Chapitre sixième

Suave prit son service comme chaque nuit, avec dévotion et zèle. Il vérifia sa livrée et rajusta ses lunettes avant de sortir de ses quartiers pour se rendre dans ceux de son jeune seigneur. Il s'arrêta devant une chambre et s’apprêta à toquer lorsqu'il entendit des sanglots.

   Inquiet, il ouvrit doucement et resta sur le pas de la porte.

-M’lord ? Tout va bien ?

   Un petit squelette aux os noirs était recroquevillé, les genoux contre la poitrine, dans un coin de la pièce. En entendant le majordome, il leva un regard rose et or noyé de larmes.

-S-Suave... vas t’en ! Je... Je ne veux voir personne...

   Le majordome avança doucement vers lui et mit un genoux à terre pour être à sa hauteur.

-M’lord... qu’est-ce qui ne va pas ?

-Rien... tout... tout ne va pas !

   Il se leva brusquement et se mit debout devant un miroir.

-Suave... pourquoi père me déteste-t-il autant ?

   Le majordome se releva également et resta un peu en retrait, se demandant quoi répondre et surtout trouver les mots justes. Il savait que Fallacy était très distant avec son fils mais il ne pouvait pas se permettre, en tant que serviteur, de juger et encore moins s’immiscer dans les histoires de familles.

-Je suis sûr que votre père ne vous déteste pas. Il n'est pas aisé de le voir mais il tient à vous.

   Le jeune vampire se tut un instant et passa une main sur les marques roses sous ses yeux.

-Tu sais ce que signifient ces marques ?

-Elles sont un signe de votre appartenance à un sang royale, M’lord, répondit le majordome sans comprendre.

-Alors si elles montrent que je suis de la famille des rois vampires,  pourquoi est-ce que père me regarde comme si j’étais une erreur ?

   Ses épaules se mirent trembler et les larmes se remirent à couler sans qu'il ne les retienne. Suave hésita et finit par le prendre dans ses bras, le calant contre sa cage thoracique. Surpris, le plus jeune se figea avant de s’agripper à sa veste en éclatant en sanglots, incapable de résister plus longtemps. Le squelette aux os blancs le laissa pleurer tout son saoul en lui caressant le crâne, se sentant vraiment désolé pour son jeune maître. 

-Vous sentez-vous mieux M’lord ?

-O-oui... mais arrête de m'appeler comme ça. Appelle-moi Jasper...

   Le jeune vampire se défit doucement de son étreinte et s’assit sur son lit.

-Suave... tu pourrais me faire une faveur ?

-Bien sûr, M’l- sir Jasper ! Tout ce que vous voudrez.

-Tu pourrais... rester plus longtemps avec moi le soir ? Je sais que tu as beaucoup de travail avec les délégations étrangères mais...

   Le majordome eut un petit sourire avant de poser un genoux à terre en s'inclinant.

-As you wish, M’lord. 

   Jasper lui sauta dans les bras en souriant. De l'autre côté de la porte, le roi des vampires tourna les talons avant de se transformer en chauve-souris pour voler vers le village.

   ******

   Macabre avait passé la nuit à relire encore et toujours une lettre qui lui était destinée. Écrite ante-mortem par son amant, elle lui tournait le coeur à chaque fois, comme si Cruzar avait su qu'il allait mourir.

    « Macabre, mi amor,

     je sais que si tu lis ces lignes, c’est que la mort a finalement fait son oeuvre... Ironique non ? Nous, les princes de la nuit, êtres immortels, nous nous faisons tuer par des mortels. Mais la plaisanterie ne doit pas être à l’ordre du jour j’imagine. Mes jours étaient comptés je le savais, même si la façon dont je suis mort m’est inconnu alors que j’écris cette lettre, alors ne te blâme pas en te croyant responsable d'une quelconque manière. Rien n'est de ta faute et je suis heureux d’avoir pu vivre aussi longtemps à tes côtés.

   La question de ma succession doit faire jaser les clans d’Europe j’imagine ! Hé... ils sont tous plus hypocrites les uns que les autres. Kara est encore incapable de diriger un royaume correctement, je te laisse la régence jusqu'à ce que tu l'estime prêt à assumer le poids du pouvoir. Je sais que je peux te faire confiance.

     Ensuite je veux que tu refasse ta vie. Ne passe pas l’éternité à t’apitoyer sur mon sort parce que je te l’interdit. Ça peut paraître ridicule mais je t’interdit de rester seul jusqu'à la fin des temps. La nature nous as donné l’immortalité pour nous apprendre à aimer la vie, alors profites-en. Et qui sait... tu pourrais trouver le bonheur ailleurs.

      Je t'attendrai pour toujours et j’espère que tu ne viendras que tardivement. Tu n'as jamais su te conformer aux horaires de toute façon.

