🥁 | 10. New Life
"I'm not content to be with you in the daytime
Girl I want to be with you all of the time"
All Day and All The Night - The Kinks
* * *
Le simple fait de me trouver dans la même pièce que ce Joe me provoqua, une série de palpitations que je tentait de dissimuler tant bien que mal. Le guitariste laissait dégager un charisme déroutant et intimidant.
Évite de te faire prendre, Troy. Ça serait bien.
— Donc, tu dis que nous sommes dans la même classe ? fit Joe en fermant l'étui à guitare.
Cette question me fit redescendre sur Terre. Perdu, je posai mon regard sur le garçon à la casquette qui le fixait intensément. Désemparé, je finis par reporter mon attention sur le sol.
— Heu... Oui, c'est... C'est ça. Enfin... Je crois.
Contrairement à mes autres camarades de classe, Joe ne prêta guère attention au bégaiement qui s'était glissé dans ma phrase. Il se contenta d'un haussement d'épaule avant de saisir le manche de son étui et de quitter la salle, suivi de son ami grand comme une perche.
— Au fait, je m'appelle Mitch. Comme un égoïste, on ne s'est pas présenté, fit ce dernier en se retournant subitement vers moi.
J'affichai un large sourire ravi.
— Je m'appelle Troy.
— Le grincheux tout devant, c'est Joe, annonça le dénommé Mitch en désignant le guitariste qui s'en allait au loin.
— Le grincheux t'emmerde ! répliqua ce dernier en lui adressant un majeur.
Étonné d'une telle réaction, j'arquai les sourcils en l'observant disparaître derrière un virage. Quel tempérament !
— Ne fais pas attention. C'est Joe qui est tout le temps con comme ça.
Le discours de Mitch se voulait rassurant, pourtant je semblais ressentir du mystère chez ce Joe. Une personnalité complexe que je désirais bien décortiquer pour en apprendre davantage chez ce jeune homme à la casquette.
— Je ferais mieux de le suivre, fis-je avant de le suivre à la trace.
* * *
Le professeur chargé de donner le cours de l'après-midi avait omis de se présenter à moi. Tant mieux, après tout.
Tandis que la femme répondant au nom de Madame Cabbot s'évertuait à expliquer la différence entre une mandarine et une clémentine, j'aperçus Joe griffonner sur sa feuille. Je m'étais installé à ses côtés, puisqu'il était la seule personne que je connaisse parmi les autres élèves.
— Cette vieille pie ne va jamais arrêter de jacasser ? souffla-t-il sans lever le regard en direction du tableau noir.
— Tu n'as pas l'air de l'apprécier.
Joe poussa un faible ricanement qui approuvait mes dires.
— Tu sauras, mon cher Troy, que Madame Cabbot et un vrai moulin sur pattes. Personne n'a le temps d'en placer une avec elle.
Étant donné que Joe était un habitué des lieux et il était mon seul ami pour le moment avec Mitch, il était fort probable qu'il me file quelques tuyaux concernant la vie au lycée de Jacksonville. Ceci me permettra ainsi de mieux m'intégrer parmi les étudiants, évitant de subir un autre harcèlement qui allait m'achever définitivement.
— Joe, comment sont les étudiants ici ?
Les sourcils froncés du jeune homme traduisaient son incompréhension, face à ma question.
— Comment ça ?
— Je veux dire, est-ce qu'ils adorent les ragots qui ne sont pas forcément vrais ? Ou n'en ont-ils rien à foutre ?
— Je pense que c'est le cas dans d'autres lycées. Mais ici, les gens, surtout les populaires adorent humilier les plus faibles. Ici, c'est la loi du plus fort qui règne. Et puisque tu es nouveau ici, mon conseil et que tu as intérêt à montrer que tu ne fais pas partie de ces petits intellos ou losers qui en ramassent chaque jour. Sinon, tu seras foutu jusqu'à l'obtention de ton diplôme.
Le discours de Joe fit naître un certain malaise dans mon organisme. Je me savais alors d'avance fichu, et m'attendais à subir de nouvelles douleurs psychiques.
— Tu fais partie de quel clan ?
Pour la première fois, Joe posa son regard sur Madame Cabbot qui écrivait des mots illisibles sur le tableau noir. Il reporta ensuite son attention sur sa feuille qui contenait quelques traces d'écrits à moitié tracés.
— D'aucun.
— Comment ça ?
— Je ne fais partie d'aucun clan, ni des intellos, ni des populaires, ... Ni des losers.
