Chapitre 25

Elementary ? Du pipi de chat.

Harper — 20 ans

Je me force à sourire et à me dandiner sous les projecteurs qui tournent dans tous les sens depuis de bonnes minutes maintenant. Pour un samedi soir, on peut dire que le club est plein à craquer, je dois donc redoubler d'effort et de sueur. Sur ma barre de pole dance, j'entends les chuchotements des gens qui m'observent enchaîner les acrobaties faisant chauffer la peau de mes jambes contre le fer.

La tête en bas, je tourne lentement en m'étendant de tout mon long, prenant le temps d'observer la salle quelques instants sans décontracter mes abdos — ça serait la merde. L'ambiance est beaucoup plus chaleureuse que le week-end dernier, les rires fusent et je crois voir quelques personnes avec des étoiles dans les yeux en me voyant. J'attrape la poutre, me redresse pour descendre de ce perchoir et m'étirer un peu. Mine de rien, ça reste un sport comme les autres et je sue à grosses goutes.

Je continue d'observer la foule pour trouver un visage connu jusqu'à ce que mes yeux trouvent Eden, discutant avec un homme de dos. Ces cheveux blond foncé ne peuvent appartenir à personne d'autre que Greyson. Je commence une chorégraphie aléatoire pour ne pas rester sans rien faire, et les regarde. Eden semble totalement ailleurs avec le rire trop facile pour celle si réservée que nous connaissons. Quand je vois le verre qu'elle tient à la main, je comprends directement qu'un des barmans a dû avoir la main lourde sur l'alcool.

Elle pose délicatement sa main sur l'épaule de Grey et mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines. Je tourne la tête et trouve un homme plutôt bien en chair qui bave littéralement près de mes pieds. Je pose mon talon sur son épaule quand je suis assez près, il me fait très vite comprendre qu'il veut qu'on aille en salon privé.

Quand faut y aller, faut y aller.

Je descends de ma petite estrade pour le rejoindre, roulant des fesses au maximum, et me dirige directement vers le long couloir où se trouve les chambres. Je sens son regard sur mon dos, ou plutôt sur mon string rose, ce qui me donne un frisson de dégoût.

J'observe les portes fermées et trouve une chambre vide, où je m'y engouffre après lui. L'homme ne passe pas par quatre chemins et enlève directement sa chemise trop petite pour lui, dévoilant une toison d'or fournie, et je pousse un petit soupir imperceptible. Il s'approche du lit à baldaquin aux draps rouge sang comme le reste de la pièce, et je m'approche de lui à pas de loup, jouant avec mes longs cheveux roux.

Je mets mon cerveau en pilote automatique, remonte mes manches imaginaires, et plonge sur lui pour l'embrasser avec passion.

***

Plus tard dans la soirée, Greyson me trouve et me demande de le rejoindre dans son bureau à la fin de mon service. Pas un bonjour ni rien, juste une information balancée entre deux baisers que j'ai offerts à des personnes au hasard.

Malheureusement pour lui, ma soirée est loin d'être finie. Perchée sur mon cerceau, j'attends impatiemment que les lumières s'éteignent. Quand c'est le cas, la foule pousse des couinements de surprise, me faisant sourire à la même occasion. Je sens un mouvement faisant tourner toutes les têtes vers la scène dans la pénombre, et je respire un bon coup.

Être le centre de l'attention n'a jamais été ce que je préfère, mais quand je suis sur scène ou dans les airs, que je suis plongée dans mon monde, je m'en fous totalement. Regardez-moi autant que vous voulez, je ne vous verrai pas.

Une première lumière s'allume, me faisait légèrement sursauter. Je sens mon cœur battre fort dans ma poitrine quand elle s'éteint de nouveau, signe que c'est bientôt à moi et je sers les bords du cercle un peu plus entre mes mains. Le silence est de plomb dans la salle, et tout comme eux je ne vois plus rien. Je tiens juste mon cerceau, les pieds dans le vide, l'adrénaline parcourant mes veines.

Une musique commence à raisonner doucement par les enceintes, si près de moi que je suis tout suite entraînée dans mon personnage. Je commence à prendre le rythme en dansant légèrement, tandis que le cerceau descend rapidement vers le bas de la scène. À trois mètres du sol, la lumière d'un projecteur s'allume en rouge, me révélant à la vue de tous.

Je parcours la foule du regard très rapidement pour ne pas être impressionnée, puis comme dans les chambres, je passe en pilote automatique.

La musique se fait de plus en plus forte si bien que mon cerveau n'entend plus qu'elle. Chaque mouvement est exécuté au millimètre près, mon corps connaissant la chorégraphie jusqu'au bout des ongles. Comme sur la barre tout à l'heure, j'enchaîne des figures maîtrisées sous l'œil expert de Courtney que je sais proche dans la foule en cas de problème.

C'est elle qui m'a appris cet art si particulier. Autant j'étais initiée au pole dance chez Tony, autant les chorégraphies dans un cerceau sont quelque chose de très nouveau pour les clubs Milady. Apparemment, c'était une des conditions pour que mon amie déménage dans cet établissement. Une fois par semaine, elle donne des petits cours aux filles pour qu'elles arrivent progressivement à tenir un show entier. Autant vous dire qu'elle a un franc succès.

