Chapitre vingt-quatrième
Adrian regarda la foule devant lui, sur le parvis du manoir, Encre retenu par deux de ses sbires dans l'ombre, hors de vue, les poignets noués dans le dos et un bâillon entre les mâchoires. Les habitants du village s'étaient tous rassemblés pour exiger des explications de leur seigneur sur les fugitifs qui avaient libérés un vampire en pleine journée. Certains s'inquiétaient de savoir ce qu'étaient devenus Simon et Orion, d'autres se demandaient depuis quelques temps où était passé Encre, d'autres encore s'interrogeaient sur le sort de certaines de leurs femmes et filles, qui s'étaient rendues au manoir pour ne plus jamais revenir.
Quelle ne fut par leur surprise de voir apparaître, à la place de ce seigneur blond aimant qu'ils avaient toujours connu, un étranger aux cheveux noirs et aux yeux plus froid que l'hiver.
Le Nosferatu les vit se taire et murmurer en sa présence, et cela lui arracha un petit rire méprisant.
-Eh bien alors ? Vous êtes bien nombreux dites-moi~ Quelque chose vous perturbe très chers ?
-Qui êtes-vous ? demanda une femme.
-Mon nom n'a pas d'importance, mais vous me connaissez sous le nom d'Adrian Northwood~ Autre chose ?
-Qu'avez-vous fais de nos filles ? De nos femmes ? Où sont passés nos disparus ? Et ces traitres ?
Les questions fusaient, les unes après les autres, en même temps, mais le traitre sourit en imposant le silence d'un geste d'autorité. Il remarqua alors un homme plutôt âgé qui avait les yeux embués de larmes et un regard rempli d'espoir. Ayant envie de s'amuser, le seigneur utilisa sa magie pour se placer devant lui, se déplaçant parmi les gens comme s'il était fait de brume.
-Ta fille avait un goût exquis, sourit-il cruellement en l'attrapant à la gorge pour le mordre à pleine dent, laissant ses instincts de bête prendre le dessus.
La foule hurla et s'écarta en laissant le vieil homme se faire saigner à blanc. Lorsque le Nosferatu releva la tête, sa bouche était couverte de sang et ses yeux luisaient d'un mélange de violet et de rouge, les faisant glapir de terreur.
Il regarda ensuite ses disciples encerclés les villageois, comme des vautours autour d'une charogne, et éclata de rire. Puis il remonta les marches calmement, laissant le sang tâcher la neige immaculée, avant de s'approcher de l'ombre pour prendre Encre par le bras, et l'amener devant les autres. Le peintre frissonna et comprit, détournant le regard. Mais Adrian lui prit le menton et le força à regarder la foule, et les nosferatus qui les encerclaient.
-Servez-vous~
Les serviteurs ne se le firent pas dire deux fois et se jetèrent sur leurs proies qui essayèrent tant bien que mal de fuir, de se battre, de faire quelque chose pour riposter. Ce fut un massacre, et personne ne fut épargné. Les cris de douleur se mêlèrent aux cris d'agonie et d'effroi, puis il n'y eut plus qu'un long silence, froid.
Encre se mit à pleurer, ses nerfs et son âme ne pouvant supporter la situation. Des cadavres d'hommes, de femmes et d'enfants maculaient la neige de sang, s'en était trop pour sa petite âme immaculée qui se mit à battre la chamade en laissant des souvenirs inconnus remonter en surface. Le même massacre. Le même sang. La même neige.
Adrian sourit en essuyant sa bouche avec un mouchoir brodé des initiales d'une jeune fille, avant de le laisser tomber sur un corps à la gorge arraché.
-Ne pleurs pas, très cher~ susurra le jeune homme en l'embrassant sur la joue. Tes souffrances cesseront bientôt... Je peux te le promettre...
Il le prit un peu plus contre lui et sourit cruellement en passant sa langue sur ses cervicales, laissant doucement ses canines frôler les os blancs. Encre frissonna en essayant de se défaire de son emprise mais c'était peine perdue. Les quelques adeptes du Nosferatu cherchèrent la moindre trace de vie, un peu déçus que cela se soit terminé aussi vite.
