Son métier, c'est plage.

Greyson — 33 ans

Je me gare en vitesse sur le parking de terre surplombant la plage et détache ma ceinture à la hâte. Nous devons rejoindre les filles, et nous sommes en retard. Super.

Gareth sort de ma voiture à son tour et nous nous dirigeons vers le sentier menant à la plage.

- Mec, si elles ne nous tuent pas, on s'en sort bien, me dit Gareth en se recoiffant.

- Pour ça, il faut qu'elles soient de bonne humeur, je réplique. Je ne m'inquiète pas trop pour Harper mais Courtney... J'ai des frissons rien que de penser à la mettre en colère.

Mon meilleur pote rit et nous dévalons à toute vitesse le sentier en pente. Rapidement, la plage apparaît entre les arbres et palmiers, l'air salin titillant nos narines. Cette plage est une des plus belles de l'univers, je vous le dis. Entre son sable fin et les falaises qui l'entourent, l'endroit semble magique. La nuit, le bar scintille de mille feu grâce aux dizaines de guirlandes qu'ils ont installés au dessus de leur terrasse en bois, ce qui donne envie d'y passer des centaines d'heures autour d'un verre.

En bref, le paradis sur Terre.

Je me maudis rapidement de ne pas avoir enlevé mes chaussures pour avancer dans le sable, si bien que je suis sûr d'avoir le Sahara dans les pompes. Gareth ne dit rien, mais je sais qu'il pense totalement la même chose que moi.

Quand nous arrivons enfin au niveau du bar, la tignasse rousse près d'une table ne me laisse pas vraiment de doute. Harper rit aux éclats auprès de Courtney plus radieuse que jamais, et d'une jeune femme brune dos à nous. Toutes les trois discutent autour d'un Spritz qui semble déjà bien entamé. Harper est la première à nous repérer car elle se redresse d'un coup et nous salue de sa main droite.

Je suis Gareth à travers les tables et la foule pour rejoindre nos amies. Maintenant, je peux voir la brune qui se tient avec elles. Ces pommettes hautes et ses yeux verts fixent intensément un point à côté de moi que je devine être Gareth. Pas difficile de deviner par ses vêtements colorés qu'il s'agit de l'employé d'Anita dont m'a tant parlé mon ami. Elle sourit timidement et me regarde brièvement quand elle se met à rougir.

Harper se lève et j'ouvre les bras pour l'accueillir comme elle le fait souvent quand nous sommes entre nous mais elle semble hésiter. Son nez tressaute légèrement et son regard me fuit avant de me serrer dans ses bras. Son étreinte n'a rien de chaleureuse : elle est tendue comme pas possible.

- Eden, je te présente Greyson et Gareth ! J'entends dire Courtney à la brune. Notre fameux patron fêtard et notre barman sexy !

Je me recule pour libérer Harper qui saisit cette occasion pour se rassoir. Je salue Eden d'un grand sourire et m'assoie en bout de table, tandis que Gareth s'installe près d'Eden.

- Vous voulez que je vous prenne un verre ? Demande machinalement Harper en regardant Gareth.

- Je vais y aller, je lui dis pour qu'elle me regarde.

Ses yeux crochent les miens une fraction de seconde avant de se rediriger vers nos amis. Je sais que quelque chose cloche mais je n'arrive pas à deviner quoi. Son sourire pimpant est le même qu'elle utilisait chez Tony. Faussement chaud, figé, calculé.

- Gareth, tu veux quoi ? Je demande en me levant.

- Comme tu veux, tu sais très bien que je ne suis pas difficile.

J'acquiesce d'un hochement de tête et me dirige vers le bar où un vieil homme sert une femme aux cheveux rouges. Pas de démonstration digne d'un grand cirque, il se contente de servir vite fait bien fait la commande de la femme qui repart ravie.

Je m'approche à mon tour pour commander.

- 2 rhums-coca s'il vous plait, je demande rapidement.

Il hoche la tête et prépare ma commande en deux temps trois mouvements, puis pousse les verres remplit de liquide marron vers moi. Je sors une liasse de billets et la pose sur le comptoir avant de m'emparer des verres.

- Gardez la monnaie, je dis en me retournant pour rejoindre ma table.

- Attendez ! Me dit l'homme.

Je me retourne et le voit gratter l'arrière de son crâne dégarni avec hésitation. Au bout de quelques secondes, l'impatience doit se lire sur mon visage car il finit par cracher le morceau.

