Les deux sang-purs étaient l'un en face de l'autre, se dévisageant simplement comme deux statues de pierre, immortelles et froides, sachant qu'aucun des deux ne saura vivre tant que l'autre restera debout dans ce monde. 

-Adrian, clama le roi des vampires. Je ne veux pas de ce combat, nous étions frères d'armes autrefois... 

-Dit celui qui m'a divisé l'âme pour vivre une petite vie tranquille, railla le Nosferatu en serrant les poings. 

-Je ne pouvais pas te laisser détruire tout un peuple qui vivait en harmonie ! S'il y avait eu une autre solution, j'aurais préféré que ça ne se passe pas ainsi... 

-Je me souviens d'un roi qui voyait plus loin que le passé, sourit cruellement le traitre. Désormais tu es incapable de voir ta mort prochaine ! 

   Il en profita pour attaquer avec ses dagues, mais Fallacy riposta et évita le coup, reculant sans attaquer à son tour. 

-Tu étais un ami très cher ! 

-Tu étais juste un lâche sans aucune ambition ! 

   Aveuglé par sa rage, Adrian recommença à porter ses coups, violents, précis, méthodiques, que le Roi parait avec toute son expérience, sans jamais lui rendre. Les dagues tranchaient, l'épée la stoppait, elles piquaient le vide, elle cognait l'argent. 

   Mais les rôles restaient les mêmes. Attaquant et défenseur, sans que Fallacy n'arrive à passer à l'offensive face à celui qui fut son plus cher ami, le plus cher ami du Roi des Vampires d'Angleterre. 

   De son côté, Encre luttait pour aider les princes et les deux mortels, laissant sa magie couvrir ses os d'une tenue plus souple, androgyne et magnifique, immaculée comme celle d'un ange. Il prit en main un arc dont on eut pensé qu'il était en cristal, tant sa transparence et sa légèreté semblait irréelles et fragiles.

   Et lorsqu'il le banda , une flèche de magie vola se ficher au cœur d'un des dissidents, qui lui se figea de surprise avant de disparaître en poussière, un air serein sur le visage. 

   En sentant toute cette puissance et toute cette énergie, si chaude et paisible, tous tournèrent la tête vers le peintre, et ses pupilles changeantes étaient désormais deux pupilles aussi bleues que l'océan, et une larme d'albâtre vint doucement couler sur sa joue alors qu'il s'adressait aux nosferatus. 

-Je ne veux pas tant de morts... Pitié, partez d'ici... 

   Mais les traitres s'élancèrent, une fois la surprise passée, et se jetèrent sur Encre qui, d'un geste, en tua plusieurs d'une flèche en plein cœur. Un nosferatu réussit à s'approcher plus près et abattit une dague qui se retrouva bloquée in-extremis par l'arc de peintre. Ce dernier serra les dents et attrapa deux fines épées à sa ceinture pour repousser son assaillant et se redresser pour le tuer en lui tranchant la tête. 

   Aveuglés par leur soif de sang et leurs instincts bestiaux, les autres suivirent et encerclèrent le guerrier en blanc, mais il ne les laissa pas attaquer que déjà les lames argentées se mirent à danser un macabre ballet ensanglanté, tuant rapidement, avec une précision effrayante et une fluidité divine. 

   À quelques mètres, cette danse macabre avait attiré les regards des deux rois vampires, les laissant un instant sans voix. Fallacy s'émerveilla de cette silhouette angélique et gracile et, pendant un instant, il revit une femme aux longs cheveux blonds et aux yeux bleus comme l'océan. Adrian siffla de colère et, profitant d'une seconde de distraction de la part du Roi des Vampires, il lui planta une dague profondément dans la cage thoracique. 

   Fallacy réalisa le geste trop tard et hoqueta un peu sous la surprise avant de se plier en deux et de retirer le poignard d'un geste tremblant, sentant son âme blessée pulser rapidement en essayant de se soigner elle-même. La Messe Noire, bien affaiblie par les années, perdit en intensité, et le flux de magie noire qui se libéra des tréfonds du néant était une promesse de chaos.

   Adrian se figea un instant à son tour avant de sourire cruellement en sentant soudainement un afflux de pouvoirs à l'aura plus sombre que les ténèbres elles-même revenir combler ce manque si longtemps éprouvé. 

