Chapitre 1

On ne choisit pas sa famille.

Harper — 0 ans.

Une heure du matin dans l'État du Mississippi, des cris de douleur résonnent dans le minuscule hôpital aux allures d'asile psychiatrique, à la périphérie d'une ville. Toute personne normalement constituée penserait à un cochon que l'on égorge : intenable, strident et douloureux. Mais Susan Clark n'est pas un cochon que l'on égorge. Bien au contraire, elle tente de sortir une petite tête chauve de son énorme ventre longuement critiqué par son époux, Chris Clark.

Tout deux ne savent pas quoi faire de cet enfant inattendu, mais « pas le choix », comme l'a si bien dit la femme le jour où elle a fait sa première échographie. Au pire, elle servira pour payer le loyer ou aller acheter de l'alcool.

Si l'on s'approche un peu plus de l'origine des cris, on remarque une femme à la grande chevelure rousse, ramenée en arrière par un chouchou noir en très mauvais état — il serait sorti d'une poubelle, il n'y aurait eu aucune différence. Ses beaux yeux verts s'ouvrent et se ferment au rythme de ses contractions. Arrivée avec des vêtements plus que déplorable, ce serait un compliment de lui dire que sa tunique bleue d'hôpital la rend plus ravissante.

Non pas qu'elle soit vilaine, bien au contraire : Susan est d'une beauté rare, son visage fin et ses petites pommettes lui donnent un air toujours gai. Ses tâches de rousseurs ressemblent à de petites étoiles sur son nez en trompette et quant à ses cheveux... Un entretien monstre mais qui vaut le coup d'œil.

3 femmes se pressent autour d'elle, encaissant les insultes de la jeune femme depuis son arrivée. Il faut dire que ce bébé est un sacré morceau.

Jambes en l'air et écartées, les sages-femmes laissent place à la gynécologue, claquant ses gants pour enlever les bulles ou juste pour frimer, qui sait. Ses longs cheveux blonds sont ramenés en un chignon bien serré, de sorte à ne pas être dérangée pour l'accouchement.

À côté d'elle, les cheveux de Susan semblent juste désordonnés et sales.

-    Alors madame Clark, comment ça va ? elle demande en souriant.

-    J'ai l'air d'aller bien, connasse ? Enlève-moi ce truc de mon corps, j'ai envie d'une clope.

La médecin esquisse un sourire, habituée à ce genre de personnes. Il faut dire qu'après 25 ans de pratique, une insulte de plus ou de moins, ce n'est pas grand-chose. Mais les sages-femmes ne semblent pas du même avis : leur air bourru et ahuri ne trahit personne.

Toutes pensent la même chose : quel genre de femme est Susan Clark pour accueillir cet enfant comme ça ? Elle a beau être sublime, c'est tout ce qu'à Susan pour elle.

Arrivée quelques heures plus tôt avec son mari, il faut dire qu'ils ont fait leur petit effet. Elle, hurlant à la mort, la clope au bec ; Lui, pas le moins du monde intéressé par sa femme. Le personnel soignant est assez distrayant pour le voir disparaître dans les couloirs au bout de 10 minutes, à la recherche de quelqu'un à baiser dans un placard.

Attention mes dames, si vous voyez une sorte d'ogre au crâne blanc et dégarni, fuyez !

Chris Clark n'a jamais été l'homme idéal : vendant de la drogue à tout va dans sa jeunesse, une fois la main mise sur sa petite Susan, plus rien ne peut le faire décoller du canapé hormis une bière ou une tranche de bacon. N'ayant jamais croulé sous l'or, il se contente de nombreux paris en ligne — souvent perdants — ou en bar-tabac, en compagnie de sa petite troupe d'amis. « Je travaille, moi, Susan. » il lui dit souvent. « Je paye notre emplacement de caravane comment, à ton avis ? Alors laisse-moi boire cette bière, salope ! ». Chris n'a jamais été le plus fin. Pour ne pas dire que c'est le plus odieux des hommes. Mais surtout, l'emplacement de la caravane est clandestin, il ne le paye pas. Un menteur en plus.

-    Poussez encore, madame ! Demande une sage-femme pas plus grande qu'un tabouret.

-    Où est votre mari ? Demande la gynécologue, les mains... vous savez où.

-    J'en sais rien ! Sûrement en pause clope. Vous savez, j'aurais plus de force si j'avais le droit de fumer, mais votre casse couille de collègue refuse.

Mais si l'on s'éloigne de quelques pièces, un peu plus loin de la sueur de Susan, Chris est assis dans la salle d'attente, canette de soda à la main. Pour une fois qu'une salle d'attente à des sièges et canapés confortables ! En plus, grande chance pour lui, un match des Rebels d'Ole Miss est en rediffusion. Le jour du match, il avait dû s'absenter de sa caravane pour rejoindre le banquier l'espace de quelques instants. Il était tellement énervé d'avoir loupé ce tournoi final NCAA que sa femme en avait pâti. 3 bleus et une lèvre ouverte.

En même temps, elle n'avait pas qu'à mettre autant de temps à lui apporter sa bière. C'est pour quoi que le fond de teint existe à votre avis ?

Assis dans le fauteuil vert pomme et entouré de 5 autres hommes en attente, il n'hésite pas à commenter tout haut, hurlant sur les joueurs à tout va. Il est tellement concentré sur Aaron Harper qu'il n'entend pas la première petite sage femme l'appeler.

