Chapitre 18 - Discussion au clair de lune

Dimanche 14 Février 1988 :

Je le retrouvai errant dans le parc du château et si j'avais quitté une minute plus tard la Grande Salle, je ne l'aurais pas vu s'enfoncer dans l'obscurité mordante de la nuit déjà bien entamée. Pour une seconde fois dans la même soirée, j'agissais par pur instinct, ne mesurant probablement pas bien les conséquences que pourraient avoir mes gestes. La chaleur que m'avait procuré les verres de Bièraubeurre ne faisait désormais plus effet et le froid nocturne s'engouffrait à travers le tissu de ma robe, me faisant frissonner. Je n'osai pas m'approcher, ne sachant pas comment l'aborder. Aussi, je restai en retrait, le regardant faire les cent pas dans l'herbe humide puis s'arrêter pour regarder fixement l'arbre massif qui dominait largement la végétation entourant le château – le Saule Cogneur. D'aussi loin qu'il m'était permis de juger, il semblait comme fasciné par cette arbre, comme si lui-seul lui rappelait une myriade de souvenirs – bons ou mauvais, je ne saurais le dire. Je me demandai bien ce qu'il faisait ici et non pas barricadé dans ses cachots comme il avait l'habitude de le faire.

Je finis par m'avancer, timidement et me stoppai à quelques mètres de lui, tentant de faire le moins de bruit possible. Rien dans son attitude ne laissait suggérer qu'il m'avait entendu venir, aussi, je fus surprise quand il maugréa, d'une voix inhospitalière mais incroyablement maîtrisée :

«-À quoi vous jouez, Lynch ?»

Je m'avançai jusqu'à sa hauteur et fixai à mon tour le Saule Cogneur, fascinée par la force que dégageait son tronc noueux et ses branches dressées fièrement en direction des étoiles. Je ne pus réprimer un frisson quand un souffle de vent fit frémir l'herbe sous mes pieds et serrai mes bras contre ma poitrine, pestant silencieusement contre moi-même pour ne pas avoir eu la présence d'esprit d'apporter une veste avec moi. J'aurais pensé que, dès mon arrivée, il aurait fui mais il ne le fit pas, il semblait s'être résigné. Je me demandai si c'était bon signe ou pas. Je dis, prudemment :

«-Je cherche des réponses.

-Vous ne mesurez même pas ce qu'implique le simple fait de poser les questions, siffla-t-il, d'un ton méprisant.

-Peut-être pas, admis-je, dans ce cas, expliquez-moi.»

Il émit un petit ricanement que je ne sus interpréter. Je lâchai des yeux le Saule Cogneur et tournai les yeux vers lui, espérant en apprendre plus par l'expression de son visage. Évidemment, c'était peine perdue : il avait enfilé son indomptable masque d'impartialité et rien dans son visage ne saurait me dire ce qu'il ressentait à cet instant-même. La faible luminosité provenant de la lune rendait son teint plus blafard encore et faisait ressortir la noirceur de ses yeux. Je baissai légèrement le regard jusqu'à son cou, où un détail retint mon attention : son col plus bas qu'à l'ordinaire laissait deviner les prémices d'une profonde cicatrice qui semblait s'étendre sur sa clavicule gauche et peut-être même plus bas. Je réprimai la question qui me brûlait les lèvres, sachant qu'elle ne serait pas la bienvenue. Un quart de seconde suffit pour que Severus capte mon regard et, d'un geste vif, il remonta le col pour dissimuler la marque. Je détournai le regard et mes yeux convergèrent sur la hutte du garde-chasse, d'où ne provenait aucune lumière, ni signe de vie : il me semblait effectivement avoir aperçu Rubeus Hagrid au bal.

Le silence se prolongea encore sur plusieurs minutes, il paraissait être le seul élément qui nous unissait. Si je me concentrais, je pouvais entendre les bruits de la fête au loin et c'était à peu près tout. Finalement, n'y tenant plus, je murmurai :

«-De quoi avez-vous peur, Severus ? Quand je parlais de Lily Potter, vous sembliez effrayé...

