Chapitre 15
Brûle-moi si tu le peux.
Greyson — 31 ans
- Ça va être de la balle ! Gueule Kabir en levant les mains en l'air. Je suis tellement content que t'aies dit oui !
Je marmonne quelque chose que moi-même je ne comprends pas avant de m'avancer dans la queue. Nous ne sommes plus qu'à quelques mètres de la barrière qui mène à l'entrée mais mon impatience commence à prendre le dessus. C'est vraiment pour Kabir que je me traine dans cet endroit.
Chaque année, Tony Valera, un terrible concurrent aux méthodes peu recommandables, organise la soirée que personne ne doit rater dans le milieu de la nuit. Soirée ultra sélective, Tony se déplace lui-même pour inviter ses clients d'un jour, et bien sûr, personne n'a le cran de décliner.
Personne, sauf moi. Et ouais, je suis balèze moi. En général, j'essaye d'échapper comme je peux à cette soirée de débauche et de fête, trouvant une excuse bidon pour que mon associé y aille seul et profite. Mais cette fois, j'ai voulu marquer le coup.
Dans moins d'une semaine, le nouveau Milady ouvre, ce qui signifie la séparation de mon acolyte de toujours, et moi. Même si ça me fait un peu mal au cœur de me séparer physiquement de Kabir, c'est pour le bien de notre société qui ne fait qu'évoluer. Tourner une page, en ouvrir une nouvelle, quoi de mieux qu'une soirée pour ça ? Mais je n'y vais pas juste pour le fun : j'espère trouver de nouveaux employés à arracher à Tony. Le Milady a une équipe presque complète, à quelques membres près, ce qui m'embête. Je veux que tout soit parfait pour l'ouverture.
- Mec, on va entrer !
Je relève le nez du sol en tapis rouge sang et constate que plus personne ne se trouve devant nous. Je présente nos invitations aux gardes corps postés à l'entrée du bâtiment délabré, et on vérifie nos identités en demandant de baisser nos masques.
Toujours dans l'excès, Kabir a opté pour un loup entièrement doré qui a été porté par son père quelques années auparavant. Comment vous dire que l'or avec ses yeux clairs le rend juste canon. Son costard noir est tout à son image, c'est-à-dire bling-bling tout en étant décontracté et classe. Je note qu'il aurait pu enlever quelques bijoux, mais après tout, tout le gratin du strip sera présent, autant faire bonne impression.
Je baisse mon loup bleu pour que l'homme au crâne chauve et à l'œil unique m'observe de haut en bas. Sa carrure impressionnante me fait sentir tout petit mais je reste sûr de moi ; le paraître avant tout.
Un hochement de tête et nous voilà entrés. Kabir saute d'excitation tellement il a hâte d'y aller et je souris en voyant ses yeux briller. Chaque année, il m'en parle pendant des heures entières, révélant chaque ragot, chaque chose qu'il a vu ou faite, avec qui et dans quelle position. Autant vous dire que ce mec est un vrai gymnaste, je devrais prendre exemple.
- Il faut qu'on trouve Natsuho, elle m'a dit qu'elle est déjà là, suivi de 30 messages à l'aide, je déclare en riant doucement.
J'ai convié Natsuho Saito, notre experte en réseaux sociaux, pour pouvoir l'immerger complément dans le milieu, qu'elle adapte notre visage par rapport à ce qu'elle voit ici. Les clubs Milady sont réputés pour leur sécurité et leur bienveillance — même le plus trash de New York —, tandis que les affaires de Tony sont plus... traditionnelles. Je ne doute pas un seul instant de recevoir plus de vingt demandes de job pendant cette courte soirée juste pour ne pas être traité comme un bout de viande.
Nous longeons un couloir bondé avant de déboucher sur le vrai lieu de la fête. Plongé dans les néons rouges et blancs, la pièce immense semble tout droit sortie de l'imaginaire : un bar aussi long que mon avenir contenant des centaines de bouteilles d'alcool différentes, des barres de pole-dance encore vides et des tables à perte de vue. Retrouver Natsuho dans ce labyrinthe de monde masqué ne sera pas une mince affaire.
