Chapitre 16
Olala Chihuahua (à dire avec un accent)
Harper — 18 ans
Quand je regarde rapidement à la montre d'un homme costumé passant près de moi, je remercie l'univers de m'offrir cette porte de sortie. Dans deux minutes, je pourrais m'enfuir sans que Tony ne me rattrape. Dans deux minutes, je ne serai plus sa chose. Dans deux minutes, ma vie commence.
Pense aux étoiles, Harper.
Mon patron est arrivé si vite que je n'ai rien pu faire pour arranger mon cas, hormis avoir la patience et la bonne idée de ne rien dire. Mais quand il a salué l'homme avec qui je passais du bon temps, j'ai cru que mon monde s'écroulait sous mes pieds.
Monsieur Myers. Le même sur qui j'ai craché il y a maintenant des années. L'homme si riche qu'il est évidemment invité à cet évènement. Ses yeux bleu céruléen auraient dû me mettre sur la piste. Au lieu de ça, je me suis noyée dans mon travail, noyée dans la prunelle de ses yeux sans regarder au-delà du masque qu'il porte.
- Il me semble que tu as rencontré ma meilleure artiste ! S'exclame Tony en souriant bizarrement. Harper est de loin la meilleure de toute !
Mon cœur bat si fort dans ma poitrine que je croise les bras, espérant cacher la nervosité qui me ronge. Mes joues deviennent si rouges qu'elles me brûlent tandis que je sens le regard de Greyson se poser sur moi.
Je me contente de fixer Tony, l'estomac au bord des lèvres. Dans une minute, je m'en vais.
- Il me semble que tu en as déjà entendu parler ? Renchérit mon patron en s'approchant de moi.
Il prend mes épaules maigres entre ses mains remplies de bagues qui tintent près de mon oreille, et je me laisse faire quand il me les frotte. Je crois que je vais vomir.
- Elle a rejoint nos rangs il y a deux ans maintenant, nous sommes très fiers de son parcours ! Malheureusement, elle nous quitte ce soir.
Sa voix prend une teinte de tristesse, comme si la fin de mon contrat était la chose la plus difficile à vivre. Ce qu'il ne sait pas, c'est que je l'ai entendu recruter trois personnes de plus pour compenser ma perte. Comme quoi, personne n'est irremplaçable.
Je jette un coup d'œil nerveux autour de moi, tentant désespérément de trouver quelque chose qui indique l'heure, la montre ayant disparu dans la foule. Rien.
Tant pis, la minute doit déjà être bien écoulée. Je m'écarte des bras de Tony sans un regard pour personne, et me dérobe de tout le monde en fonçant tête baissée dans la masse.
Les corps me poussent tandis que le rire de Tony s'amenuise avec la distance. Les bras plaqués contre ma poitrine, c'est limite si je ne ferme pas les yeux pour accéder à « l'entrée des artistes ». Les mains qui me touchent me font frissonner, les regards qu'on me lance me donnent envie de vomir, mais j'avance toujours plus jusqu'à respirer.
Traversant le couloir à grandes enjambées, je trouve le vestiaire qui a été nettoyé pour chercher le sac que j'ai abandonné dans un casier. Hors de question de sortir à l'extérieur dans cette tenue, je me change le plus rapidement possible. J'enfile le jean que je portais par-dessus mon short, prenant soin d'en enlever les liasses de billets que j'ai obtenu à la sueur de mes seins — littéralement. Je range tout ça au fond de mon sac et enfile mon t-shirt ample pour cacher mes formes.
Ce n'est que maintenant que j'arrive à respirer pleinement l'air frais de la pièce.
J'enlève enfin le loup qui me cisaillait la peau, et constate dans un miroir les traces rouges qu'il m'a laissé à force de frotter contre ma peau claire. Mon mascara noir a coulé sur mes paupières tandis que mon rouge à lèvre ne ressemble plus à rien tellement il a servi.
J'attrape un coton propre que je remplis de démaquillant, et le badigeonne sur mon visage jusqu'à ne plus avoir de traces visibles sur ma peau. Mes yeux me piquent et ma gorge se noue à cette vue mais je m'interdis de pleurer.
Quand une tête immerge sur le pas de la porte, je sursaute et la panique me gagne.
- Ça va ? Me demande Frédérico avec douceur.
Je me retiens de vomir en essayant d'articuler quelques mots.
- Je crois.
- Je ne vais rien te faire, tu le sais ? Il me dit.
- Je sais.
Un blanc se fait et j'en profite pour jeter mes cotons. Mon poignet me démange mais je plante mes ongles dans ma paume de main pour me retenir au maximum. La crise de panique que je refoule depuis quelques minutes explosera, c'est un fait. Cependant, je ne veux pas de témoin, et je ne veux surtout pas être ici quand ça se passera.
