Chapitre 29

Petits secrets entre voisins, le retour.

Greyson — 33 ans

Malgré la musique à fond dans le club et le monde qui grouille de partout, je prends le temps d'aller à l'entrée où Michael filtre les allers-retours du club. L'anniversaire de Courtney provoque toujours une marée humaine dans l'établissement, pas pour me déplaire.

- Tu as vu Natsuho ? Je demande à Michael qui contrôle la carte d'identité d'une jeune femme aux cheveux bleus. Elle a les cheveux roses — normalement —, elle est japonaise et assez grande, fine, insupportable.

- Non je ne crois pas, mais vu la description que tu en fais, elle me fait aussi peur qu'Harper et Courtney, me dit le grand blond sans sourire pour autant.

Je m'écarte pour laisser passer la jeune fille bleue et jette un coup d'œil dans la queue qui s'est formée, pas de Natsu en vue. À cause de problème de vol d'avion, ma community manager n'a pu faire le déplacement jusqu'ici qu'une semaine après son appel. La semaine la plus longue de ma vie, je dois dire.

Entre le week-end dernier où Harper et Gareth m'ont remis à ma place, j'ai essayé de prendre un peu de recul en me concentrant uniquement sur le décès de Noah. Enquêter sur Kabir m'épuise tellement mentalement qu'essayer de ne pas y penser pendant une semaine m'a fait plutôt du bien, je le reconnais. Ce que Natsu doit me dire m'a quand même trotté dans la tête plus d'une fois, mais j'ai chassé ces pensées angoissantes en allant courir ou en faisant un peu d'administratif, histoire d'être à fond concentré sur autre chose.

Harper n'a pas cherché à en apprendre plus sur mon enquête après que je lui ai annoncé la venue de Natsu. Comme moi, elle sait pertinemment que ça ne sert à rien de chercher dans le vide, autant attendre de savoir si nous avons une piste.

Et en réalité, je m'en veux aussi un peu pour l'autre soir.

Je ne lui ai pas encore dit, mais j'ai réussi à trouver l'endroit où travaillait son frère le jour de sa mort grâce à quelques contacts qui me devaient une faveur. Sur Google Maps, la vieille station service ressemble presque à une ruine, si bien que ça ne m'étonne même pas que les braquages soient fréquents. J'ai cherché des articles de journaux relatant un mort dans cet endroit, mais pas un seul ne relatait la mort de Noah.

Faire des articles disant que j'ai été aperçu au bras d'une femme, c'est ok, mais en faire un seul sur la mort d'un jeune garçon qui s'est pris une balle perdue, à ça non !

Au loin, je reconnais une tête rose pétante qui se rapproche de nous, une grosse valise qu'elle traine derrière elle. Je souris tout seul, heureux de la voir, même si elle ne nous voit pas encore. Je descends de la marche à l'entrée du Milady pour rejoindre mon amie qui porte un casque aux oreilles de chat. En m'apercevant, elle le baisse autour de son cou, et lâche sa valise pour ouvrir les bras. Quand je suis assez proche, je la prends dans les miens, et nous restons quelques minutes enlacés l'un contre l'autre. C'est la première à rompre notre contact en s'écartant légèrement pour me faire face.

- J'ai l'impression que ça fait une éternité ! Elle me dit en dévoilant ses dents remplies de strass.

- Ça fait seulement trois mois, je lui dis en rendant son sourire.

- C'est beaucoup trop trois mois, tu n'es pas un bon patron !

Je ris et m'écarte totalement d'elle pour prendre sa valise. Pas étonné le moins du monde, elle pèse une centaine de kilos.

Comme Natsu vient juste d'arriver, elle dormira chez moi le temps qu'elle reparte lundi. Les deux petits jours en sa compagnie ne me feront pas de mal, bien au contraire.

Je lui fais signe de me suivre, et nous pénétrons dans la Milady en passant devant tout le monde. Je lui dis de rester près de moi pour ne pas qu'elle me perde dans la foule, bien qu'elle connaisse le club aussi bien que moi. Nous émergeons dans le couloir qui mène à mon bureau, et tout de suite l'air se fait plus respirable et la chaleur diminue. Dans mon bureau, je pose ses affaires dans un coin et elle s'étire de tout son long.

