Chapitre 38
Bouffées de chaleur sous les citrouilles
Harper — 20 ans
Dans la grande salle de bal du bâtiment luxueux, la musique n'est pas trop forte. Il n'y a pas de rock ou de valse sensuelle, mais juste un orchestre classique qui joue doucement dans un coin. Il n'y a pas de femme à moitié nues qui dansent pour attirer les clients je ne sais où, ou de scènes permettant de mettre en avant des shows spectaculaires. Les gens ne portent pas de masques pour dissimuler leur identité, ne se lèchent pas les lèvres à la vue d'une femme, ne font tout simplement pas d'actes déplacés.
Aucunes tables pour s'assoir, aucun bar éclairé par des néons grésillants. Juste des serveurs avec un nœud papillon noir, zigzaguant entre les personnes pour proposer une coupe ou un petit four.
Greyson avait raison.
La hauteur sous plafond vertigineuse de la salle me donne des frissons, tandis que les personnes invitées m'angoissent. L'or et l'argent des bijoux me pique les yeux quand le léger brouhaha de la salle me brise les tympans.
Pas de tenues « normales », pas de jean ou de jupe courte, juste les tenues de tapis rouge. Juste le luxe. Partout.
Mon bras sous celui de Greyson, il me tire légèrement à droite pour que nous allions saluer nos hôtes, et donner un chèque bien remplit dans l'urne prévu à cet effet. Maryse Tumlin reste près de celle-ci, sa robe jaune pétante lui donnant un teint nauséeux. Bien sûr, je retiens ce commentaire en la saluant.
- Greyson, Harper, dit-elle en souriant de toutes ses dents. Je suis heureuse que vous aillez pu venir. Tes parents doivent être heureux que tu reviennes enfin à New-York, Greyson.
- Oui, sûrement.
Il lui rend son sourire tout en mettant l'enveloppe blanche dans l'urne. Son mouvement est suivi à la trace par la femme, comme un serpent guettant sa proie. Elle me fait froid dans le dos cette vieille femme tout compte fait.
- Merci pour votre don, elle continue et regardant déjà d'autres invités derrière nous. On se voit tout à l'heure, en attendant, profitez des petits fours, ils sont exquis !
- Je n'en doute pas, merci encore Maryse.
Greyson m'entraîne encore loin de cette femme, dans un endroit un peu moins bondé.
- Souffle maintenant, il me dit en le faisant, parce que là, on se lance dans la guerre, la vraie. J'ai aperçu les cheveux de mon père, et une centaine de regards curieux qui ont hâte de découvrir l'heureuse élue de mon cœur. Je t'adore, mais là on va devoir faire une sacrée performance.
Je risque un coup d'œil discret autour de nous, et effectivement, il a raison. Si mes yeux étaient braqués sur Maryse et son mari envolé, les yeux de tout le monde étaient braqués sur nous. Et ils le sont encore. Des dizaines de regards en coin observent nos mouvements, chuchotent à notre vue, m'observent de haut en bas sans vergogne. Tout pour me déplaire.
- Ok, je te crois. Mais là, il faut que tu fasses quelque chose, je dis la mâchoire serrée. On nous regarde, j'en ai marre qu'on me regarde de haut en bas. J'ai toujours été complexée par mes doigts de pieds, je suis sûre qu'ils peuvent les voir avec leurs yeux lasers.
Un sourire plus tard, Greyson m'attrape et me fait basculer en arrière. Je me retrouve soutenue par ses bras, face à son visage, le corps horizontal au sol. Je me rattrape au cou de Grey, l'adrénaline pulsant dans mes veines et faisant chauffer mes joues. Quelques chuchotements se font plus forts, observant notre jeu nullement drôle.
- Qu'est-ce que tu fais ? Je demande en manquant de paniquer tant être le centre de l'attention de cette façon me gêne.
Tenant fermement ma taille, il ne me remonte pas pour autant.
- Tu m'as dit de faire quelque chose, je le fais.
- Mais pas comme ça idiot ! Maintenant vraiment tout le monde nous regarde.
Il me sourit, révélant sa fossette malgré sa barbe, pose un rapide baiser sur mes lèvres, puis me relève aussitôt en m'attirant à lui. Plus honteuse que jamais, j'en profite pour me blottir contre lui et oublier quelques instants tout ça.
- Je te déteste, je dis tout bas pour que lui seul m'entende.
- Comment vont tes doigts de pieds ? Il me répond.
- Greyson ! S'exclame une voix féminine qui se rapproche de nous.
Je m'écarte d'un bon de Grey, le forçant à me lâcher. Je recoiffe rapidement mes cheveux en espérant qu'ils ne soient pas ébouriffés, lisse mon énorme robe pour finir par saluer la mère de Greyson qui s'avance, heureuse.
- Je vois que vous aimez les ragots, déclare l'homme à son bras qui n'est autre que Liam.
Je vais tuer Grey. Mais après la soirée.
- Et oui, c'est ça l'amour, déclare mon fiancé tout sourire. Il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard pour prouver son amour, non ?
- Tu as tout à fait raison mon chéri, déclare sa mère en venant l'enlacer.
Aujourd'hui, elle porte toujours son chignon mais plus haut, moins strict, mais a troqué sa robe dorée pour une robe bleu électrique, toujours modèle sirène qui lui colle à la peau. Son maquillage plus simple la met en valeur, dissimulant ses légères rides avec naturel. Quant à Liam, son costume est exactement le même que Grey, à l'exception que sort de sa poche un foulard bleu assorti à sa femme, tandis que Greyson a assorti le sien à ma robe.
Son père me toise de haut en bas, comme à son habitude, mais son air hautain et suffisant à disparu. Aurais-je réussi à dompter le padre ?
