Chapitre troisième

   Encre se réveilla lorsque le soleil approchait du zénith. Il sursauta en entendant l’église sonner onze coups et se leva en vitesse, s’apercevant au passage que Songe était répartit chez lui. Se dépêchant, il prit un fruit, remit ses vêtements en ordre et attrapa sa bourse et son panier, espérant au passage que les marchands d’art étaient encore là.

   Son souhait fut exaucé lorsqu'il vit les nombreuses étales des marchands venus de loin pour vendre leurs produits.

   Confiseries, fruits, viandes, poissons, bijoux, vêtements, étoffes, le tout était un déluge de couleurs et de parfums, secouant et envoûtant les sens, emmené par le brouhaha ambiant des gens qui se pressaient pour voir ces merveilles venues de toute l’Angleterre. Encre était à chaque fois surpris et émerveillé de voir autant de monde mais, contrairement aux habitants qui souhaitaient surtout voir les dernières modes de Londres ou la finesse des artisans, lui était là pour les excellents mais peu nombreux marchands d’arts.

   Craignant de les avoir manqués, il sentit un sursaut d'une énergie nouvelle lui parvenir lorsqu'il aperçut leurs étales regroupées ensemble aux abords du grand manoir des Northwood. Ravi, il commença à à fureter pour trouver ses pinceaux, ses toiles et ses pigments, s’attardant à chaque fois plus longtemps que nécessaire pour parler peinture.

   Finalement, lorsqu’il ne lui resta plus que les pigments à acheter, il vit un peu trop grand. Les pigments de Lapis-Lazuli étaient chers à cause de leur rareté, ce qui faisait de la couleur bleue une couleur rare et peu abordable. Malheureusement, la quasi-totalité des toiles de l'artiste en comportait, étant sa couleur préférée et l'une des couleurs les plus présentes dans le nature.

-Oh... soupira le pauvre peintre, dépité. Je suppose que ce sera...une prochaine fois...

  Le vendeur lui fit un sourire peiné et lui donna le reste de ses achats. Le jeune squelette s’apprêtait à repartir lorsqu'une voix chaude lui fit tourner la tête.

-Ravi de vous revoir, Encre... 

   Le peintre exécuta une révérence maladroite et se fit le plus petit qu'il put, impressionné par le seigneur du village. Loin de porter ses grands habits d’apparat comme lors de l’exécution de la veille, il portait aujourd’hui une simple chemise et un pantalon sombre.

-J'en suis ravi également messire, répondit Encre en rougissant face à ces yeux violets et à ce sourire d’ange.

-Il me semble que vous aviez oublié ceci, sourit Adrian en glissant un petit sachet de velours dans ses mains. 

   Lorsque le peintre vit les pigments bleus qu'il lui manquait, il resta sans voix.

-Enfin messire, je ne puis l’accepter !

-Un peintre qui n'a pas de quoi peindre, ce n’est plus un peintre mais un nécessiteux, ricana le jeune homme en glissant la bourse de velours dans le panier de l’artiste. Et cela m’attristerai beaucoup de vous voir ainsi, vos oeuvres plaisent d’ailleurs à beaucoup de monde je crois...

-Je ne pourrais jamais assez vous remercier, s’inclina Encre en rougissant. Vous m’êtes d'un grand secours...

-Encre, j’avoue que j’aimerai bien en apprendre plus sur vous. J'ai quitté mon village depuis deux longues années, et je ne sais donc pas beaucoup de chose sur vous. Accepteriez-vous que nous fassions plus ample connaissance ?

   Pour une raison un peu étrange, l’artiste aussi voulait apprendre à connaître ce jeune seigneur. Après tout, il n’habitait ce village que depuis une petite année, il ne connaissait pas encore bien son histoire et ses moeurs. Et peut-être serait-ce l’occasion d'en apprendre plus sur les vampires... Comme sur celui qui l’avait mordu l'autre nuit.

-Ce serait un honneur messire, sourit le peintre.

-Fort bien ! Dans ce cas, pourrais-je vous inviter à prendre le thé au manoir à cinq heures ? Cela vous conviendrait-il ?

-J'y serai avec grand plaisir, messire, le remercia Encre.

-Dans ce cas...

  Le jeune homme lui fit un galant baise main et son sourire le plus charmeur avant de s’éloigner.

-Je vous dis à bientôt. Et... appelez-moi Adrian je vous l'ai déjà dis.

    Encre sentit de nouveau ses joues chauffer et s’éloigna aussi pour regagner sa maison en repensant à ce visage angélique aux longs cheveux blonds et aux yeux d’améthyste.

-À bientôt... Adrian...  

   ******

    Fallacy écoutait, agacé, les clameurs, éclats de voix et autres injures qui se répercutaient sur les murs de la salle de conseil.

   Le ton était monté à une vitesse incroyable, bien plus rapidement que prévu. Les délégations de vampires en avaient même oublié la présence du roi des vampires d’Angleterre.