- Quelle idée de mettre mon bureau si loin d'ici ! Elle s'exclame en retirant son casque qu'elle range dans un sac à dos que je n'avais pas vu. Ou alors le tien si loin du siège!

- Tu as un bureau dans chaque club, juste pas celui-ci parce qu'il n'y a pas de place, je réponds en riant doucement. Arrête de te plaindre, ça ne te va pas au teint.

- Oh là là, j'en connais un qui va se réveiller avec du marqueur sur la gueule demain matin !

- Fais ça et ma vengeance sera terrible !

- Excuse-moi, monsieur j'ai bientôt 34 ans !

Je grimace à sa pique en pensant à mon anniversaire dans une semaine tout pile. Mon père m'a forcé à inviter une grande partie des fréquentations de la famille, dont ma mère et lui. Comment dire que cette fête ne sera pas la plus fun que j'ai connue.

- Tu seras là ? Je demande avec espoir même si je connais déjà la réponse.

- Je suis désolé, Grey... Mais tu sais que c'est le mariage de ma cousine. Si je ne retourne pas direct au Japon, mes parents vont me marier de force ! Tu verrais le dernier mec à qui ils m'ont présenté... J'en ai encore des frissons !

Je rigole mais rien ne la trompe, je suis déçu. Elle le sent et me rejoins pour me faire un câlin. Je l'accueille dans mes bras et son étreinte me réconforte. Natsuho est un peu comme la grande sœur que je n'ai jamais eu. C'est de loin la plus bienveillante des personnes que je connaisse bien que son asocialité l'handicape tous les jours. On a dû y aller à la pioche avec Kabir pour qu'elle s'ouvre à nous !

- Mais ne t'en fais pas, elle me dit en fouillant dans son sac. Je vais t'offrir ton cadeau en avance.

- Mon cadeau ?

Même si je suis étonné, mon cœur se serre dans ma poitrine et je réprime un sourire d'enfant. J'adore les cadeaux.

Elle se redresse et me rejoins pour me tendre un petit paquet carré. Je le saisis, le soupèse, mais il est tellement léger qu'on dirait qu'il est rempli d'air.

- Si c'est un truc rempli de confettis, tu nettoies tout, je la préviens avec méfiance.

- Promis, ce n'est pas ça. Je le ferai pour tes 40 ans !

- Calmos l'albinos, y a encore un petit paquet d'années.

Elle sourit de toutes ces dents, et cette fois je remarque le piercing sous sa lèvre supérieure en plus de ses strass. J'adore, il lui va drôlement bien. Elle me fait des mouvements de mains pour me faire comprendre d'ouvrir le petit paquet.

Je tire sur le ruban rose — évidemment — pour libérer le petit carré de son emballage jaune plus facilement. Sous toutes ces couches, une petite boite rouge toute simple se dévoile. Je devine que c'est un bijou et la regarde directement dans les yeux. Ses yeux bruns semblent joyeux tant elle sourit.

- Natsu, si ça t'a coûté cher je ne peux pas accepter.

- Un cadeau ne se refuse pas !

Je lui tire une moue boudeuse, sachant pertinemment qu'elle ne démordra pas. Je sais combien je paye cette femme, et même si elle est loin d'être fauchée, un bijou reste quelque chose d'assez onéreux en général. Sans hésitation, je tire le petit carré pour ouvrir la boite, dévoilant une paire de boucle d'oreille sur une mousse blanche. Les deux anneaux sont dorés, très simple, mais l'un des deux contient une sorte de petit pendentif en forme de goutte. Celle-ci comporte en son centre une minuscule pierre couleur miel. Ma respiration se coupe tandis que je ne peux pas regarder autre part que l'objet entre mes mains.

- Tu aimes ? Me demande Natsu d'une petite voix.

- C'est...

Je déglutis difficilement, incapable de finir la phrase que je viens de commencer. Natsu semble le comprendre car elle finit à ma place, pour que nous en ayons le cœur net tous les deux.

- C'est la même couleur que ses yeux. On en a passé du temps, avec Mia et Elena pour que ça corresponde parfaitement.

Je ferme la petite boite puis la sert dans mon poing. J'essaye de me contrôler pour ne pas pleurer, même si mon amie n'en sera pas choquée. S'il y a bien deux personnes a qui je confierais ma vie, c'est elle et Gareth.

- C'est parfait, je dis dans un souffle. Merci infiniment, vraiment. J'appellerai les filles pour les remercier.

