Chapitre 39
Hé là qui va là, inspecteur Gadget
Greyson — 34 ans
Prendre un ascenseur ne m'a jamais paru aussi long. J'ai quinze minutes devant moi avant que mon absence ne soit remarquée. Ou du moins, qu'elle ne devienne bizarre.
Pas envie que tout le monde pense que j'ai une turbo chiasse qui me cloue aux chiottes.
Quittant précipitamment la réception, j'ai abandonné Harper aux griffes de mes parents qui semblaient l'harceler de questions dont je n'en avais aucune idée. Plongé dans mes pensées, le regard de détresse qu'elle m'a lancée ne lui a rien valu, juste de quoi s'enfoncer encore plus.
Prétextant une envie pressante, le regard qu'elle m'a lancé était si noir malgré ses yeux clairs que j'ai eu peur pour ma vie pendant quelques secondes. Là encore, je redoute le moment de nos retrouvailles.
Si mes parents ne l'ont pas tué avant ça.
L'ascenseur ralentit avant d'ouvrir ses portes, me permettant de pénétrer dans la partie bureau de mon père. Comme à l'époque, un bureau de secrétaire vide est installé devant la porte qui mène à son repère, débordant de dossier colorés et de papiers volants en tout genre. Sa nouvelle bonne ne doit pas être quelqu'un de très organisée ou alors elle cache bien son jeu.
Constatant qu'il n'y a personne en vue dans l'étage, je m'avance pour ouvrir l'antre du diable avec mon double des clés. Celles-ci résistent un instant sous le tremblement de mes mains, mais il faut que je reste calme. Le personnel de l'hôtel a bien remarqué ma venue. Si j'ai prétexté avoir oublié quelque chose dans ma suite, il ne faudra pas moins de trois secondes pour que mon mensonge tombe à l'eau si quelqu'un décide de s'aventurer ici.
Quand le clic de la serrure retentit, je souffle enfin et m'engouffre dans ce bureau froid que je hais, fermant à clé derrière moi — au cas où. J'allume la lumière à cause de la nuit qui tombe, mais rien n'a changé. Comme à l'entrée, tout semble figé dans le temps. Pas une seule chose qui dépasse ou ne semble pas à sa place. Rien.
Je regarde rapidement l'heure à ma montre et il me reste encore la moitié de mon temps, si je déborde, je dirai que j'ai eu un coup de fil urgent de Mia, ma chargée d'administration, ou alors de Gareth qui tient le Milady's ce soir.
Je commence par fouiller le gros bureau en chêne sombre, le parcours rapidement du regard puis cherche dans les tiroirs quelconque feuille ressemblant de près ou de loin à un contrat. Mais rien ne s'y trouve hormis des centaines d'agrafes et des dizaines de scotch colorés que je remets parfaitement à sa place.
Sur le bureau en lui-même, rien. Juste deux stylos qui coûtent plusieurs milliers de dollars, une lampe qui ressemble à celle d'un générique de dessin animé et quelques enveloppes vides.
Sur ma droite et ma gauche, la partie la plus dure me guette. Les deux gigantesques bibliothèques remplis de livres et de dossier me regardent l'air de dire « mon con, t'en a au moins pour 3 heures ». Et elles ont raison.
Si je me mets à tout fouiller, dossier par dossier, j'en ai pour des heures voire des jours. Si je survole à la va vite, je vais aussi louper des informations. Dans tous les cas, aucune option ne me semble être la meilleure. C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin... mais sans savoir à quoi ressemble l'aiguille ni si je suis en train de chercher dans la bonne botte. Bonne botte, c'est drôle à penser ça.
Putain Grey, concentre-toi !
Si je n'ai pas le temps de fouiller, alors il faut que je pense comme mon père, comme Liam Myers. Que ferais un homme riche, sûrement malveillant quant à sa concurrence, qui devrait planquer des contrats chelous dont personne ne sait rien ?
Dans un film, tout sera serait caché sous une latte de parquet, or ici c'est impossible, tout est imprimé. Cela pourrait être aussi dans le faux plafond, mais je vois mal mon père se mettre sur sa chaise à roues pour attraper une boite cachée dans le faux plafond, sachant qu'il faut réussir à le remettre après. Trop long pour ça.
Dans les livres, ce genre de choses seraient cachés dans une pièce secrète, à l'écart de tous. Or ici, c'est un hôtel, impossible de cacher une pièce. Surtout pas au dernier étage.
Il ne me reste qu'une option, et c'est peut-être la plus probable.
Je commence à regarder de loin les livres disposés entre les dossiers, mais aucun de semble bizarre. Je m'approche pour inspecter les titres, une démarcation, une éraflure, quoi que se soit qui pourrait trahir la présence d'une boite et non d'un ouvrage, mais rien ne ressort.
