Chapitre dix-septième

   Au château, Jasper se réveilla en sursaut d'un cauchemar qui lui fit verser quelques larmes d'angoisse. Paniqué, il appela son père plusieurs fois, puis son majordome d'une voix entrecoupée de sanglots. Ce fut Orion le premier qui, aillant été réveillé lui aussi par les pleurs, accouru pour tenter de rassurer son ami qui tremblait dans ses bras.

-Chut... Calme-toi... Ce n'était qu'un cauchemar... Raconte-moi tout... 

-P-Père et... et Suave... Ils étaient... morts... et... 

   Sans pouvoir continuer, sa voix se brisa sous l'émotion et de grosses larmes perlèrent sur ses joues. L'apprenti lui murmura quelques paroles réconfortantes en lui massant délicatement le dos, mais rien n'y fit et le jeune vampire continua de quémander les deux squelettes. 

   Suave finit par entrer dans la chambre quelques minutes plus tard, inquiet, et Jasper se jeta littéralement dans ses bras en refusant de le lâcher. Le majordome ne comprit pas et Orion lui expliqua alors que le jeune prince avait fait un cauchemar en se réveillant, ce qui le rassura un peu sur son état de santé.  

-Je vois... M'Lord... Vous n'avez nul besoin de vous inquiéter pour votre père ou moi. Ce n'était qu'un mauvais rêve... 

   Simon, qui avait été un peu plus lent que Suave, arriva finalement et sourit en voyant que le vampire était sorti de son sommeil. Il s'approcha un peu du squelette en livrée et posa sa main sur le front du plus jeune. 

-Ta fièvre est tombée, c'est une bonne chose. Cependant tu devrais rester couché, d'accord ?

-J-Je veux voir Père... S'il vous plaît... 

   Le majordome recoucha son jeune maître en veillant à ce que sa fièvre ne remonte pas et resta à ses côtés en se montrant désolé.

-Votre père est parti il y a peu, mais il reviendra en fin de nuit, comme à son habitude. 

   La réponse attrista beaucoup Jasper qui baissa les yeux en attrapant la manche de l'adulte. 

-Alors restez tous avec moi... je veux pas rester seul... 

   Orion n'aimait pas voir les gens aussi abattu, surtout lorsque cela concernait ses amis. Alors il interrogea son professeur du regard pour savoir s'il pouvait se permettre de s'incruster dans la conversation. Le savant acquiesça d'un signe de tête avec un discret sourire et l'apprenti alla chercher un livre qu'il adorait lire, avant de venir se mettre dans le lit, à côté de Jasper, l'aidant à s'adosser contre les épais oreillers de plumes. 

-Le professeur me l'a offert l'année dernière pour Noël, explique le petit squelette aux pupilles dorées en commençant à tourner les pages. C'est une histoire que j'aime beaucoup et qui parle d'un homme qui tombe amoureux de la Lune. 

   Intrigué, Jasper se rapprocha d'Orion en regardant les magnifiques illustrations qui accompagnait le texte. On y voyait une jeune femme habillée de blanc, ses yeux et ses longues mèches étaient de la couleur de la neige et elle semblait reposer parmi les étoiles. 

   Ravi de voir que son camarade semblait oublier un peu sa tristesse, Orion se râcla la gorge un peu ironiquement avant de prendre une grande inspiration. 

-"Il était une fois un jeune homme qui n'avait nul part où aller. Il n'avait rien de bien particulier : il n'était ni fils de roi, ni fils d'empereur, il ne savait pas se battre, il ne savait pas lire, ni écrire, ni compter, et il n'avait pour seule compagne que la solitude des chemins, et ce en toute saison, qu'importait la pluie, le vent, la neige, le froid, la chaleur. Cependant, il avait un don magnifique dont beaucoup de gens se moquaient, le jugeant inutile et idiot. Cet homme savait jouer de la lyre et chanter les plus beaux poèmes de toutes les langues, tous les pays, et les plus belles odes du monde." 

   Le professeur sourit en prenant place dans un fauteuil, écoutant attentivement lui aussi comment son protégé changeait de ton et d'intonation, encourageant d'un regard le majordome à se rapprocher de Jasper. Majordome qui rougit jusqu'au crâne avant de finalement s'asseoir à côté de son jeune maître, qui se blottit dans ses bras. 

