Chapitre 18

Rien à sauver quand tout est déjà mort.

Harper — 18 ans

J'arrive devant l'adresse indiquée par mon GPS, mais je ne suis pas du tout sûre de vouloir entrer dans cet endroit. La façade en bois fait très rustique, mais la décoration viking... too much. Je regarde autour de moi, espérant tomber sur des gens de mon groupe, mais la rue est vide.

Aucune fenêtre, une seule porte d'entrée inquiétante, et aucune autre indication. La seule chose qui me confirme que c'est ici que je dois me rendre, c'est le petit panneau à l'entrée, annonçant tous les forfaits que propose l'établissement.

Quand j'ai reçu un mail, hier soir, m'indiquant le lieu de la première journée de cohésion du Milady's club, j'ai failli recracher l'eau que j'ai avalé. Je ne pensais jamais m'adonner à ce genre de pratiques, mais comme quoi, tout est possible.

Je range mon téléphone dans mon petit sac, inspire profondément, et me décide à entrer dans le bâtiment. Quand j'ouvre la porte, la chaleur qui se dégage me donne directement des bouffées de chaleurs, faisant redoubler mon stress. J'entre totalement, refermant la porte derrière moi le plus doucement possible. Je ne voulais pas me faire remarquer, mais l'homme à ma droite semble me fixer depuis le début.

Derrière son comptoir en bois — décidément, ils aiment les échardes —, il se met à me sourire, rendant son air de bûcheron très attendrissant. Sa grande barbe est décorée de petites fleurs multicolores ce qui me fait sourire, et je me détends très vite d'un coup.

Je m'approche de lui, observant l'atmosphère dans laquelle je me trouve. Hormis le comptoir champêtre, le reste de la pièce est étonnamment neuf, contrastant avec la façade particulière. Une douce musique raisonne autour de moi, si bien que je commence à me demander si je ne me suis pas trompée d'endroit.

-    Vous venez pour le truc de cohésion d'équipe ? Me demande l'homme qui a une voix très aiguë.

-    C'est ça, je ne sais pas comment vous procédez, s'il y a une liste ou...

-    J'en ai une, ne vous inquiétez pas ma petite dame. Détendez-vous, personne ne vous tuera ici, encore moins moi ! Je suis aussi doux qu'un chaton.

Je ris doucement en l'observant chercher le bon registre. Malgré son air dangereux, c'est vrai qu'il a l'air très doux comme homme.

-    Votre nom ? Me demande-t-il en sortant une liste sur un papier.

-    Harper Hayes, je dis.

Il parcourt rapidement la liste des yeux et surligne mon nom en fluo jaune dès qu'il semble m'avoir trouvée. La liste semble à moitié cochée, ce qui me rassure. Je ne suis pas en retard.

-    Alors, vous allez aller tout droit dans le couloir, m'explique l'homme. Je suis seul aujourd'hui donc je dois rester à l'accueil au cas où que vos collègues n'arrivent. Vous êtes dans la 4ème salle, la plus grande. Elle est donc tout au bout, vous ne pouvez pas vous tromper. Je vous souhaite bonne chance, et on se revoit tout à l'heure !

J'acquiesce et le remercie avant de me rendre à l'endroit indiqué. Dans le couloir, plusieurs salles sont côtes à côtes, mais impossible de voir l'intérieur à cause de l'opacité des petites fenêtres. Je regarde les numéros et trouve la 4ème salle, qui ne comporte pas de fenêtre. Est-ce que je me suis trompée ?

Je respire un bon coup comme tout à l'heure, et appuie sur la poignée pour pénétrer dans la pièce. Quand j'immerge, les conversations ont cessés, faisant de moi le centre de l'attention. Des dizaines de têtes se tournent vers moi, me faisant monter le rouge aux joues.

Je bégaye ce qui ressemble approximativement à un bonjour tout en refermant la porte derrière moi, et les conversations reprennent naturellement. Quelques personnes me répondent, mais la plupart me jugent de haut en bas quand même.

-    Harper, bienvenue ! m'accueille Greyson les bras grands ouverts.

Il me salue d'une accolade que je lui rends, tendue comme un arc. Tout le monde semble maintenant trop occupé pour nous observer, et ça me convient.

-    J'espère que tu n'as pas eu de mal à trouver, me dit mon nouveau patron en souriant. J'ai choisi cet endroit exprès pour la discrétion. Je ne vais pas te présenter à tout le monde, ça se fera au fur et à mesure.

-    D'accord, merci en tout cas, je dis doucement.

-    Merci pour quoi ? Toute l'équipe est conviée. J'espère que tu te feras des amis en tout cas.

Je lui offre un sourire forcé, pour faire semblant d'aller bien, mais il ne semble pas dupe. Il s'approche de moi pour me chuchoter à l'oreille, son souffle chaud me faisant sursauter.

-    Essaye de ne pas sauter sur mes genoux, cette fois. Ça risque d'être gênant.

Je ne dis rien, totalement mortifiée par ce qu'il vient de dire. Si jamais ça se sait, je n'aurai même pas le temps de me présenter à mes collègues qu'ils me détesteront déjà. Et après, bonjour les rumeurs comme quoi je couche avec le patron.

