Chapitre seizième

   Fallacy gagna le village en peu de temps, pressé de revoir ce mortel qu'il appréciait de plus en plus. En sa présence, son âme battait la chamade, pourtant apaisée, et son sang n'en avait que plus de goût, se faisant secondaire cependant.

   Il désirait sa présence pour vivre, et non plus juste son sang pour survivre.

   Avec Encre, il se sentait lui-même, et ses moindres craintes n'étaient plus rien que de vulgaires pensées inutiles. Alors, en franchissant la fenêtre entrouverte de la maison du peintre, il s’attendait à le trouver sur le lit, comme à son habitude, ou bien à table, en train de peindre ou dessiner.

   Mais, chose troublante, il n’y avait personne. Surpris et inquiet, il reprit son apparence de squelette et descendit mais là encore il n'y avait que le silence et pas âme qui vive.

   De plus en plus suspicieux, il se dirigea vers une porte qui, lorsqu'il l'ouvrit, donna sur un atelier rempli de toiles, de tableaux et de peinture. Le vampire en fut émerveillé, n’ayant jamais vu pareil talent. Et au milieu de ce désordre certes magnifique, se trouvait la silhouette qu'il cherchait, à genoux, ligotée et bâillonnée. Visiblement paniqué, Encre tirait sur ses liens en gémissant, essayant d’informer son ami de quelque chose, tremblant lorsque Fallacy s’agenouilla à sa hauteur.

-Encre ! Que s’est-il passé ? interrogea l'être nocturne en lui enlevant le morceau de tissu qui lui bloquait la mâchoire.

-Fallacy allez vous-en ! le supplia le peintre. C-c’est...

   Il n'eut pas le temps d'en dire plus.

   Le vampire entendit un sifflement dans l'air et un carreau d’arbalète se planta dans son épaule, lui arrachant un petit cri de douleur. Autour d’eux, plusieurs personnes, des mercenaires et autres chasseurs de vampires, les entouraient en les tenant en joue. Le squelette aux os noirs enleva rageusement le projectile de ses os et fixa les intrus en essayant de retrouver une position défensive.

   Mais déjà un homme éloignait le peintre de lui, tandis qu'un autre le tirait violemment en arrière, lui plantant une dague sous la gorge et lui nouant les poignets dans le dos. Il y eut un bref moment de silence avant qu'un petit rire méprisant ne se fasse entendre et qu'une silhouette s’avance vers le vampire.

-Vous... grogna Fallacy en reconnaissant ces yeux violets et ce sourire froid, laissant la haine et le mépris emplir sa voix.

-Oh je vous en prie, votre ami avait la même réaction ! soupira le jeune homme en prenant Encre contre lui, une main sur sa joue. Soyez plus créatif, appelez-moi par mon nom... Le même nom maudit que vous répugnez prononcer.

-Un Nosferatu perd son identité le jour où il perd sa dignité en cédant à ses instincts les plus animaux, répliqua le vampire en se redressant fièrement. Jamais plus vous ne porterez votre ancien nom, Adrian. Votre visage même n'est que tromperie.

-Effectivement, pour tous ceux qui connaissent mon histoire, ma seule existence est une insulte à la vie, fit Adrian en hochant la tête. Un humain mourant dont la Mort elle-même n'a pas voulu, préférant le condamner à une existence immortelle et froide que rien ne peut combler, pas même la chaleur d'un corps ou la douceur d'un baiser...

   Se disant, il prit le temps d’embrasser Encre sur la joue tandis que ce dernier haletait, soumis à une peur et une angoisse profonde. Puis il soupira et ordonna à deux autres personnes d’emmener Encre ailleurs, sous les yeux terrifiés du peintre et le regard meurtrier de Fallacy que trois autres mercenaires maintinrent en respect.

-Je suis désolé ! sanglota le squelette aux os blancs en se débattant. Je suis désolé !

   Le vampire le regarda sans comprendre mais ne pouvait faire un mouvement, fixant le jeune seigneur au sourire trop vainqueur.

-Quant à vous, roi des vampires, nous allons parler un peu plus en détail des personnes auxquelles vous accordez votre confiance~

   Les chasseurs le firent avancer vers le manoir sombre, sans attirer aucune attention, obéissant en silence. Le roi des vampires se laissa faire, sachant pertinemment qu’Adrian n’hésiterait pas à se venger sur Encre s’il tentait quoi que ce soit.

   Dans le ciel, la neige se remit à tomber.

   ******

   Macabre avait peur.

   C’était quelque chose de rare, de froid comme la neige, d'horrible aussi. Mais il savait qu'il ne pouvait plus revenir en arrière.

   Anxieux au possible, il se transforma en chauve-souris et vola jusqu'à la tour en sentant les battements de son âme se faire douloureux dans sa poitrine. Songe était là, comme promis, il attendait à la fenêtre. Alors le vampire passa par la fenêtre du toit et se retransforma dans l’ombre, veillant à ne pas se faire remarquer.

-Songe ?

   L’astronome sursauta en se retournant et aperçut la silhouette indistincte du vampire, il voulut s’approcher un peu, croyant rêver.

-C-Comment avez-vous ?...

-S'il vous plaît n’avancez plus, ordonna doucement Macabre. Je... Je ne veux pas vous faire peur...

