Songe était de nouveau en train d’observer les astres depuis sa tour, lorsque la petite chauve-souris borgne lui apporta une enveloppe bleutée cachetée avant de se poser sur son épaule par habitude. En flattant la tête de la petite créature, il ouvrit la précieuse lettre et la lit sans attendre.

                          Songe,

          je vous adresse encore mes compliments les plus sincères pour vos calculs exactes, ce météore était d’une beauté à couper le souffle. Je ne cesserai jamais de m’extasier devant votre savoir-faire.

   L’astronome retint un rougissement en lisant les lignes écrites par son mystérieux correspondant.

   Au début, bien que surpris, il n’avait pas cherché à savoir qui était cette personne, lui répondant que leurs échanges lui plaisaient énormément, et qu’il s’appelait donc Songe. Il n’avait pas trouvé utile de prendre un pseudonyme et s’était une nouvelle fois étonné que l’inconnu n’ait jamais entendu parler de lui. Il en avait également déduit que son correspondant était étranger, il y avait quelques fautes de tournures de phrases, typiques de français par exemple. Mais l’écriture n’était pas, à sa grande déception, celle de Encre, qui était pourtant le seul étranger de leur village.

   Un voyageur de la ville ? Pourtant les lettres arrivaient tous les soirs, alors que la ville la plus proche était à plusieurs jours de marche, et toujours de nuit. Mais malgré leurs échanges un peu atypiques, la personne qui lui écrivait se montrait toujours courtoise et respectueuse, répondant à ses questions tandis que Songe répondait aux siennes.

    Il y a, je dois vous l'avouer, une curiosité grandissante en mon âme depuis quelques temps que nous échangeons et j’aurais aimé savoir si, pour mon plus grand bonheur, vous accepteriez de me rencontrer, demain soir, à minuit.

   L’âme de l’astronome fit un bond. Quelle question, depuis le début lui aussi était dévoré de curiosité à l’égard de cet Azimech ! Il continua la lecture en retenant son souffle.

   Cette idée est de plus en plus présente dans mon esprit, mais j’ai longuement hésité à vous en parler. Comme vous le savez déjà, dans ma première lettre, je vous avais expliqué que mon identité pouvait être un véritable danger pour vous, aussi je comprendrai très bien vos craintes et votre refus. Et je vous avais également dit qu'en aucun cas je ne vous forcerai à quoi que ce soit.

     J’aurais également une question un peu inhabituel à vous poser. Que pensez-vous des vampires ?

     J’aimerai que votre réponse soit franche et sincère, alors je ne veux pas vous brusquer. Je vous suis reconnaissant de l’intérêt que vous portez à nos échanges, et j’espère sincèrement pouvoir vous rencontrer.

                                              Mes salutations les plus sincères,

                                                                                                              Azimech.

   Songe relut la lettre pour être sûr que ce n’était pas son imagination qui lui jouait des tours et s’empressa de répondre. Lorsqu'il termina l’écriture, il cacheta l’enveloppe et la donna à la petite créature qui la prit avant de s’envoler pour retourner dans la forêt, dans une chambre, dans un grand château de pierres.

   Là, Macabre reprit sa forme originelle en observant la lettre, avant de finalement s’asseoir et l’ouvrir pour la lire.

             Très cher ami,

                  J’ai, je dois l'avouer, été on ne peut plus surpris en recevant votre lettre. Je n’avais jamais pensé que vous accepteriez de me rencontrer, mais j’ai depuis longtemps éprouvé plus de curiosité à votre égard que je ne voudrais bien l’admettre. Votre question me trouble, et j’espère que ma réponse sera claire.

                 Je ne pense pas que les vampires soient des créatures sans pensées ni savoir-vivre. Pour moi, ce sont des créatures avec un mode de vie qui leur est propre, une soif qui leur est cruelle et qu’ils doivent satisfaire pour survivre et une façon de concevoir la réalité qui nous échappe. Être immortel doit plus être une malédiction qu'un don, de mon point de vue, et je doute que boire le sang des mortels leur soit agréable. Je suis également sûr que, si chacun y mettait de la bonne volonté, nous pourrions tous vivre en paix sans avoir à nous cacher. Par ailleurs, pour avoir assisté à une exécution de l’un d’entre eux et connaître un homme qui les déteste, je sais que la tristesse engendre la haine, et la haine engendre la haine. Vous l’avez dit vous même, personne ne devrait rester seul et se noyer dans la noirceur.

