Chapitre 14

Attention, le feu brûle quand on s'y approche trop.

Harper — 17 ans

Ce soir, à minuit tout pile, je serai libre d'aller où je veux. 2 ans que je me traine dans ce club immonde, mettant mon corps à disposition d'inconnus dans le but de payer mon père. 2 ans que je fais d'innombrables heures supplémentaires pour préparer cette fuite que j'attends avec impatience. 2 ans à ma haïr de cette contrainte qui me tord les boyaux à chaque soirée, à chaque chambre, à chaque minute.

2 ans que mon corps est souillé de toutes parts, qu'il me dégoûte au point que j'en vomi tous les soirs.

- Harper ! Gueule une collègue près de mon oreille.

Je sursaute tellement j'étais dans la lune, son haleine sentant l'alcool et la pourriture me fait frissonner quand elle atteint mes narines. Ici, pas une seule femme propre sur elle. Tony n'aime pas les femmes qui se respectent — ce qu'il dit mot pour mot. Il préfère les alcooliques, les droguées ou les psychotiques : toute faiblesse mentale lui permet de mieux manipuler de l'intérieur. Si vous saviez ce que certaines femmes acceptent de faire simplement parce que Tony leur promet un peu plus d'intérêt. Il me dégoûte.

Autant que mon père qui m'a lâché ici.

- Bitch, faut que tu m'aides à fermer ce truc, elle continue en écrasant la clope qu'elle tenait dans un cendrier. Je déteste ce genre de soirée, mais ça paie trop bien ! Les costumes grattent, mais tu t'y feras. De toute façon, t'as pas fini ton contrat bientôt ?

- Si, je lui réponds doucement.

Elle hoche la tête et je l'aide à se tourner pour fermer son horrible corset rouge bordeaux plein de tulle à moitié déchiré. Je me lève pour avoir plus de prise et tire d'un coup sec sur les lacets du vêtement qui resserrent le tissu pour mouler sa taille et surtout bloquer sa respiration.

Manque de bol, ma collègue n'est pas dans la meilleure des formes. J'entends un bruit sourd émanant de sa gorge puis un sens soubresaut dans son corps , son dos se contracte contre mes mains.

Ne me dites pas que...

Je me penche à droite pour observer les dégâts, mais ferme vite les yeux tellement l'horreur me saisit. Le mur en face de nous, autrefois blanc, est un mélange de toutes couleurs sauf du blanc.

- Je crois que je vais aller continuer aux toilettes, lâche-t-elle sans reprendre sa respiration.

Je lâche les lacets tandis qu'elle se dérobe en courant pour rejoindre les toilettes dans le couloir. Même si ça arrive souvent, je ne me ferais jamais à ces jets de vomis infâmes que lâchent mes collègues à tout va.

J'emballe vite mes affaires, bien décidée à me changer autre part quand dans ces vestiaires devenus dégueulasses et encore plus puants que d'habitude. Je risque un regard auprès de mes autres collègues mais elles sont tellement stones que personne ne remarque la mare de gerbe qui dégouline maintenant sur le sol autrefois propre. Et ce n'est pas l'une d'entre elles qui nettoiera.

Plus qu'un soir, Harper. Un seul.

Quand je passe la porte pour me retrouver dans le couloir, Frédérico arrive vers nous au même moment. Je lui souris doucement. Sourire qu'il ne me rend pas, bien évidemment.

- J'ai entendu du bruit, m'explique-t-il en jetant un coup d'œil dans le vestiaire.

Un seul coup d'œil, parce qu'il n'en a qu'un. Enfin, vous savez... Bref.

Trop belle occasion pour ne pas sauter dessus, je lâche toutes mes affaires sur le sol et me précipite vers lui. Je me retourne rapidement, dos à lui, et me plaque contre son torse. Les bras en l'air, je les croise pour caresser sensuellement ses joues carrées, relève la tête pour l'observer dans l'œil. J'entrouvre légèrement ma bouche et me retiens d'exploser de rire quand son crâne s'empourpre.

Oui, oui, un crâne chauve peut devenir rouge.

Je regrette presque de ne porter qu'un t-shirt noir sur moi, car l'effet aurait été encore meilleur nue. Frédérico ouvre la bouche pour parler, mais les mots n'ont pas l'air de sortir. Il toussote pour s'éclaircir la voix avant de reprendre.

- Qui a dégueulé dans le vestiaire ? Il me demande de son accent mexicain.

- Hum... Irina ? Ou peut-être que c'était Myriam ? Je ne suis pas douée avec les prénoms, tu le sais bien.

Je m'interromps en baissant une main pour mordiller le bout d'un de mes doigts.

- Bon, j'ai compris, il dit en soupirant. Tu peux arrêter ton numéro.

Je m'écarte vivement de lui, un grand sourire aux lèvres avant d'exploser de rire. J'espère lui arracher un sourire mais quand je scrute son visage, rien ne bouge.

- Allez, suis-moi, il me dit m'indiquant de la tête une direction.

