Chapitre 22 - Révélations

Jeudi 10 Mars 1988 :

Les pas des deux Mangemorts résonnèrent un instant dans la Forêt Interdite, avant de laisser place à un silence total, seulement entrecoupé par le sifflement du vent qui s'était levé dans les hauts feuillages des arbres. Toujours retenue prisonnière contre le tronc d'arbre, je m'étais immobilisée et n'osai pas esquisser le moindre mouvement, pétrifiée de peur. Qu'allait-il se passer maintenant ?

Severus avait les yeux rivés sur l'endroit où avaient disparu ses deux acolytes puis, après un moment qui me parut durer des heures, il tourna lentement ses yeux sur moi. Nos regards se croisèrent. Le sien était froid, noir, rendu inhumain par la pénombre terrifiante qui régnait sur place. Le mien était vascillant de larmes. Je battis plusieurs fois des paupières pour chasser mes traces de faiblesse. À défaut de pouvoir soutenir son regard puissant, j'observai son visage, partagée entre la peur et un autre sentiment non identifiable. Les lignes de sa machoire laissaient clairement suggérer qu'il était tendu, ses lèvres étaient réduites à une fente maussade. La cicatrice qui barrait une partie de son visage était plus visible que jamais, ressortant sur sa peau presque translucide. Son teint cireux et les larges cernes sous ses yeux laissaient penser qu'il était malade. Pourtant, son regard était vif et son corps tendu, prêt à attaquer. Drôle de paradoxe.

Je commençai à m'impatienter, non pas que j'avais envie de mourir. Mais qu'attendait-il pour m'achever ? Ses yeux ne m'avaient pas lâchée une seule seconde et son regard devenait étouffant et frustrant, car je ne parvenais pas à y déceler quoi que ce soit. Il était comme en transe. J'entrepris de gigoter sous mes liens, histoire de lui montrer que j'étais encore en vie. Cela sembla le faire sortir de sa torpeur puisque, d'un geste soudain, il brandit sa baguette sur moi. Je me raidis. Un éclair jaillit de sa baguette mais il n'était pas vert, et les cordes qui m'enserraient disparurent aussitôt. Les muscles ankylosés, je perdis l'équilibre et tombai sur le sol, à bout de force. Je ne pris même pas la peine de me relever, me contentant d'humer l'odeur de la terre humide. Une main se resserra sur l'un des plis de ma robe et me força à me relever. Je me laissai faire, l'envie de me battre m'ayant quitté depuis longtemps. De toute façon, je n'avais pas ma baguette. Je me retrouvai nez-à-nez avec Severus qui me poussa brusquement loin de lui. Je faillis de nouveau perdre l'équilibre mais me rattrapai de justesse au tronc auquel j'étais restée collée pendant un certain temps, que je ne parvenais pas à évaluer. Mon corps me faisait mal mais il était bien le cadet de mes soucis à cet instant. Le silence qui planait dans la Forêt ne faisait qu'accentuer mon malaise et rien ne semblait pouvoir le briser. Quand soudain...

«-Partez. Quittez le pays et ne revenez jamais.»

Je mis une bonne minute à assimiler les informations. La voix de Severus paraissait lasse, sans réelle émotion, froide. Il avait prononcé ces phrases comme il le faisait avec n'importe quelles autres banalités : d'un ton traînant, comme un comédien lassé de son rôle. Il fit un geste vers ses robes et en sortit ma baguette qu'il me tendit, pour illustrer ses propos. Je ne comprenais rien. Pourquoi me laissait-il partir ? Quelles étaient les raisons de ce brusque retournement de situation ? Pourtant, il n'avait pas hésité à me désarmer et m'attacher à un arbre, il y avait à peine dix minutes... Quand je sortis enfin de mon mutisme, ce fut pour bredouiller, d'une voix rauque et faible, loin de celle que j'aurais voulu employer pour exprimer mon incompréhension quant à la situation actuelle :

«-Q... quoi ? Mais, je...

-Faîtes ce que je vous dis ! trancha-t-il sèchement en faisant un signe insistant de la main dans laquelle se tenait ma baguette.»

Je m'en emparai prudemment, d'un geste tremblant, en lançant à l'homme un regard perdu. Ce retournement de situation me donnait mal à la tête et je n'avais pas besoin d'une douleur en plus pour prendre conscience de mon propre corps.

«-Je... je ne comprends pas... Vous n'allez pas me tuer ?»

Ma voix partit dans les aigus à la fin de ma question. Je frissonnai quand une bourasque de vent ayant bravé le couvert de feuilles vint balayer le sol forestier, sifflant d'un son menaçant. Severus retorqua, sans se départir de sa voix blasée :

«-Non, bien sûr que non.

-Mais..., commençai-je, bien décidée à tirer au clair la situation.»

Il me coupa une seconde fois la parole, visiblement peu disposé à la politesse. D'ailleurs, à le voir, il paraissait agité, plus aussi maître de lui qu'il ne l'était auparavant.

«-On n'a pas le temps de discuter, maugréa-t-il, vous devez partir ! Allez en France avec votre famille et oubliez l'Angleterre !»

