Chapitre quatrième

   Encre avait passé la journée à peindre, heureux de retrouver autant de couleur sur une toile vierge trop blanche à son goût. Il n’avait tout d’abord pas su quoi peindre mais avait finalement opté pour un paysage marin. Il s’était souvenu de son voyage en caravelle, de France jusqu'en Angleterre, du roulis des vagues lors d'une tempête, du reflet du soleil sur l'eau comme des milliers de diamants, du vent qui faisait onduler les voiles...

   La seul différence entre ces deux tableaux était le fait que l’un d'eux était réel. Les couleurs à peine commencées, il arrêta son travail en regardant l'heure.

-Je vais être en retard !

   Il jeta littéralement ses pinceaux sur la table de son atelier, s’essuya les phalanges en hâte et réajusta un peu sa tenue avant de sortir précipitamment et de se rendre au grand manoir de la ville.

   De grands vitraux colorés, des pierres claires, deux tours qui encadraient la façade principale et une magnifique rosace digne des plus belles églises. Émerveillé, Encre retint un hoquet de surprise en voyant une lance, tenue par un monstre chien, dirigée droit vers sa cage thoracique. 

-Que venez-vous faire ici ? demanda le garde, méfiant.

-Tout doux Dagomy, sourit Northwood en arrivant et en posant une main sur l'épaule dudit Dagomy. Ne sois pas si rude avec les invités voyons.

   Encre sourit à son tour en rougissant fortement. Adrian lui prit la main et l’emmena à l’intérieur tandis que Dagomy reprenait son garde à vous exemplaire. Le jeune seigneur l'emmena dans un jardin d’hiver très lumineux et entouré de fleurs exotiques colorées. Le peintre ne put retenir un souffle incrédule.

-Ce genre de jardins... Je n'en ai jamais entendu parler en France, ils doivent être incroyablement rares...

-Des jardins d’hiver, sourit Adrian en le faisant s’asseoir dans un canapé de velours très confortable. Une verrière est très difficile à construire mais pas impossible. Le verre et l’acier sont magnifiques et la lumière et la chaleur permettent de posséder des plantes tropicales rares. Comme ces hibiscus ou encore ces orchidées.

   Le seigneur de la ville prit place dans un fauteuil en face du squelette et leur servit une tasse e thé dans de la porcelaine finement décorée. Loin d'être habitué à tout ce luxe, Encre se fit discret et accepta la tasse maladroitement.

   À l’inverse, très à l’aise, Northwood croisa les jambes en une pose assurée et commença à siroter sa boisson en détaillant le peintre d'un regard expert.

-Parlez-moi un peu de vous très cher. Depuis combien de temps êtes-vous installé ici ?

-Cela va faire plus d'un an messire, expliqua le peintre en buvant à son tour une gorgée. Comme vous l’aurez sans doutes remarqué, je suis français.

-Avez-vous toujours été peintre ou bien est-ce une reconversion ? 

-J'ai toujours aimé peindre, expliqua l’artiste en ayant les yeux brillants d'excitation. Les couleurs sont fascinante, la façon qu'elles ont de combler le blanc de tant de manières est époustouflante, mais je n’avais jamais pensé à gagner ma vie de cette façon. C'est grâce à Songe si j’ai osé en faire mon métier.

   Adrian sourit un peu plus en entendant le nom de l’astronome.

-Songe est toujours de bons conseils, il est aussi très doué en astronomie et c’est d’ailleurs lui a dû rédiger les centaines de cartes des étoiles et des constellations que ma bibliothèque possède.

-Il ne m'en a jamais parlé, se vexa un peu le peintre. Mais oui, il donne d'excellents conseils.

   Northwood prit le temps de changer un peu de position avant de poser une autre question.

-Je me posais la question : qu’avez-vous pensé de l’exécution d'hier ? Tout cela doit vous paraître barbare...

   Encre hésita un peu.

-J'ai bien entendu l’accent de ce sois-disant vampire, commença-t-il prudemment. Et vous reveniez d’Espagne... Est-ce vous qui avez condamné cette personne ?

   Adrian soupira et reposa sa tasse avant de répondre.

-Malheureusement oui. Croyez-moi il était bel et bien un vampire. Sur la route du retour, nous nous sommes fait attaquer par des vampires, de nuit, alors que tout le monde dormait. Sur le sol de notre propre pays.

-En Angleterre ? sursauta Encre.

-Oui. Ils nous avaient suivis. Nous étions mal préparés, mais fort heureusement supérieur en nombre. Nous en avons tués plusieurs, d'autres ont battu en retraite et un seul vampire continuait de nous tenir tête. Nous étions beaucoup trop nombreux pour lui et le soleil venait de montrer ses rayons, nous assurant la victoire la plus totale.

   Le peintre buvait ses paroles comme un enfant écoutant les histoires au coin du feu un soir de Noël. Mais il tiqua à la fin.

-Mais quel rapport y avait-il avec le soleil ? Je sais que dans les légendes les vampires deviennent poussière mais l’exécution a eut lieu en pleine journée.

-Vous êtes perspicace, Encre, ricana Adrian en lui resservant une tasse de thé. En effet, ils ne tombent pas en poussière, ils s’affaiblissent. Un vampire exposé à la lumière du soleil trop longtemps ne peut espérer garder ses pouvoirs que quelques heures. Après cela, le processus est irréversible et il devient mortel.

-Quelques heures ? sursauta Encre. C'est tellement rapide...

   La conversation dériva ensuite sur de nombreux sujets avant que le seigneur ne finisse par regarder l'heure.