-"Il jouait tout le temps, pour son plaisir, et arrivait à rendre la joie même à ceux qui perdait espoir, continua Orion en se concentrant. A chaque fois qu'il pinçait les cordes de son instrument, les larmes se transformaient en rires et les nuits les plus sombres brillaient d'amour et de danses, de chants et de fêtes. Beaucoup de jeunes femmes, charmées, vinrent lui demander de les épouser, conquises. Mais le beau jeune homme souriait en refusant poliment. 

      -Mon cœur n'appartient qu'à celle qui éclaire mes nuits et qui me suit où que me portent mes pas, répondait-il toujours en continuant son chemin, passant par villes et villages sans s'y arrêter bien longtemps, simple voyageur de passage."

  Chaque nuit sans exception, le musicien chantait pour la Lune, lui déclamant les poèmes les plus doux, clamant son amour jusqu'à ce que le jour se lève. Et la Lune l'écoutait avec la plus grande attention, brillant pour lui d'une lumière immaculée et pure."

   Sur plusieurs illustrations, il y avait cet homme humble qui semblait laisser voler sa musique jusqu'aux cieux pour plaire à la jeune femme en blanc. Jasper était plongé dans l'histoire et ne se calait contre son majordome à chaque phrase, comme pour se rapprocher un peu plus de cette présence qui le rassurait lorsque son père était absent. 

-"Une année cependant, l'hiver fut des plus rudes, et la neige tombait drue, recouvrant les silhouettes décharnés des arbres de la forêt. Malgré tout, il continua de chanter et de jouer pour sa belle, la seule lumière de sa vie et de son cœur, nuit après nuit, marchant dans le froid et la neige. La Lune, amoureuse et conquise elle aussi par sa voix et ses musiques, écoutait chaque soir avec une ferveur qui ne cessait de croître. Mais, un soir, le froid devint tel que l'homme s'assit contre un arbre en fredonnant faiblement ses mélodies, fatigué, et laissa ses yeux se fermer jusqu'à s'endormir lentement pour ne plus jamais se réveiller."

   La page suivante montrait la jeune femme qui tenait un corps immobile contre elle en pleurant. Jasper aussi était à la limite des larmes, et Suave lui caressait doucement le bras en le rassurant silencieusement comme il pouvait.

-"La Lune, en pleurs, essaya de le réchauffer de ses mains froides et gelées, mais n'y parvint pas. Lorsqu'elle comprit que rien ne lui rendrait son amour perdu, elle retourna parmi les ténèbres du ciel en emportant la lyre du jeune homme. Elle pleura longuement sans rien d'autre que le ciel pour sécher ses pleurs, et chacune de ses larmes créa une étoile, unique et immortelle, pour l'éclairer dans sa misère. Mais la Nuit, triste pour elle, transforma l'instrument de musique en une constellation qu'elle nomma Lyra, let la Lyre se remit à jouer les plus beaux airs amoureux que la Lune aimait tant, faisant revivre à travers eux l'âme d'un musicien qui avait su charmer l'éternité et la lumière de la Dame d'argent. Ainsi, les deux amants éclairèrent, par la lumière de leur amour, les sombres nuits d'hiver, faisant encore entendre le chant mélodieux d'une voix unique et céleste."   

   Orion termina sa lecture et leva les yeux, tout fier, vers Jasper qui pleurait comme une Madelaine dans les bras de Suave qui essuyait une discrète petite larme au coin de son orbite, rajustant ses lunettes au passage. 

-Elle est triste, ton histoire... frémit le vampire en essuyant ses propres larmes. 

-oui, mais elle me donne du courage, parce qu'elle est belle. 

-Mais le musicien meurt à la fin et la Lune est seule, ne comprit le squelette aux os noirs, perdu. 

-Là où cette histoire est magnifique, intervint Simon, c'est que la Mort est impuissante face aux souvenirs des vivants. Il suffit qu'une seule personne se souvienne de toi, et tu vivras éternellement dans le cœur et l'âme de ceux qui t'ont connu. Et souviens-toi toujours que, même lorsque tu es perdu et seul, il y a toujours une lumière qui te guidera dans tes choix et les chemins que tu emprunteras.

   Jasper regarda longuement Simon en souriant doucement, comprenant le message. Puis il attrapa le bras de Suave en le ramenant contre lui, venant l'embrasser sur la joue.

-Je n'ai plus peur alors, parce que ma lumière, c'est toi... 

   Le professeur ricana doucement en essuyant ses lunettes d'un geste tranquille, et Orion prit la main de son ami dans la sienne. 