- Harper, ma chérie, tu es formidable, affirme Emily en prenant mes deux mains dans les siennes.
Elle les lève doucement pour mieux observer ma robe à vomir, mais semble satisfaite. Je la remercie à mi-voix et la complimente à mon tour.
- Les enfants, vous avez été saluer Maryse Tumlin quand même ? Demande d'un coup Emily avec inquiétude.
- Évidemment, nous ne sommes pas sauvages, répond Greyson avec lassitude. Je n'ai pas oublié ce qui est convenable. Ce n'est pas parce que je ne fréquente plus ces soirées que je ne sais pas me tenir.
- Greyson, parle mieux à ta mère tu veux bien, gronde son père en prenant sa femme par la taille. Elle voulait juste te rendre service, ne soit pas grossier.
- Excusez-moi.
Par esprit de compétition, ou de contradiction, Grey imite son père en me prenant par la taille. Ma robe est si volumineuse que c'est à peine si je sens ses doigts toucher mon corps. Son regard bleu est si sombre qu'il me fait presque peur.
Je crois que j'ai loupé quelque chose moi.
- Bon, je m'exclame pour détendre l'atmosphère, allons boire quelque chose, non ?
Comme si elle avait lu dans mon esprit, Emily renchérit à ma proposition.
- Bien sûr ! Je meurs de soif, pas toi chéri ?
- Si, si, marmonne Liam en posant un baiser sur la tempe de sa femme. Allons-y.
Le couple passe devant nous, mais nous les suivons de près dans la foule. Dans cette marée humaine, les gens se tournent sur notre passage, chuchotent comme tout à l'heure, touchent parfois ma robe discrètement. J'ai l'impression d'être une bête de foire.
Greyson semble se rendre compte de ma détresse et lance un regard noir à l'homme qui a osé toucher mon vêtement. Celui-ci se confond en excuse entre deux bégaiements.
- J'en parlerai à mon père, me dit-il tout bas. Il fera ce qu'il faut.
- Je ne veux pas ça, je déclare sèchement sur le même ton. Oublie, et laisse cet homme. C'est un idiot, il ne mérite pas notre intérêt.
Quand nous trouvons enfin un serveur en capacité de nous servir, nous nous arrêtons à cet endroit pour discuter. On me tend une coupe de champagne et je remercie celui qui me la tend. Zut, encore du champagne.
- Nous n'avons pas réellement pris le temps de discuter, commence Emily après avoir bu une gorgée de liquide dorée. Je veux dire, à l'anniversaire de mon fils.
Je comprends qu'elle me parle donc mon attention se reporte sur ses yeux vairons et non sur la coupe de champagne qui pique mon nez.
- Vous avez raison, je dis à la hâte. Enfin, nous avons parlé mais pas beaucoup.
Pourtant ton époux a bien pris le temps de me faire chier.
- Vous avez quel âge ? Elle commence directement sous les yeux doux de son mari.
Tout compte fait, je préfère replonger dans mon champagne. Je me mors la lèvre, tentant désespérément d'appeler au secours Greyson qui semble plus concentré sur ce qu'il se passe à côté de nous que sur la conversation.
- Hum, je suis assez jeune, j'avoue doucement en donnant un coup de hanche discret à Grey.
Celui-ci émerge de sa rêverie en disant des « hein, quoi ? » puis me lance un regard interrogatif auquel je ne peux pas répondre.
- C'est-à-dire ? Insiste la femme en papillonnant des yeux.
Liam reporte toute son attention sur moi, scrutant mes réactions au millimètre près.
Je ne vais pas survivre à cette soirée, c'est définitif.
Ne sachant pas de quoi nous parlons, Greyson saisit cette opportunité pour m'abandonnant, prétextant une envie pressante. Le salaud ! Je lui demande de m'aider et il s'enfuie comme ça, me laissant seule avec ses requins de parents !
- Harper ? Me questionne Liam. Vous êtes avec nous ?
- Oui, excusez-moi j'ai un peu chaud ce soir. C'est fou que la clim ne fonctionne pas ! On se croirait sur Mercure.
- Nous sommes en octobre, Harper, réplique la blonde. Vous n'êtes pas malade ?
- Non, non, j'ai juste un peu chaud. Ça doit être la robe, et l'avion. Oui, l'avion.
- Très bien, dites-nous si vous vous sentez trop mal dans la soirée, nous vous ferons raccompagner.
- Merci, c'est gentil.
J'avale l'entièreté de ma coupe d'une traite, persuadé que je ne vais pas m'en sortir si facilement. Presque devin, car Emily revient à l'assaut à peine quelques secondes plus tard, un air à la fois étonné, dégouté et complaisant.
- Donc, quel âge avez-vous ? Il faudra bien faire la conversation le temps que Greyson revienne des commodités.
Je me retiens de pouffer au mot commodité, mais me reprend en maudissant déjà le champagne. Décidément, cette boisson est ma kryptonite.
- J'ai 20 ans, je lâche en soupirant.
Emily hoquète de surprise, son mari me regarde avec de grands yeux de chouette, et je suis presque sûre d'avoir entendu une interjection d'une femme écoutant sûrement notre conversation.
- Mais Greyson en a 34, m'annonce Liam comme si je ne le savais pas.
- Je sais, mais si nous sommes heureux, c'est le principal, non ?
Je regarde l'un puis l'autre, mais Emily semble au bord de l'évanouissement. Son visage bronzé est pâle, elle ne me regarde plus dans les yeux.
- Excusez-moi, déclare-t-elle en posant une main sur l'avant-bras de son époux, je dois manger quelque chose. Vous avez raison, il fait chaud dans cet endroit.
« Nous sommes en octobre, Emily. »
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