Ah oui, parce que chaque année, le bal a un thème bien particulier. Cette année : Dans les dessous de Venise ; soit : Mettez un masque et venez prendre votre pied. Ce que Kabir semble prendre au pied de la lettre vu que je l'ai aidé à enduire son corps d'huile pailletée pour l'occasion.
- Je crois que je vois ses cheveux roses, me dit-il en haussant la voix pour que je l'entende par-dessus la musique.
Je le suis à travers les corps en sueur avec confiance, ne sachant pas comment il a pu la voir avec toute cette lumière rouge et cette distance. Je mets mes mains sur ses épaules, et il les attrape en posant les siennes dessus pour que nous nous suivions. En effet, Natsuho nous attend seule à une table, des hommes tournant autour d'elle comme des vautours. On peut facilement deviner le regard noir qu'elle leur lance malgré son masque mauve les incitant poliment à ne pas approcher.
- Hello Natsuuu choubidouuu, lui dit mon ami en la prenant dans les bras, me lâchant au passage.
La concernée se fige instantanément ce qui me fait esquisser un sourire : plus asociale qu'elle, ça n'existe pas.
- Lâche-moi de suite ou je te fais bouffer tes dents pour ne pas dire ta micro-bite, crache-telle.
- Dis-le en chinois pour voir ? Demande Kabir avec fierté.
- Je suis japonaise, pauvre con.
J'éclate de rire en voyant mes amis chahuter comme des enfants avant de me poser sur une chaise en face de Natsuho. Kabir ne tarde pas à me rejoindre en passant une main dans mon dos avant de s'assoir à gauche de moi, soit à droite de Natsu.
- Je ne pensais pas que tu accepterais de venir, je dis à mon amie. Toi, les gens, tout ça...
- Tu es mon patron je te rappelle, je ne peux pas te dire non, elle me répond en soupirant.
- Moi aussi je le suis ! S'exclame l'indien.
- Toi, ta gueule, elle réplique aussitôt.
Le grand amour ces deux là, comme toujours. Un barman passe à proximité, j'en profite pour commander et observer le monde tandis que les deux se chamaillent.
Je ne pensais pas qu'il y aurait autant de gens, mais avec ces masques, impossible de reconnaître qui est qui. Tony ne semble pas avoir pointé le bout de son nez étant donné qu'il est reconnaissable entre mille.
J'ai toujours respecté ce personnage haut en couleur avec son accent hispanique et ses allures de barrons de la drogue. Cependant, je ne respecte absolument pas le travail qu'il fournit. Le peu de fois où je le fréquente, ces salariés sont mal en point, drogués à souhait au point qu'ils acceptent de faire tout et n'importe quoi dans l'insécurité la plus totale. J'ai entendu et vu des choses que je ne pensais même pas possible dans ce monde. Les gens sont des porcs.
Quand le serveur revient avec trois verres, je le remercie en payant puis profite de l'occasion pour parler vite fait boulot. Je sais que, quand les strip-teaseuses entreront dans la salle, Kabir ne répondra plus de lui et il sera impossible de parler.
- Natsuho, je t'ai emmené ici pour que tu compares nos établissements avec ceux de Tony, je commence. Je ne te demande pas de descendre son business, je ne veux pas nous le mettre à dos. Je veux juste que tu élèves notre standing, que nos réseaux sociaux reflètent nos idées, ce à quoi nous aspirons. Le respect, le spectacle, le bon traitement de nos employés.
- Je vois, dit-elle en pianotant sur son téléphone. En gros, chic et accessible. Je vais avoir quelques idées de soirée à thème comme ça.
- Surtout, ne copie pas ici. Garde tes idées, on en parle, mais rien en commun avec cet endroit. Comme tu sais, c'est un endroit ultra privé.
- Je sais, je sais...
J'ouvre la bouche pour parler à Kabir mais sans que je me rende compte, celui-ci à disparu. Je tourne la tête pour le chercher, mais personne en vue. Quand une première femme en string immerge d'entre les gens déguisés, je comprends directement où il a filé. Je soupire, un peu vexé en même temps je savais à quoi m'attendre.
Plus qu'à attendre son retour.