- Il est minuit passé, me dit-il sans entrer dans la pièce, tu peux t'en aller. Ou signer un contrat si tu le souhaites.
- J'apprécie ta tentative pour m'amadouer, mais je veux juste rentrer chez moi.
- Chez toi, où tes parents te frappent ?
Mon cœur loupe un battement, et je me tourne lentement vers Frédérico qui me fixe de son œil. Mon nez siffle quand je respire tandis que tout mon corps tremble.
- Non, je ne rentre pas là. Ils peuvent aller se faire foutre.
Mon ami hoche doucement la tête avant de fouiller dans son pantalon cargo noir. Il en sort un petit papier et un stylo. Je le regarde s'appuyer sur l'encadrement de la porte et griffonner quelque chose sur la feuille blanche, avant qu'il ne me la tende. Je la prends et vois un numéro écrit en italique dessus.
- Mon téléphone, m'explique-t-il, si un jour tu as un souci, appelle-moi.
J'acquiesce doucement et il part sans un mot de plus, me laissant seule avec la boule dans mon estomac. Je plie proprement le papier et le glisse dans la poche arrière de mon jean.
Il est temps de partir.
J'attrape mon sac et me faufile dans le couloir vide pour sortir par la sortie de secours. Personne sur mon passage pour m'arrêter, je sens la boule dans mon ventre prête à exploser, plus je m'approche de la porte.
À un mètre de la poignée, les images de ces deux dernières années défilent dans mon cerveau comme un vieux film. Ou plutôt comme lorsqu'on s'apprête à mourir. Je tends la main pour pousser la lourde porte au panneau « exit », mais on dirait que je suis attendue de l'autre côté.
Dans la nuit noire, seul le néon vert et les lumières de la fête éclairent son visage désormais démasqué. Un hoquet de surprise m'échappe et je reste comme figée alors que je devrais faire demi-tour. Lui non plus ne dit rien, son regard se cramponne au mien tandis que les larmes me montent.
Moi qui croyais évacuer ma crise d'angoisse dans le calme à l'extérieur, je me retrouve au bord de l'implosion devant un riche idiot au sourire craquant.
Je trouve la force de passer entièrement la porte qui se referme dans un petit clic. Il ouvre la bouche comme un poisson, mais rien ne semble sortir. Je serre les poings plus fort, attendant avec impatience ce qu'il veut me dire. J'ai 5 minutes devant moi tout au plus avant de craquer.
- Je suis désolé, il articule difficilement.
Ses yeux bleus s'écartent des miens, brillant à cause de l'alcool ingéré.
- Pour ? Je lui demande, les dents serrées.
- Ça. Tony, cette soirée. Tu ne méritais pas de vivre ça.
- Comme finir dans un journal à mon insu ?
Il relève vivement le nez pour m'observer, un sourire dessiné sur ses lèvres roses.
- Ça, c'est autre chose, me dit-il d'un ton rieur, tu savais à quoi tu te risquais.
- J'étais jeune.
- Tu l'es toujours.
- Moins que tu ne le crois.
Je tente d'ignorer mes mains qui se mettent à trembler si fort que mon souffle se coupe. Ma vue se brouille de larmes pendant que les images défilent de nouveau dans ma tête.
Les corps. Leurs mains. Mes cheveux que l'on tire comme Linda aime le faire. Le poulailler. Noah.
Une larme s'échappe, glissant lentement sur ma joue. Quand je m'en rends compte, je n'arrive plus à respirer. J'ai beau remplir mes poumons, j'ai l'impression de m'étouffer.
Mes larmes redoublent et Greyson vient près de moi, le regard totalement paniqué. Je tente de respirer mais mes poumons ne semblent jamais rempli. Tout mon corps tremble et j'ai l'impression que je vais mourir.
Greyson me prend dans ses bras, tentant de me rassurer en frottant mon dos. Je n'arrive pas à me détendre et ma respiration se fait plus haletante. Ses bras se resserrent autour de moi et je sens son souffle chaud dans mon cou, chuchotant des mots que je ne parviens pas à comprendre.
- Je vais mourir, je dis dans un filet de voix.
Il s'écarte de moi, plantant ses pupilles dans les miennes. Sa main attrape la mienne avec maladresse, et la pose sur sa poitrine.
- Essaye de suivre ma respiration, d'accord ? Tu ne mourras pas aujourd'hui, je n'ai pas envie d'aller en prison.
