Chapitre 19
Il nous manque une Totally Spies !
Harper — 20 ans
J'arrive en sautillant vers la porte grise aux motifs ornementaux plus foncés, saluant n'importe qui sur mon passage. Mes cheveux roux au vent, je les secoue en arrière pour faire la diva et espérer faire sourire Michael à l'entrée. Le pauvre à le job le plus pourri de la Terre ! Autant je m'amuse en bougeant un minimum au travail, mais lui... Debout, à l'entrée, ses bras fins mais puissants croisés sur ses pectoraux, à attendre. Attendre quoi ? Je ne sais pas. Le club Milady n'est pas ouvert à cette heure-ci, donc il se contente de vérifier que nous sommes bien nous.
- Regarde cette chevelure ! Je m'exclame en souriant à l'intention du videur. Regarde-moi ces boucles, cette fluidité, cette brillance ! Avoue que tu es jaloux avec ta coupe courte et terne.
Il soupire brièvement en regardant ma coupe de ses yeux verts avant de les lever au ciel. Je suis sûre qu'il meurt d'envie de rire mais se retient. C'est toujours comme ça avec lui, adorable, mais professionnel.
- Je rigole, je déclare finalement. Mais t'inquiète, moi je kiffe ta barbe ! J'aurai aimé avoir des poils au menton mais malheureusement ils ont poussé autre part...
- Harper ! M'interpelle une voix derrière moi. Arrête de dire des conneries devant ce pauvre Michael.
Je me retourne, prend de l'élan, et saute dans les bras de mon amie quand elle est assez proche. Elle me rend mon étreinte avec empressement, puis s'écarte de moi pour saluer Michael à son tour.
- Mais on discutait capillarité ! Je me justifie auprès de Courtney qui soupire comme Michael précédemment. Je lui disais que mes cheveux étaient radieux aujourd'hui, mais sa barbe ! Faut vraiment qu'il me donne le numéro de son barbier.
Courtney explose de rire et je me joins rapidement à elle tellement son hilarité est contagieuse. Mon ventre commence à se faire douloureux quand je redouble de rire en voyant le visage totalement désemparé de Michael qui ne sait pas où se mettre.
- Putain mais qu'est-ce que vous avez manger ce matin ? Demande-t-il de sa voix grave en frottant sa barbe de la main. On se croirait dans une publicité pour les céréales Lion.
Mon amie pouffe de nouveau et je hurle de rire à mon tour. Autant vous dire que nous sommes les attractions de la rue, mais comme on dit, le ridicule ne tue pas.
- Les filles je vous aime de tout mon cœur, mais je commence à être mal à l'aise que tout le monde nous observe, nous dit le videur.
Je souffle plusieurs fois pour reprendre mes esprits, et j'y parviens en quelques secondes à peine. Si je dois remercier mes parents pour une chose, c'est de pouvoir changer d'humeur à l'infini.
- Excuse-nous d'être heureuse ! Je lui dis en levant les bras en l'air.
- De vivre dans la joie et le soleil ! Complète Courtney.
- Dans les paillettes et les arcs-en-ciel !
- Les licornes et les quokka !
- Bon, rentrez avant que je vous donne un coup de pied au cul, nous arrête-il.
Je ris et m'approche de lui pour caresser sa chemise, suivit par mon amie qui semble avoir eu la même idée. Je me retiens à son bras en levant une jambe dans les airs, presque au niveau de sa tête.
- Tu sais qu'on aime ça pourtant...je dis d'une voix sensuelle.
- Dégagez ! Nous aboie-t-il dessus.
Ses petites taches de rousseurs disparaissent sous la rougeur de ses joues. Je redescends ma patte rapidement, et entraine à ma suite Courtney pour qu'on entre dans le club.
De bonne humeur, nous traversons le long couloir qui mène à la salle principale, bras dessus bras dessous avec ma coéquipière. Après deux ans de collaboration dans ce club, Courtney est moi sommes devenues inséparables ! Toujours à me suivre dans mes idées farfelues, c'est la première à venir quand on a besoin d'elle. Dès que je l'ai vu dans le box de lancer de hache lors de notre journée d'intégration, je ne la connaissais pas, mais je savais.
Je commence à sautiller et elle me suit sans rien dire, longeant tous les graffitis colorés sous les néons de la pièce. J'aime beaucoup ce couloir. Entre les différents dessins à la bombe et messages écrit par les clients, je trouve qu'il est assez immersif. Ça m'est déjà arrivée de m'assoir après un service au beau milieu de celui-ci, et juste d'observer. Depuis, je fais ça quand je peux une fois par mois, pour chercher ce qui a changé et ce qu'il y a de nouveau. Un lieu en perpétuel mouvement. J'aime ça.
Quand nous débouchons dans la grande salle, je souris en voyant qu'elle est presque vide. Chaque fois que j'arrive au travail, je suis toujours autant émerveillée devant l'immensité de cet endroit quand il n'y a personne pour le remplir. La scène au centre de la pièce est mon terrain de jeu préféré. Entre les petites estrades, les lumières et la place, on peut tout y faire. Et quand on veut briller un peu plus en solo, hop on se déplace vers les petits ronds de scènes qui sont disposés un peu partout. La barre de pôle-dance se dressant fièrement en leur centre, là aussi les possibilités sont infinies.