La musique ralentit et je sens la fin approcher. Mon cœur tape fort dans ma poitrine et mon souffle commence à se hacher. Le cerceau descend un peu plus proche du sol pour me permettre de revenir sur la terre ferme en toute sécurité.

Une fois au sol, je salue la foule en faisant une révérence digne des grands danseurs étoiles et descends près des gens pour poursuivre mon travail. Je lance quelques baisers, me colle à quelques hommes et retourne danser avec mes collègues.

Après ça, je peux vous dire que mon sport est fait pour la semaine entière.

***

Je toque précisément trois coups sur la porte noire du bureau après mon service, toujours en tenue légère car je me changerai juste avant de rentrer chez moi. J'entends une voix grave m'inviter à entrer à travers la porte, donc je rejoins mon patron qui semble mal en point.

Derrière son bureau en bois, il masse ses tempes du bout des doigts comme si un mal de crâne menaçait d'exploser. Ses traits semblent plus tirés que tout à l'heure, ces cernes plus accentuées et son corps plus tendu. En une heure, il semble avoir pris trois ans dans la tête.

-    Ça va ? Je demande sur la défensive.

Ses yeux bleus trouvent les miens mais l'éclat de ses pupilles semble éteint. Son regard est plus sombre de d'habitude, et je commence à avoir peur de ce qui m'attend.

-    Oui ne t'en fais pas, Harp. Assieds-toi, me dit-il en montrant une chaise en face de lui. Je suis désolé de mon comportement j'ai eu une conversation avec Eden tout à l'heure qui m'a donné mal à la tête. C'est une sorcière cette fille !

-    Ne parle pas comme ça de notre amie, elle est cool, je la défends prête à sortir les griffes.

-    Je ne dis pas que c'est elle le problème. Je pense simplement qu'elle sait taper où ça fait mal. Bref. Demain on a une soirée donc je ne pense pas que c'est le bon moment pour parler de Noah et... Kabir. Donc on en parle vite fait pour que j'organise des recherches si besoin. Tu as quelques éléments sur Noah pour que je sois un peu au courant ?

Je m'arme de mon téléphone que j'ai pris le temps de récupérer dans mon casier et cherche dans mes notes ce que j'ai pu écrire. Enquêter à cette heure-ci sur des choses aussi importantes ne m'enchante pas mais je vais m'adapter à Greyson. Après tout, il semble plus fragile que moi sur ce sujet, à lui de savoir quand il se sent assez bien pour qu'on en parle.

J'avoue que je n'ai pas trop envie de le voir pleurer non plus, je ne saurai pas comment réagir.

-    Hum, alors... Je n'en sais pas grand-chose mais j'ai fouillé dans mes affaires d'enfants. J'ai trouvé un vieux journal où j'ai écrit mot pour mot ce que m'a dit Chris. Noah devait venir me chercher pour avoir ma garde, mais ça ne s'est pas fait. Il m'a appelé Kimberley, comme quand il n'est pas content et m'a dit que Noah était mort. Apparemment, c'est un braquage qui a mal tourné, et il se serait pris une balle. J'avais 7 ans mais je me souviens de la douleur que j'ai ressentie. Je l'ai vite mise de côté car Linda arrivait pour me tirer les cheveux.

-    C'est pour ça qu'ils étaient courts ? Il me coupe en me regardant avec un air plus doux que tout à l'heure.

-    De quoi tu parles ?

-    Tes cheveux.

Je ressens un pincement dans mon cœur et me maudis d'avoir dis ça. Les paroles sont allées plus vite que mon cerveau.

-    Oui, ma belle-mère me tirait les cheveux tout le temps. Elle était sûrement jalouse ou trop défoncée. Alors quand elle me les a coupés une fois, j'ai décidé de les garder court. Comme ça, je pensais que ça ferait moins mal. Et au final, ça n'a rien changé, ça a même doublé quand Tony me laissait seule avec des hommes.

Je vois la mâchoire de Greyson se contracter et respirer lentement. Les muscles de ses bras semblent se tendre sous sa chemise alors je tente de dédramatiser la situation.

-    Mais c'est bon, j'ai retrouvé mes beaux cheveux comme ceux de ma maman. Et maintenant tu sais tout ce que je sais sur la mort de Noah. Il faut que tu m'en dises plus sur celle de Kabir.

Son poing se serre sur la table et il écarte ses yeux des miens. Il pince ses lèvres et ses narines se dilatent, si bien que j'ai l'impression qu'il va pleurer.

Ne pleure pas bébé-chou.

Il ferme les yeux quelques instants pour reprendre ses esprits et croise ses bras sur sa poitrine avant de commencer à tout me raconter.