C'est forcément là.
Je prends un livre au pif, mais constate que les pages sont intactes. Je le repose méticuleusement à sa place, rageant de l'intérieur. Dans un film, le mec à ma place serait tombé directement sur le bon livre !
Je décide de m'assoir dans le grand siège pour rassembler mes pensées et prendre du recul. On est loin d'être dans un film, et je viens déjà de dépasser les quinze minutes que je m'étais fixé. Si je ne pars pas dans cinq petites minutes, je devrais abandonner et retenter ma chance une prochaine fois.
Je m'affale dans le siège noir, pinçant la peau entre les deux yeux de mes doigts.
Réfléchit putain !
Mais comme par magie — oui, oui, par magie —, mon pied percute quelque chose sur le sol, sous le bureau. Je me redresse d'un coup, remerciant l'univers d'avoir écouté ma prière, mais ma déception est trop grande quand je récupère l'objet et qu'il ne s'agit qu'une petite statuette de voyage, sûrement offerte à mon père par ma mère. L'objet est si ridicule qu'il tient dans ma paume de main sans problème, mais pèse quand même son poids. Je le sous pèse en observant de plus près les traits du personnage représentant un batelier et sa gondole, concentré dans sa tache, observant au loin sa prochaine prise. Ses cheveux noirs peints à la main se fondent dans son drôle de chapeau et sa marinière noire et blanche, cliché ultime de ce travail.
Soudain, mon esprit se réveille. Venise est de loin la ville la plus belle selon les critères de ma mère, native d'Italie où sa famille réside encore. Si mon père s'est marié avec elle, il a dû accepter sa culture, ses coutumes, ses valeurs.
Mon père aime le voyage, mon père aime visiter le monde comme ma mère. Mais surtout, mon père aime ma mère de tout son cœur, je ne remettrais jamais ça en question.
Je me lève d'un bon, regarde rapidement l'heure à ma montre, puis me plonge dans les bibliothèques, épiant chaque titre un par un.
À la moitié de ma quête, mon cœur commence à tambouriner dans ma poitrine tant l'adrénaline est forte. Si quelqu'un débarque maintenant, il faut que je me prépare à pondre une excuse de merde.
Et soudain, il est là. Devant moi, le roman tient fièrement, brillant par son titre doré sur la tranche. Quand je le saisis, pas de doute. Déjà, Le Mépris de Moravia est bien trop fin pour être dans une édition si massive que je tiens là. De plus, un roman ne fait pas ce poids là.
Je me dépêche de le poser sur le bureau, fier de m'être souvenu du roman préféré de ma mère. Si je ne suis pas trop nul, en l'ouvrant... Bingo !
Le livre est en fait une sorte de boite, où les pages ont été coupées pour pouvoir glisser des choses en son milieu. Dedans, une cinquantaine d'enveloppes parfaitement rangées côte à côte trônent avec fierté.
J'en regarde une, puis deux, puis constate que tout est rangé dans un ordre de date. Je cherche très rapidement 2 ans en avant et là, dans mes mains, je trouve une lettre à la date de mort de Kabir. Juste une date est inscrite sur l'enveloppe, rien de plus.
Comme elle n'est pas scellée, j'en sors les papiers et trouve non pas un, mais deux contrats. Pas le temps de les lire, je les prends en photo avec mon téléphone, puis les range proprement dans leur étui de papier.
Je les replace au bon endroit, puis soudain, quelque chose me titille. Maintenant que j'ai ça entre mes mains, pourquoi ne pas chercher plus ? Avec un peu de chance, peut-être qu'il y a quelque chose sur Noah, le frère d'Harper.
Pas plus convaincu que ça, je cherche une enveloppe qui date de quelques années, à plus ou moins une période comme je ne me souviens plus de la date exacte. À mon grand étonnement, je mets la main sur une vieille enveloppe de la même année, mais où aucune date précise n'est écrite.
Je décide quand même de prendre le document qu'elle contient en photo, au-cas-où elle contienne quelque chose d'intéressant quand nous rentrerons et que nous les liront.
Je range tout proprement, replace l'exemplaire du livre favori de ma mère à sa place et vérifie que je n'ai laissé aucune trace. Prudent, je rouvre la porte du bureau, passe ma tête à l'extérieur pour constater que personne n'est présent.
La chance me sourit.
Je referme vite le bureau, me précipite dans l'ascenseur. Une fois que je serais dedans, tout ira bien.
Une minute passe avant que je n'entende le bruit distinctif de l'engin et de la porte qui s'ouvre.
Le cœur battant, je ferme les yeux très forts en priant n'importe quoi pour que l'ascenseur soit vide. Et quand je les réouvre, le doux bruit de la musique m'accueille, sans personne pour me barrer le chemin.
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