Je relève enfin le nez vers Natsu qui porte toujours son sourire, même si ses yeux sont rouges de tristesse. Parfois, j'oublie que nous étions une équipe, tous très proches.

Harper a raison, les autres souffrent aussi, je ne suis pas seul.

- Je crois que tu ne m'as pas appelé pour rien, elle dit à contre-cœur. Je ne pourrais pas repousser cette conversation à l'infini, donc il faut qu'on en finisse.

J'acquiesce et lui intime de s'assoir tandis que je rejoins ma chaise de bureau. L'un en face de l'autre, elle semble totalement vulnérable. Ses larmes contenues ne désemplissent pas de ses yeux, si bien que j'ai envie de la prendre dans mes bras.

- Quand tu m'as envoyé ce message, j'ai eu une sorte de flashback, elle commence en fuyant mon regard. Tu sais, après la mort de Kabir, on s'est tous un peu éloigné. On a préféré oublier et reprendre notre vie normalement. Alors, ce que je vais te dire là, ne m'en veux pas s'il te plait.

- Natsu, tu sais très bien que je ne t'en voudrais jamais, je dis un peu vexé qu'elle me pense aussi rancunier.

- Si, Grey. Tu m'en voudras parce que moi-même je m'en veux. Je ne sais même pas pourquoi je ne t'en ai pas parlé avant.

Le ton qu'elle prend me fait comprendre qu'elle est très sérieuse. Et j'ai peur.

Toute la semaine, j'ai attendu de la revoir pour savoir cette chose si importante. Mais maintenant que je suis face à mon amie, mes couilles me disent ciao.

- Bon, je vais arrêter de repousser, elle dit en soupirant. Ce jour-là, tu étais ici il me semble. Du moins, pas à New-York avec nous. Kabir revenait en avion et je suis allée le chercher. Il semblait normal mais calme. Tu le connais, Kabir et calme, ça ne va pas trop ensemble. Je n'ai pas trop fait attention au début, on discutait normalement en rentrant chez lui mais quelque chose clochait. Il ne râlait pas, ne blaguait pas. Je lui tendais des perches mais rien. Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, c'est qu'il ne s'est pas lavé les mains. Son gel hydroalcoolique n'a pas été sortit une seule fois de son sac de voyage ou de sa poche de manteau.

Je fronce les sourcils en entendant ça car en effet, ça ne ressemble absolument pas à mon ami. Revenir d'un voyage en avion nécessite au moins 6 lavements de mains dans la voiture, plus la désinfection de son sac chez lui. Je ne pensais pas que notre soirée l'avait autant perturbé. Même si je peux comprendre pourquoi...

- Bref. On est rentré dans son appartement, et comme ça faisait plusieurs jours qu'il était avec toi, son majordome a ouvert son courrier. Je l'ai remarqué parce qu'il y en avait beaucoup sur la table basse du salon. Je me suis assise dans son grand canapé, tu sais, celui que j'adore. Et il est parti prendre sa douche. Ça m'a de suite rassurée ! Pas de désinfection mais au moins sa douche, c'est que tout allait bien en fait. Enfin bon, j'ai attendu qu'il finisse mais il ne sortait pas donc je m'ennuyais. Pour lui soulager un peu de tout, je me suis dis que j'allais trier son courrier. Rien de sorcier, je sais ce dont il a besoin ou non, et ce qui est du travail ou personnel.

Ce qu'elle me dit ne me choque pas du tout. À cette époque, nous étions tous toujours fourrés ensemble donc notre vie n'avait presque aucun secret pour les autres. Elle se gratte le crâne et recoiffe ses cheveux bouclés roses pour avoir un carré parfait.

- Et puis, je suis tombée sur un courrier ouvert, normal, mais à contrario des autres, il avait été bien replacé. Comme si le majordome de Kabir n'avait pas voulu aller plus loin. J'ai regardé dedans, un papier... et des photos.

- Des photos ? Je demande sans comprendre.

- Des photos de la vielle, ou du jour d'avant, je ne sais pas. Des photos de vous près du Milady. Enfin, en face de la porte.

Je fronce les sourcils en essayant de chercher dans mon esprit à quoi elles peuvent ressembler, mais mon cœur cesse de battre quand je crois comprendre.

- Et le papier ? je demande pris d'une soudaine panique.