En temps normal, j'aurais ris à cette réflexion nulle. Mais là, je pleure tellement que je suis incapable de rire. J'essaye de me concentrer sur ses respirations qu'il ralentit pour que je le suive, et malgré les tremblements de mon corps, je parviens à me caler sur son rythme.
J'ai toujours l'impression de manquer d'air mais je sens les battements de mon cœur s'apaiser au bout de quelques secondes. Ma gorge me fait mal à force de pleurer alors je ferme les yeux pour ne pas affronter Greyson, honteuse.
- Allez, c'est ça. C'est bien ce que tu fais, Harper. Continue encore comme ça quelques minutes.
J'applique les consignes qu'il me donne tandis qu'il se rapproche de moi pour me reprendre dans ses bras. Je n'enlève pas la main de sa poitrine, de peur de perdre le rythme et de me sentir mourir à nouveau.
Mes larmes s'apaisent et je sens une première respiration emplir complètement mes poumons. Soulagée, je verse les dernières gouttes qu'il me reste et me détend dans les bras de Greyson.
Au bout de quelques minutes dans cette position, il me parle enfin.
- Tu as quel âge, Harper ? il me demande de sa voix rauque.
- 18 ans.
- 18 ans depuis quand ?
- 10 minutes.
Il ne dit rien et me serre un peu plus contre lui. Je libère mes bras de sa poitrine pour l'enlacer à mon tour, mon âme calmée pour quelques instants.
- J'ai un travail pour toi, si tu l'acceptes, me lâche-t-il comme ça.
- Quel travail ? Je demande dubitative.
- Le même qu'ici. Sauf que nous, nous sommes safe. Si tu veux juste danser, tu danseras. Si tu veux coucher, tu coucheras. Si tu veux tenir un bar, tu tiendras un bar.
Je ne dis rien, pas sûre de ce que je viens d'entendre. Quel genre d'homme demande à quelqu'un en crise de rejoindre son club de strip-tease ? Les hommes pour qui la vie d'autrui n'est pas une priorité, je suppose.
- Pourquoi je dirais oui ? Pourquoi serais-tu différent de tous les autres ?
- Touché, il me dit. Je n'ai rien pour te l'assurer. Juste ma parole. Je t'ai vu travailler, je te veux dans mon nouvel établissement. Il est dans une petite ville, loin d'ici et de Tony. Loin de ton père.
Mon corps se tend à la mention de mon paternel. Il semble le sentir car il me sert plus fort encore.
- Il me faut bien une forte tête pour me balancer mes quatre vérités tous les jours. Mon ego est bien trop gros, il faut que je me dégonfle de temps en temps.
Étonnée et amusée par sa réflexion, je souris contre son épaule.
- Je te veux vraiment, Harper. Ton prix sera le mien. Tu es bien trop précieuse pour ne pas mériter une vie digne de ce nom.
Je réfléchis quelques instants, installant un blanc entre nous deux qui, j'en suis sûre, le fait paniquer plus qu'il ne le montre. Mais en vérité, je sais déjà ce que je vais dire.
- Une condition.
- Je t'écoute.
- Une maison, une jolie maison. Pour moi et ma famille. Juste de quoi jeter cette caravane de merde.
Il s'écarte, m'arrachant à ses bras pour m'observer, les sourcils froncés.
- Tes parents ? Il demande.
- Ceux que mon frère a choisit avant de mourir.
Il fouille mon regard pour y chercher la moindre trace de mensonge, mais il peut chercher autant qu'il veut, je n'ai jamais été plus sérieuse qu'en ce moment.
- J'accepte, dit-il finalement. Mais avant, dis-moi comment tu t'appelles.
- Comment je m'appelle ?
Je fronce les sourcils à mon tour, ne comprenant pas pourquoi il me demande ça. Il sait pertinemment qui je suis et comment je m'appelle. Je suis même persuadé qu'il sait tout de moi grâce aux journalistes qui ont fouillés ma vie à mon insu, il y a 5 ans.
Son regard se fait plus intense pendant quelques secondes, et je comprends enfin où il veut en venir.
Il m'offre la possibilité de changer de vie. De ne plus être Harper Clark.
Je réfléchis quelques instants, me demandant ce qu'aurait dit Noah à ma place. Au bout de 2 secondes, je sais absolument quoi dire.
- Je m'appelle Harper, je déclare sans décrocher mes yeux des siens. Harper Hayes. Mes parents s'appellent Isaac et Henriette Hayes et je viens du Mississippi. J'accepte ce job à la condition d'une vie meilleure pour eux, et au droit de critiquer votre allure de fils à papa.
Greyson sourit, et à ce moment là, je me dis que je viens de changer ma vie pour toujours.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top