Le soleil commençait à se lever sur la forêt et sur le village. Les rayons dorés et teintés d'orange réchauffaient lentement le paysage enneigé qui s'offrait aux yeux de tous. Cependant, à travers les barreaux de sa cellule, Fallacy n'y voyait qu'une promesse de mort et d'impuissance. Alors il allait vraiment mourir comme ça ? Exécuté sur une place publique, sans revoir son fils ? Sans revoir Encre...  

   La vie était profondément injuste. Mais rien ne servait de s'apitoyer sur son sort, ça n'arrangerait rien, et la mort finirait toujours par attendre au bout de la lame qui allait lui trancher le cou. 

   Il entendit le chant du coq, quelqu'un venait d'insérer une clef dans la serrure rouillée des geôles. La grille s'ouvrit en grinçant, un squelette entra et s'approcha du vampire. Il avait les yeux d'un rouge sombre, l'air peu aimable et, à en juger par sa tenue et son tablier, il devait être forgeron. Un peu rude, il prit le bras du vampire et le releva sans délicatesse, sans avoir pour autant la volonté de lui faire mal.

   Les poignets entravés dans le dos par des menottes en fer, le squelette aux os noirs ne pouvait arriver à s'enfuir, la journée et la lumière du soleil rajoutant de la difficulté à l'impossible.

   Le nouveau venu regarda un instant les escaliers avant de glisser un petit morceau de métal dans les mains du vampire, lui faisant relever un peu le crâne sous la surprise. 

-Si tu es vraiment déterminé à survivre, fais-nous confiance, souffla le squelette en l'entraînant vers l'étage. 

   Eterna dévisageait les quatre personnes devant elle avec sérieux et inquiétude. 

-Ce que nous nous apprêtons à faire sera considéré comme un crime de haute trahison, nous ne pourrons alors plus jamais revenir au village sans risquer la peine capitale, et tout ceux que nous aimons risquent le même sort. Pour cela, j'aimerais que tout le monde soit absolument sûr de sa participation. 

-P-Peu importe tes d-décisions, bégailla Lofy, j-je suis avec toi... 

-J'en avait marre de cet imbécile hypocrite d'Adrian de toute façon, ricana Rufous en exprimant son consentement. 

-Je... Je veux juste que Encre aille bien, bredouilla Azur en se montrant courageux. Si ça veut dire aider un vampire innocent, alors je te suis ! 

   Songe, que Eterna était allée chercher, sourit un peu en hochant simplement le crâne. 

-J'ai peut-être d'autres personnes intéressées pour aider ce vampire, ajouta-t-il en ouvrant la fenêtre pour laisser entrer trois chauve-souris qui se transformèrent en vampires. 

   Macabre dévisagea l'assemblée avec une colère contenue et une sourde inquiétude. Kara leur jetait un regard plus haineux mais ne disait rien et Charlos restait soigneusement en retrait, derrière le vampire aux os noirs. Eterna se crispa sous la surprise mais s'avança pour faire face à Macabre, Lofy et Azur les observaient de loin, inquiets, et Rufous soupirait d'agacement en s'asseyant tranquillement. 

   Songe fit les présentations, sommaires, et assura à la chasseuse de vampires que tous étaient ici pour le bien d'un des leurs, et non pas pour se battre contre les villageois. 

-... fort bien, concéda la femme-poisson en lui tendant une main en signe de salut. Pour le bien d'un des vôtres, et d'un des nôtres, acceptons tous cette trêve. 

   Le vampire lui serra la main avec cérémonie et, tous dans la confidence, ils essayèrent de trouver un plan. 

-Le vampire est dans les geôles, au sous-sol, expliqua Eterna. Northwood a l'intention de le tuer sur la place publique à l'aube, et veut que j'organise le nécessaire. Nous n'avons donc pas beaucoup de temps. 

-Les vampires sont affaiblis par le soleil, ajouta Macabre. Nous ne vous serons pas d'une grande aide...

-A-Alors vous devriez peut-être nous g-guider à travers la forêt, proposa Lofy. Ce serait un p-point de fuite i-idéal...  

   Eterna prit une carte et montra un endroit, non loin de la tour d'astronomie. 

-Pensez-vous que nous puissions rejoindre les ruines au Nord  en passant par ici ? 

-Les ruines de l'ancien village ? tiqua Charlos. Comment les connaissez-vous ? 