Remarquant leur trouble, le jeune homme sourit et leur désigna quelques maisons qui, au loin, voyaient leur lumière briller faiblement dans la nuit.
-Il reste quelques plats de résistance~ amusez-vous un peu et ensuite, retrouvez-moi à la cathédral. Je ne manquerai cette lune rouge pour rien au monde~
Et, haut dans le ciel, cachée par quelques nuages, la lune se teintait de sang.
******
Charlos sursauta en sentant le corps de son maître se redresser d'un coup, ouvrant les yeux immédiatement. Le jeune apprenti s'était bêtement endormi contre un mur, épuisé par tant de nervosité.
Voyant que Fallacy reprenait conscience, Kara cessa de parler avec Lofy et s'empressa de rassurer le roi quant à son état de santé et au lieu où ils se trouvaient. Le vampire aux os noirs ne dit rien un moment et assimila les informations de la femme médecin et de son subconscient.
-Je crois... Que je commence à comprendre ce qu'Adrian veut...
Intéressée et curieuse, Eterna s'approcha un peu, de même que Azur, Rufous et Kara. Fallacy essaya de faire le tri dans ses souvenirs et finit par se souvenir, se rappeler de quelque chose de froid, de sombre et de glacé.
Il se rappelait la mort sans pouvoir mourir.
-Ce qu'il veut, c'est retrouver tout son être... Être un à nouveau...
-Comment ça ? demanda innocemment Azur. Personne ne peut être séparé en plusieurs morceaux...
-Si, contra la roi des vampires. Il existe trois choses indispensables pour exister.
Se disant, il fit apparaitre sa magie d'un bleu électrique, teintée de rouge et d'or, et créa trois forme reconnaissables : un corps, un cœur renversé et une flamme simple.
-Le corps est la base, expliqua le squelette aux os noirs en désignant la silhouette magique. Il nous permet d'exister sur le plan physique, sur le plan terrestre. Grâce à lui, nous avons une forme.
La chasseuse de vampire observa le tout avec une certaine curiosité enfantine, fascinée, tandis que Lofy désignait le cœur.
-E-Ensuite vient l-l'âme... E-Elle fait exister le s-sujet sur le plan a-astral, et elle l-lui donne u-une vie, un souffle. C-c'est u-une sorte de source d'énergie...
-Et il y a les sentiments, termina Charlos en commençant à entrevoir quelques possibilités. Ils sont partie intégrante de l'âme, ils nous font exister sentimentalement parlant, ils nous donnent donc une identité propre.
-Tous trois forment un être, compléta le roi. L'être est donc trois, et les trois sont un.
Kara regarda et essaya de comprendre, essayant de trouver un sens à ce qui semblait ne pas en avoir. Rufous écoutait simplement, dépassé, ne comprenant rien.
-Quel est le rapport avec le Nosferatu ? demanda le forgeron, un poil agacé.
-Je ne sais pas comment expliquer clairement ce que je ressens, commença Fallacy en gardant une main contre sa cage thoracique, à l'emplacement de son âme. J'ai la forte impression que ce n'est pas moi qui sait de quoi je parle, c'est... quelqu'un d'autre... Une forme passée et passive qui me fait me souvenir d'une très ancienne promesse...
Chacun le regarda avec inquiétude, se demandant si le roi avait encore toute sa tête.
-Ce que veut Adrian, c'est redevenir uni à son âme que j'ai divisée il y a six sicle de cela en tant que roi des vampires.
Comme pour appuyer ses mots, son âme se mit à pulser douloureusement dans sa poitrine, lui laissant ouverte la porte du passé.
******
Le village le plus harmonieux de ces derniers siècles, la vie la plus agréable qu'il puisse lui être donné de vivre, le visage le plus parfait qu'il puisse lui être donné de contempler.
La vie qu'il avait vécu il y a de cela bien longtemps.
Le monde avait une autre couleur, un autre parfum, les gens également étaient différents, souriant, avenants ; un véritable rêve éveillé.
Mais il n'est pas bon de complaire dans les rêves.
Le roi des vampires d'Angleterre avait un nom : il n'y attachait aucune espèce d'importance. Il se souvenait d'un peuple aimant, aimé, et de deux yeux d'un bleu azur profond, entourés de longs cheveux blonds et posés sur un visage d'ange plus doux que la douceur elle-même.
