Chapitre 35
Pipi culotte
Harper — 20 ans
- Je reviens, déclare Greyson au creux de mon oreille. C'est le moment parfait pour amadouer notre très cher miss Maryse. Soit sage.
Et il pose simplement un baiser sur mon front, avant de s'éclipser en disparaissant à travers la foule.
Seule près du bar remplit de coupes pleines, je sirote un verre de champagne beaucoup trop fort que je sens monter directement au cerveau, mais tant pis. Je préfère noyer mon anxiété dans une bouteille plutôt que dans la danse qui est d'habitude mon exutoire.
Depuis ce qui me semble des heures maintenant, nous avons joué au parfait petit couple. Se tenant la main, s'offrant des baisers à tout va, esquissant de discrètes intentions l'un pour l'autre. Absolument tout le monde est tombé dans le panneau, au point que certains prévoient déjà de venir à notre mariage, de nous offrir tel ou tel cadeau de luxe pour nous féliciter ou tel vêtement pour notre futur enfant. Une femme a même tenté de me toucher le ventre pour vérifier que je ne sois pas enceinte ! Bien évidemment, Greyson l'a recalée avec classe et délicatesse, rien qui ne puisse la brusquer ou nous la mettre à dos. Ici, chaque personne peut s'avérer utile un jour ou l'autre.
Dans ce monde qui n'est pas le mien, Greyson semble comme un poisson dans l'eau, et moi une ancre qui coule dans un abysse infini. Toutes ces femmes distinguées qui tiennent leur coupe de champagne d'une certaine manière, ces hommes qui parlent comme s'ils étaient sortis d'une autre époque, ces enfants qui semblent déjà adultes... Grey qui est si différent que celui que je connais.
Autant nous commençons à connaitre de nombreuses facettes de lui, celle-ci ne fait pas exception. Mais le voir dans le feu de l'action me fait froid dans le dos. Comment peut-on être tant superficiel et hypocrite ? Avoir chaque geste réfléchit, tout le temps une oreille attentive sur ce qu'il se passe, toujours une bouche qui parle pour ne rien dire d'intéressant.
Je déteste être ici.
Alors que je vois un couple s'approcher de moi comme des requins, une voix dans mon dos me fait sursauter.
- Toutes mes félicitations ma belle, s'exclame une voix grave que je connais.
Je me retourne et souris à John qui s'avance pour me prendre dans ses bras, suivit de près par une Courtney aux bras croisés sur sa poitrine, qui ne semble pas ravie. Je rends rapidement son étreinte en murmurant un bref merci trop peu sincère, avant que nous ne nous concentrions sur mon amie.
Ses cheveux bruns presque noirs sont si bien coiffés qu'elle a cet air strict au visage, me faisant légèrement culpabiliser de lui mentir ainsi.
- Félicitations, je suppose, dit-elle en articulant chaque syllabe avec difficulté. Tu sais ce que je pense de tout ça, mais tu m'avais prévenue donc je ne peux qu'être heureuse pour toi.
Quelque chose dans son attitude me dit qu'elle sait tout. Qu'elle se doute de la vérité, que tout ça n'est qu'une vulgaire mascarade qui me ridiculise plus qu'elle ne me valorise. J'aimerais tellement tout lui expliquer, mais lui raconter notre démarche à Grey et moi pourrait mettre en péril nos plans. Il faut que tout le monde y croie.
- J'aurais aimé te le dire plus tôt, je renchéris en lui souriant, mais c'est arrivé comme ça. On verra bien ce que le temps nous offrira.
- J'étais assez surpris, m'avoue John en passant une main dans sa tignasse blonde. Toi et Greyson... Aussi inattendu que Gareth et Eden qui sont sûrement en train de se rouler des pelles quelque part.
Maintenant qu'il me le fait remarquer, c'est vrai que je n'ai même pas aperçu Gareth ni vu Eden depuis quelque temps.
- On ne contrôle pas l'amour, j'essaye de le convaincre même si ces mots me retournent l'estomac. J'aurais aimé que tout se passe autrement, par contre. Être exposée comme ça... Ici... C'est assez impressionnant.
- Tu m'étonnes ! T'as vu le nombre de gens friqués... L'année dernière, il me semble qu'il y avait moins de monde.
- L'année dernière, il avait surtout fait deux fêtes bien distinctes, intervient Courtney en prenant la main de son mari. Je ne sais pas pourquoi il a réuni tous ses univers cette année, mais quelque chose me dit qu'il avait prévu une chose.
Son regard se pose sur moi et je rougis instantanément. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que rien n'était prévu. J'ignore pourquoi Grey nous a tous réunis, mais ce que je sais en tout cas, c'est qu'il n'avait pas prévu d'annoncer nos fiançailles.