-Votre curiosité vous perdra un jour, se contenta-t-il de répondre, sèchement.

-Peut-être. Et votre manie d'éviter les questions que je vous pose fera de même pour vous.»

Il ne dit rien. Ne souhaitant pas voir un silence glacial s'installer de nouveau entre nous deux, je poursuivis :

«-Pourquoi ne répondez-vous pas à ma question ?

-N'est-il donc pas possible de passer une soirée tranquille, sans qu'une insupportable petite prétentieuse ne vienne fourrer son nez dans ce qui ne la concerne pas ?»

Sa voix n'était qu'un grondement sourd quand il finit son reproche et je fus incapable de rétorquer quoi que ce soit pendant plusieurs secondes. Je sentais la colère refaire surface et, quand il me fut possible de m'exprimer à nouveau, je répondis, tout aussi sèchement :

«-N'est-il donc pas possible d'avoir une conversation normale, sans qu'un désagréable et sarcastique Maître des Potions ne dégaine toujours sa flegme comme ultime bouclier ? Ça vous amuse d'être comme ça avec les autres ?»

Il se tourna vers moi, une expression cruelle se lisant dans ses yeux.

«-Il se trouve que, oui, j'y trouve une certaine satisfaction.»

Ne me laissant pas le temps, ni le loisir de rétorquer, il s'éloigna à pas vifs, se dirigeant vers le château. Je savais qu'une fois à l'intérieur, je ne pourrais pas poursuivre cette conversation. Aussi, je me pressai de le rejoindre, courant presque pour calquer ma marche dans la sienne.

«-Je ne vous crois pas, soufflai-je, me concentrant pour conserver son rythme de déplacement, personne ne se comporte amèrement sans raison.»

Il s'arrêta de marcher, fixant un point en face de lui et, encore une fois, aucune émotion n'était distinguable sur son visage.

«-Vous n'en savez rien, persifla-t-il, d'une voix traînante.»

Il voulut ajouter quelque chose mais se tut et je crus discerner un changement dans son attitude. Son corps s'était raidi et une lueur nouvelle brillant dans ses yeux qui fixaient le vide. Pendant un instant, ce fut comme s'il était en transe et je n'osai rien dire, terrifiée. Puis, je demandai, prudemment :

«-Quelque chose ne va pas ?»

Lentement, il posa ses yeux sur moi, comme s'il venait de se souvenir de ma présence. Je pinçai mes lèvres, dans l'attente d'une réponse acerbe de sa part, qui se fit pas attendre :

«-Ne serait-ce trop demander que de souhaiter être seul ?

-Répondez à ma question et je vous laisserai. Qu'est-ce qui ne va pas ? Vous semblez agité tout d'un coup.»

Il s'éloigna et, en quelques enjambés, rejoignit l'entrée du château. Souhaitant sincèrement tirer quelque chose de notre conversation, je dis, misant tout sur l'effet de surprise, comme à chaque fois que je discutais (si on pouvait appeler ceci une discussion) avec lui :

«-Je vous ai vu. À l'attaque de Pré-au-lard. Et je crois que vous le savez aussi.»

Cela eut l'effet attendu puisqu'il se figea sur le pas de la porte menant à l'entrée du château. Pendant un instant, il garda le silence et je ne bougeai pas, le regard fixé sur son dos, que je n'avais jamais vu aussi distinctement sous son ordinaire cape noire. Le tissu n'était pas bien épais et je pouvais deviner ses muscles tendus, comme s'ils n'avaient jamais l'occasion de se détendre. Je pouvais aussi discerner les os de sa colonne vertébrale et ce fut la première fois que sa maigreur me frappa. Dissimulé dans ses robes sombres, il ne paraissait pas aussi vulnérable qu'il ne l'était ce soir. Sa voix, qui ne se résumait alors qu'à un murmure rauque et sans couleur, me tira de cette contemplation :

«-Je ne vois pas de quoi vous parlez.»

