Chapitre 27 - Décision
Vendredi 11 Mars 1988 :
«-Severus, Elladora, je vous attendais.»
À peine étions nous entrés dans la salle circulaire qu'était le bureau du directeur, que nous fûmes accueillis par la voix calme et profonde de notre supérieur hiérarchique. Si j'étais intimidée à l'idée de cette entrevue imprévue, Severus, à mes côtés, ne semblait pas impressionné par la naturelle prestance du vieil homme assis en face de nous. En fait, il affichait toujours cet air impartial qui donnait l'impression que rien ne le touchait, de près ou de loin. Je jetai un bref coup d'œil autour de moi et fus, une nouvelle fois, subjuguée par la taille des étagères et la quantité de livres qu'elles abritaient, ainsi que par la hauteur cathédrale du plafond. Je fus arrachée de ma contemplation par l'intervention d'Albus Dumbledore :
«-Vous voulez un Malice-Réglisse ? Ou un dragée de Bertie Crochue ? Depuis qu'Argus a fait la chasse aux friandises, j'en ai des boîtes entières sur les bras.»
Il tendit dans notre direction un bol rempli de petites friandises colorées, un sourire énigmatique sur le visage. Je m'apprêtai à décliner poliment l'offre mais Severus réagit plus vite que moi et dit, abruptement :
«-De quoi voulez-vous nous parler, Monsieur le Directeur ?»
Je le sentis un peu agacé et fus surprise du ton brusque de sa voix. N'osant pas m'imposer, je restai silencieuse, me contentant de fixer le sorcier installé en face de moi, qui nous regarda tour-à-tour, les yeux pétillants. Finalement, il répondit :
«-Vous devez savoir que je suis au courant de tout ce qu'il se passe dans cette école, qu'importe où, qu'importe quand.
-C'est exact, Monsieur, dit Severus sans cligner des yeux.»
Je baissai le regard, comprenant que Dumbledore était au courant de tous les récents évènements, y compris ceux de cette nuit.
«-Que s'est-il passé dans la Forêt Interdite, cette nuit ?
-Vous le savez, Monsieur, vous l'avez dit vous-même.»
J'étais impressionnée par la répartie nonchalante de Severus, qui défiait sans mal le regard sage de notre supérieur. D'ailleurs, ce dernier se cala sur le dossier de sa chaise et croisa ses mains contre son ventre.
«-Je vous écoute. Les faits sont souvent intéressants à étudier quand ils sont extraits de la bouche de ceux qui les ont vécus.»
Sans même m'adresser un regard, le professeur de potions commença le récit détaillé des évènements :
«-La mission se déroulait parfaitement bien, Mulciber et Macnair étaient sur le point de marcher quand Lynch a décidé de venir fouiner dans des affaires qui ne la concernaient pas.»
J'ouvris la bouche pour rétorquer quelque chose, indignée par l'image qu'il donnait de moi mais je n'en eus pas l'occasion car il reprit, d'un ton irrité :
«-Bien sûr les Mangemorts l'ont aussitôt mis à pied et voulaient la tuer. Aussi, pour épargner à l'école une perte inutile, je me suis porté volontairement pour me charger de son cas.»
Comment ça «pour épargner à l'école une perte inutile» ? Je sentis malgré ma volonté de rester calme une sourde colère monter en moi, alors que le sorcier à mes côtés poursuivait son récit, m'ignorant royalement :
«-Ça a suffi pour éveiller la curiosité de Lynch et...»
Il hésita un moment avant de lâcher, d'un ton légèrement différent que précédemment :
«-Elle a compris. Après ça, les Mangemorts ont rappliqué et je les ai oubliettés pour qu'ils n'aient aucun souvenir des informations. Je les ai reconduit dans un lieu sûr puis nous sommes rentrés. Je lui ai bien évidemment fait promettre de ne rien divulguer concernant l'affaire.»