- Vous êtes bien assis avec la petite rousse ? Il demande. Vous lui direz encore pardon de ma part. Je me sens vraiment mal pour tout à l'heure. Ça n'aurait pas dû arriver.

Je fronce les sourcils et fixe les yeux bruns du vieil homme. J'espère qu'il ne l'a pas touché parce que ça ne va pas le faire. Je trouverais ça dommage de faire fermer cet établissement si bien posté parce qu'un homme a eu les mains baladeuses sur une amie. Et tout le monde sait que je peux fermer cet endroit en claquant des doigts.

- Qu'est-ce que vous avez fait ? Je lui demande la mâchoire crispée.

- Moi ? Rien. Mais mon employé a eu des propos déplacés que j'ai entendu. Je l'ai viré sur le champ, bien évidemment. C'est juste qu'elle n'aurait pas dû subir ça et je pense que ça l'a atteinte. Enfin, si j'avais eu des seins, je l'aurais mal pris !

- Merci, je dis en hochant la tête.

Mes mains se serrent autour des verres mais j'essaye d'avoir une allure décontractée quand j'arrive à notre table. Je m'assoie en servant son verre à Gareth qui me remercie, et tente de rejoindre la discussion. Je ne comprends pas trop de quoi parlent les filles mais j'entends de drôles de mots comme à chaque fois qu'elles se lancent dans un débat.

Harper semble s'être détendue, si bien que je me détends à mon tour. Gareth semble remarquer que je ne regarde qu'elle, son regard rieur me faisant le comprendre. Je lui tire rapidement la langue comme un enfant pour lui dire de se mêler de ce qui le regarde ce qui me vaut un doigt d'honneur gratuit.

La soirée risque d'être longue...

***

Au final, tout se passe drôlement bien, voire trop bien. Harper a changé du tout au tout après mon arrivée, passant de stressée à tout va bien. Elle a retrouvé sa joie de vivre et son hyper-activité, essayant d'inclure Eden au mieux dans notre groupe déjà bien formé. Eden qui, d'ailleurs, n'a pas ouvert la bouche depuis de longues minutes. Je l'ai vu discuter discrètement avec Gareth quand nous nous parlions, mais ils communiquaient tellement bas qu'il m'était impossible de les entendre. Je ne vais pas mentir, j'aimerais bien connaitre un minimum la personne avec qui fricote mon meilleur ami, et avec qui mes amies passent du temps.

Je tousse doucement pour les interrompre, faisant relever le nez de la brune instantanément. J'ignore ouvertement Gareth qui me jette un regard aussi noir que le ciel de ce soir et commence à discuter.

- Et donc... Eden ? Tu es nouvelle en ville de ce que j'ai compris. Les filles m'ont un peu, beaucoup même, parlé de toi depuis que tu as mis un petit bordel dans mon club.

- Ah, ça, oui excuse moi... elle répond directement en se mordant la lèvre.

Courtney se dresse pour lui taper légèrement l'épaule tandis qu'Harper commence à me menacer de me faire bouffer mon verre. Dis donc, il ne faut pas toucher à leur nouveau jouet à ces deux-là.

Courtney commence à engueuler Eden à son tour, soi-disant que le passé c'est le passé, et que ce n'est pas de sa faute.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire en voyant l'air renfrogné d'Harper qui me regarde avec une envie de meurtre. Et putain ce qu'elle est belle.

- Et toi Grey, recommence la rousse en me lançant un regard noir que je capte immédiatement, elle n'a pas mis le bordel dans ton club ! Elle avait besoin de nous à cause de tes vigiles qui ne laissent passer que des gros porcs... Donc tout est de ta faute au final.

Même si elle crachait ses mots, sa dernière phrase n'est presque qu'un murmure. Je sais très bien que ce qu'elle me dit là n'est pas vrai, qu'elle adore Michael et que la clientèle du Milady est en général très respectueuse. Seulement, je pense que le comportement du barman de tout à l'heure est la cause de cette colère qu'elle me crache au visage.

- Ok, ok, désolé, je dis avec résignation pour ne pas me faire plus engueuler. Ce que je voulais dire, c'est que la ville est assez petite pour que tout le monde se connaisse. Les ragots tournent, j'ai besoin de savoir un peu qui est cette fameuse nouvelle serveuse hyper sexy dont on m'a parlé.