-    Monsieur Clark ? Redemande-t-elle.

Quand il relève enfin la tête de l'écran plaqué au mur, il observe la femme de haut en bas, s'arrêtant longuement sur sa poitrine. La pauvre femme rougit, mais ne peut rien faire de plus que de lui demander de la suivre.

Dans la salle de maternité, Susan a enfin largué ce petit humain à la vie. Ses poumons se sont remplis d'air pour la première fois, au plus grand bonheur des soignantes.

Sa mère a à peine été recousu qu'elle demande déjà à aller fumer dehors, ignorant son enfant et son entre-jambe fragile. Bien sûr, sa requête lui est refusée si bien qu'elle se met à insulter la terre entière et sa petite fille par la même occasion.

Oui, c'est une petite fille avec déjà des tâches de rousseurs plein les joues que tient la sage femme brune. Sa bouille est à croquer avec ses grands yeux qui observent déjà le monde. Pas un bruit, pas un gémissement, juste la contemplation.

L'odieux Chris arrive, se mêlant à sa femme pour insulter tout l'hôpital sans honte.

-    Une clope, c'est pas la mort, putain ! Il s'exprime.

-    Nous ne pouvons pas... commence la gynécologue avant que Susan ne la coupe.

-    M'en fous, je vais à la fenêtre.

Elle se lève difficilement, l'entre-jambe lui tirant atrocement à cause des points de sutures. Son mari ne daigne même pas l'aider, plus concentré à chercher la suite du match sur son téléphone.

-    Aller trésor, commence la gentille sage-femme, on va aller débarbouiller tout ça autre part. Tu ne m'en voudras pas ? Mais je pense que tu vas déjà assez souffrir avec ces deux-là pour ne pas t'en éloigner quelques minutes.

Pour toute réponse, le petit bébé blanc comme la neige la fixe de ses yeux, faisant lâcher un hoquet surpris à la petite saga femme qui a rejoint sa collègue.

L'enfant les observe toutes les deux, deux émeraudes à la place des yeux.

-    Si seulement tu étais mon bébé !

-    Chris ! Crie d'un coup Susan. Va déclarer le bébé maintenant avant qu'on oublie. Elle s'appelle Kimberley. Kimberley Clark.

L'homme hoche lentement la tête, les yeux rivés sur le match qui défile sur le petit écran. Les sages-femmes profitent de ce moment pour s'éclipser en même temps que le mari.

***

Au même moment, un garçon court à tout allure dans les couloirs de l'hôpital, skateboard à la main. Il faut dire que ce bébé est arrivé tellement vite qu'il n'a pas eu le temps de quitter les cours en avance pour rejoindre la famille. Quand il arrive enfin devant la chambre de Susan, la gynécologue au chignon le regarde de haut en bas, un petit sourire aux lèvres.

Malgré ses 14 ans, le garçon est incroyablement beau sous ses cheveux roux foncés un peu trop longs maintenant. Ces yeux sont tellement ressemblant avec Susan que la médecin peut deviner facilement de qui il s'agit.

-    Noah ? Elle demande.

-    C'est moi. Où est-il ?

-    Il est dans la pièce à côté, avec les sages-femmes. Félicitation, tu as une petite sœur, donc ça sera « elle ». Je crois qu'ils veulent l'appeler Kimberley...

Pas le temps d'écouter la femme, le garçon abandonne son skate près de la porte, et s'engouffre dans la pièce sans même avoir toqué. Quand il voit les deux femmes et le petit bout sur la table, un sourire des plus sincères se forme sur son visage d'adolescent.

***

Chris décolle ses yeux du match qui touche à sa fin quand une femme de l'administration aux grandes lunettes orange l'appelle. À ce moment là, il hait son équipe de basket tout comme cette femme qui lui fait décoller son gros derrière de la chaise qu'il s'est trouvé. De quel droit une femme lui ordonne quelque chose ?

-    Je viens déclarer un enfant.

La femme acquiesce et tous deux commencent à remplir les documents, papiers et autres informations utiles pour la petite. Quand c'est enfin presque la fin, la femme demande le prénom de l'enfant. Après tout, c'est pour ça qu'il est venu ?

Mais Chris écarquille ses grands yeux bruns, une boule se formant dans son gros estomac.

Mince ! Il était tellement absorbé par son match qu'il en a oublié les instructions de sa femme. Zut... C'était quoi déjà ? Ella, Kima, Julia ?

Il secoue la tête, conscient que ça ne lui reviendra pas. Déjà que cet enfant va lui pourrir la vie, il se retrouve dans l'embarras face à une femme aux gros seins ! Quel prénom lui donner ?

Il cherche sans réponse, voulant presque demander le prénom de la secrétaire en face de lui pour le donner à sa fille. Mais Chris est encore énervé de son match. Pourquoi Aaron Harper a-t-il fait cette passe ? Ça aurait été mieux comme ça !

Mais soudain, pour la première fois de sa vie, la petite lumière dans son cerveau s'est allumée — comme dans les dessins animés.

-    Alors ? Quel est son nom, s'impatiente la femme.

-    Harper. La petite s'appelle Harper.

La femme hoche la tête, inscrivant le tout dans le dossier de la petite fille. Bienvenue dans ce monde, Harper Clark.

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