Je m'écarte de lui, reprenant confiance en moi d'un seul coup.

-    Je ne vois pas ce que vous voulez dire, mais faites attention. Il m'arrive de mordre.

Mon patron explose de rire et je ne quitte pas ses yeux bleus des miens.

- C'est exactement pour ça que je t'ai embauchée, il réplique d'une voix basse qui me fait frissonner.

Décidément, ça risque d'être cocasse tout ça.

***

Je reste à l'écart de la foule, coincée entre un blond athlétique qui contracte les muscles de ses bras depuis mon arrivée, et un brun pas très souriant que toutes les femmes de la salle observent discrètement. Je croise les bras sur ma poitrine, pas très à l'aise de ce rassemblement. Tu vas te dépêcher de parler Greyson !

Notre patron est tout devant, accompagné du bûcheron de tout à l'heure, près à entamer un discours devant sa troupe d'employé. Son sourire rayonne dans la pièce, si bien que la moitié des strip-teaseuses sont déjà sous le charme. Leurs regards aguicheurs typique de ce métier les trahissent.

Cependant, quelque chose me chiffonne dans son attitude. Ce qu'il dégage me met mal à l'aise, comme si je n'étais pas face à la personne que j'ai déjà pu rencontrer.

Son sourire est faux.

-    Merci à tous de vous être libérés, commence enfin Greyson. Comme vous le savez, demain soir est enfin l'ouverture du Milady's club !

Tout le monde commence à acclamer Greyson, applaudissant et sifflant notre patron qui semble ravit. Le brun à côté de moi qui faisait la gueule jusqu'ici sourit enfin, applaudissant de ses grandes mains Greyson.

-    Merci mais c'est grâce à vous. Je ne vais pas m'étaler avec un grand discours, je garde ça pour demain ! Mais avant tout, place à la guerre. Comme vous le savez, ce tournoi va vous permettre d'apprendre à vous connaitre et me permettre de me rapprocher de vous. Vous n'êtes pas sans savoir que ce club sera mon foyer principal, mon associé Kabir résident dorénavant à New York. Il n'a pas pu faire le déplacement, mais vous offre le même accueil que moi. Je vais laisser mon ami Marvin vous faire le speech, et on pourra enfin commencer cette journée de cohésion !

Il désigne Marvin qui se fait acclamer chaleureusement, et je le crois même rougir sous sa grosse barbe. J'applaudis aussi, lui donnant un peu de courage pour parler devant autant de gens.

-    Comme vous le savez, commence Marvin de sa voix aiguë, nous allons procéder à un tournoi. À la demande de votre patron, pas d'équipe mais des matchs individuels. Pour ne pas passer des heures, vous ne ferrez pas de 2v2, mais vous serrez beaucoup plus jusqu'à qu'il n'en reste qu'un.

Je regarde nerveusement autour de moi pour voir si d'autres personnes semblent peu confiantes vis-à-vis de cette activité, mais tous semblent plus déterminés que jamais.

Marvin reprend, expliquant brièvement les règles, comment faire pour ne pas se blesser et viser juste. Quand il nous fait une démonstration, je crois m'évanouir en voyant la hache voler à toute allure jusqu'à la cible. Un tournoi de lancer de hache, quelle idée !

Quand tout est clair, il sépare une première fois le groupe en deux, pour faire la première partie du tournoi. Le but est simple : 5 parties chacun, on accumule un certain nombre de point et on gagne. Si jamais il y a deux personnes ex æquo, alors un dernier duel les départagera.

Honnêtement, je ne suis pas emballée plus que ça.

Le premier groupe se met en place, chacun protégé par des box individuels couverts de plexiglass. La cible droit devant, Marvin donne le top fatidique et tous lancent leur hache avec rage. Beaucoup n'atteignent pas leur cible, mais rient de bon cœur face à la situation.

Marvin compte les points qu'il inscrit sur un grand tableau en craie au fond de la salle. Rapidement, il demande au deuxième groupe de se mettre en place.

Je me pose devant un box, les mains tremblantes en m'emparant de ma hache. Je suis étonnée de voir qu'elle n'est pas si lourde que ça, mes doigts agrippant bien le manche.

J'attends le top départ de Marvin qui met du temps à arriver, et je ne semble pas être la seule d'être prise d'une soudaine hâte. À ma droite, une jeune asiatique aux cheveux noirs semble vouloir en découdre avec la cible au vu de ses sourcils froncés, ce qui me fait sourire. Mais à ma gauche, je découvre à nouveau le blond de tout à l'heure, hache sur l'épaule, me regardant bizarrement. Il me lâche un clin d'œil, et je mime une envie de vomir pour lui faire comprendre de dégager.

Marvin à la rescousse, il nous ordonne de lancer. J'arme ma hache, vise tant bien que mal la cible, et lance en fermant les yeux. Drôle de stratégie, certes, mais quand je les ouvre, je découvre que ma hache est fermement plantée dans la cible. J'écarquille les yeux, stupéfaite, et me rapproche pour mieux observer mais je ne rêve pas. Bien plantée dans le bois, elle n'est même pas en dehors de la cible mais plutôt presque au milieu.