- Rooh ! J'y étais presque cette fois ! Je m'énerve en ramassant mon sac. Un jour j'y arriverais chiquito de la pampa de Chihuahua !

- Dios mío, está totalmente loca.

J'explose pleinement de rire et je suis sûre qu'à ce moment précis, il profite que je ne le vois pas pour sourire.

Depuis que je travaille pour le compte de son patron Tony, Frédérico et moi avons développé une drôle de relation à base d'attaques sensuelles et de piques bien placées. Mon objectif : le voir sourire au moins une fois. Pour l'instant, c'est un échec cuisant, mais je chéris ce petit jeu entre nous qui me permet de ne pas penser au travail pendant quelques instants.

En suivant mon ami, il me conduit au bout du couloir, puis à droite où se trouve une petite pièce. Quand il ouvre la porte, je découvre un débarras assez spacieux pour que je puisse me changer en toute tranquillité.

- Merci Frédérico ! Je t'en dois vraiment une, je n'aurais pas supporter de me changer dans la gerbe.

Il hoche doucement la tête d'un air entendu avant de disparaître aussi rapidement qu'il est apparu, me laissant seule avec la poussière et un aspirateur. J'entre dans la pièce en vitesse et ferme la porte derrière moi. Quand j'allume l'ampoule au dessus de ma tête, celle-ci grésille quelques instants avant de m'éclairer convenablement. Pas d'araignées ni de toile, mais l'ambiance pousse mon cœur à battre plus vite.

On est dans un film d'horreur ouuuuu ?

Je me mets entièrement nue pour me changer pour facilement, enfilant un mini short noir en dentelle somptueuse et un soutien-gorge qui ne cache pas grand-chose, rouge bordeaux aux détails noirs. Ils ont pensé à tout dis-donc !

Je m'arme de mon miroir de poche pour maquiller mes lèvres d'un rouge carmin offert par Henriette pour mes 17 ans ainsi qu'une bonne dose de mascara, bien que ça ne serve pas à grand-chose. Mes lèvres finiront par être dépourvues de leur couleur et mon mascara en miette sur mes joues rosies par l'effort.

Ce soir est organisé le plus gros bal du milieu du strip, à New York : soirée hyper sélective organisée par Tony lui-même, conviant de nombreux professionnels du secteur, à ce qu'il parait. Chaque année, il se déroule dans le secret le plus total, loin des médias et de tout ce qui pourrait faire parler, au point qu'on nous a bandé les yeux pour y accéder.

La première année, je l'avais loupé de peu avant d'intégrer le cercle de Tony, mais cette année est la bonne. Heureux de mes « exploits », mon patron m'a convié en personne à y participer en tant qu'employée, ce qui m'a valu une semaine horrible avec mes collègues jalouses. Chewing-gum dans les cheveux ? Pas grave, ils sont courts je peux couper un peu plus. Sauce piquante sur le string ? Pas de bol, je les nettoie tous les jours. En bref, elles n'ont pas manqué d'imagination.

Quand nous sommes arrivées sur place, la plupart de mes collègues y ont déjà participé donc elles savaient à quoi s'attendre. Distribution des tenues, explication des rôles, tout a été millimétré. Pas de stress, je sais que la soirée me portera.

Je cherche la dernière pièce de ma tenue dans mon sac en mettant dans un coin de ma tête d'arranger mes cheveux. Quand je la trouve, un sourire se dessine naturellement sur mon visage.

Le loup est entièrement noir, dans une matière rigide pour être totalement anonyme. Quand je le touche, de fins motifs ressortent légèrement, imitant à la perfection ce qu'aurait donné une vraie dentelle. De plus, les deux rubans aux extrémités vont me permettre de ne pas le tenir comme d'autres de mes collègues, qui elles ont obtenu un masque avec une perche en bois pour le maintenir en place sur leur visage.

Je le pose à côté de moi, décidant d'abord de coiffer mes cheveux roux en arrière. Un peu de gel sans trop les plaquer pour donner un effet mouillé et me voilà presque prête. Rapide et efficace.

Je place le loup sur mes yeux, le nouant à l'arrière de mon crâne avec minutie. Un double nœud pour une double protection, et cette fois, je suis prête.

Talons en mains, je quitte le débarras à la hâte pour rejoindre mes collègues qui semblent toutes aussi prêtes que moi. Je remarque que le dress code est noir et rouge pour nous toutes, tandis que les tenues ne sont nullement les mêmes. Plumes, froufrous, dentelles, tout y passe. Je remercie ma bonne étoile de ne pas m'avoir donné de string pour cette soirée, face au gratin de New York, je n'aurais pas été la plus à l'aise.

- Allez les filles, dit Tony que je n'ai pas vu arriver devant la troupe, on y va, on sort les seins, et on travaille ! Y aura plein de personnes importantes les poulettes, donc on satisfait ces messieurs — et ces mesdames, bien sûr — de n'importe quelle façon. Je ne veux avoir AUCUN retour négatif, est-ce que c'est clair ? Vous acceptez tout.