-J'explorais la forêt à la recherche de votre cachette, et j'ai découvert cet endroit... Nous nous doutons bien que vous n'accepterez jamais que des mortels accèdent à votre lieu de vie, alors nous cherchons un autre endroit. Serait-ce possible de se rendre jusqu'à ces ruines ? 

-Possible, mais vous devrez nous faire confiance, intervint Kara. C'est une partie très sombre de a forêt, peu de gens connaissent le chemin. Y aller à pied serait du suicide, vos gardes nous rattraperaient trop vite. Il faudra y aller à cheval, et prendre de quoi nous couvrir. Les nuits sont fraîches au Nord. 

-Bien, souffla Songe. Maintenant que nous avons une porte de sortie, comment allons-nous faire pour aider Fallacy ? 

   La chasseuse ne dit rien et regarda un instant sa carte. 

-Je suis en charge de l'exécution de demain, alors je pourrais faire jouer mon influence. Rufous, tu te rendras dans les geôles pour amener le vampire jusqu'à la place. 

-Adrian ne laissera pas un seul homme s'en charger, argua le forgeron. Il aura pris soin de dépêcher des mercenaires ou des gardes. 

-C'est pour ça que tu glisseras les clefs de ses menottes dans les mains du vampire, expliqua Eterna. 

   Plusieurs mercenaires attendaient en haut des marches, entourant le squelette aux os noirs et le forgeron. Rufous sentit son âme battre plus fort mais se força à rester calme en s'éloignant discrètement. Fallacy jeta un coup d'œil aux alentours. L'endroit grouillait de gardes et de mercenaires que le roi des vampires reconnut comme des Nosferatu de bas étage, de simple pantins entre les mains d'Adrian. Se forçant lui aussi à garder calme et fierté, il serra un peu la petite clef dans ses mains en espérant de tout cœur que ce forgeron ne lui tendait pas un piège. Mais avait-il vraiment le choix quant à qui croire ou pas ? 

   On le conduisit hors de la bâtisse et une foule immense, visiblement en colère, attendait pour lui envoyer pierres et noms d'oiseaux. Il encaissa, sachant pertinemment que c'était parce qu'il se montrait en position de faiblesse que les autres se moquaient ainsi. 

   Devant lui, il y avait une estrade de bois trop bien connue, froide et qui se détachait à peine à contre-jour. Le soleil commença à faire sentir ses effets : Fallacy avait mal au crâne, tout lui semblait trop lumineux, et il entendait constamment un sifflement qui se superposait aux cris de la foule. Et, comme si c'était prévu et calculé, le trajet était lent. 

   Lorsqu'enfin il monta sur le promontoire, il sentit son âme rater un battement en croisant le regard amusé d'Adrian, aux premières loges en face de lui. Une bouffée de haine l'envahit soudain mais il surprit le regard de la chasseuse de vampires qui mit simplement un doigt devant ses lèvres en s'approchant pour l'emmener au centre et le forcer à se mettre à genoux. 

-On va enfin t'offrir la clef de ta liberté, vampire ! cracha-t-elle en tapotant discrètement ses poignets. 

   Fallacy comprit en une demie seconde et lui adressa un regard où se mêlaient la reconnaissance et l'inquiétude. 

-Le seul moment où la sécurité sera minimale, continua Eterna, ce sera lorsque le condamné sera sur l'estrade. Il n'y aura à ce moment-là que le bourreau et moi-même. Là, il faudra me faire confiance, je ferais diversion pour que le vampire ait le temps de se défaire de ses menottes. 

   Le bourreau s'approcha avec sa hache, acclamé par la foule, et força à son tour le vampire à poser son crâne sur le billot encore couvert de sang séché, non sans que le roi ne frissonne en sachant pertinemment à qui il appartenait. 

   Il commença, comme pour couvrir ce crime, à neiger, et une fine poudreuse recouvrit rapidement le village, les nuages cachant quelque peu le soleil, pour le plus grand soulagement du squelette aux os noirs. 

   Pour se donner contenance et garder le soutient de la foule, Adrian sourit et se leva de son siège pour prononcer quelques mots, froids et pourtant appréciés par les villageois. 

-Voyez donc le responsable de tout nos soucis ! Le roi des vampires ! Voyez comme il n'est rien de plus qu'un monstre inoffensif face à la mort ! Nous finissons tous par mourir un jour... certains plus tôt que d'autre. 

   Cette dernière phrase glaça le vampire et le Nosferatu fit signe au bourreau de lever sa hache, ce qu'il fit de bonne grâce.  

