Chapitre 17
Desperate Housewives, épisode 1
Harper — 18 ans et 2 heures
Malgré l'heure tardive, les lumières de la caravane sont bien allumées et mon cœur se serre très fort dans ma poitrine, l'émotion je suppose. Je toque à la petite porte et entends directement des voix s'élever dans l'habitacle, pressées, excitées, émotives.
Henriette m'ouvre la porte, et je constate qu'elle a changé son pull pour une chemise de nuit rose pâle et des bigoudis de vieille grand-mère emmêlés dans ses courts cheveux blancs.
- Vous avez reçu mon message ? J'articule doucement en contenant mon sourire — et mes larmes.
- Bien sûr ma chérie, nous n'avons pas pu nous résoudre à dormir, m'explique ma mère. Il faut que tu nous expliques tout ça, entre.
Je la remercie d'un bref signe de tête et entre dans la caravane, prenant quand même le temps de la saluer d'une courte accolade. Isaac tente désespérément de se lever de son siège, mais je me précipite dans le petit salon pour l'en dissuader. Le pauvre, il est déjà très tard et a veillé pour m'attendre, je ne vais pas le fatiguer encore plus en exigeant qu'il se lève.
- Ça va ce soir, papa ? Je demande en m'asseyant à côté de lui, Henriette nous rejoignant.
- Je crois oui, je suis en pleine forme mais je ne sais pas trop pourquoi. Henriette m'a lu ton message, tu peux nous expliquer ?
J'hoche la tête, heureuse de voir qu'il est très lucide ce soir et leur explique le déroulement de ma soirée. Bien évidement, je leur passe les détails les plus cocasses et me concentre sur l'offre d'emploi que j'ai obtenue.
- Mais, ça serait pour travailler en quoi ? Me demande Henriette en baillant.
- Je serais serveuse, je mens consciemment. Et on m'a proposé une maison pour nous trois, pour être plus proche de mon lieu de travail.
- Nous trois ? Demande Isaac en se grattant la tête.
- C'était ma condition. Je ne vais pas partir à l'autre bout du pays sans vous emmener avec moi ! Vous êtes les seules personnes qui comptent dans ma vie, je vous veux près de moi. Tu auras tout le confort possible, Isaac. Et toi, Henriette, tu auras une vraie cuisine pour nous faire des gâteaux. Il y aura de la place pour marcher, la mer n'est pas loin et la ville est assez sympathique de ce qu'on m'a dit.
Je me tais pour observer leur réaction, mais tous deux se fixent intensément, comme s'ils discutaient par télépathie. Isaac passe sa main fripée dans ses cheveux inexistant, avant de reprendre.
- Comment vas-tu payer tout ça ? Nous n'avons pas les moyens. Et pas les moyens de te rembourser.
J'éclate de rire ce qui étonne mes deux parents.
- Après tout ce que vous avez fait pour moi, vous pensez vraiment que je vais vous demander un remboursement ? Celui qui m'offre le job à assez d'argent pour payer la maison, nous n'aurons pas un centime à verser. Hormis le confort de vie quotidienne, comme la nourriture et tout ça, il s'occupe de la maison et de la décorer à notre goût. Petit à petit, je mettrais de côté un bout de mon salaire pour pouvoir prendre la main sur toutes les charges.
- Mais quel genre d'homme ferait une chose pareille ? Nous sommes minables, nous n'avons rien à offrir en échange, continue Isaac.
- Il ne demande rien. J'en ai longuement parlé avec lui avant de rentrer, pour être sûre de ne pas me faire avoir. Il veut vraiment faire bien, je crois. Et honnêtement, il a assez d'argent pour le faire.
Je me tais un instant. Dans le taxi que m'a payé Greyson pour rentrer, j'ai tourné et retourné dans mon esprit le déroulement de cette soirée épuisante, essayant de comprendre son comportement. Aucune solution, juste plus de doutes. Il m'a paru très sincère dans sa proposition, presque pas hésitant à accepter mes conditions farfelues et coûteuses. Après ça, il m'a exposé son projet de fond en comble, et tout semblait réglo. Pas de plan foireux comme Tony, juste un vrai projet d'entreprise.
Au final, je me suis dis qu'il est connu dans le monde entier, les paparazzis se l'arrachent : s'il n'était pas certain de son projet et de sa proposition, il n'aurait pas pris le risque de faire exploser sa carrière à cause d'un scandale si énorme.
Et honnêtement, j'ai fait une fois la une des journaux, ça m'a valu une coupe de cheveux et de la merde de poule, donc plus jamais.
- Il est sincère, c'est tout ce que je peux dire, j'affirme pour conclure.