Le guitariste émit un temps de silence avant d'achever sa phrase, comme si quelque chose le touchait encore. Je fis mine de n'avoir rien constaté, de peur d'irriter ce personnage intriguant.
— Qui sont les personnes à éviter de fréquenter ?
Si je tenais à survivre à la vie au lycée, il me fallait obtenir un maximum d'informations pour éviter de tomber dans les filets vicieux des dangers de la vie de lycéens qui a le malheur de se trouver dans la mauvaise case. Ce qui était mon cas.
Le regard vert de Joe arpenta la salle avant de se poser à nouveau sur moi.
— Tu vois le type avec son blouson jaune et noir, assis au dernier rang, côté fenêtre ?
En me décalant légèrement et faisant mine d'admirer le paysage, je découvris un adolescent blond avec une coiffure rappelant celle d'Elvis Presley qui ricanait avec son voisin de table.
— C'est Alan Roberts. Un prétentieux qui use de son charme pour faire tomber toutes les filles du lycée. Et il n'hésite pas à rabaisser les mecs plus faibles que lui. Donc, si tu venais à croiser son chemin, ce qui risque d'arriver, tu ferais mieux de ne pas te défiler. Sinon, il va tout de suite comprendre dans quelle case tu te trouves et il ne va pas hésiter à harceler pour faire de ta vie un Enfer.
Rassurant. Simplement, tout ce que je savais faire était de fuir. Lorsque toute l'école m'avait surpris à embrasser Enzo, j'avais déserté les lieux, ne pouvant plus supporter ces regards braqués sur ma personne.
Et si cela venait à recommencer ? Comment allais-je le vivre durant les jours qui suivraient ? J'avais déjà assez souffert et espérais que cette fois, tout allait bien se passer.
— À côté de lui, c'est James Turner. On l'appelle le jumeau d'Alan, car ils sont tout le temps fourrés ensemble à préparer des mauvais coups.
— Pourquoi les laisse-t-on alors ensemble en classe ?
Joe poussa un autre ricanement qui pointait sur l'incapacité des professeurs à garder une classe dans un environnement calme.
— Parce que ces abrutis de professeurs semblent préférer subir et arranger les dégâts qu'ils n'ont pas su anticiper.
En une phrase, Joe avait résumé le mode de fonctionnement du personnel travaillant au sein du lycée. Au moins, j'étais conscient de la sauce à laquelle j'allais être dévoré.
Durant la pause de l'après-midi, Joe me fit une visite des coins fréquentés par chaque clan du lycée.
— La cafétéria est réservée aux gens qui ne font pas vraiment parti d'une classe spécifique, un peu les personnes normales et invisibles. Après, Alan, James et le reste de sa bande ne se gêne pas pour y foutre le bordel.
Seulement quelques lycéens étaient attablés dans cette pièce qui était bruyante d'habitude. Ils étaient tous plongés dans un livre, concentrée dans leur bulle. Certainement les intellos.
— Ensuite, il y a la terrasse utilisée principalement par les stars de l'équipe de basket.
Le basket. Cette évocation me ramena à des moments douloureux. Cette fois où mon monde s'était effondré pour de bon, subissant les pires humiliations existantes.
— La bibliothèque est destinée aux intellos, ceux qui ne parviennent pas à se séparer d'un bouquin. Répugnant ! s'exclama Joe avec une grimace de dégoût qui déforma son visage.
En l'espace de quelques instants, j'avais obtenu un bon nombre d'informations qui allaient m'être utile pour sa vie scolaire. En espérant que j'y survive et en ressorte indem.
Voyant l'expression blanchit que j'arborais, Joe me donna une tape familière dans le dos avec un sourire qui se voulait rassurant.
— Ne t'en fais pas. Tout va bien se passer !
En guise de réponse, j'affichai un sourire forcé et suivis le guitariste qui regagna sa place en classe.
— J'ignore comment se passe la vie de lycéens en Italie, mais je suppose que c'est un peu la même chose partout. Soit tu es dans la bonne case et tout ira pour le mieux, ou soit tu es dans la mauvaise case et ta vie est un Enfer chaque jour.
Le résumé de la vie de chaque lycéen. Une vie atroce sur laquelle bon nombre d'adultes fermaient les yeux pour ne pas se retrouver mêlé aux conflits d'adolescents. Sauf que certain atteignait une gravité sans nom, laissant de graves séquelles aux étudiants.