-Me faire peur ? Pourquoi donc ? Cela fait si longtemps que je veux vous rencontrer !

   Le squelette aux os noirs déglutit péniblement en sentant sa respiration se faire difficile. Il ne pouvait plus faire autrement, il fallait qu'il lui dise.

   Il voulait le lui dire.

   Mais ses mots se bloquèrent au fond de sa gorge, comme s'ils redoutaient la réaction qui allait suivre à leur prononciation. Songe s’aperçut bien que quelque chose minuit son correspondant, alors il s’avança doucement.

-Vous savez, je juge les gens par rapport à leur âme, pas par rapport leur physique ou leur quelconque rang social. J'ai lu vos lettres avec attention, j’ai apprécié vos connaissances et votre culture, j’ai également découvert quelqu'un de sensible et généreux. De quoi avez-vous donc peur ?

-Mon âme est d'une nature sombre, répondit Macabre, figé.

-S’il vous plaît, laissez-moi connaître le visage de la personne qui m’écrivait des mots si bienveillants...

   Songe lui tendit la main, souriant, et attendit. Le vampire la lui prit doucement en tremblant, s’avançant lentement parmi la lumière des bougies, avant de s’arrêter de nouveau, attendant la réaction de l’astronome. Songe l’observa tranquillement, il détailla la silhouette aux os sombres, la cicatrice qui parcourait l’oeil droit, la pupille d'un bleu glacé, les canines pointues. Puis il sourit de nouveau en lui serrant la main.

-Vous voyez ? fit Songe en allant s’asseoir en face du vampire. Ce n’était pas si difficile.

-V-Vous n’avez pas peur de ma nature de vampire ? s’étonna Macabre en s’asseyant avec lui.

-Non, ricana Songe en lui servant une tasse de thé. Vous avez bien reçu ma dernière lettre, vous connaissez mon point de vue sur les discriminations qui vous sont associées. Pourrais-je également connaître votre véritable nom ?

-Macabre, lui indiqua tout de suite le concerné, ravi et rassuré.

   Soulagé, l'âme plus légère, Macabre sourit à son tour en acceptant la tasse et les deux désormais amis se mirent à parler de tout et surtout d’astronomie pendant un moment, avant que Songe ne remarque la neige qui recommançait à tomber.

-La nuit sera belle, murmura-t-il avec un sourire.

   ******

   Eterna avait été appelée en pleine nuit par un des gardes du manoir.

   L’esprit un peu dans le vague, elle s’appliqua à se préparer et embrassa Lofy, réveillée en même temps qu'elle, avant de se rendre dans l’imposante demeure de pierres. Là, on lui indiqua les geôles et la chasseuse de vampires s'y rendit en se demandant bien qui avait besoin de ses services à une heure si tardive. Plus elle descendait, plus elle pouvait entendre les gardes gémir de douleur. 

   Inquiète, elle descendit encore jusqu'à apercevoir ce qu’elle ne pensait jamais voir de sa longue vie. Dans une cellule, un vampire était en train de se débattre alors que les quatre personnes qu’elle avait prise pour des gardes essayaient tant bien que mal de l’immobiliser.

   Bouche-bée, elle resta un moment à les regarder avant que les mercenaires finissaient par enchaîner l’être nocturne, soupirant de soulagement. Ils se laissèrent également aller à quelques rires avant de remonter, glissant à peine un mot à la chasseuse de vampires. Eterna s’approcha un peu du vampire qui se calmait progressivement en haletant, les épaules tremblantes sous l’effet de l’adrénaline.

   Elle n’y croyait pas. Elle avait passé sa vie à essayer de capturer des vampires et voilà qu'il y en avait un juste sous ses yeux.

-Allez-vous me dévisager encore longtemps comme si j’étais un vulgaire trophée de chasse ? grogna le vampire en faisant cliqueter ses chaines.

   Eterna sursauta et prit un air important.

-Pourquoi ? C’est ce que les vampires sont : des monstres qui aiment se repaître du sang de leurs victimes, non ? 

-Encore à penser comme un enfant qui a peur du noir...

   Surprise, elle s’indigna d’abord en s’approchant de la créature de la nuit.

-Nous sommes loin d'être des enfants ! Nous savons que la vie est précieuse et...

-C’est pour cela que vous tuez les nôtres ?! s’emporta Fallacy en relevant la tête vers elle. Parce que vous estimez que notre vie est moins précieuse que la vôtre ?! Nous avons des familles, des enfants, des amis ! Les tueriez-vous pour simplement grandir votre ego ?! Comment, dans ces conditions, voulez-vous que nous ne nous défendions pas ?!

   Abasourdie, la femme-poisson repensa à l’enfant vampire dans la forêt. Une longue vague de culpabilité déferla sur son âme, lui ôtant toute réplique. Ses doutes se firent plus importants, plus présents, et elle recula doucement en fixant la créature qui pleurait presque devant elle. Elle lui tourna un instant le dos avant de commencer à remonter.

-Attendez...

   La voix n’était qu'un murmure brisé mais Eterna s’arrêta tout de même un instant.

-Dites-moi que Encre va bien... s’il vous plaît...  

   Elle ne répondit rien, ne sachant quoi dire. Elle remonta simplement pour quitter les geôles dans lesquelles la lumière des torches laissaient se refléter une larme dorée.

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