-Je crois que j'ai suffisamment abusé de votre temps, voilà qu'il est presque l'heure de dîner.

   Les deux hommes se levèrent avant que Adrian ne raccompagne Encre à la porte, toujours en souriant.

-J’aimerai en apprendre plus sur la France, je ne m'y suis jamais rendu. Seriez-vous d'accord pour venir me parler de votre pays la semaine prochaine à la même heure ?

-B-Bien sûr, bégailla le squelette en s'inclinant légèrement. Ce serait un plaisir.

-Tout le plaisir sera pour moi, le salua Adrian en le laissant partir avant de remonter dans ses appartements privés.

  ******

   Le soleil finissait de disparaître à l’horizon, laissant la nuit reprendre ses droits sur la nature. À travers les vitres de son manoir, le soleil paraissait plus fade, indigne d'intérêt pour l’homme qui, une coupe de vin à la main, le contemplait d’un regard vide. Ses pupilles améthyste se posèrent un instant sur la silhouette du peintre qui rentrait seulement chez lui, puis il avala quelques gouttes de sa boisson et se dirigea vers sa chambre, contemplant avec plaisir les trois magnifiques jeunes femmes en tenues de danseuses, légères et graciles.

   Ravi, il s’installa confortablement dans son grand lit, adossé aux oreillers de plumes, et reprit une gorgée de vin, attendant un peu. Du fond de la pièce arriva un grand serpent d'une jolie couleur blanche, fin, les yeux violets, qui passa derrière les épaules de son maître.

-Jolie Adélys, dis-moi donc ce que tu as trouvé sur ce maudit vampire espagnol~ Qu’est-ce qu'il tenait tant à protéger ?

  Le serpent émit un petit sifflement de sa langue fourchue et Adrian laissa apparaître deux pupilles de reptile, avant de sourire.

-Bien~ Tu sais quelle est ta mission. Retrouve-moi ce vampire.

   Le reptile passa sa tête dans la main du seigneur du village et repartit par la porte, faisant couiner les danseuses de peur.

-Eh bien mesdemoiselles ? sourit Adrian en tapant dans ses mains pour les rappeler à l'ordre. Vous étiez venues ici pour danser non ? Et bien... dansons !

   Sous ses yeux trop charmeurs, les jeunes femmes se mirent à danser dans de gracieux mouvements de hanches, d'épaules et de jambes. 

-Oui... dansons...

  Dans son regard se lisait toute la luxure qui l'habitait.

   ******

     Fallacy se réveilla plus tôt que d’habitude, les yeux cernés et le crâne tambourinant. Avec un soupir blasé, il se leva en gromellant et alla prendre des affaires propres avant de descendre en coup de vent pour prendre un rapide petit-déjeuner.

   Macabre, silencieux, attendait à table, une assiette de fruit devant lui. Fallacy sursauta en reconnaissant son ami et s’assit en face de lui, lui prenant une pomme au passage.

-Je sais ce que tu vas dire... soupira le français. Mais je dois te le dire quand même : Kara ne démordra pas qu’il est le successeur légitime d’Espagne.

-Et je lui répondrai toujours la même chose, contra le roi anglais. En temps de trouble, et de part la volonté de Cruzar, l’Espagne est sous ta tutelle jusqu'à ce que tu juge Kara suffisamment mâture pour assumer les pleins pouvoirs.

-Le noeud du problème est là justement, reprit le français sur un ton plaintif. Il n'a aucunement la maturité suffisante. Et la famille ne signifie rien pour lui. Il renie publiquement Charlos et l'aurait déjà tué si tu ne l’avais pas pris comme apprenti, et la mort de Cruzar le laisse aussi indifférent que s’il n’avait jamais existé ! 

   Il abattit violemment son poing sur la table en se crispant, le regard dur et l'âme en peine. Fallacy le regarda longuement en lui laissant le temps de se calmer.

-Écoute, cette nuit-là tu as perdu un amant. Mais Kara a perdu un frère, n'en doute pas. C'est déjà une qualité de futur roi de contrôler ses émotions comme il le fait.

-Non, répondit catégoriquement son homologue en se levant pour sortir. Ce n'est pas une qualité. Crois-moi...

   Sans en dire plus, Fallacy se retrouva seul, ne daignant même pas lever le regard vers son majordome qui commençait à prendre son service.

-M-Maître ? sursauta Suave en détaillant le roi des vampires avec effroi. Vous... Vous allez bien ?

   Fallacy releva la tête et sentit quelque chose couler le long de son nez. Surpris, il passa une main dessus et la vit couverte de sang.

-W-What ?...

   Il se plia soudainement en une quinte de toux douloureuse et étouffa le sang qui sortit de sa gorge avec un regard incrédule et presque flou. Le majordome avait déjà vu des effets semblables chez des vampires qui ne buvaient pas assez de sang. Aussi crû-t-il bon d’apporter une coupe de sang à son maître qui la prit en le remerciant.

   Mais dès la première gorgée, le vampire en eut un violent haut-le-coeur et renversa maladroitement sa coupe. 

-What’s happening ? I... can’t drink blood ?...

-Mais enfin c’est impossible ! paniqua Suave en essayant de comprendre. Vous devez boire du sang pour vivre, vous ne pouvez pas juste... ne plus supporter le sang !

   Le roi des vampires sursauta en repensant à un sang goûteux et rare qui l’attirait irrémédiablement. Un sang unique et doux d'où se dégageait une certaine chaleur.

   Il en avait tellement envie... Tellement besoin...

   Sans réfléchir, il se transforma en chauve-souris et vola en direction du village.

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