Le comportement du sorcier avait changé : maintenant, il triturait nerveusement ses doigts, comme s'il redoutait ce qui allait suivre. Bien sûr, son visage ne laissait entrevoir aucune trace de ce malaise. Il y eut un silence, puis le directeur se tourna vers moi.
«-Que savez-vous, exactement, Miss Lynch ?»
Je sentis le regard foudroyant de Severus sur moi et, quand je lançai un rapide coup d'œil en coin dans sa direction, je captai quelques secondes ses yeux qui semblaient me transmettre un message clair : «Prenez garde à ce que vous dites, Lynch...». Je déglutis péniblement avant de me décider à accorder, un peu à regret, mes violons à ceux de Severus, de peur qu'il ne me le reproche plus tard.
«-Heu... comme Seve... le professeur Rogue l'a dit... j'ai compris qu'il ne faisait pas directement parti du réseau Mangemort mais plutôt qu'il l'infiltrait pour obtenir des informations et... la personne la plus logique pour mener les opérations était vous, Monsieur.»
Je me tus, le regard du Maître des Potions encore braqué sur moi. Je tâchai de l'ignorer mais ce n'était pas chose facile, tant il était puissant et incendiant. Dumbledore nous regarda à tour de rôle, comme s'il essayait de reconstruire l'histoire à travers nos attitudes. Peut-être était-ce d'ailleurs le cas. Comment allait-il alors interpréter mes mains moites et mon expression tendue ? Je pris sur moi pour paraître détendue, laissant entrevoir un faible sourire au coin de ma bouche et faisant vagabonder mes yeux dans la pièce. Finalement, après un long instant de ce silence durant lequel je feignis la détente sans parvenir à me calmer réellement, le directeur reprit, s'adressant exclusivement à Severus :
«-Severus, je pense que vous l'avez compris, nous devons réparer ce petit... désagrément.»
Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir. C'était moi, le «petit désagrément» ? Je commençai vraiment à en avoir par-dessus la tête d'être traitée comme une moins-que-rien ! Je tournai le regard vers le sorcier à côté de moi et son attitude me frappa : il se dandinait désormais d'un pied sur l'autre et son expression laissait clairement suggérer... de l'anxiété ? En tout cas, je ne comprenais pas ce brusque changement de comportement, pas plus que je ne saisissais la signification des paroles du directeur. Un court laps de temps plus tard, Severus dit, d'une voix hésitante :
«-Monsieur... si je peux me permettre...»
Je ne l'avais jamais vu aussi décontenancé. Je n'osai pas interrompre leur conversation, me contentant d'écouter et d'observer.
«-Il doit bien y avoir une autre solution... moins radicale...»
Mon cœur fit un bon dans ma poitrine. «Moins radicale» ? Par Merlin, qu'est-ce que tout cela signifiait ? Visiblement rien de bon, vu la réaction atypique du Maître des Potions, pourtant reconnu pour sa légendaire impartialité. Mais alors quoi ? Albus Dumbledore se pencha en avant et dit, d'une voix parfaitement posée :
«-Vous savez bien qu'il n'y a pas d'autre solution, Severus. Si jamais les Mangemorts la capturent et peuvent lire dans ses pensées, tout notre plan tombe à l'eau. Il n'y a pas d'autre moyen d'empêcher cela. Qu'importe la relation actuelle que vous entretenez avec Miss Lynch.
-Je n'entretiens aucune relation avec Lynch ! s'indigna le professeur de Potions, tandis que mes joues prenaient une couleur rouge tomate.
-Oh, je n'en doute pas une seule seconde, conclut Dumbledore, d'un ton amusé.»
Je ne savais plus où me mettre. Déjà, on complotait ouvertement contre moi sans se soucier une seule seconde du fait que j'étais présente dans la pièce et maintenant, mon supérieur me soupçonnait de batifoler avec mon collègue au sein de l'école ! Ma gêne avait, à ce moment, atteint son paroxysme. La conversation reprit comme si de rien n'était, par une intervention plus sérieuse de Dumbledore :
«-Je peux me charger de le faire, si ça vous pose un problème, Severus. Dans tous les cas, le problème devra être résolu ce soir, au plus tard. Ne laissons pas place aux possibilités - aussi infimes soient-elle - que les Mangemorts s'emparent de nos...