- Salut Jason ! Je lance au blond qui nettoie des verres à un des comptoirs.
Le club en comporte 5 en tout. La salle étant hexagonale, il y en a pour chaque face, soit une meilleure répartition de la foule tout au long de la soirée. Greyson est du genre à penser aux détails.
- Salut les filles, comment vous allez aujourd'hui ?
- Hormis qu'Harper est totalement surexcité ce qui me fatigue déjà, ça va, déclare mon amie tout sourire. Et toi ? Quoi de neuf avec les nanas.
Jason hausse les yeux au ciel en tirant une tête pas possible. Lors des premiers jours du Milady, Jason n'a pas arrêté de me faire du rentre dedans. Vous commencez à me connaitre, il a fini avec un méchant coup et une torsion testiculaire. Il était devenu tout violet ! Et pourtant, je n'avais pas tapé fort. Depuis, il a une sale réputation qu'il ne cesse d'entretenir, voguant d'employées en employées, de clientes en clientes.
- Moi tout roule, il finit par dire. Pour un vendredi, je le sens mal. Je ne sais pas trop comment expliquer, tout est bizarre en ce moment vous ne trouvez pas ?
- Ça, c'est parce que t'as pas baisé depuis longtemps ! Je déclare en riant. Tu devrais venir avec nous, l'équipe des strip-teaseurs se feraient un plaisir de te former.
- Mais ça va pas ! Pour me faire toucher la nouille par des mecs aux mains poisseuses ? Jamais de la vie.
Je sens Courtney qui replace son bras sous le mien, signe qu'il faut qu'on écourte avant qu'elle ne l'étripe. Jason a beau être sympa en surface, pendant quelques minutes, au bout d'un certain temps il devient dérangeant. Donc comment vous dire que peu de personne dans l'équipe l'apprécie.
- On va y aller ! Je me presse en reculant. Les strings, ça ne se met pas tout seul !
- Ouais, si tu le dis...
Je lui lâche mon plus grand sourire et entraine mon amie vers les vestiaires pour que nous nous changions. Une fois là-bas, mon sourire se mue en un véritable et je me dépêche de saluer avec joie toutes mes collègues.
Ici, c'est l'univers le plus incroyable que vous pourriez connaitre. Paillettes, vêtements, sous vêtements, maquillages, tout y est pour vous rendre plus princesse que vous ne l'êtes déjà. Tout est organisé et crée selon nos envies : pas de dress code, juste l'inspiration du jour. Quelques fois nous devons nous plier à quelques règles selon les évènements, mais ça ne va pas plus loin qu'un ensemble de couleur. Jamais nous ne sommes forcées à porter ce que nous ne voulons pas.
Aujourd'hui, pas de paillettes ni de froufrous, je me décide à vêtir une minijupe rouge et un soutien-gorge en grosses mailles de laine noire basique. Ma bouche s'étire quand je remarque de Courtney a choisi la même jupe que moi, mais je ne dis rien de plus. Je chausse de grands escarpins rouges ce qui a le don de rendre mes jambes plus fines qu'elles ne le sont. Et j'aime qu'on le remarque.
- Courtney ? Je demande en haussant la voix.
Une tête brune immerge d'un portant de vêtements qui la cachait à ma vue.
- Oui ? Elle me demande rouge à lèvre en main.
- Je suis prête, je vais juste voir Greyson avant, j'avais un truc à lui demander par rapport à ma paie.
- Pas de soucis ma belle, on se rejoint sur la scène.
Elle me mime un baiser qu'elle envoie dans le vide et je l'attrape pour le plaquer contre mon cœur.
En vérité, je n'ai rien à revoir sur ma paie du mois dernier, tout est en règle. Ce que je dois voir, c'est enfin commencer le remboursement de la maison. Depuis deux ans maintenant que je travaille d'arrache pied pour payer une vie convenable à Henriette et Isaac, et deux ans que j'ai réussi. Actuellement, nous ne sommes plus dépendants de Greyson financièrement, et j'ai même pu lui rembourser l'année qu'il nous a aidé. Habitués à un rien, nous n'avons pas vraiment dépensé mais plutôt conservé nos habitudes de « pauvre ». Avec le salaire que je gagne, je suis vite arrivée à tout rembourser.
Mais maintenant, il reste une chose qu'il ne m'a pas demandé, mais que je souhaite faire. La maison. Cette maison qui a redonné de l'espoir à mes parents. Celle qui m'a fait découvrir la chance d'avoir un vrai toit sur sa tête.
Elle appartient à Greyson, en totalité, et même si je lui demandais de nous la céder, je sais qu'il le ferait. Mais je ne veux pas procéder comme ça. Je veux acquérir de mes propres moyens ma vie, continuer de mériter ce que j'ai aujourd'hui.