                J'espère avoir répondu à votre question, je vous attendrai à minuit dans la tour d’astronomie, à l’Ouest du village. En attendant cette sorée avec impatience, je vous offre mes salutations les plus sincères.

                                                           Songe

   Macabre passa une main sur les lignes d’encre et les relus, repensant à Cruzar.

   Combien de fois avaient-ils eux-même échangé des lettres passionnées depuis l’Espagne et la France ? Combien de temps à attendre ces enveloppes scellant leur promesse d’amour, qu’importe les opinions et le temps ?

   Une larme roula sur sa joue, puis une autre, tombant sur la papier.

   Avec Songe, il ne comprenait pas ce qu'il ressentait. Il avait l’impression d'être infidèle à son amant, mais il avait besoin de parler avec cet astronome. La chaleur de ses mots, la douceur de ses expressions, il en avait besoin pour se sentir exister.

   Mais à présent, il savait que le rencontrer signifiait ne plus se cacher, être honnête, sans voile de mystère.

   Et il se sentait vivant.

     ******

   Eterna n’avait pas parlé de l’enfant vampire de la forêt. Elle hésitait, ne sachant plus qui croire. Il y avait tellement d’incertitude en elle qu’elle se demandait même si elle ne devenait pas folle.

   Sa mission restait un échec, Adrian se montrait presque méprisant, Azur lui manquait et il n'y avait plus eu aucune attaque depuis cette fameuse nuit. Elle commençait vraiment à douter du fait que tous les vampires soient des monstres sans âmes. Et Lofy, qui remarquait bien l’état de sa compagne, essayait de comprendre et de se montrer attentionnée, continuant ses expériences et cherchant à comprendre l’existence même des vampires.

   Une vie monotone qui, à l’approche des fêtes, paraissait bien plus terne encore. Il neigeait, et la seule lumière de la pièce, une bougie presque consumée, éclairait faiblement les deux silhouettes allongées l'une contre l'autre.

-Lofy ? finit par démaner la femme-poisson. Est-ce que... est-ce que tu me ferais confiance si... Si je désobéissais aux ordres ?

   La femme-médecin leva des yeux ensommeillés vers sa compagne, surprise.

-B-Bien sûr... pourquoi ? Il y a quelque chose qui ne va pas ? 

-J’ai vu un vampire, hier. Dans la forêt, au nord... Un jeune garçon d’à peine 13 ans je dirais... Et... je ne l’ai pas capturé comme sir Northwood le voulait...

-C-Comment ?! M-Mais pourquoi...

-Parce qu'il avait l’air tellement.... innocent...

   Elle prit un peu plus Lofy contre elle en tremblant.

-Je ne peux pas... ce n’est qu'un gamin...

-Eterna...

  La plus petite prit le visage de la chasseuse de vampires entre ses mains et la regarda dans les yeux en se montrant sérieuse.

-Je te fais confiance... peu importe tes choix, je te ferai toujours confiance... Tu as du coeur, et pour rien au monde je ne voudrais que tu t'en veuille d’avoir laissé ce garçon tranquille...

  Eterna la regarda avec des yeux tendres et l’attira à elle en l’embrassant.

-Merci... Merci pour tout Lofy...

   La concernée sourit un peu avant de se niche de nouveau contre sa compagne et de s’endormir en même temps. La bougie venait de se consumer.

  ******

     Au manoir, Adrian était de nouveau en bonne compagnie, la laissant dormir et se contentent de boire un verre rempli d'un liquide vermeille. Devant lui, son serpent passa le long de ses épaules pour parler dans sa langue de reptile.

-Beau travail ma jolie~ sussura le maître du village en laissant son familier ramper sur le corps énudé de la jeune femme à ses côtés. Tu mérites bien cette petite récompense~

   Comme pour répondre à cet accord muet, il s’enroula autour de la gorge de l’inconnue qui inspira par réflexe, réveillée en sursaut. En sentant l’animal serrer, elle essaya vainement de respirer, implorant Adrian du regard. Mais ce dernier alla regarder à la fenêtre, son verre à à la main, laissant la pauvre malheureuse mourir lentement, tandis que le reptile la mordait violemment à la gorge pour se repaître de son sang.

-D'ici peu de temps, ce sera le sang du roi des vampires que je goûterai avec plaisir~