J'omets ce détail exprès, et laisse mes amis débattre sur les raisons de mon « fiancé ». Pendant ce temps, je balaye tout le monde du regard pour être sûr que personne n'attend pour venir me parler seul à seul, mais je tombe directement sur une barbe poivre et sel. Quand je remonte le regard, ses yeux bruns rencontrent les miens, et un hoquet de surprise m'échappe. Celui-ci se fait plus insistant, presque menaçant même si mon imagination doit me jouer des tours.
Un rapide mouvement de tête de sa part me fait comprendre qu'il attend que je vienne à lui. Mon cœur se met à battre plus vite, mes mains tremblent.
Courtney semble voir ma détresse, car je l'entends m'appeler dans le lointain de mon esprit.
- Harper ? Tout va bien ?
- Oui, je réponds trop vite. Je veux dire, le père de Greyson semble vouloir me parler.
Je lui désigne discrètement l'homme au milieu de la foule, discutant avec un autre monsieur que je ne connais pas. Ses sourcils se froncent, mais elle ne dit rien.
- Il fait un peu peur, déclare John qui a suivit le regard de sa femme. Tu devrais y aller, je ne veux pas finir en petits morceaux.
- Qui te dit qu'il tue des gens ? Demande mon amie.
- Tu l'as vu ? Il fait peur, il a du fric, tout est réunit pour qu'il soit un tueur. Ou qu'il embauche des gens pour faire le sale boulot à sa place. Tout ce que je dis, c'est fait gaffe, Harper. Un mec qui ressemble trait pour trait à Negan dans The Walking Dead, ça attire que la merde.
- Qui ça ? Demande Courtney.
John soupire avant de se lancer dans une explication de série ou je ne sais pas trop quoi. Mon esprit ne suit plus, n'arrive plus à rien tant que ces yeux sont braqués sur moi, me faisant suer à grosses gouttes.
Je m'entends à peine dire à plus tard à mes amis, mes jambes me guident à Liam en tremblant. J'essaye de me ressaisir, de paraître sûre de moi comme je sais si bien le faire. Mais quelque chose dans mon attitude me donne la certitude qu'il me perce à jour. Comme Greyson — non, pire que lui — j'ai l'impression qu'il connait la moindre chose de ma vie, qu'il tient un dossier bien complet sur mes moindres faits et gestes. Pourtant, j'arrive à ressentir une sorte d'intrigue pour lui, comme si moi aussi, je pouvais plus facilement que je le pense le percer à jour.
- Harper, il me salue. Comment allez-vous ? La soirée se passe bien ?
- Merveilleusement bien, je dis rapidement en lui souriant de toutes mes dents. Et vous, le champagne est à votre goût ? On a mis quelques heures à trouver cette pépite. Parfois, le plus simple est ce qu'il y a de meilleur.
- Je dois dire que je suis impressionné des talents d'œnologue de mon fils. Même si je ne doute pas que vous l'avez très fortement aidé.
Son visage semble tellement faux que tenir un rôle devant lui devient de plus en plus simple. Je suis à la fois tiraillée entre l'envie de jouer le jeu à fond pour le faire tourner en bourrique, et l'envie de tout avouer pour ne plus vivre ce mensonge. Jouer un rôle a beau être mon quotidien, jouer à ça avec un homme aussi puissant que Liam Myers est voué à l'échec.
Mais je suis persuadée que je peux réussir. Si Greyson croit que j'en suis capable, quelque chose me dit que c'est le cas.
- Donc vous tenez une chaîne de café ? Reprend-t-il en buvant une gorgée de je ne sais quoi. Je vous avoue que votre visage me dit quelque chose.
Et merde, c'est exactement le genre de chose qui peut me faire couler en un rien de temps. Il va falloir déployer mes bottes secrètes d'actrice inexistante. Je le dois à Noah. Après tout, si je fais tout ça, c'est pour lui.
- C'est exactement ça, je cherche à revendre mes parts. Vous savez, c'est le genre d'établissement à risque. Maintenant que ça fonctionne, je veux tourner la page pour ne rien perdre de ce que je viens de gagner.
- Plutôt bonne stratégie, il approuve en hochant la tête. Mais qu'allez-vous faire après ? Si vous ne tenez que ça et que vous vendez, vous aurez beau avoir de l'argent, l'ennui arrive vite.
- Vous avez raison, nous avons quelques projets avec Greyson qui m'occuperont.