***
Natsuho est rouge comme une pivoine tandis que plusieurs femmes tentent de l'attirer depuis une heure. Quand Kabir est revenu aux bras d'une charmante brune aux lentilles de couleurs jaunes, j'ai cru que Natsu allait s'évanouir. Et moi un peu aussi, je l'avoue.
Depuis l'entrée en scène des strip-teaseuses, l'ambiance a changé du tout au tout. Passant de bonne enfant à chaleur de volcan, le jeu des demoiselles me gagne petit à petit. Jeu de regard, caresses discrètes, en général cela m'ennuie mais ce soir, j'ai envie de jouer. J'ai envie de me sentir vivant, de penser à autre chose qu'au travail et à mon meilleur ami qui ne se gêne pas à coté de moi.
- Mec, y a une meuf carrément sexy qui fonce vers nous, me dit celui-ci en malaxant les seins de la brune.
Je tourne la tête vers la droite et mes yeux se posent sur une magnifique jeune femme en soutien gorge rouge bordeaux surplombé de dentelle noire. Son loup sombre semble tellement rigide qu'il cache une grande partie de son visage, ainsi on ne voit presque que ses lèvres rouges pulpeuses. Son regard d'un vert profond se fixe sur Kabir, observant longuement la scène qui se déroule sous ses yeux.
Je ne peux même pas tourner la tête tellement sa beauté me frappe. Comparé aux autres femmes, elle ne porte pas de tenue si indécente mais un short court qui laisse juste assez place à l'imagination. Ses cheveux roux coupés courts sont méticuleusement ramenés en arrière, si bien qu'on la croirait sortie d'une douche.
Ses yeux se posent sur Natsuho qui ne semble pas avoir fait attention à sa présence. Au contraire, elle soupire en observant Kabir. Sûrement déplaisant pour la rousse, celle-ci s'avance vers nous de façon féline, se mettant à parler d'une voix douce.
- Madame souhaiterait-elle mes services ? Elle roucoule en arrivant à notre niveau. Je suis tout ouïe.
Natsu met trop temps à répondre et en deux temps trois mouvement, elle se retrouve avec les seins de la femme plaquée dans la nuque. Les bras de la rousse s'enroulent doucement autour du buste de Nastuho. La pauvre à les yeux si grand ouverts que j'ai peur qu'elle ne se prenne quelque chose dans l'œil. Pas difficile de deviner qu'elle est plus rouge que jamais, ses lèvres se pincent et son nez frémit de panique.
Je ne peux pas m'empêcher de sourire tellement la scène est comique. La strip-teaseuse a eu tellement d'audace qu'elle semble prendre en pitié mon amie en s'écartant gracieusement de sa première proie.
Rapide et sexy, elle s'écarte à gauche pour s'approcher de la table, puis monte dessus d'un petit bon, ses fesses face à nous.
- Vous souhaitez ? Je ne peux pas laisser de si belles personnes avec des verres vides. Vous comprenez, c'est mon job...
Sa voix se casse et elle en profite pour s'allonger, écartant quelques verres au passage. De là où je suis, son visage est à quelques centimètres du mien et ses seins en plein dans mon axe de vision. J'essaye de ne pas regarder, mais la courbure de son corps combiné au rouge de ses lèvres me donne envie de la manger tout entière.
Elle semble le comprendre car son regard capte le mien et elle en profite pour faire courir son bras frêle contre son corps si lentement que mon abdomen se contracte malgré moi.
Putain elle est magnifique.
- 3 vodkas pures, je lui réponds avant de perdre mon sang froid.
- Ok, mister sex.
Rien de plus, elle se relève aussi rapidement qu'elle s'est assise, puis part en direction du bar en roulant du cul.
Putain mais c'est qui cette nana ?
***
Quand elle revient, je suis plus qu'heureux de la voir. Non pas pour le plateau chargé de boisson qu'elle ramène, mais surtout pour admirer ses yeux. Ils sont si verts que je n'ai qu'une envie : enlever son loup et observer son visage de fond en comble, grain de beauté par grain de beauté. Je suis sûre qu'elle est canon sous ce masque.