-Attendez ! 

   Tout le monde se tut en regardant Eterna faire face à Northwood, l'âme battant à tout rompre. 

-J'ai passé ma vie à chercher ces montres et à les anéantir. Je veux le tuer de mes mains ! Je veux que ce soit moi qui fasse couler son sang, pour tout le sang qu'il nous a pris ! 

   La foule acclama sa déclaration et Adrian éclata d'un rire amusé. 

-Vas-y ! Tranche-lui donc le cou ! Imbibe la neige de son sang... 

   Satisfaite, la chasseuse prit la hache des mains du bourreau qui s'éloigna par prudence, et elle ajusta l'arme au-dessus de sa nuque. 

-Une dernière volonté, monstre ? 

   Elle s'approcha ensuite de lui comme pour qu'il confesse ses dernières paroles et chuchota quelques mots discrets à sa tempe. 

-Tiens-toi prêt à te rendre vers la tour d'astronomie, au nord... Tes amis vampires y sont déjà... 

   Il se retint de sursauter et se contenta d'hocher légèrement la tête en faisant cliqueter doucement ses chaînes. Eterna se redressa. 

-Trop fier pour parler hein ! Peu importe... ici s'arrête les mensonges ! 

   Elle leva sa hache mais ne l'abattit jamais sur la nuque du vampire. Elle l'envoya valser à l'endroit où était assis Adrian, la fichant dans son épaule. Fallacy en profita pour se redresser à son tour et enlever ses menottes en profitant de la surprise de tous pour entraîner la chasseuse vers la tour. 

   On ne peut plus surpris, les gardes et mercenaires mirent un petit moment avant de réagir, se dirigeant instinctivement vers leur maître. Mais ce dernier enlevait déjà l'arme de son membre et leur ordonna sèchement de retrouver ses traîtres.

-Tuez-les tous, mais rapportez-moi le roi des vampires ! Je le veux vivant pour le tuer moi-même !

   Ils obéirent bien vite et se lancèrent à leur poursuite.

-L'avantage est que les rues seront désertes, tout le monde sera massée sur la place, ce qui nous laissera le champs libre pour rendre à notre point de rendez-vous. 

-Les mercenaires de cet Adrian ne sont pas humains, intervint Charlos. Ils sont plus rapides et plus réactifs : ce sont des disciples nosferatus, d'anciens vampires ayant perdu toute considération pour la vie.

   En entendant cela, les mortels se figèrent mais Eterna soupira, de même que Rufous.

-Dans ce cas s'il nous faut les tuer pour nous en sortir, ce sera un sacrifice nécessaire. Trop de vies sont en jeu. Trop de vies innocentes... Nous nous retrouverons  à l'orée de la forêt, où Lofy, Azur, Rufous et les deux gamins nous attendront avec des chevaux. 

   Côte à côte, le vampire et la chasseuse couraient à travers les ruelles pour pouvoir atteindre leur but, les sbires d'Adrian sur leurs talons. Un des Nosferatus coinça la chasseuse contre un mur dans une impasse mais n'eut jamais l'occasion de la tuer. Une dague en argent se lova sous sa gorge et le tua sans un bruit. Avec un sourire, Fallacy salua la silhouette sombre qui ramassa son arme en souriant. 

-Toujours aussi joueur Macabre ! 

   La femme-poisson se redressa et se contenta d'un simple hochement de tête pour remercier le vampire qui venait de lui sauver la vie avant de se remettre à courir vers la forêt. D'autres assaillants essayèrent de s'en prendre à eux mais les dagues en argent ne leur laissèrent aucune chance, de même que les balles du pistolet de la chasseuse, qui faisait mouche à chaque fois. 

   Enfin ils finirent par apercevoir leurs amis, et Eterna enfourcha un cheval avec Lofy, talonnant l'animal pour suivre Kara et Charlos, tous deux sur la même monture. Rufous les suivit avec Azur qui s'accrochait à sa taille, impressionné, et Macabre invita Fallacy à grimper sur sa propre monture avant de filer à leur suite. 

-La neige recouvrira bientôt nos traces, et Adrian n'a pas l'air de vouloir nous poursuivre lui-même ! les informa Macabre. Dans peu de temps, nous devrions atteindre les ruines au nord ! 

   Fallacy écoutait distraitement. Son âme lui faisait mal, et il revoyait sans cesse le visage d'Encre dans ses pensées. C'était douloureux, mais il n'y pouvait rien : son âme en réclamait une autre.