-    Kabir est mort noyé dans son bain. Il s'était ouvert les veines par-dessus le tout apparemment. On m'a refusé l'accès à la scène du drame, mais j'ai dû identifier le corps le temps que ses parents se déplacent d'Inde. J'ai vu le corps de mon ami avec un putain de drap blanc, son visage livide et ses veines luisantes sous sa peau. J'aurais tellement voulu revoir ses yeux, merde.

Il s'arrête un instant, contenant des larmes qui perlent au coin de ses yeux. Ne sachant pas quoi faire, je pose simplement une main rassurante sur la sienne et me sens soulagée quand il ne me repousse pas.

Je savais que son deuil n'était pas achevé, mais je ne pensais pas que la plaie de son cœur était encore si ouverte. Je me sens tellement rigide à côté de lui.

-    Enfin bon, il reprend en souriant. Kabir aimait la vie comme il aimait les nanas, le sexe et l'alcool. Il aimait sortir, rencontrer des gens mais surtout pas les bactéries. Le nombre de fois où il se lavait les mains dans la journée... hallucinant. On m'a demandé de faire une conférence pour annoncer sa mort et ce qu'allait devenir mon entreprise. J'ai refusé, évidemment. Pendant quelques mois, mon père m'a trainé de journaux en journaux, d'émission en émission pour donner une image humaine de la famille. Quoi de mieux qu'un Myers qui pleure pour que les gens l'aiment encore plus ? Et à force de côtoyer des journalistes, j'ai trouvé quelque chose de bizarre. Personne ne savait rien sur sa mort. Pas plus que moi ou que la famille Ray. Tout s'est fait dans un anonymat incroyable !

-    C'est vrai que maintenant que tu le dis, toutes les informations que l'on a pu voir étaient redondantes.

Pendant des semaines, les médias s'arrachaient les gros titres sur la mort de Kabir Ray, devenu très populaire à force de côtoyer Greyson. Sa mort en a choqué plus d'un, et une grande prévention contre le suicide a été lancée. Kabir en est une icône maintenant, si je peux utiliser ce terme.

Machinalement, je pense au poignet de mon frère et me demande si lui non plus, il ne s'est simplement pas suicidé. Mais non, Noah n'était pas comme ça. Même si c'est égoïste de penser ça, il ne m'aurait jamais laissé toute seule.

-    Et là je me suis dis que quelque chose n'était pas normal, reprend Greyson. Putain, Kabir est le mec le plus vivant que j'ai connu ! Je ne crois pas en cette mort. C'est impossible. Alors j'ai lancé des recherches, mais comme je t'ai dit, personne ne sait rien. Dans l'anonymat et la discrétion la plus totale, j'ai cherché auprès des journalistes, payé leurs informations. J'ai retrouvé tous les employés de son immeuble pour comprendre ce qu'il s'est passé mais rien. Le dernier sur ma liste, je l'ai rencontré la semaine dernière, et il n'avait rien à me dire hormis qu'il l'a croisé dans le hall d'entrée, comme tous les jours. J'ai putain de rien sur lui. Aucune piste et ça m'embrouille la tête. Maintenant que j'ai recherché vers tous ses employés, je ne sais pas vers qui me tourner.

Je réfléchis quelques instants et retrace dans ma tête tous les évènements qu'il vient de me citer. La mort de Kabir, la reconnaissance de son corps, ses parents qui ne savent rien. La tournée des médias avec son père, le début de la recherche auprès des journalistes puis des employés. Soudain, une petite lumière s'allume dans ma tête.

-    Tu as bien dit journaliste, famille et employés ? Je demande pour être sûre.

-    C'est ça, il conforme en hochant la tête.

-    Avant de nous connaitre, tu avais d'autres amis ? Ou tu as d'autres amis ? Tu étais avec nous donc lui à New-York. Peut être que quelqu'un était avec lui dans la journée, quelqu'un que vous êtes amenés à côtoyer souvent. Je veux dire, c'était le nouveau directeur du Milady de New-York, vous devez avoir une équipe en commun pour garder un minimum de communication et de cohérence dans l'entreprise.

Comme si la même lumière que moi s'était allumée dans son crâne, son visage s'illumine et il reprend un peu de couleur en ouvrant grand ses yeux bleus.

-    Oui, tu as raison. Putain comment je n'ai pas pu y penser ! J'envoie directement un message aux filles pour qu'elles viennent dans la semaine qui vient. On était cinq dans l'équipe, il n'y a que Kabir qui n'est plus avec nous.

Je le vois prendre son téléphone et pianoter en vitesse des messages bref. Je ne peux pas m'empêcher de sourire tellement je suis fière de mon idée de génie.

-    Appelle-moi Sherlock dorénavant !

Sans un mot, il se lève et contourne le meuble brun pour arriver devant moi, il se penche et je lâche un hoquet de surprise quand il me prend dans ses bras. Son étreinte est douce et pleine de reconnaissante. Je le serre contre moi et nous restons quelques secondes ou minutes dans cette position, l'un contre l'autre, nos cœurs battant la chamade.

-    Merci, il me murmure à l'oreille doucement.

Mes joues s'empourprent, et je ne sais pas trop pourquoi, mon cœur se met à battre un peu plus vite.

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