- Oui ! Disent en cœur mes collègues sans que je ne me joigne à elles.

Tony me dégoûte profondément mais je n'ai pas le choix. J'ai accepté uniquement parce que les pourboires sont plus que généreux, mais il est au courant qu'à minuit pile, je disparais.

***

Quand je pénètre dans la salle, des centaines de personnes sont déjà en train de discuter et boire à outrance sous la lumière des néons rouges. Mes collègues commencent à entrer dans la partie, accueillant à bras ouvert les mains baladeuses et les demande de moments privés, ondulant sur la musique lente qui s'échappe de quelques enceintes. Moi, je joue aussi le jeu. Mon job n'étant pas de m'occuper des salons privés, je me contente de servir les clients dans un premier temps.

Perchée sur mes talons hauts, je ne cesse de faire des allers et retours entre le bar plein à craquer et les tables de poker, ou celles des clients en pleine discussion. Les genoux de l'un, un baiser pour l'autre, je sens déjà la peau de mon poignet me démanger tellement tout me répugne. Les odeurs, la musique, les peaux...

On me tape les fesses à de maintes reprises, je me contente de faire un clin d'œil aguicheur, on me demande d'enlever mon loup, je joue avec le feu sans révéler mon identité.

23 heures arrivent rapidement, et je sens mon cœur se serrer de plus en plus. Dans une heure, je suis libre.

J'arrive vers un groupe de trois personnes en costume, discutant autour de verres vides. Une de mes collègues se frotte autour d'un homme à la peau bronzée, son visage caché sous un masque en or. Honnêtement, je ne serai pas étonnée que s'en soit du vrai. Ses yeux clairs me trouvent et je ne manque pas de me lécher les lèvres pour attirer son attention.

Une femme avec eux soupire bruyamment, et je me tourne vers elle pour l'observer. Ses cheveux roses sont relevés en une queue de cheval immense tandis que son loup mauve embrasse la forme de ses pommettes à la perfection, révélant ses yeux étirés et sa peau métissée.

- Madame souhaiterait-elle mes services ? Je demande en roucoulant. Je suis tout ouïe.

Je me déplace comme un félin à l'arrière de sa chaise, me penchant pour entourer mes bras autour de son cou. Ses oreilles deviennent si rouges que je me retiens de rire pour rester professionnelle. Elle est raide comme un piquet la pauvre !

Je m'écarte avec la même grâce pour aller vers la table, ou du moins, je pose mes fesses sur la table.

- Vous souhaitez ? Je ne peux pas laisser de si belles personnes avec des verres vides. Vous comprenez, c'est mon job...

Je fais exprès de me laisser tomber en arrière, le dos courbé allongé sur la table, offrant une vue sur ma poitrine. La tête en arrière, je vois le regard du dernier invité s'embraser à ma vue. Sa peau claire est partiellement cachée par un loup bleu marine, semblable au mien qui est noir, intensifiant le bleu profond de ses yeux. Je ne quitte pas son regard quand ma main court le long de mon corps avec lenteur.

Je sens que cette table n'est pas la seule à s'offrir mon corps en spectacle, mais avec le temps, on s'en fout.

Profitez de cette vue, c'est la dernière fois.

- 3 vodkas pures, finit par me dire yeux bleus de sa voix grave.

- Ok, mister sex.

Je me relève d'un seul coup, sautant de la table pour rejoindre le bar. J'ai chaud, je suis sûre d'être rouge comme une tomate mais je donne tout. Je veux ce putain de pourboire.

***

Quand je reviens avec un plateau remplit de leurs boissons, l'homme à la peau mate n'est plus avec une seule danseuse mais ce sont bien trois de mes collègues qui dansent autour de lui. Son sourire blanc éclatant ne trompe personne, il adore. Mais l'autre homme qui porte le loup bleu à les yeux rivés sur lui, souriant de toutes ses dents en regardant le jeune homme.

Je dépose leurs verres rapidement, réclamant l'argent qu'ils doivent au club. L'homme aux yeux bleus me sort une carte bancaire que je saisis pour payer à sa place. Quand c'est fait, je ne la lui rends pas directement. Je fais le tour de la table pour le rejoindre, tirant sur sa chaise d'un coup sec. Il ne dit rien tandis que je viens me poser sur ses genoux face à lui, les jambes de chaque côté des siennes. Je mets la carte entre mes dents, l'invitant silencieusement à venir me la prendre par lui-même.

Je ne suis pas bête, j'ai bien vu Tony à quelques tables, m'observant silencieusement. Si je veux une prime avant de partir, faut que je donne le paquet.

Jouant le jeu, l'homme approche sa bouche pour attraper la carte de ses dents, prenant soin de ne pas me toucher les lèvres. Je souris doucement et pose mes mains sur ses épaules, lui pose les siennes sur mes hanches.

Approche petit oiseau, vient te brûler les ailes sur mon corps...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top