Trop d'informations se bousculaient dans mon esprit et, couplé à mon corps endolori, je n'étais pas loin de faire une crise de nerf. Une main toujours en appuie sur le tronc froid, je sentais le froid nocturne s'engouffrer dans la mince couche de tissu qui me couvrait les épaules. Désespérée, je me mis à crier, ma voix se joignant au sifflement désormais incessant du vent qui animait la Forêt :

«-Pourquoi ? Pourquoi est-ce que vous m'épargnez ?»

Il leva les yeux au ciel, comme si c'était la question la plus stupide qu'il avait entendue. Je l'entendis grommeler dans sa barbe, si bas que je n'entendis que les mots : «... stupide... sotte...». Puis, il se tourna vers moi et trancha, toujours aussi sèchement et rien dans son comportement ne laissait suggérer qu'il était entrain de me sauver la vie :

«-Je ne peux pas vous en dire plus. Partez !»

Il jeta un regard circulaire autour de nous, le corps on-ne-pouvait-plus tendu. Il évitait soigneusement mon regard et je le soupçonnai de me dissimuler ses émotions, afin que je ne comprenne pas les raisons de ses actes. Lâchant l'arbre contre lequel je me tenais, j'avançai d'un pas dans sa direction, les jambes flageolantes, prêtes à lâcher.

«-Non, affirmai-je d'une voix brusque mais sûre. Je ne bougerai pas d'ici tant que vous ne m'aurez pas apporter les réponses dont j'ai besoin. Je veux savoir pourquoi vous ne me tuez pas, alors que vous sembliez prêt à le faire il y a à peine dix minutes de cela !

-Je n'ai jamais eu envie de vous tuer ! rugit-il, si fort que je reculai d'un pas, destabilisée par son élan de colère.»

Nos regards se croisèrent et cette fois-ci, il ne fut pas assez rapide. Ses yeux d'ordinaire sombres et vides semblaient actuellement exprimer une multitude d'émotions contradictoires, ainsi qu'autre chose, autre chose de déconcertant que je ne parvenais pas à clairement identifier.

Et je compris. Je compris ses disparitions soudaines au beau milieu de l'année, je compris ses blessures, je compris son mutisme, je compris ses discussions secrètes avec Dumbledore et la confiance aveugle de ce dernier envers le Maître des Potions.

«-Vous n'êtes pas un Mangemort, lâchai-je soudainement, les yeux rivés sur l'homme en face de moi.»

A cette déclaration, je le vis se raidir puis ses épaules s'affaissèrent, en signe d'abdication. Je poursuivis, dans un murmure :

«-Vous êtes un... espion.

-Vous ne savez pas de quoi vous parlez ! D'ailleurs, vous n'avez jamais su. Il y a deux heures, j'étais le pire homme qu'il soit, un sbire du Seigneur des Ténèbres et maintenant, je suis le gentil espion chargé de traquer les méchants ! Ce que vous ne comprenez pas, c'est que le bien et le mal, ça n'existe pas. Du moins, ces deux notions ne sont pas aussi dissociables que vous ne le pensez.»

Il se tut, presqu'aussi surpris que moi par la longueur de sa réplique. Puis, il secoua la tête, comme s'il regrettait ce qu'il venait de dire. Ses yeux avaient retrouvé une apparence normale, froide et peu avenante. La gorge nouée, par le stress, la douleur et je-ne-savais-quoi d'autre, je soufflai :

«-Vous travaillez pour Dumbledore. C'est évident maintenant : les secrets, les disparitions, les missions...

«-Oui, admit-il tout d'un coup. Oui, vous êtes contente ! Maintenant, partez !»

Il fit un geste agacé de la main mais je ne bougeai pas. J'étais terrifiée à l'idée que les Mangemorts ne reviennent pour finir leur tâche mais j'étais dans l'incapacité de me mouvoir. Mon corps était comme pris au piège au milieu de ce lieu hostile et mon regard figé sur le sorcier en face de moi, homme dont je découvrais ce soir une nouvelle face cachée. A cet instant, la seule chose que je fus capable de murmurer fut :

«-Vous êtes un homme bien...»

Cela sonnait comme une excuse, de l'avoir pendant tout ce temps considéré comme un Mage Noir, avide de pouvoir et de violence. Il ricana amèrement avant de siffler, sarcastique :

«-Voilà une vision bien naïve du monde. Ça vous a peut-être échappé mais il n'y a pas d'homme bien ou mal, dans ce genre de situation, Miss Lynch, seulement de simples gens qui font des choix, parfois bons, parfois mauvais.»

Je laissai sa leçon de moral planer un moment dans ma tête, confuse, avant de dire, toujours à voix basse :

«-Je suis désolée. De vous avoir pris pour... quelqu'un que vous n'étiez pas.

-Vous ne l'êtes pas.»

Je voulus rétorquer quelque chose mais un bruit se fit entendre à une dizaine de mètres environ. Un bruit suivi d'une voix grinçante et apparemment satisfaite :

«-Comme c'est touchant. Et bien, au moins, cette nuit aura été utile pour une chose, n'est-ce-pas, Rogue ? Nous avons enfin confirmation de ta véritable allégeance...»

Je frissonnai en reconnaissant cette voix. Mulciber.

☆☆☆

*PetitKoala*

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