Son timbre, volontairement traînant, m'irrita, plus encore que la réfutation de mon accusation. Je répliquai, m'appliquant à mon tour pour paraître aussi distant que lui :

«-Je crois, qu'au contraire, vous savez très bien de quoi je parle. Je vous laisse une chance de vous expliquer ou je préviens dès demain le directeur qu'un Mangemort se dissimule parmi les professeurs.»

Je fis exprès d'insister sur le mot tabou, pour donner à ma menace plus de morgue. Ça ne sembla pas l'affecter comme je l'espérais puisqu'à mon plus grand désarroi, il se mit à rire.

«-Vous n'avez aucune preuve contre moi et je doute que notre cher directeur choisisse votre parole contre la mienne. Je travaille à Poudlard depuis huit ans ; vous entamez votre première année et je ne pense pas que vous y resterez plus longtemps. La question ne se pose même pas, toute personne sensée l'aurait deviné avant de proférer de telles accusations.

-N'importe quelle personne innocente aurait commencé par nier l'accusation au lieu de dire "Vous n'avez aucune preuve contre moi", soulignai-je, sachant néanmoins qu'il marquait un point.»

Dumbledore semblait avoir une totale confiance envers le sorcier, bien que je n'en comprenne pas vraiment les raisons. Dans tous les cas, je ne pouvais certainement pas me pointer dans son bureau et crier de telles profanations, pas sans preuve du moins. L'idée de le forcer à révéler sa Marque des Ténèbres me parut bonne mais je me résignai aussitôt : je ne l'aurais pas encore touché qu'il me menacerait déjà avec sa baguette. Et puis, je n'étais même pas sûre de l'avoir vue. Il n'avait pas bougé et n'avait pas daigné se tourner vers moi, même quand il sursurra, amer :

«-Sur ce, je vous souhaite une bonne nuit, Ly...»

Sa phrase se termina par un sifflement aigu et j'étais prête à parier que c'était de douleur. Je me décalai sur le côté, assez pour le voir serrer fermement son avant-bras gauche dans sa main droite.

«-Severus ? soufflai-je, inquiète.»

Mais avant que je n'eus le temps de bouger, le sorcier s'était déjà rué précipitemment à l'intérieur et j'étais simplement trop interloquée pour le suivre.

***

Mercredi 24 Février 1988 :

«LES ATTAQUES SE POURSUIVENT, LES AURORS SONT SUR TOUS LES FRONTS ET LE MINISTERE CRAINT LE PIRE :

Trois nouvelles attaques signées par le réseau de Mages Noirs sont à déplorer depuis hier soir, touchant respectivement les villes de Loutry St Chaspoule, Quinworth et Great Hangleton. Les dommages humains et matériels n'ont pas encore été communiqué à la presse mais le Ministère a certifié ce matin-même que des brigades d'Aurors avaient été envoyées dans les lieux-dits. La Ministre de la Magie, Mme Bagnold, refuse de s'exprimer sur le sujet pour le moment mais le Ministère prend des précautions. Reg Cattermole, un employé du Service de la maintenance magique, le confirme dans les quelques mots qu'il nous a accordé ce matin : «Les contrôles à l'entrée ont été doublés, les fouilles sont méticuleuses et ne laissent aucune personne passer sans s'être assuré de son identité et de son rattachement au Ministère. Ce n'est pas rare de voir des Détraqueurs sillonner les rues, à la recherche des Mangemorts évadés. On croirait presque que la période de terreur renaît une seconde fois.». Une seconde Guerre des sorciers serait-elle en route ? Doit-on craindre pour notre sécurité ? Nous ne pouvons vous donner qu'un seul conseil : gardez votre baguette à porter de main !

Si vous possédez des informations reliées au réseau de Mages Noirs, ou susceptibles d'aider le Ministère à traquer les criminels, merci de contacter le centre d'Aurors le plus proche ou contacter au plus vite le Ministère de la Magie. Toute information est bonne à prendre.

Betty Braithwaite, journaliste à la Gazette du Sorcier, article datant du mercredi 24 Février 1988.»