- Je n'ai pas eu le temps de lire ! J'ai juste vu le cachet de ta famille mais ce n'était pas ta signature. C'était celle...

- De Liam ?

Elle ne dit rien mais se contente de relever le nez pour me regarder, confirmant ma demande.

- Kabir est revenu, il a vu les photos de loin et je me souviens qu'il s'est arrêté en chemin. C'est presque si sa serviette n'est pas tombée de ses hanches... Je me souviens de l'avoir regardé, il semblait affolé. Je ne comprenais pas trop sa réaction. Ce n'était pas grave ! Je m'en doutais, ça ne me dérange pas. Mais pour lui...

Elle se tait un instant, une larme coule le long de sa joue. Je n'ai même pas la force de la sécher, car je suis vide. Mes mains tremblent et ma jambe s'acharne en martelant le sol, le souvenir de cette soirée hantant mes pensées.

- Et il m'a expliqué, elle dit d'une voix sourde.

Elle me redit tout ce que Kabir lui a dit, mot pour mot, me faisant revivre ce soir-là, comme si je n'étais pas un personnage de cette histoire qui a marqué ma vie plus que je ne l'aurais voulu.

- Il m'a demandé de partir, elle finit en pleurant vraiment cette fois. Il m'a souri, dit que tout allait bien. Qu'il allait régler ça, lire le papier attentivement. Il ne voulait pas que j'y jette un coup d'œil malgré la confidence qu'il m'a faite. Je n'en ai jamais rien dit à personne car quelques questions heures plus tard, j'ai reçu une notification. La suite, tu la connais.

Le monde s'effondre autour de moi tandis que je repasse notre conversation dans ma tête. Mon père. Kabir. L'avion. La douche. Le courrier... Chaque mot voltige dans ma tête tandis que j'essaye de tout remettre en place dans mon esprit. En vain. Le Milady, le champagne, le photographe ou journaliste, qu'est-ce que j'en sais. Bien sûr que mon connard de père l'a trouvé rapidement cette enflure.

- Le papier que tu as vu, je dis doucement en détournant le regard.

Je ne peux pas pleurer maintenant.

- Est-ce qu'il ressemblait à un contrat ?

- Je ne crois pas...

- Réfléchit Natsuho. Pas un contrat comme ceux que je te fais signer, mais est-ce que la forme de la signature, le cachet et tout ça, te fait penser à la fin d'un contrat ?

Je tourne de nouveau la tête pour lui faire face, mais elle semble plongée dans ses souvenirs, cherchant à se rappeler la tête du papier.

- Oui, je crois. Enfin, c'était le cachet de votre famille j'en suis sûre. La signature n'est pas la tienne mais ça ne peut donc qu'être ton père ou ta mère qui l'a signé.

- Pas ma mère, elle ne signe jamais rien de cet ordre. C'était bien un contrat, vu ce que tu me décris. Différent de ceux de société, plus confidentiel... Mon père en a forcément une copie. Si c'est un contrat, il a forcément son propre exemplaire. Et crois-moi, vu la taille de son bureau, il garde tout. Faut que je trouve ce truc pour savoir de quoi il s'agit même si au fond, j'ai ma petite idée.

Natsu ouvre la bouche pour parler mais je l'en empêche.

- Je veux que tu oublies ces photos et que tu n'en parles JAMAIS à personne, c'est bien compris ? Mia te fera parvenir un contrat de confidentialité quand tu rentreras à New York. Maintenant, sèche tes larmes ma belle et va profiter de la soirée. Une de mes amies fête ses 24 ans, la soirée risque d'être mémorable.

Elle s'exécute en séchant la dernière larme qu'il lui reste, puis se lève pour partir en direction de la porte noire. Elle saisit la poignée, mais s'arrête avant de la presser pour sortir. Elle me jette un coup d'œil rapide, puis déclare en fixant la porte.

- Je comprends. Je le signerai. Mais si un jour tu veux en parler, ma porte reste ouverte. Tu comptes pour moi, Grey.

- Tu comptes aussi, Natsu. Merci.

Elle hoche la tête dans le vide, et finit par appuyer sur cette foutu poignée, disparaissant dans le couloir.

- ET MERDE ! Je crie en me levant, plus contraint de retenir mes larmes brûlantes.

Putain, qu'est-ce que j'ai mal.

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