-Il y a peut-être une autre solution, dit abruptement Severus.
-Je vous ai dit qu'on ne peut pas courir le risque qu'elle soit exposée. Quand bien même...
-Sauf si elle apprend à fermer son esprit.
-Et qui lui inculquerait cette discipline ?
-Moi-même.»
Un lourd silence accompagna sa déclaration. Interloquée par ses propos, bien que je n'en comprenne qu'à demi la véritable portée, je me retournai vers le sorcier placé à côté de moi, tandis que lui gardait les yeux rivés sur Dumbledore. Ce dernier semblait analyser minutieusement la proposition faite par le professeur et, comme toujours, j'avais l'impression qu'il décortiquait chacun des mots prononcés. Finalement, notre supérieur réinstalla d'un index ses lunettes sur l'arête de son nez avant de dire, d'un ton las :
«-Vous êtes un homme intelligent, Severus. Je n'ai pas besoin de vous rappeler les risques que comporte cette alternative.
-En effet, j'en suis parfaitement conscient, Monsieur.
-Je ne suis pas sûr de bien comprendre vos motivations, Severus. Quel intérêt y-a-t-il à gagner à ne pas respecter le protocole ?
-Une alliée.»
Albus Dumbledore ne renchérit pas tout de suite, plissant les yeux, comme pour mieux lire l'expression du professeur de Potions. Totalement exclue de la discussion et ne comprenant pas ce qui était entrain de se jouer devant moi, je restai silencieuse et immobile, les yeux rivés sur Dumbledore. Ce dernier reprit :
«-Ce n'est pas une proposition sans importance que vous faîtes là, Severus. C'est même très osé. Je ne suis pas sûr que Miss Lynch veuille prendre ce risque, simplement pour satisfaire votre volonté.
-Il suffit de lui demander son avis, répondit sèchement Severus, visiblement agacé par la tournure que prenait la conversation.»
Dumbledore se tourna lentement vers moi, me détailla du regard un moment avant de dire, d'une voix calme :
«-Il est temps de vous expliquer la situation. Il y a sept ans, Severus a fait le choix de devenir agent-double. Le principe est simple, bien que risqué : il se fait passer pour un Mangemort, infiltrant ainsi le camp adverse et récolte des informations pour moi-même, ainsi que pour les sorciers qui combattent Lord Voldemort et ses partisans. (À l'entente du nom du mage noir, je ne pus m'empêcher de frissonner et Severus sembla lui-même peu apprécié d'entendre ce nom maudit) Depuis la chute de Voldemort, notre rôle est réduit à quelques repérages, mais maintenant qu'un réseau de Mangemorts a refait surface depuis le début de l'année, notre présence devient indispensable : il nous faut arrêter le réseau avant que les conséquences soient... regrettables. Personne n'est au courant du véritable rôle de Severus, si ce n'est un cercle restreint de personnes en qui j'ai une confiance absolue - et désormais vous. Comprenez que votre soudaine inclusion à ce secret ne doit pas être pris à la légère. Si, par malheur, vous tombez dans les griffes des Mangemorts et que vous dévoilez ce secret, volontairement ou non, la mission entière tomberait à l'eau. Aussi, je vous ne poserai qu'une seule fois cette question : voulez-vous rejoindre la dite-mission ?»
Je mis un certain temps à intégrer toutes les informations qui venaient de m'être exposées. La situation paraissait si irréelle, si invraisemblable que je ne parvenais plus à garder la tête froide. Que se passerait-il si je refusais ? Mais surtout si j'acceptais ? Je sentais le regard perçant du vieil homme sur moi, ainsi que celui de Severus. Déboussolée, je fus incapable d'avoir des propos cohérents :
«-Heu... je... heu...»