Je reposai le journal sur la table, me sentant un peu nauséeuse d'apprendre les dernières nouvelles qui venaient de tomber. Encore quatre attaques. Probablement le double, voire le triple de morts. Et le réseau mangemort qui ne cessait de prendre de l'ampleur. Je n'avais jamais lu de telles catastrophes s'enchaîner depuis... depuis le règne du Seigneur des Ténèbres. Je frissonnai à cette pensée et ne pus réprimer une grimace inquiète, que dut percevoir Minerva, travaillant juste à côté de moi car elle me demanda, concernée :

«-Quelque chose ne va pas, Elladora ?»

Pour toute réponse, je lui tendis l'article de journal, illustré d'une image lugubre montrant la prison d'Azkaban et ces centaines de gardiens, que l'on voyait rôder autour. Elle le parcourut rapidement des yeux, son expression devenant sombre à mesure qu'elle avançait dans sa lecture. Une fois qu'elle eut terminé, elle dit simplement, d'une voix blanche, presque distante, qui ne fit qu'accroître mon malaise :

«-On dirait que les attaques s'approchent du château...»

Avant que je ne pus rétorquer quoi que ce soit, la professeure de Métamorphose fut appelée par Filius et détourna son attention de moi. J'avais le regard fixé sur l'article de journal, la remarque de Minerva se rejouant encore et encore dans mon esprit... Je ne savais pas vraiment quoi, mais quelque chose se formait dans mon esprit, un schéma, une hypothèse...

Je fus coupée dans ma réflexion par Minerva, qui me dit qu'elle allait en cours. Je hochai la tête distraitement, pour lui faire comprendre que j'avais entendu et elle quitta la salle, suivie par les autres collègues, rejoignant leur classe. J'étais désormais seule dans la pièce réservée aux professeurs, comme tous les mercredi matins, où j'avais la chance de ne commencer qu'à dix heures. Je relus une énième fois l'article, les sourcils froncés, tentant de compléter ma réflexion, interrompue par le départ de mes collègues. Le nom des trois villes touchées par les récentes attaques dansaient dans mon esprit, sans que je ne parvienne à faire un quelconque lien.

Loutry St Chaspoule, Quinworth, Great Hangleton, ...

Je me levai, rejoignis la bibliothèque qui occupait une grande partie du mur gauche de la salle et restai un instant en face, recherchant des yeux le livre qu'il me fallait. Quand j'eus déniché l'atlas cartographiant le monde britannique parmi les bouquins de potions, sortilèges et divination, je me réinstallai à ma place et ouvris l'imposant livre en face de moi, le feuilletant avidement, afin de trouver une carte adéquate. Je la trouvai finalement à la page trois-cent-quatre-vingts-quatorze où s'illustrait une carte détaillée de Poudlard et ses environs, qui avait la particularité de changer de couleur selon la météo qu'il faisait aux endroits qu'elle montrait. Je restai un moment immobile, repérant des yeux les différents lieux touchés par les Mangemorts. Puis, prudemment, je pris une feuille de parchemin vierge, décalquant approximativement la carte de quelques coups de plume, avant d'annoter mon schéma par des croix à l'encre rouge représentant respectivement Great Hangleton, Quinworth et Loutry. Et si on ajoutait Pré-au-lard, qui avait également subi une attaque il n'y avait pas si longtemps quecela... il suffisait de relier deux à deux les croix et...

La carte s'assombrit soudainement sous mes yeux alors qu'un orage se mit à gronder à l'extérieur et un coup d'œil à la fenêtre la plus proche m'apprit que la pluie commençait à tomber, accompagnée de son plic-ploc caractéristique. Mes yeux glissèrent automatiquement sur la grande croix que j'avais tracée sur mon schéma, dont les quatre extrémités étaient représentés par les lieux récemment attaqués par les Mangemorts. À l'endroit pile où se trouvait l'intersection des deux segments de la croix, on pouvait voir sur la carte un château représentés à échelle réduite, ainsi qu'une petite bannière indiquant clairement : «Poudlard».

☆☆☆

*PetitKoala*

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