   Derrière lui, un jeune vampire humain, les cheveux roux, la peu pâle, habillé d’une chemise verte et d'un pantalon sombre, un pendentif en forme de coeur autour du cou, attendait sagement en essayant de se faire le plus discret possible.

   Lorsque son énervement dépassa sa limite, le vampire aux os noirs se leva brusquement et n'eut pas à faire un mouvement que sa magie se propagea dans la pièce aux rideaux fermés, laissant aux vampires présents le temps de se calmer et de reprendre leurs places.

-The next vampire who  scream or stand up without any permission will see Death very close. Understood ?

   Le silence de mort qui régnait dans la salle lui donna raison. Il se rassit lentement, gardant un visage neutre et dur et contempla l’assemblée.

-Macabre, c’était ton tour, déclara solennellement le roi dans un français parfait. 

   Un vampire aux os couleur charbon d'où suintait un étrange liquide noirâtre, habillé d'une longue cape noir et d'un chapeau qui lui cachait l'oeil droit se leva de son siège et regarda un instant droit devant lui avant de tourner lentement la tête vers Fallacy.

-Je suis Macabre, roi des vampires, et je représente les vampires de France, ainsi que les vampires d’Espagne dont j’assure la régence. Quelqu'un s’oppose-t-il ici à ces titres ?

-Moi !

   Tout le monde tourna la tête vers un jeune humain aux cheveux noirs et aux yeux rouges, habillé de blanc, qui venait de se lever brusquement malgré la précédente menace de son roi.

-Je suis le jeune frère de Cruzar, Kara. Je demande à ce que le trône d’Espagne me revienne de droit sans que vous n’en assuriez la régence.

-Une passassion de pouvoir, ce qui me semble être le cas ici, ne se décide pas sans l’avis du régent, ainsi que du Haut-Conseil des Vampires, intervint Fallacy, passablement énervé.

-Je suis l'héritier légitime de l’Espagne ! clama Kara. Je suis le frère cadet de feu Cruzar, roi des vampires du royaume d’Espagne, frère aîné de Charlos, bâtard de notre défunt père. Le trône me revient de droit ! Je ne laisserai pas la France tourner un royaume puissant au ridicule en laissant l’un de ses représentants assurer une régence inutile ! 

   Fallacy ressentit la honte du jeune Charlos derrière lui et décida de mettre un terme à ce jeu idiot.

-Kara, je te demanderai de te taire si tes réclamations ne nous apprennent que ce que nous savons déjà. Maintenant assieds-toi pour que je t’apprenne ce que sont les décisions réfléchies.

   Bouillant d'une colère sourde, le jeune espagnol se rassit néanmoins, laissant Fallacy se lever à son tour et Macabre l'imiter.

-Que les choses soient claires, nous sommes ici pour trouver un successeur à Cruzar, mais aussi et avant tout pour penser à la sécurité des vampires. Non seulement les Nosferatus posent problème en Europe occidentale, mais les chasseurs de vampires se multiplient également en Angleterre, en Espagne et en France. Nous sommes les trois principaux fiefs de vampires en Europe, cette augmentation d’ennemis devient grave et inquiétante. Nous devons penser à protéger ceux qui vivent avant d'honorer les morts.

-En clair, le sort de mon royaume vous importe peu, roi des erreurs.

   La phrase de Kara glaça tout le monde. Cependant, Fallacy ne releva pas la pique.

-Après tout, continua le vampire en se levant, à quoi pouvait-on s’attendre avec l’Angleterre ? Le pays où le roi lui-même, tout sang-pur qu'il est, n'est qu'une erreur de la nature.

   Le jeune homme sortit sous les regards inquiets de l’assemblée, tandis que Macabre surveillait Fallacy du coin de l'oeil.

   Fallacy se leva à son tour et sortit d'un pas calme de la salle en laissant là les hauts dignitaires et leurs questions. Lorsque Kara avait prononcé ses mots, il avait enfoncé une lame de glace dans l'âme du roi, laissant peu à peu les souvenirs des mots et des gestes revenir.

   Ce n'était pas ça qui avait blessé le plus.

   La douleur passe et les mots sont inutiles aux sourds.

   Mais les regards qu'on pose sur une personne disent plus qu'un millier de mots, transpercent mieux que les meilleures lames, se font sentir chez ceux qui ont perdu les sens.

    Le squelette aux os noirs se rendit dans sa chambre, enleva sa veste et sa cape et vida une bouteille de vin qui se trouvait sur sa table basse avant de se rendre à la fenêtre en décalant légèrement le rideau. La lumière pénétra doucement la pièce et laissa une douce note automnale dans la chambre, avant que le vampire ne s'éloigne et ne se laisse tomber sur son lit, incapable de retenir une larme aux reflets d'or qui se laissa noyer parmi les draps, tandis que le sommeil prenait possession des lieux, silencieusement.

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