- Ah oui ? Mon fils ne m'en a pas parlé. Quels sont-ils ? Ça m'intéresse un petit peu, étant donné que je l'ai aidé dans sa réussite quand il n'avait que pour lui mon nom.
Encore un problème. Comment je fais pour me mettre dans des merdes pareilles ? Autant revendre mes soi-disant cafés dans le but de gagner la masse de thune, ça passe. Enfin, j'aurais fait ça si jamais j'étais de ce cas. C'est ce que j'ai pu entendre à la télévision, quand ça marche, on revend avant que ça ne s'écroule.
Par contre, la suite m'a échappé. Que ferait Grey ? Il détient déjà sa société, plusieurs clubs et sûrement de nombreux biens dont je ne connais pas l'existence. Si j'étais lui, quel serait la suite ?
Je réfléchis rapidement, mon cerveau tournant à vitesse grand V. Sous mon hésitation, Liam penche la tête, un léger sourire au coin des lèvres. S'il pense que je suis cuite, il peut rêver ! Je ne vais pas me faire avoir si facilement.
- Désolé, je faisais le pour et le contre dans ma tête, je déclare en riant bêtement. Enfin, je ne sais pas si Greyson voulait vous en parler donc j'ai eu besoin de réfléchir. Nous voulons exporter les Milady's au-delà des Etats-Unis. Soit à l'international, j'appuie pour être clair.
Un vrai sourire se dessine sur son visage et je dois me concentrer pour ne pas être surprise. C'est la première fois qu'il semble sincère, ça fait encore plus peur en fait.
- Enfin ! Après deux ans, il a fallu qu'il trouve l'amour pour relancer ses projets. Je ne pensais pas que la mort de Kabir Ray l'affecterait au point de repousser tous ses projets. Où comptez-vous ouvrir un club ?
Sa soudaine sympathie me perturbe. Comme un enfant, il semble surexcité par ma nouvelle, comme s'il avait tout intérêt à s'y intéresser. Intérieurement, je prie pour que Grey ne m'en veuille pas. J'espère qu'il comprendra que je n'avais pas le choix d'inventer quelque chose d'aussi gros.
- Nous ne savons pas encore, je tente de me rattraper. Le sujet est en cours de discussion. Vous comprenez, c'est si important pour lui...
- Bien-sûr, je suis heureux ! Depuis le temps, ça me fait plaisir qu'il ait tourné la page et fait son deuil.
- Oui... Sûrement.
En tout cas, la mort de Kabir ne l'a pas du tout affecté ! Je me doute qu'il n'était pas proche de l'ami de son fils, mais il réagit quand même très exagérément. Chacun vit son deuil différemment, brusquer ce genre d'étape peut marquer profondément. Maintenant que je vois une partie du vrai Liam Myers, savoir qu'il a trainé son fils dans les médias juste après la mort de son meilleur ami ne m'étonne même pas. Combien de temps Grey a-t-il repoussé cette étape ? Combien de temps l'a-t-on forcé à ne pas pleurer son ami comme il se doit ?
- Excusez-moi, m'interrompt Liam en prenant ma main dans la sienne. Un ami semble vouloir me parler, si vous voulez bien m'excuser. Nous nous reverrons très prochainement de toute façon, il déclare en baisant ma main avec délicatesse.
- Bien sûr, je n'en doute pas, je bégaye en ne sachant pas quoi faire.
Quand il la lâche, je récupère ma main aussitôt pour la serrer contre moi. Je sens encore l'endroit où ses lèvres ont touché ma peau. Une soudaine envie de me les laver en les frottant à l'acide me prend. Mais comme sauvée par le destin, Greyson émerge de la foule. Son visage inquiet ne me rassure pas du tout.
- Grey ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Je demande en le rejoignant vite.
- Rien de grave mais je dois trouver un avion pour la France, Eden et Gareth ont un problème. Enfin j'en sais rien fait, Gareth m'a rien dit. J'ai juste entendu Eden pleurer et marmonner quelque chose à propos de sa mère.
- Mince, il est peut-être arrivé quelque chose à Stéphanie. Ils sont où ?
- Gareth arrive je crois, je ne sais pas où ils étaient mais il semblait sonné, lui aussi. Je n'aime pas le savoir dans cet état. Mais il a de la chance, on est au milieu de personnes importantes. Je vais bien trouver un gérant d'aéroport.
Sur ses paroles, il dépose un bref baiser sur mes lèvres, réchauffant un petit peu mon cœur. Même s'il s'éloigne aussitôt, je ne sais pas pourquoi mais ce bref contact me redonne du courage.
Je suis sûre que j'ai fais le bon choix. Quand tout sera plus calme, je lui expliquerai ce que son père croit savoir.
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