   Pendant un court instant, ce fut le silence qui engloba la cathédrale, puis Encre et Fallacy se regardèrent, catastrophés, alors que les vampires présents reculaient par réflexe, frissonnant sous tant de puissance et de sauvagerie. Même Eterna et Rufous sentirent l'enfer se personnifier sous leurs yeux. 

   Ravi et jubilant, le Traître siffla un ordre à son serpent et, lorsque ce dernier passa derrière une colonne de pierres, il profita de l'ombre pour changer de forme et prendre l'apparence d'une femme magnifique à la peau et aux longs cheveux blancs et aux yeux d'un violet venimeux et froid, animés de sauvagerie. 

   Encre se fit plus froid également et son regard océan tourna au bleu froid de la tempête. Il s'approcha de la femme reptile et tourna autour sans la quitter des yeux, son ennemie faisant de même. 

-Adélys... murmura le peintre en faisant tourner ses épées, retenant à peine son dégout et sa haine. 

-Très chère, charmant corps~ ricana Adélys en faisant apparaître deux khépesh, ces lames courbes égyptiennes. C'est presque dommage de devoir l'abîmer, j'aurais eu grand plaisir à m'amuser avec~

-My Love, excuse-moi... J'ai un compte à régler avec cette femme... 

   Fallacy eut un petit rire malgré tout et les regarda ensuite inquiet se jeter l'un sur l'autre. Quelque qu'ne soit l'issue, il n'y aurait qu'un vainqueur. 

   Les nosferatus laissèrent les deux adversaires se confronter et dirigèrent toute leur attention vers les vampires et les mortels, les encerclant sans un mot, avides de sang et de carnage. Macabre se tourna vers Songe et plongea sa pupille glacée dans les siennes couleur d'or. 

-S'il vous plaît, fermez les yeux... Je ne veux pas vous effrayer... 

-J'ai confiance en vous, je n'aurai pas peur, répondit l'astronome en se perdant dans tant de noirceur et de beauté. 

-Je vous en prie... Fermez les yeux... 

   Le squelette ne dit rien mais obéit, ayant une confiance totale en Macabre. Puis le vampire se tourna vers les nosferatus avec un sombre sourire et même les deux frères reculèrent pour le laisser déployer toute sa magie la plus puissante, froide et meurtrière. Songe en frissonna mais resta immobile, les yeux clos, protégé par le sang-pur. 

   Le Roi des vampire de France se dirigea vers les traitres et ces derniers se jetèrent sur lui. Bien mal leur en prit car les premiers finirent en cendres, agonisant pour d'autres s'ils avaient moins de chance. Pendant un instant, la Mort avait pris une forme concrète : Macabre portait bien son nom, et la grande faux bleutée formée de magie s'abattit sur ses assaillants avec une légèreté et une précision mortelle. 

   Le Trépas avait un regard de nuit sans lune.

   Les deux mortels étaient figés de stupeur, d'admiration, d'effroie, mais ils durent bien vite reprendre contenance et se défendre contre d'autres nosferatus affamés et fous. Kara et Charlos déployèrent leurs pouvoirs également. 

   Le prince d'Espagne était rapide, fulgurant, et se battait avec une longue rapière d'argent, comms feu son frère Cruzar. Charlos était invisible, une ombre parmi les ombres, et ses coups n'avaient besoin que d'une cible pour tuer. 

   Leurs magies, complémentaires, s'accordaient, et ils se battaient côtes à côtes, comme s'ils ne faisaient qu'un. 

   De son côté, Adrian reporta son attention sur le roi d'Angleterre qui se relevait péniblement, un filet de sang coulant entre ses dents. 

-Eh bien, tu as perdu de ta superbe, mon roi ! fit le Traître, sarcastique et cynique en portant sa dague à ses lèvres pour en goûter le sang qui la maculait. 

   Fallacy haleta un peu et reprit son épée en main en se mettant en garde, son âme étant dans un semblant de stabilité. 

-Adrian, je n'ai aucun autre choix, murmura le roi en se redressant. Je dois restaurer la paix que tu nous as prise il y a six siècles, et je dois permettre à mon peuple de vivre en paix sans avoir peur de toi. Je suis désolé, mon vieil ami, mais je t'ai fait une promesse que je compte tenir... 

   Il leva son épée et, d'un mouvement, se retrouva dans le dos de son adversaire surpris. 

-Je trouverai le moyen de te tuer ! 