-    4 points ! S'exclame Marvin en passant près de mon box. Bravo ! C'est génial pour un premier tour, personne n'a fait autant sauf Greyson, qui a fait 5.

Je le cherche dans un des box mais ne le trouve pas, il était sûrement dans le premier groupe. Les cibles allant de 1 — le plus à l'extérieur — à 5 — le centre —, je sens mon torse se gonfler de fierté. La femme à ma droite n'est pas loin, faisant 3 points, et l'homme à ma gauche... Je ne sais même pas où est sa hache. Il la ramasse au sol avec rage, les joues rosies par la honte.

Je ris doucement sans m'en cacher, ce qui me vaut un regard noir de l'intéressé. Je lui montre des yeux ma cible, ce qui fait redoubler sa colère.

Eh ouais, y en a dans là-dedans !

***

Les tours s'enchaînent rapidement, et j'adore. Je mets toute ma force et ma conviction dans la hache, atteignant toujours ma cible. Je réussis à me rapprocher du ventre, alternant les 4 et 5.

Je fais des grimaces au blond pour le décourager, lui qui est déjà extrêmement nul, et me retrouve à lancer des regards complices à l'asiatique quand on distrait l'homme.

Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, Marvin nous appelle pour nous réunir après notre 5ème et dernier coup.

-    Bravo à tous déjà, lance-t-il avec un grand sourire aux lèvres. Vous avez tous joué le jeu, et c'est déjà une belle victoire. J'aurais voulu faire de suite le podium, mais nous nous retrouvons avec un problème bien plus gros. Il y a deux personnes ex æquo, ce qui veut dire : ultime lancer pour eux. Greyson, Harper, avec 22 points chacun, je vous invite à rejoindre un box.

Les joues rouges, je me retourne vite pour ne pas avoir à affronter la foule du regard. Greyson arrive avec moi, s'installant à ma gauche. Son regard se fait si intense que je me reprends, il faut que je lui fasse peur. Je le soutiens du regard, prête à lancer une bataille s'il le faut.

-    Armez-vous ! Dit tout fort Marvin tandis que mes collègues nous acclament.

Je brandis ma hache, prenant une attitude de femme viking pour lui faire peur. Il me sourit en ramenant sa hache à lui suite à un lancer maitrisé dans les airs. Pff, frimeur.

Je me tourne vers la cible, plus concentrée que jamais. Quand Marvin donne le top départ, j'oublie le monde autour de moi et vise. Je ferme les yeux, et lance le projectile de toutes mes forces.

Il s'écoule quelques secondes avant que je n'ose ouvrir les yeux, et contre toute attente, ma hache est plantée dans le bois, en plein sur le centre. je tourne la tête pour observer la cible de Greyson qui a totalement foiré son coup. Sa hache est plantée en plein dans les deux points.

-    Harper a gagné ! Hurle Marvin.

Je me retourne et vois tout le monde qui saute partout en criant de joie. Je ris pendant que deux hommes m'attrapent, me hissant en l'air comme si j'avais gagné le Tour de France. Je ris encore plus fort quand on me tend un trophée en or représentant une hache dans un rondin de bois. Je le brandis en l'air avec fierté, et regarde Greyson qui frappe dans ses mains.

Quand on me descend, je le rejoins directement pour le féliciter.

-    Tu le mérites, j'étais trop distrait pour viser juste, me dit-il.

-    Distrait ? Je demande en fronçant les sourcils.

-    C'est presque un miracle que je n'ai tué personne.

J'ouvre la bouche pour l'interroger comme il ne répond pas à ma question, mais son téléphone se met à sonner dans la poche de son costume. Il s'excuse avant de s'éclipser, téléphone a l'oreille.

Soudain, en une demi-seconde, l'ambiance si joviale et réconfortante change du tout au tout, devenant pesante et inquiétante. Plus d'éclat de rire, plus de discussion mouvementée. Elles se font à voix basse, chacun collé à l'écran de son téléphone.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe, ce qui me fait me sentir totalement à l'écart du groupe. Le brun de tout à l'heure, monsieur sourire, s'approche de moi en voyant ma détresse.

-    Regarde ça, me dit-il gentiment en me donnant son téléphone.

Quand je regarde sur l'écran, il est ouvert une page d'un grand magasine d'actualité, faisant souvent des articles à scandale. Mais ce que j'y lis est tout autre pour une fois.

« Le célèbre Kabir Ray, proche ami et collaborateur de Greyson Myers, a été retrouvé mort dans son appartement de New York. »

Mon cœur se serre quand je regarde la suite de l'article, à la recherche d'informations.

« Kabir Ray vient d'être retrouvé dans sa suite, noyé dans son bain, les veines ouvertes. Les enquêteurs soupçonnent que le jeune homme ait voulu mettre fin à sa vie. Nous n'en savons pas plus pour le moment. »

Je relève le nez de l'écran, tentant de voir si Greyson est quelque part dans la pièce. Mais il n'est nulle part en vue. Disparu de la circulation, et je ne peux rien faire pour lui.

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