Chapitre 36
Iliya
Après ce moment, je sors de l'immeuble. Je frissonne de froid et erre dans les rues de Rome. Je m'arrête sur un pont, les mains posées sur le bord, ma tête regardant le lac muet et silencieux. Je laisse mes larmes couler. Doucement, elles me réchauffent la peau. Je meurs de froid, mais je reste obstinée : rester accrochée à ce pont semble être la meilleure solution pour l'instant. Le vent passe à travers ma chemise, mes cheveux au vent. Je me sens plus légère. Je sais qu'on a passé un cap. Je ne veux plus laisser ma culpabilité devenir qui je suis et m'empêcher d'avancer. Certes, je m'en veux terriblement pour ce que j'ai fait. Je sais que j'ai fait une grosse erreur, mais ça ne doit pas m'empêcher d'avancer. Et je veux et je dois absolument réparer les morceaux avec Mike. Néanmoins, il me faut aussi apprendre à vivre avec ce que nous avons fait… Je sais, autant que lui, que nous avons compris aujourd’hui qu'on tient l'un à l'autre, qu’on veut recoller les morceaux.
Je regarde un jeune couple, sans doute dans leurs 18 ans. Ils discutent sérieusement de leur avenir et de leur amour. Je me rappelle qu'à cet âge, chaque petite décision, chaque compromis était pour nous un énorme pas dans la vie d'adultes. On croyait être des adultes, mais une fois tombé dans l'âge où le loyer et les factures passent plus vite que les pilules que tu prends, tu comprends que l'adulte est celui qui se noie dans l'ordinaire. Les histoires d'amour, on les voit s'étirer comme des rêves, mais on découvre vite que l'amour dure le temps d'un film de 90 minutes. On espère qu'un jour, cet amour « ouf » viendra frapper à notre porte. Mais au final, c’est le facteur qui vient t’annoncer que tu as des paiements en retard. Pourtant, j'ai toujours eu cette innocence, cette foi en l'idée que cet homme viendrait réveiller cette part de moi, qu'il serait le seul à pouvoir comprendre ce que je ne pouvais traduire… Oui, j'y crois encore. Peut-être que c’est ce qui me fait faire mes plus grosses erreurs.
Le jeune couple s'approche de moi, inquiet, presque peureux, me prenant peut-être pour une folle. Il y a de quoi y penser, après tout : une jeune femme de 26 ans, les cheveux en bataille, un soutien-gorge visible, son mascara qui coule, un bandage à la main… Je peux imaginer leur stupeur. La jeune femme s'approche et me demande si je vais bien. Je hoche la tête, ne voulant pas interrompre leur soirée romantique. Elle me fait un gros câlin et me dit que tout ira bien, qu’elle est de tout cœur avec moi. Elle demande à son copain de lui donner sa veste. Elle me l'enfile, me prend doucement par le bras et me demande de la suivre, me convaincant qu'elle ne veut pas que je meurs de froid. Je la suis, me sentant en sécurité et écoutée.
Nous arrivons devant une grande bâtisse en pierre, un bâtiment ancien avec des volets peints en bleu pâle et un petit jardin à l’entrée. Sur le fronton du bâtiment, une inscription en lettres italiennes :
La nostra casa è la casa della felicità, sta a te aprire la porta che ti permetterà di farlo.
« Notre maison est la maison du bonheur, à toi d'ouvrir la porte qui te permettra de le trouver. »
Je souris, un petit frisson me parcourant. La chaleur de l'endroit, la lumière tamisée qui filtre à travers les fenêtres, contraste tellement avec l'obscurité de la rue. Ils me conduisent à l’intérieur.
L'atmosphère à l’intérieur de la maison est immédiatement réconfortante : une grande cheminée en pierre brille au fond du salon. Des canapés en velours rouge et une bibliothèque en bois massif bordent les murs. Les meubles anciens donnent à la pièce un air intime, presque familial. Des bougies allumées ici et là apportent une lumière douce. Je remarque un grand tapis persan au sol, des coussins colorés disposés un peu partout, et le parfum du thé qui flotte dans l’air.