Discrètement, je sens le pied de Gareth s'écraser sur le mien pour me faire mal, et il réussit ce con. Je reste impassible tandis que le pic de douleur remonte de mes orteils à ma jambe entière. Mais je l'ai cherché.

Mais la vérité, elle ferait une très bonne strip-teaseuse. C'est bizarre à dire comme ça, mais son attitude délicate, son joli minois et son corps qui m'a l'air incroyable, me donne envie de la voir dans mon club. Pas de la voir travailler, je m'en fous. Mais si elle rejoint notre groupe de pote, la savoir si décalée de notre monde peut être un gros souci.

- Sexy, c'est beaucoup dire, dit-elle en riant, mais je ne pensais pas que des ragots tourneraient sur moi... Donc si je peux tous vous éclairer au mieux, ma curiosité a été piquée.

- D'où tu viens ? Je demande aussitôt en affichant un gros sourire satisfait. Parce que ton anglais est presque excellent mais tu as quand même un petit accent. J'aurais parié pour l'Italie.

Je la fais un peu mariner pour qu'elle parle d'elle, car sous ses airs timides se cache quelque chose que je veux découvrir. Pourquoi es-tu venue de France ? Que caches-tu ? Gareth a trop souffert dans sa vie et je tiens trop à lui pour qu'elle ne la détruise encore plus.

- Pas du tout, elle rit en mordant en plein dans mon hameçon. Je viens de France mais j'aimerais apprendre l'italien un jour, si cette information t'intéresse. Tu es presque un des premiers à tiquer sur mon accent, je pensais qu'il s'entendrait beaucoup plus que ça.

Je manque de relever qu'elle n'en a pas du tout quand Harper et Courtney se lancent dans un concours de mots aléatoires en français. Elles rient comme des folles en déformant phrases aléatoires qui peuvent porter à confusion si on les prononce dans un mauvais contexte.

Je ris avec les filles mais n'intervient pas de suite quand je vois Gareth parler enfin un peu avec elle. C'est bizarre qu'il ne veuille pas lui parler devant nous. On sait qu'il s'intéresse à elle, ça crève les yeux. Mais pour un truc qui m'échappe, c'est comme s'il avait peur de nous le montrer.

Eden continue de lui répondre dans un anglais impeccable. Si je n'avais pas rencontré autant de personnes aux nationalités différentes dans ma vie, jamais je n'aurais décelé ce petit truc qui la trahit.

Mon esprit associe directement ce petit truc à Kabir, qui comme elle, parlait un anglais impeccable malgré ces origines indiennes. Putain, qu'est-ce qu'il me manque ce con.

La voix douce d'Harper me sort de ma rêverie comme si c'était une sorcière, tandis qu'elle demande je ne sais quoi à Eden. Je n'avais pas pris le temps de la contempler en entier, mais quand je vois le joli maillot de bain vert qu'elle porte, mes poings se serrent en imaginant l'autre idiot la reluquer.

Mon esprit se perd de nouveau entre l'envie folle d'aller frapper ce type que je ne connais même pas, et l'envie de plaquer mes lèvres contre celles d'Harper. Mon ventre se tord à cette idée et je me maudis d'y avoir pensé.

Depuis des années maintenant que je connais cette femme, elle me retourne la tête à chaque fois que je pose mes yeux sur elle. Son visage magnifique orné de tâches de rousseurs, ses yeux verts tels de véritables émeraudes et ses cheveux aussi colorés que du feu me font exploser le crâne. Des années que je lutte pour mettre de la distance entre nous.

De nous deux, c'est elle la plus forte à ce jeu si bien que je pense être le seul qui est attiré dans notre duo. Elle arrive à se décrocher de quelqu'un avec tant de facilité que parfois, j'ai dû mal à desceller les deux Harper qui existent.

Au fil des ans, la Harper intrépide, brisée et renfermée a laissé place à une Harper lumineuse, énergique et pétillante, basculant d'une personnalité à l'autre sans difficulté. Comment vous dire que la Harper numéro 1 se fait de plus en plus rare et dure à trouver.

Et pourtant, ce soir, je suis persuadé d'avoir la première Harper en face de moi. Sa façon de tenir son poignet sous la table, de bouger nerveusement le pied ou de froncer le nez pour un rien.

Celle que je connais depuis qu'elle a 13 ans se trouve en face de moi, et je me dégoûte encore plus de la désirer à ce point-là.