arrive pas à fermer ma valise, mais je demanderai à papa : de toute façon, il ne va pas tarder à arriver.

Toute la journée est passée d'une lenteur horrible, j'ai lu des livres d'astronomie et révisé les pas de danse de mon manuel. C'est très dur de tenir les poses de danseuses étoiles ! Je ne sais pas comment elles font, mais j'arrive presque à tenir la quatrième. Je m'entraîne tous les jours dans le dos de papa, pour faire un spectacle. Je préparerais des gâteaux au chocolat et le ferai devant Henriette, Isaac, et bien sûr Noah.

Toute ma famille.

Linda est passée brièvement à la maison — j'ai entendu ses pas chancelants —, mais n'est pas entrée dans ma chambre. Pendant ce temps là, je me suis cachée sous ma couette avec Maximus. Quand elle marche bizarrement, elle est super méchante et tire mes cheveux. Je crois qu'elle est jalouse, comme les autres enfants.

Cette fois, je reconnais au bruit que ce n'est pas Linda qui rentre mais papa. Youpi ! Ça veut dire que Noah ne va plus tarder à venir me chercher et que papa va pouvoir fermer ma valise !

Je me précipite vers la porte que j'ouvre doucement malgré tout pour m'engouffrer dans le petit couloir. Il n'y a pas un bruit, ce qui veut dire que papa n'a pas encore allumé la télévision : donc il n'est pas assis. C'est l'occasion !

-    Papa ? Je demande avec méfiance en m'approchant à pas de loup du salon.

J'arme mes baskets, au cas où qu'il soit de mauvaise humeur et que je doive courir. J'ai promis à Noah d'être sage, ce n'est pas pour finir dans le poulailler au dernier moment.

Je me risque à faire dépasser ma tête du couloir pour observer la cuisine. Personne. Je tourne ma tête dans l'autre sens, à gauche, pour observer le salon. Cette fois, papa y est, son crâne blanc dépassant des coussins crasseux. Mais à mon plus grand malheur, il est déjà dans son siège sans avoir allumé la télévision.

Zut ! Qui va fermer ma valise maintenant ? Je voulais être super prête pour que Noah soit fier de moi !

-    Kim ? Demande d'un coup papa de sa voix rocailleuse en tournant un peu la tête.

-    Oui ?

Il ne me répond pas. J'ai peur, car quand papa oublie de m'appeler Harper, c'est que c'est grave.

À l'époque, maman était tellement énervée que papa ne m'ait pas appelé Kimberley que tout le monde était obligé de m'appeler comme ça. Il n'y a que Noah qui m'appelait Harper. Il trouvait Kimberley naze comme nom, et il ne voulait pas que je finisse cheerleader. Je n'ai jamais compris mais il ne veut pas m'expliquer.

Alors quand papa oublie de m'appeler Harper, comme maman n'est plus là, c'est que je risque gros.

-    Approche.

Je me tais et exécute ses ordres la tête baissée. Il m'intime de venir plus près, en face de son siège, et je n'ai pas le choix. Je mords ma lèvre inférieure, nerveuse.

En plus, je fixe le sol car, de toute façon, je suis trop petite pour voir son visage à cause de son gros ventre.

-    Tu vas rester ici ce soir, tu peux défaire ta valise.

Je relève la tête d'un coup, observant son nombril qui dépasse de son t-shirt gris — à défaut de sa tête. Je ne comprends pas, Noah m'a dit que dans un an que viendrait avec lui. Ça fait un an ! Il est venu tout à l'heure avec ma valise pailletée et son beau tatouage. Je dois partir avec lui.

-    Hein ? Mais Noah va venir me chercher d'une minute à l'autre !

-    Idiote ! Personne ne viendra te chercher petite ingrate, crache mon père vers moi si bien que je dois essuyer ma joue. Tu resteras ici.

-    Mais pourquoi ?! Il m'a dit de me préparer ! Que tu ne peux rien faire !

Il se tait quelques instants, et je comprends que j'ai été trop loin.

Pitié, pas le poulailler, j'ai des vêtements propres aujourd'hui.

-    Demain, tu iras à l'école comme d'habitude. Tu rentreras et dormiras ici.

-    Mais pourquoi ? Je ne comprends pas, papa.

Il siffle doucement, signe de ne pas l'appeler comme ça. Il n'aime pas être mon papa alors que toutes les petites filles que je connais ont des papas qui les aiment.

-    Noah est mort, Kimberley. Il s'est pris une balle perdue tout à l'heure en travaillant. Un braquage qui a mal tourné, il parait. Il ne viendra plus te chercher. Vos idiots de Isaac et Henriette ne peuvent rien faire, ils ne sont pas de la famille. Tu vas donc rester au chaud avec Linda et moi.

J'ai l'impression que le monde autour de moi s'effondre, et encore plus quand Linda passe le pas de la porte d'entrée. Je ne veux même pas la regarder, je sais qu'elle a les yeux tout rouges et qu'elle va venir me tirer les cheveux.

Comment ça, Noah est mort ? Mort ça veut dire qu'on ne vient plus, non ? Je ne suis pas sûre de ce que ça signifie.

Noah me disait que quand quelqu'un meurt, il devient une étoile pour veiller sur nous. Mais il ne m'a jamais dit ce que ça veut dire.

Mais ça veut dire quoi à la fin ! Pourquoi mon cœur me fait mal comme ça ?

Quand la poule — Mia, je l'avais appelée — est « morte », elle était toute froide et rigide. Son ventre ne se levait plus et maman m'avait dit qu'elle est morte. Elle était énervée comme on ne pouvait pas la manger et je me suis pris une baffe pour « évacuer sa colère ». Ça faisait mal, la mort.

Ça veut dire que Noah est tout dur ? Son ventre ne se gonfle plus ? Mais est-ce qu'il a mal comme une claque ? Et son cœur, comment va son cœur ? Il m'aime, je suis sûre qu'il bat toujours pour moi. Il ne peut pas m'abandonner. Il m'avait promis.

Linda me tire de ma rêverie, m'attrapant par les cheveux pour me pousser en arrière avec une violence impressionnante. Je laisse couler des larmes silencieuses sur mes joues, ne sachant pas si j'ai mal à la tête ou au cœur, et me laisse traîner par la sorcière qui rit et me grogne dessus en même temps.

-    Ne pleure pas ! Tu vas tout mouiller, gueule ma belle-mère. Fais ce que ton père a dit, et passe un coup de serpillère dans la caravane, elle est dégueulasse !

Papa ne bouge même pas, se contentant d'allumer la télévision pour mettre un match de basket. J'entends simplement le crissement des baskets sur le parquet et le bruit du public qui observe l'action, quand c'est mon propre front qui finit par toucher le sol. Je cligne des yeux plusieurs fois pour chasser les étoiles qui dansent sous mes paupières, puis me relève difficilement.

Je suis intelligente, je suis intelligente. Je peux m'en sortir. Je suis intelligente, je peux le faire...

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