Je sors du vestiaire et me dirige rapidement vers le bureau du patron. Le club ouvre dans moins d'un quart d'heure donc je dois aller vite.
Quand j'arrive devant la porte noire en bois, j'hésite un instant à frapper mais me résous à le faire. Peut-être qu'il n'est pas là, je me dis pour me rassurer. Mais sa voix me disant d'entrer me parvient de l'autre bout de la porte, et j'inspire pour pénétrer dans son espace.
Ce bureau est tout ce qu'il y a de plus impersonnel : gros bureau en bois, une bibliothèque remplie de dossiers et de documents administratifs, et c'est tout. Je peux comprendre qu'il n'ait besoin de rien d'autre, mais bon.
- Comment vas-tu, Harper ? Il me demande en souriant.
- Bien et toi ?
- Pareil.
Les cernes sous ses yeux bleus me percutent un peu plus à chaque fois que je le vois. Avec le temps, il s'est affiné mais sa carrure d'athlète n'a fait que progresser. Je ne sais pas combien de temps il passe à faire du sport, mais je tuerai pour voir ses abdos.
- Pourquoi tu voulais me voir ? Me dit-il d'un air interrogateur.
- La maison, on en a déjà un peu parler, je lui explique cash, mon salaire vient de tomber alors je veux commencer à verser ce que je te dois.
Il ne répond pas de suite mais je sais que son cerveau tourne à mille à l'heure. La première fois qu'on a en parlé, il a tout fait pour me dissuader, comme quoi c'était de l'argent perdu et que ça lui faisait plaisir de nous offrir ça. À force, il me connait. Il sait que c'était peine perdue.
- Bien, si c'est ce que tu souhaites, lâche-t-il dans un soupir. Je ne suis pas sûr d'avoir le dossier de la maison là, ou du moins les détails pour que tu me règles. J'ai dû laisser ça dans ma voiture comme je me doutais que tu débarquerais dans la semaine. Je vais les chercher, tu ne bouges pas ?
J'acquiesce d'un signe de tête tandis qu'il se lève pour rejoindre la porte. Mon cœur s'affole quand il s'approche de moi, me faisant me sentir minuscule malgré mes talons. Il me sourit doucement, d'un air assez triste qui ne lui ressemble pas, avant de quitter la pièce pour rejoindre sa voiture.
Mon hyper-activité pointant le bout de son nez, je me demande ce que je vais bien pouvoir faire le temps qu'il revienne.
Aucune distraction en vue, pas un livre intéressant, pas une seule photo à critiquer, rien. La seule chose qui me titille, c'est la porte à droite de son bureau. Depuis que je suis ici, je n'ai jamais su ce qu'il se trouvait derrière. Chaque fois que je viens dans cette pièce, c'est comme si elle m'appelait pour que je l'ouvre.
Je jette un œil vers la porte, sachant pertinemment que c'est mal, puis me dirige à pas de loup vers celle-ci. J'appuie sur la poignée, m'attendant à ce qu'elle soit fermée à clé mais pas du tout ! Elle s'enfonce sous le poids de ma main et je lâche un hoquet de surprise. Mon cœur bât si fort que je sens les veines de mes bras palpiter sous ma peau. Je jette un dernier coup d'œil à la porte d'entrée, personne.
Je pousse la poignée vers moi pour ouvrir la porte, et ma bouche s'ouvre comme celle d'un poisson quand je regarde dans la pièce. Ce que je pensais être une chambre rouge ou je ne sais quoi n'est qu'en fait d'un placard très petit où sont accrochées au mur des dizaines de photos et notes de tout genre. Je n'ai pas besoin de beaucoup de temps pour savoir de quoi il s'agit à partir du moment où je reconnais l'ex associé de Greyson sur une photo. Ses yeux clairs transpercent les miens tandis que la photo au centre du reste me brise le cœur.
- Ce que tu vois te plait ? Me demande une voix grave dans mon dos.
Je me tourne vivement en fermant la porte, honteuse d'avoir été prise la main dans le sac. Il vient de se téléporter ou ça se passe comment ?
- Je m'excuse, je bégaye, je ne voulais pas...
Greyson ne dit rien et se contente de fuir mon regard en se concentrant sur une feuille qu'il me tend. Je la saisis et comprends qu'il faut que je parte rapidement si je ne veux pas mourir ici.
Sans un mot, je m'éloigne du placard pour rejoindre la sortie, où j'hésite à fuir pendant quelques secondes. Face à la porte noire, je tente quand même de dire quelques choses pour en savoir plus.
- Pourquoi tu enquêtes ? Je demande. Ces fils, ces notes et photos... C'est une enquête, pas vrai ?
Lui aussi met du temps à répondre, si bien que je suis persuadée qu'il ne dira rien. Quand sa voix s'élève dans la pièce, l'étrange calme et maitrise qui la teinte me donne des frissons.
- Oui. Il ne s'est pas suicidé.
- Mais...
- Non. Il n'aurait jamais été capable de faire ça.
Je ne dis rien de plus et ouvre la porte pour sortir du bureau, car je sais que cette conversation ne mènera à rien.
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