Elle dépose nos verres rapidement, mais je la vois sourire quand elle risque un coup d'œil vers Kabir qui est maintenant en compagnie de trois demoiselles très excitées. Il ne s'en plaint pas et ne fait que sourire, ce qui semble profondément désespérer Natsuho qui semble au bord du gouffre.
- Faut payer, me dit la rousse en tendant sa main.
Je ne dis rien et lui donne ma carte bleue, elle saura s'en servir. Je la regarde payer à ma place, toujours très maniérée pour garder un semblant de personnage ce qui me fait totalement perdre la tête.
Dieu merci, je fréquente souvent ce genre d'endroit donc j'arrive à me contrôler. Mais son regard est si intense... Un pas de travers et s'en est fini de moi.
Quand elle a fini, je tends la main pour qu'elle me rende ma carte mais je me trompe. Féline jusqu'au bout des ongles, elle contourne la table pour venir près de moi, si bien que je sens mon cœur battre fort dans ma poitrine. D'un geste sec, maitrisé, elle tire ma chaise en arrière et je comprends ce qu'elle va faire.
Juste assez de place pour, elle s'assoit sur mes genoux face à moi, une jambe de chaque côté de mes côtes. Plaçant ma carte entre ses dents, je comprends directement que c'est le seul moyen de la récupérer.
Heureusement pour elle, j'ai envie de m'amuser un peu ce soir. J'approche ma bouche de la sienne, juste assez pour attraper le bout de plastique entre mes dents. Je prends soin de ne pas frôler ses lèvres, ce qui serait synonyme de ma perte.
Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'elle peut le sentir. Il faut que je me calme sinon je vais en mourir.
Concentré comme tout, ses yeux ne se décrochent pas des miens si bien que je suis en train de m'y noyer.
Respire, Grey.
Pendant quelques instants, il n'y a que cette femme et moi. La terre ne tourne plus. Le soleil ne brûle pas. Mais mon corps, lui, s'enflamme.
Les gestes assurés, elle pose ses bras sur mes épaules en souriant doucement.
Ce sourire...
Je me laisse aller et accepte de poser mes mains sur ses hanches nues. Son regard de braise semble satisfait, car je crois apercevoir une lueur de désir au fond de ses prunelles.
Putain, si je ne m'écarte pas de suite, cette femme va avoir mon âme.
Mais ce n'est pas moi qui brise le contact. Appelée par je ne sais qui, ses mains chaudes quittent mon corps et son regard me fuit, cherchant derrière elle quelque chose.
Je regarde à mon tour, et vois Tony s'approcher de nous, parlant dans le vide. La musique est si forte... Comment elle a fait pour l'entendre ? Cette femme est une putain d'extraterrestre ou de sorcière.
Le petit homme ouvre grand les bras, suivit de près par deux hommes de main dont l'un que je reconnais immédiatement — son œil en moins aide.
- Harper ! Il semble que tu as rencontré notre invité d'honneur ! Tonne-t-il fièrement quand il est assez près de nous.
Son corps se fige sur moi tandis que je cligne plusieurs fois des yeux, pas sûr de ce qu'il vient de dire à cause de son fort accent. La rousse ne bouge plus, comme pétrifiée, si bien que j'enlève mes mains de ses hanches de peur de l'effrayer.
- Monsieur Myers, me salue-t-il en faisant une arabesque ridicule.
Comme brûlée, elle se dérobe de moi rapidement, sans un regard. Je ne comprends pas sa panique mais mon cerveau a comme un déclic. Si Tony a osé toucher à un seul de ses cheveux je...
- Il me semble que tu as rencontré ma meilleure artiste ! S'exclame-t-il avec dédain. Harper est de loin la meilleure de toute !
Et soudain, c'est comme si une petite lumière éclairait mon cerveau. Vous savez, comme dans les dessins animés.
Je n'ai pas rêvé. Il l'a dit. Ces cheveux. Ce regard. Je l'ai déjà vu.
Je regarde vers elle mais elle fuit toujours mes yeux, croisant les bras sur sa poitrine avec nervosité.
Ces tâches de rousseurs partout sur son visage. Ce corps maigre. Je manque de frôler l'arrêt cardiaque quand je comprends enfin.
C'est Harper. Cette Harper là. Il n'y a aucun doute.
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