    Merci pour ce siècle de bonheur, mi amor...

       À jamais tien,            

                                                                     Cruzar »

    Cela devait faire vingts fois qu'il relisait ces mots jusqu'à les connaître par coeur, pleurant à chaque fois sans s'en rendre compte, tremblant légèrement.

   Mais il avait besoin de les lire, comme pour s’assurer que ce n’était pas un cauchemar.

   Mais la réalité lui enfonçait toujours la même lame glacée dans l'âme et l'esprit : Cruzar était mort, peu importe le nombre de fois qu'il pensait le contraire.

   Les récents événements lui pesaient tellement...

   Épuisé moralement comme physiquement, il sortit de sa chambre avant de se rendre aux cuisines pour prendre une bouteille de vin, commençant à boire sans retenue. Au début, il avait refusé de céder à la boisson. Mais cela faisait déjà deux semaines et il commençait lentement à craquer, incapable de supporter cette solitude pesante et froide.

   Alors cette nuit il voulait juste que son esprit s’embrume jusqu'à ce qu'il ne soit plus capable de penser.

   Après tout, il était responsable de ses actes, bons ou mauvais.

   Comme n'importe quel être doué de raison.

    ******

   Encre avait passé la journée au manoir à parler de la France et de ses traditions à Adrian qui ne cessait de s’émerveiller devant les nombreux détails que donnait l’artiste. Après s'être salué rapidement, le peintre était rentré chez lui en fin de soirée et n’avait pas cessé de peindre en attendant la venue du vampire, dans sa chambre, perdu dans ses pensées. Jusqu'à ce qu’une voix lui parvienne du salon.

-Encre ? Tu es là ?

   Surpris, il descendit et reconnut Songe qui lui souriait.

-Songe ? Qu’est-ce que tu fais là ?

-J’ai vu de la lumière alors j’étais surpris que tu ne dorme pas, expliqua le squelette aux pupilles dorées. Il est presque trois heures du matin. Tu as des insomnies ?

   Il semblait réellement s’inquiéter et Encre se sentit coupable de lui cacher la vérité. Mais il se força à sourire en le rassurant.

-Non j’ai juste eut un sursaut d’inspiration on va dire. Ne t'inquiète pas... Mais et toi ? Tu devrais dormir aussi non ?

-Un astronome qui observe les étoiles le jour, c’est peu courant ! ricana Songe. Je récupère mon sommeil en journée, ne t'inquiète pas.

   Encre se sentit un peu bête et baissa la tête.

-Ne néglige pas ton sommeil à cause de ton art, d’accord ? Tu devrais aller te coucher.

   Le peintre rougit un peu en tournant la tête et en répondant par un sourire. Songe repartit chez lui avec un dernier sourire et Encre remonta dans sa chambre, les joues colorées de gêne.

-On aurait dit un gamin entrain de se faire disputer par sa mère, ricana une voix.

-Nom de ... ! sursauta Encre. Vous m’avez fait peur ! Prévenez la prochaine fois...

   Fallacy était assis sur le lit, toujours loin des chandelles trop lumineuses, observant le peintre avec un regard amusé. Le peintre tourna la tête en boudant et s’approcha un peu.

-Vous ne pouvez pas venir dans la lumière ? Je n'y vois rien...

-Si les vampires avaient besoin de lumière, ils vivraient le jour, répliqua sèchement le vampire.

-Oh... Mais alors... comment pouvez-vous y voir quelque chose ?

-Je suis là pour votre sang, pas pour vous faire la conversation.

   Déjà d'humeur massacrante, Fallacy laissa apparaître son mécontentement. Encre, loin de se laisser faire, croisa les bras et ne bougea plus, laissant le vampire perplexe.

-Qu'est-ce que vous faites ?

-Si vous voulez boire mon sang, vous devrez accepter de m'en apprendre plus sur les vampires.

-Pour que tu raconte tout à tes chasseurs de vampires ? siffla Fallacy en se dirigeant vers le peintre.

   Encre recula un peu et son dos heurta le mur.

-N-non... je veux juste en apprendre plus sur vous... tout le monde dit que vous êtes des monstres... des bêtes sauvages...mais je n'ai pas cette impression... alors j'aimerai comprendre... apprendre...

    Il tourna la tête en baissant les yeux et attendit la réaction du squelette aux os noirs. Ce dernier recula un peu et sembla le juger du regard tandis que le peintre admirait les marques bleues sous ses yeux.

-C'est d'accord, trancha le vampire en délassant lentement la chemise du squelette aux os blancs. Une sujet par soirée. Pas plus.

-D-D'accord... souffla le peintre en sentant les crocs lui effleurer la clavicule.

   Sur cette accord, le vampire le mordit et commença à boire.

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