Chapitre 20
Les bolosses ne poussent pas dans les arbres.
Harper — 20 ans
Dans le couloir vide, j'entends la musique du club raisonner jusqu'à moi, provoquant de légères vibrations dans tout mon corps. Les vestiaires sont vides, ce qui signifie que le Milady est bien ouvert.
Je me dépêche de déposer près de mon casier le document que m'a fourni Greyson, bien à l'abri pour ne pas le perdre.
Il enquête sur la mort de Kabir. Deux ans que son associé est mort, deux ans qu'on pense qu'il a tourné la page alors qu'au final, la plaie dans son cœur est encore bien vive. Depuis tout ce temps, il n'a pas cessé d'arborer ce sourire blanc et cette attitude décontracté qui fait de lui un patron exceptionnel. Mais tout ça n'est qu'une façade. Et personne ne s'en doute.
Comme moi.
Je secoue la tête pour chasser les larmes qui menacent de couler alors que les souvenirs affluent dans mon crâne. Tout au fond de moi, je comprends la douleur qu'il ressent. Cette douleur si vive que vous vous refusez d'oublier, que les souvenirs rouvrent et que la détresse intérieure nourrit. Dans ma tête, je sais que Noah a été froidement abattu lorsqu'il travaillait. Dans mon cœur, il n'a pas pu mourir aussi bêtement.
Chris n'a jamais voulu m'en parler, si bien que je n'ai jamais rien su de plus. J'étais jeune, j'étais triste, la douleur était trop forte. Parfois, il est plus facile d'oublier que d'affronter cette douleur qui déchire le cœur petit à petit. La douleur était bien trop présente, de toute façon.
Je n'en ai jamais parlé à Henriette et Isaac. Mes visites chez eux étaient toujours des moments privilégiés où l'on buvait du thé en jouant aux cartes, parfois accompagnés de petits gâteaux achetés par mes soins. Jamais de peine, juste de l'amour.
La perte de mon frère a été un déclic pour moi, mais je pense que mes parents ont tout autant soufferts que moi. Je ne remplacerais jamais Noah dans leur cœur. Je le sais. Noah était spécial. Noah méritait plus que moi de vivre.
Je souffle un grand coup, très longuement, pour évacuer le trop plein d'émotion qui me gagne. Je sors du vestiaire, les mains un peu tremblantes, et plaque une fausse expression sur mon visage.
Même si je me refusais à travailler dans le strip-tease une fois libérée de mon ex-patron, Tony, je ne sais pas ce qui m'a poussé à accepter la proposition de Greyson. Est-ce que je regrette ? Absolument pas. Pour la première fois, je me plais dans ce que je fais, sans être forcée de quoi que se soit. Le Milady est aussi bienveillant qu'un chiot, et aussi accueillant qu'une grand-mère. Je m'y sens à ma place, avec des amis qui me redonnent petit à petit goût à la vie.
Et puis, après tout, je ne suis pas devenue danse étoile mais je danse quand même, non ?
Je replace bien mes cheveux qui ont poussés en quelques années, pour les dégager vers l'arrière. J'inspire, et m'élance dans la salle teintée de lumières multicolores. Je sors les seins, rentre le ventre, et tape ma meilleure marche digne d'une mannequin pour rejoindre la scène principale, sourire aux lèvres.
Et c'est parti.
***
La soirée se passe particulièrement bien, même s'il n'y a pas grand monde. Enfin, pas grand monde, façon de parler. Pour beaucoup, la salle est pleine de corps en sueurs et de groupes d'amis. Mais pour un vendredi soir, c'est plutôt calme.
Pas loin de Courtney, je décide de la rejoindre pour faire un petit show à deux, ce qui fait sourire mon amie. Je me déhanche avec elle, la faisant descendre de la petite scène où elle se tenait.
La couleur des néons ayant changée, le bleu et rose ne vont absolument pas avec nos tenues ! En s'écartant de la scène, nous rendrons sûrement plus hommage à nos magnifiques petites mini-jupes rouges.