   Le renégat eut à peine le temps de parer le coup mais eut un mauvais sourire alors que ses yeux se mirent à briller de rouge. Puis il repoussa l'assaut avec une force nouvelle et envoya Fallacy s'écrouler contre un pilier sculpté. Lorsque sa colonne vertébrale rencontra la pierre, un petit craquement lui arracha un grognement douloureux. 

   Mais avant qu'il ait pu reprendre ses esprits, Adrian se jeta sur lui et lui asséna un coup puissant dans l'estomac, lui faisant cracher un peu de magie sous le choc. Son âme pulsait à tout rompre dans sa cage thoracique, déjà bien éprouvée. 

    Depuis cette procession sous le soleil, le squelette aux os noirs avait perdu beaucoup de force, sans compter sa privation de sang depuis un moment. Et avec son adversaire qui avait retrouvé la pleine puissance de ses pouvoirs, la lutte allait tourner au suicide. Pourtant il n'avait pas le droit, il devait réussir, ou ce serait la mort de tout un peuple et la domination d'un autre. 

   De son coté, Encre se battait contre la femme-serpent en faisant tournoyer ses épées comme des couperets mortels, tranchant l'air avec une légèreté et une rapidité surprenante, mais son ennemie les évitait ou les parait à l'aide de ses khépesh, toute aussi rapide mais beaucoup plus sournoise. Elle n'hésitait pas à attaquer par derrière et à profiter de chaque faiblesse, de chaque opportunité. 

-Eh alors, petite mortelle ?~ ricana Adélys. Tu as du mal à te battre contre plus forte que toi ?~ 

-Si tu savais comme je te hais..., murmura le peintre sans cesser ses attaques. Tu n'as jamais fait preuve d'aucune forme de pitié envers qui que ce soit, comme ton maître !

   La femme attaqua de nouveau avec une plus grande férocité, une plus grande ardeur et une plus grande soif de sang, ne voulant que tuer son adversaire, le tuer et se baigner dans son sang. Encre ripostait et lui rendait ses coups avec ardeur, plus déterminé que jamais à éliminer cette traitresse dont il ne gardait comme souvenir que celui d'une créature meurtrière et insensible. 

   Elle feinta alors vers la droite et, voyant le squelette se pencher pour éviter le coup, passa dans son dos en lui mettant une de ses armes sous la gorge et passant sa langue de reptile sur ses cervicales. Bloqué, le peintre releva le crâne en serrant les dents et en raffermissant sa prise sur ses armes. 

-Peut-être que mon Adrian me laissera festoyer sur tes restes, petite princesse~ roucoula Adélys en venant glisser ses canines sur le cou de sa victime. 

-Tu rêves en couleurs ma jolie ! 

   Il sourit un peu et lui donna un violent coup d'épaule qui la fit reculer. Elle avait la lèvre en sang et la tête lui tourna un court instant mais Encre ne la laissa pas reprendre ses esprits et lui asséna un puissant coup d'épée à l'abdomen. La pointe en ressortit couverte de sang dans son dos et un filet carmin goutta d'entre ses lèvres avant qu'elle ne se mette à tousser et à cracher son sang. 

   La lame argentée laissa une plaie béante au travers de son corps et elle s'effondra contre un mur, ses yeux dévisageant son adversaire avec un sourire amusé, presque nerveux. 

-C'est ainsi alors... Je meurs comme ça ?... 

-Je n'ai jamais voulu tant de morts, Adélys, murmura Encre en venant s'agenouiller en face d'elle, ses yeux toujours aussi bleus devenus plus doux. J'aurais préféré un million de fois une vie paisible pour tous... 

-Certes... Mais Adrian... est mort depuis longtemps... Et tu ne peux pas tuer ce qui est mort... Tu peux cependant permettre à son âme... de reposer en paix... 

-Comment le puis-je ? 

   Elle fit signe au peintre de se pencher, ce qu'il fit, méfiant, et lui murmura la réponse. Encre se redressa ensuite en la remerciant sincèrement avant qu'elle ne ferme les yeux et ne s'endorme pour ne plus jamais se réveiller. 

   Le peintre sentit son âme se faire plus lourde mais soupira avant de se tourner vers le lieu du combat entre le Nosferatu et son amant, avant de se figer d'effroi. 

   Fallacy était dans un état pitoyable, son armure et ses vêtements étaient en lambeaux et il était tenu à la gorge par le Traitre dont les yeux carmins annonçaient la sentence qui  lui était réservée.