- J'ai une dernière question, dit Henriette en me regardant dans les yeux. Nous avons confiance en toi, nous te suivrons jusqu'au bout du monde s'il le fallait, je sais que Noah l'aurait voulu.
Mon cœur se serre à la mention de mon frère, mais je me retiens de pleurer. J'ai trop versé de larmes lors de cette soirée.
- Qui est cet homme ? Elle me demande simplement.
Ma bouche s'ouvre puis se referme instantanément. Je redoutais cette question, pourtant totalement légitime. Ils n'ont pas oublié les conséquences qu'a eu cet homme sur moi. Ils n'ont pas pu ignorer mes diverses blessures corporelles, les semaines qui ont suivi cette fameuse après-midi. Je n'ai pas oublié non plus.
Mais, est-ce que c'était vraiment de sa faute ? Je ne pense pas. Bête comme je suis, je n'ai juste pas pensé aux conséquences. C'est de la mienne. De ma faute si j'ai fini dans cet état. Je ne peux m'en prendre qu'à moi.
- Il s'agit de Greyson Myers, je déclare simplement dans un souffle. Je sais ce que vous allez dire, mais je vous assure qu'il ne m'avait pas reconnu de suite. Et honnêtement, je pense qu'il culpabilise un peu de tout ce qu'il s'est passé, bien qu'il ne sache pas tout le reste.
- Merci d'être honnête, dit Henriette en souriant tendrement. Je ne voulais pas de justification, nous te faisons confiance. Je voulais juste savoir si tu allais me mentir.
- Comment tu as deviné que c'était lui ?
- Les sourires ne mentent pas, ma chérie.
***
Je sors de la voiture en première pour aller aider mes parents à sortir du bolide de location que nous a pris Greyson.
Ce matin, il m'a envoyé un message sur mon téléphone pour me prévenir de faire nos bagages, une équipe de déménageur allait débarquer dans une heure. Heureusement, Isaac et Henriette sont du genre matinal, ils étaient déjà plus que près quand je leur ai dit qu'on partait aujourd'hui. Qu'on laissait cette merde de caravane derrière nous dans l'heure.
Sans râler, ils se sont activés pour ramasser leurs affaires dans des cartons qu'Isaac a demandé au petit voisin. Avec joie, il nous a ramené une dizaine de gros cartons qu'il a déniché je ne sais où sans soucis.
En deux heures, le peu d'affaire qu'ils possédaient a été emballé et mis dans le camion des déménageurs. Ayant anticipé ma fuite de chez mes réels parents, mes affaires ont déjà été emballées avec soin et emmenées par moi-même chez Isaac et Henriette, le matin de ma dernière soirée aux ordres de Tony. Je n'ai même pas eu besoin de déballer quoique ce soit qu'elles sont déjà en route pour notre nouvelle vie.
J'ouvre d'abord à Henriette, qui m'aidera à tenir Isaac lors de sa sortie. Mais au final, le temps qu'elle sorte, le chauffeur s'est gentiment occupé de mon père, sans qu'on ne lui demande quoique ce soit. Je l'ai remercié généreusement avec un pourboire datant des billets récoltés lors de ma dernière soirée. Il semblait surpris et ému, ce qui m'a vraiment touché alors que c'est le geste le plus naturel du monde.
Henriette s'étire comme elle peut, tout comme Isaac, un peu rouillés. En effet, les heures de routes que nous avons fait se sont avérées plus longues que prévu. Le pire c'est que nous étions tellement impatients que les minutes s'allongeaient à n'en plus finir.
Mais maintenant que je suis face à la maison — notre maison —, mon excitation se transforme en une sorte d'angoisse. C'est comme si j'étais dans un rêve, trop beau pour que ça soit réel, trop vrai pour que ça ne soit qu'un mirage.
Je sens une main se poser délicatement sur mon épaule pendant que j'observe la façade blanche de la maison.
- C'est beau, me dit tout bas ma mère et je devine qu'elle pleure au son des mots qu'elle prononce.
- Vous le méritez, je dis à mi-voix.
Isaac nous rejoint, prenant sa femme dans ses bras fins et pendants. Nous restons quelques minutes enlacées tous les trois, observant notre nouvelle maison.
La façade blanche est impeccable, éclatante de propreté. La maison semble immense de l'extérieur, contenant même un palier auquel on accède par des marches donnant directement sur la porte d'entrée. Le jardin qui l'entoure est si bien tondu que j'ai envie de me rouler dans l'herbe jusqu'à l'épuisement. Un drapeau américain s'élève fièrement sur le palier, bougeant doucement selon la brise du vent.
Chez nous.
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