Je prends la brune par la main, et on danse à travers les chemins, s'arrêtant à quelques tables pour titiller quelques personnes et faire tourner quelques têtes.
- Psst, me dit Courtney sans sortir de son personnage, à 2 heures.
Tout en remuant des fesses près du visage d'un chauve à la barbe pleine de trou, je me tourne légèrement pour jeter un coup d'œil à l'endroit indiqué. En effet, une jeune fille de la vingtaine est rouge pivoine tandis qu'un homme colle sa chaise à la sienne. Son regard se perd un peu partout avec détresse, cherchant désespérément quelqu'un pour la sortir de là. Je suis presque sûre que ce mec est bourré, et qu'elle ne le connait pas.
Je regarde Courtney qui hoche la tête d'un air entendu, et me redresse pour que nous allions à la rencontre de ce porc. Quelques râles se font entendre, mais je jette un regard noir au chauve pour lui faire comprendre que ce n'est pas le moment d'être exigent. Il a déjà eu une vue sur mon fessier, il ne va se plaindre de ce privilège.
Comme si nous partions à la guerre, nous marchons à toute allure vers la table. L'avantage avec Courtney, c'est que nous n'avons pas besoin de parler pour nous comprendre quand elle récupère un verre plein abandonné sur une table près de nous. L'opération peut commencer : Oups, désolé monsieur, je suis maladroite.
Courtney prend une démarche de mannequin comme moi tout à l'heure, et frôle la table, juste assez pour renverser le verre sur l'homme en faisant mine de trébucher. Je profite de cette distraction pour tendre la main à la jeune femme qui semble surprise de notre intervention. Elle saisit ma main et je l'aide à se relever pour l'éloigner de l'homme. Sa main tremble contre la mienne alors je la serre un peu plus fort pour la rassurer comme je peux.
- Oups ! Une boisson en moins... s'exclame Courtney en sur-jouant la surprise.
Elle se tort d'une drôle de façon, main sur la bouche pour paraître dramatique. Digne d'un film !
Je retiens le fou rire que je sens monter au creux de mon estomac en me concentrant sur l'homme qui a décidé de nous insulter maintenant. Honnêtement, rien de très original. Quand il nous traite de pute, j'ai presque envie de lui répondre que c'est le cas, mais bon...
Je comprends que mon amie n'a pas pris cette insulte de la même manière que moi quand elle saisit le verre à cocktail à moitié remplit de notre victime et le jette au visage de l'homme. Cette fois je vais craquer. Je serre la main de la jeune femme plus fort pour me retenir d'exploser de rire tandis que mon nez me chatouille. Je suis presque sûre que je lui broie les os mais elle n'en dit rien, ses yeux verts braqués sur Courtney.
- Et ça, c'est pour nous avoir traité de pute, tocard, annonce l'asiatique en crachant ses mots.
Comme par magie, Michael arrive enfin pour entraîner l'homme vers la sortie, qui ne cesse pas de nous insulter. Cependant, il ne se débat pas face à notre videur, sûrement conscient qu'il n'a aucune chance d'échapper à ses poings si ça tourne mal. Avant de disparaître dans le couloir, Michael se retourne brièvement et nous fait un clin d'œil... en souriant !
Cette fois, c'est la bonne. J'éclate de rire et lâche la fille pour aller checker Courtney, fière de notre sauvetage express. Courtney ne sourit pas encore, et je devine qu'elle est plus remontée que je ne le croyais.
- M...merci, bégaye la petite brune en tordant ses doigts dans tous les sens avec nervosité. La situation était un peu...délicate.
Ses joues rosies me donnent envie de la prendre dans les bras pour la rassurer, mais je me retiens.
- Un peu délicate ? je demande en me mettant à sautiller pour évacuer mon trop plein d'adrénaline. Je n'aurais pas supporté d'avoir son haleine fétide plus d'une seconde près de moi, tu as été remarquable.
- Et idiote, complète Courtney quand j'ai fini, si je peux me le permettre. La plupart des hommes ici sont adorables, mais d'autres moins, et tu n'aurais jamais dû venir seule. Ou du moins, le laisser aller aussi loin sans bouger.