Elle aussi avait un nom, mais elle en avait si souvent changé au cours de ses existences que le rappeler n'apportait rien d'autre que mélancolie. Ce n'était qu'un nom après tout.
Mais il se rappellerait toujours ce serment qu'ils avaient prononcé par deux fois dans cette sombre cathédrale de pierres.
<< Je te jure fidélité, toi mon amour, toi ma moitié, toi mon tout. Je te jure que rien ne pourra jamais nous séparer, pas même le temps ou la mort. Par ce serment, cet anneau et cette cérémonie, je te fais mienne et je ne crains plus rien. Pour l'éternité, soyons un et un tout >>
<< Je te jure fidélité, toi mon amour, toi ma moitié, toi mon tout. Je te jure que rien ne pourra jamais nous séparer, pas même le temps ou la mort. Par ce serment, cet anneau et cette cérémonie, je te fais mien et je ne crains plus rien. Pour l'éternité, soyons un et un tout >>
Et ce fut l'enfer lorsque la lune se teinta de rouge.
******
Il faisait nuit depuis peu, et les jeunes mariés venaient de se dire oui, lorsque les derniers rayons du soleil avaient disparu. La lune commençait à illuminer la nuit de ses rayons d'argent et se teintait progressivement d'un rouge clair magnifique. C'était la dernière lune de sang de l'année, on était la nuit de Noël, une journée bénie des astres et des cloches de l'église qui chantaient le bonheur futur des époux.
Une ombre cependant s'ajouta au tableau en la présence d'un Nosferatu à la soif inassouvie et d'une centaine de ses disciples. Le roi les regarda entrer dans la cathédrale, il le regarda avancer vers lui, s'incliner moqueusement et le dévisager froidement avec des yeux nouveaux.
-Une bien belle cérémonie, s'amusa le traître en dévisageant la mariée avec envie, laquelle se blottit dans les bras de son mari.
Le roi ne répondit rien et laissa sa magie se faire menaçante. L'autre ne dit rien non plus, mais ses sbires attaquèrent les invités présents dans la salle, commençant à les massacrer sans vergogne.
Les seigneurs vampires tentèrent de protéger tout le monde, massacrant à leur tour leurs ennemis, mais ils finirent bien vite par mourir à leur tour, submergés. Un bain de sang.
-Alors ? demanda le Traître en avançant devant les mariés qui n'avaient pas bougés. Qu'allez-vous donc faire, roi et reine des vampires d'Angleterre ?
Le roi regarda sa reine qui lui offrit un sourire trempé de larmes, et il posa sa main sur sa joue pour les essuyer, pleurant lui-même. Puis, sans prévenir, un pentacle rouge s'illumina autour de toute la cathédrale, tuant instantanément les Nosferatus inférieurs. Le Traître, surpris et bouillant de haine, s'attaqua à son roi, mais une lame de poignard lui transperça l'âme et le cœur d'un même coup.
La jeune femme retira l'arme avant de la plonger dans sa propre poitrine, et le Nosferatu sentit son âme se briser une fois, et il ne sentit plus le froid, la peur, la douleur. La mariée s'effondra dans les bras de son mari. Le vampire pleura toutes les larmes de son corps, avant de saisir à son tour le poignard et de s'en frapper en plein dans le cœur et l'âme à son tour. L'âme du Traître se déchira une troisième fois, lui arrachant un cri de la douleur la plus atroce qui soit, et il perdit ses pouvoirs et son semblant d'humanité.
Dans les bras l'un de l'autre, les jeunes époux se contemplèrent une dernière fois, sans échanger un mot, par la simple présence de leur regard. Leurs âmes se teintèrent de rouge et de blanc pour la jeune femme et de blanc et de noir pour le vampire, avant de disparaître, et ils moururent une première fois dans un souffle, sous les yeux effarés et meurtris des quelques survivants.
Le Nosferatu se releva en tremblant, effaré et vide de tout. Puis il se dirigea en titubant vers les morts et les secoua violemment par les épaules.
-Que m'as-tu fais ?! Réponds !!! RÉPONDS-MOI !!!
Mais son âme était ailleurs, et il ne lui restait qu'un corps.
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