Le monde était injuste et la société inadaptée. Les choses devaient changer, mais comment ? La vie ne ressemblait guère à un conte de fée où il suffisait d'un coup de baguette magique pour tout arranger. La réalité était bien plus complexe et atroce. Pourtant, comme tout le monde, je devais s'y soumettre, sans avoir son mot à dire. Je me devait de renfiler son masque pour éviter de subir d'autres atrocités.
* * *
— Alors, comment ce premier jour ! s'exclama Mitch qui nous rejoignit, avec Joe.
Le guitariste poussa un grognement en guise de réponse. Quelle conversation passionnante ce type pouvait donner !
Je remarquai que les deux garçons avaient récupéré leurs instruments qu'ils avaient laissés dans la salle de musique.
— Il s'agit officiellement de mon deuxième jour, mais c'est le premier que je passe avec des personnes qui me semblent bien sympathiques.
— Bien sympathiques ? répéta Joe avec un air étonné.
Je sentis dans l'immédiat le rouge me monter aux joues, regrettant de m'être laissé emporter ainsi, bien que je n'ai rien dit de mal. Et si j'avais parlé trop vite ? Si je m'étais fondé une idée complètement fausse sur ces deux types ? Une vague de doutes m'assaillit. Pourtant, durant la pause de midi, ils m'avaient pris dans leur groupe comme batteur.
— Heu... Ouai. Pourquoi, ce n'est pas forcément vrai ce que j'avance ?
Dans l'attente anxieuse d'une réponse, je me pinçai les lèvres.
— Pour moi, ce que tu dis me correspond parfaitement, mais pas pour cet abruti de Joe qui est aussi ronchon qu'un thon !
— La ferme, Grande Perche ! pesta le guitariste en désignant son majeur à l'attention de son ami.
— Qu'est-ce que je disais ?
Le lien qui unissait Mitch et Joe semblait bien fort et puissant. Les deux devaient se connaître depuis bien longtemps pour avoir une relation aussi fusionnelle que celle-là. Aurais-je une amitié telle que celle-ci ? J'aurais pu l'avoir avec Enzo, pourtant j'avais tout gâché.
Bien que je me soit fait la promesse de ne pas commettre deux fois la même erreur, je craignais d'être dans l'incapacité à contenir mes émotions et de tout laisser exploser à nouveau.
— Bon, c'était sympa d'avoir fait ta connaissance. Mais nos chemins se séparent ici même, annonça Mitch alors qu'ils arrivèrent devant une petite maison en bois avec un balcon parsemé de pots de fleur.
Le vaste pelouse qui couvrait une grande surface devant la maison semblait mal entretenue à la vue de la mauvaise herbe qui avaient poussé en abondance.
— Tu habites ici ? fis-je en admirant la bâtisse qui se dressait devant mes yeux.
Mitch hocha la tête tandis que Joe s'apprêtait à se diriger devant l'entrée.
— Tu vis avec Joe ? m'étonnai-je.
— C'est plutôt cette sangsue qui ne peut pas se passer de moi, ricana le bassiste en lançant un regard amusé à Joe.
Le guitariste ne tint pas compte de cette pique, certainement parce qu'il n'avait plus de répliques en stock, excepté montrer son majeur connu par de nombreuses personnes.
— Comment ça se fait ?
Un lourd silence transforma l'air en électricité. Mitch se pinça les lèvres et se tourna vers Joe. Ce dernier s'était braqué et m'adressait un sombre regard. Je re regrettai ses propos, prenant conscience que je m'aventurai sur un terrain délicat qui contenait un sujet que Joe désirait garder pour lui.
— On se revoit demain ? questionna Mitch pour combler ce vide qui devint lourd.
Je hochai la tête avec un sourire forcé, gardant une pointe de remords d'avoir fourré mon nez dans des affaires qui ne me regardait pas.
Je parcourus le reste du trajet qui me menait dans ma nouvelle demeure avec le cœur lourd. Une multitude de pensées se bousculèrent dans mon esprit. J'espérai qu'en venant m'installer dans ce pays, mes problèmes resteraient en Italie, loin derrière moi. Pourtant, ils étaient décidé à rester et ses sentiments incontrôlables également.
Je pris conscience du coup de cœur pour ce guitariste que je n'avais côtoyé que durant une journée. J'étais certain que cette attirance interdite allait me rapporter de gros ennuis.
Donc, voilà comment ont été mes premiers rapports avec Joe.
Ce type mystérieux qui dégageait une attirance hors du commun, mais grâce à qui, j'ai eu la vie sauve au lycée.
Merci espèce de thon !
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