Je comprends que Courtney lui fasse des remontrances même si je ne suis pas sûre que le moment soit opportun. La pauvre vient de subir un traumatisme et se fait engueuler par-dessus tout. Elle semble totalement paniquée et mal à l'aise. On voit bien qu'elle ne vient jamais dans ce genre d'endroit ! C'est écrit sur son visage. Elle fuit nos regards et nous en général, sûrement gênée par notre nudité, ce qui est le comble pour un club de strip-tease !
Prenant mon rôle de gentil flic à cœur, je poursuis pour la rassurer.
- Mais ce n'est pas grave ! Je m'exclame en souriant quand elle relève enfin le nez pour nous regarder. Moi je ne t'en veux pas !
Je m'approche pour reprendre sa main dans la mienne, rassurant ses tremblements comme je peux. Je comprends totalement sa réaction, et dans son cas, un peu de chaleur humaine ne me ferait pas de mal.
- Ça m'a fait bien rire de voir Courtney renverser l'équivalent d'une bouteille de vodka sur ce porc !
- Ne rit pas trop Harper, me coupe mon amie, on a tous eu une situation similaire, il fallait bien l'aider. Et je ne sais pas si c'était de la vodka, c'est la première fois que je vois un cocktail comme celui-là. Soit c'est une création d'un barman, soit c'est juste que personne ne le commande.
Nous nous regardons d'un air entendu, sachant pertinemment que la première option est la bonne. Il n'y a que Gareth pour servir ce genre de truc selon sont inspiration du jour.
- Merci en tout cas, nous coupe la brune en lâchant ma main, je pense que j'ai eu ma dose pour ce soir, je vais rentrer. Mais création ou pas, le cocktail était bon. Indescriptible mais bon.
Son attitude timide me donne envie de lui sauter dessus, et incapable de me retenir, c'est ce que je fais. Je l'enlace pour lui donner un peu d'amour. Je sens qu'elle reste raide sous mon contact, mais je ne démords pas. Tout le monde a besoin de câlin dans sa vie. Et j'en mourrais d'envie.
- Repasse une prochaine fois ! On te doit un verre pour celui que Courtney a renversé, je m'exclame en m'écartant d'elle.
Elle en profite pour récupérer son petit sac en forme... de chat ? Punaise, de mieux en mieux ! Elle a l'air trop cool. Du moment que tu as un sac en forme de chat, tu ne peux pas être une mauvaise personne.
- Non merci, dit-elle doucement, je ne pense pas que ça soit nécessa...
- Si, elle a raison, la coupe Courtney, on te doit un verre, repasse quand tu veux... euh...
- Eden, elle lui dit avec un minuscule sourire.
- Eden alors, conclut mon amie en souriant pour la première fois.
La-dite Eden nous salue d'un bref salut en nous remerciant une dernière fois, échappant totalement à mon étreinte. Nous la regardons disparaître à travers le couloir sans se retourner, le pas pressé. La pauvre, elle a dû vivre une soirée trop bizarre !
- On ne fait pas de câlin à n'importe qui ! Me réprimande Courtney quand je me tourne vers elle.
- Mais elle avait l'air d'en avoir besoin, je me justifie. Tout le monde à besoin de câlin !
- Harper, ce n'est pas parce que toi tu en as besoin qu'elle en a besoin.
Je ne dis rien et déglutis difficilement en repensant au début de soirée, à Greyson et Kabir. Merde, j'avais réussi à ne plus y penser.
- Bon, je crois que le chauve à besoin de moi ! À tout à l'heure.
Courtney n'a pas le temps de réagir que je m'élance vers l'homme de tout à l'heure, une boule dans le ventre. Il faut que j'oublie. Il faut que j'oublie ces morts qui me hantent.
Je jette un coup d'œil discret à l'homme, qui semble comprendre ce que j'attends. Il se lève, dévoilant sa toute petite taille, et me rejoins. Je le conduis à travers le couloir des vestiaires où se trouvent des salons privés plus loin.
Je dois m'oublier.
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