Une vingtaine de personnes, de tous âges, sont assises autour d’une grande table en bois. Elles rient, discutent, partagent des plats généreux. À leur vue, je me sens à la fois accueillie et un peu gênée. Ils se tournent tous vers moi, les yeux ronds, mais avec des sourires pleins de curiosité et de chaleur. L'un après l'autre, ils s’approchent de moi. Un homme me tend un verre de thé, une autre me couvre avec un plaid. C'est un contraste frappant avec l'isolement que je venais de vivre. Je m’assois dans un canapé, tellement confortable, que je sens mes muscles se détendre immédiatement.
La jeune femme qui m'a prêté sa veste, Malia, s’assoit à côté de moi et me tend un plateau de petits biscuits. Son regard est empli de bienveillance.
— Bienvenue dans notre maison d’hôte. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à demander. Je t’ai posé une assiette si tu as faim et une couverture pour te réchauffer et tend moi ta main pour que je la soigne .
— C’est très gentil à vous, je vous en suis à jamais reconnaissante. Dis-je, les larmes aux yeux.
Elle me sourit et me tape doucement sur l'épaule.
— Voyons, mon ange, c’est tout à fait normal ! Viens, nous allons manger ensemble.
Une vieille dame aux cheveux gris, tressés et maintenus par un ruban bleu, me regarde tendrement.
— Ne dis pas de sottises, tu es la bienvenue ici.
Elle se lève et m’invite à la suivre, son bras frêle mais chaleureux posé autour de mes épaules.
Nous nous installons autour d’une table en bois massif, recouverte d’une nappe brodée à la main. Le repas est un festin : des pâtes fraîches, des légumes rôtis, du pain fait maison, et des sauces maison qui embaument l’air. Les rires et les voix se mêlent dans une ambiance chaleureuse. Je m’assois près de Zayla, la vieille dame, qui me raconte son histoire. Elle me parle de sa vie de réfugiée andalouse, de ses voyages, de ses conquêtes et de ses rêves. C’est une femme fascinante, pleine de sagesse et de tendresse.
Vers la fin du dîner, Malia et son petit ami Elion portent un toast :
— À notre nouvelle venue ! Que tu sois la bienvenue dans notre petite famille. Ici, nos hôtes sont comme des membres de notre famille et tu fais désormais partie de cette famille !
Tout le monde applaudit. Je souris, émue par tant de bienveillance.
— Merci infiniment pour tout ce que vous faites pour moi. Sachez que vous faites désormais partie des étoiles de ma vie…
Élion, un homme à l'air doux mais ferme, me sourit avec compassion et me demande :
— Comment t’es-tu retrouvée seule si tard dans la nuit, surtout en décembre ? Quelqu’un t’a-t-il fait du mal ?
Je baisse la tête, les larmes recommençant à perler.
— Je… J'ai eu une conversation avec mon petit ami sur un sujet qui nous a tous les deux bouleversés et…
— Tu avais besoin de prendre du recul pour digérer ce qui s’est passé.
— Exactement.
— Mais sache que tu es en sécurité ici. Tu peux rester aussi longtemps que tu veux.
— C’est très gentil, mais je ne veux pas abuser de votre hospitalité.
— Tu ne le fais pas. Si le destin t’a guidée jusqu’ici, ce n’est pas par hasard…
Je secoue la tête.
— Je n’y crois plus…
— Ne parle pas de ces aléas de la vie, le destin a certes fait en sorte que vous vous rencontriez, mais il ne fait pas le poids face aux choix que tu fais désormais. Le destin nous guide, mais c’est à nous de choisir le chemin.
— Je ne sais plus quoi faire. C’est comme si j’étais perdue.
— Alors regarde la nature.
— La nature ?
— Oui, elle t’apportera les réponses.
Je le regarde, désemparée.
— Mais comment ?
— Tu verras…
À la fin du repas, Malia me guide vers une chambre douce et chaleureuse, avec des murs recouverts de bois clair et une grande fenêtre donnant sur le jardin enneigé. Elle me tend un pyjama et me dit :
— Repose-toi, tu en as besoin. Demain est un autre jour.
Je me couche, heureuse d'avoir été sur le chemin de cette maison d'hôte.
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