-Donc ce n'est plus la peine que tu penses à ces cauchemars, ils ne sont pas réels et ton majordome est toujours a tes côtés ! Tu verras, ton père te serrera dans ses bras quand il reviendra. 

   Heureux et serein, le jeune prince bailla un peu avant de somnoler contre le squelette en livrée, tandis qu'Orion revenait se lover dans les bras de Simon qui l'embrassa sur le front en le gardant contre lui. 

                                                                                   ******

   Kara s'était levé tôt, espérant ne croiser personne dans les couloirs à une heure pareille. Cependant, il avait été surpris en croisant Charlos au détour des jardins, pensif face au clair de lune. Lorsque l'apprenti de Fallacy avait croisé le regard de son demi-frère, il s'était immédiatement levé du banc sur lequel il était assis et avait profondément salué son roi. 

-M-Messire... J-Je ne m'attendais pas à ce que vous soyiez déjà levé... J-Je vais m'en aller... 

   Il voulut joindre le geste à la parole, sachant pertinemment qu'il était un simple bâtard aux yeux du futur roi d'Espagne, mais ce dernier le retint par le bras. 

-Attends. J'aimerai qu'on parle... 

   L'humain au pendentif en forme de cœur sursauta en gardant cependant les yeux baissés. Kara le fit se rasseoir sur le banc et s'assit à son tour à côté de lui, ne pipant mot. 

-P-Pourquoi donc sa Majesté voudrait-elle parler avec un vulgaire demi-sang tel que moi ?... 

-Parce que c'étaient les dernières volontés de mon frère... 

   L'espagnol lui tendit une lettre, lui laissant le temps de la lire. Charlos ne dit rien mais laissa les larmes couler, les mots s'encraient profondément dans son âme. 

                                 Kara, Charlos,

   Je sais que mon rôle de frère a été hautement contestable envers vous, et je regrette le temps que nous aurions pu passer ensemble si j'avais été plus présent pour vous. 

   Kara, je sais que tu haïs ton frère à cause de sa nature, mais pourquoi donc une telle haine ? Si tu lis ces mots, c'est que je n'ai plus rien à perdre désormais, alors il faut que je vous annonce à tous les deux quelque chose que j'aurais dû vous avouer il y a bien longtemps.

   Je ne suis qu'un semi-vampire, un sang-mêlé, fils d'une vampire de sang-pur et d'un mortel. Et ma nature me condamne par là à une existence beaucoup plus courte que l'immortalité. Si les mortels ne s'étaient pas chargés de moi, alors ce serait le temps qui aurait fait office de bourreau. 

   Pourquoi, me demanderez-vous ? Parce que le sang pur d'un vampire ronge la mortalité, et se nourrit du sang mortel qui coule au travers de ma magie. Je suis cependant heureux que vous soyiez tous les deux de sangs-purs, malgré votre statut de demi-frères. Vous aurez toute l'éternité pour vous connaître et apprendre l'un de l'autre, ce sont là mes dernières volontés. 

   A jamais votre frère, malgré les liens du sang, 

                                                                                                            Cruzar.

   Une fois lue, cette lettre se mit à trembler dans les mains de Charlos qui ne cessait de sangloter. Kara soupira et rangea la lettre, des larmes dévalant ses joues. 

-Voilà... Et maintenant je... je ne sais plus où j'en suis... 

-... Je ne veux pas perdre un deuxième frère... 

   Surpris, le prince espagnol releva la tête en dévisageant Charlos qui le regardait avec inquiétude, ayant outrepassé les convenances.

-Pitié laissez-moi une chance d'être votre frère, je ne veux pas perdre mon deuxième frère... 

   Les larmes se remirent à couler et Kara enlaça son cadet en le serrant comme s'il craignait également de le perdre. 

-Pardonne-moi... Je suis désolé... pour tout ce que je t'ai fait... 

   Trop heureux pour répondre quoi que ce soit, Charlos rendit son étreinte à son aîné et se détacha un peu de lui en essuyant ses larmes.

-On apprendra à se connaître, promit Kara en lui offrant un sourire fatigué. 

-Oui... et nous-... Maître Fallacy ? 

-Pardon ? sursauta Kara sans comprendre. 

-Non, là-haut !

   Ils levèrent tous deux la tête et virent la petite chauve-souris voler en direction du village. 

-Qu'est-ce qu'il fait dehors à une heure pareil ? 

   D'un regard entendu, les deux frères se transformèrent eux aussi en chauve-souris et le suivirent. 

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