Heureusement, le directeur vola à mon secours :
«-Je sais que je ne vous confronte pas à un choix des plus faciles et, croyez-moi, j'en suis désolé.»
Le calme de sa voix permit de m'apaiser légèrement, assez pour que je puisse dire, d'une voix balbutiante :
«-Que... que se passera-t-il au juste si je refuse ?»
Dumbledore sourit, comme s'il s'attendait à cette question, à laquelle il s'empressa de me répondre :
«-Oh, ne vous en faîtes pas, je comprendrais parfaitement. Nous nous assurerons simplement que vous... oublierez toute cette histoire.»
Le mot «oublierez» resta un long moment dans mon esprit, avant que je parvienne à le raccrocher à une pensée rationnelle :
«-Vous allez... m'oublietter ?
-Rassurez-vous, seuls les souvenirs concernant cette mission et cette petite entrevue dans la Forêt vous seront arrachés, le reste restera bien intact. Mais sachez que je comprendrais parfaitement votre choix : quelques heures oubliés pour une vie entière de paix, quel fou irait dans le sens contraire ? Enfin, la décision revient à vous, et à vous seule, Miss Lynch.»
Une nouvelle fois, le silence envahit les lieux, alors que toute l'attention était sur moi. Je me sentais nauséeuse, mal à l'aise. Les pensées se multipliaient et s'emmêlaient dans mon esprit, sans que je ne parvienne à tirer quoi que ce soit de ce pêle-mêle d'émotions.
D'un côté, j'étais rattrapée par mon impulsivité et voulais dire «oui». D'un autre, je pensais à ma vie actuelle, qui était relativement bien, du moins assez pour que j'aille la perturber à jamais par un choix fait sur un coup de tête.
Je jetais un regard en direction de Severus, se tenant bien raide à mes côtés. Nos yeux se croisèrent une demi-seconde puis il les détourna vivement et je cessai de l'observer.
À partir de ce moment précis, sans que j'en sache la véritable raison, je savais ce que j'allais dire, je connaissais mon choix. Je lâchai, d'une voix que je voulais ferme :
«-Je... très bien. Très bien, je suis d'accord pour participer à la mission.»
Les yeux d'ordinaire si posés de Dumbledore furent parcourus d'un éclair sombre : incompréhension, peur, déception... je ne sus le dire. En tout cas, il était surpris, tout comme moi, à vrai dire. Les mots qui allaient sceller mon destin bourdonnaient encore dans mes tympans et j'avais du mal à me rendre compte de ce que j'étais entrain de faire. S'il était étonné par mon choix, la voix du directeur n'en laissait rien paraître quand il dit :
«-Bien. Je dois m'assurer que vous avez bien compris l'importance de votre choix. Si vous acceptez, c'est irrévocable, vous en êtes bien consciente ?»
Tout le reste passa comme dans un drôle de rêve et c'était comme si je n'étais plus connectée au monde réel :
«-Oui, Monsieur.
-Sauf si je vous juge inapte suite à vos entraînements, vous donnerez votre vie à la mission, est-ce bien clair ?
-Oui.
-Vous allez être confrontée à un univers bien différent de celui dans lequel vous avez l'habitude d'évoluer. C'est pourquoi, je devrais avant toute chose m'assurer que vous soyez prête. Severus, ici présent, se chargera de vous apprendre tout ce que vous devez savoir. Quand je vous aurai jugé prête, et seulement à ce moment, vous pourrez participer aux missions. Je peux, à tout moment de vos entraînements, revenir sur cette décision et vous aussi. Mais une fois ce temps passé, vous serez une part intégrante du projet. Vous suivez ?
-Oui, Monsieur.
-Bien. Un dernier mot ?
-Non, Monsieur.
-Alors l'affaire est réglée. Miss Lynch, dès à présent, vous faîtes partie de la mission du Phénix, tâchez d'en être à la hauteur.»
☆☆☆
*PetitKoala*
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