Chapitre sixième

Jasper n'arrivait pas à savoir ce qui se passait autour de lui. Tout était froid, irréel, insupportable. Il semblait entendre des conversations lointaines, mais il semblait aussi ne jamais s'en rapprocher, peu importe la distance qu'il parcourait dans le noir de ses pensées. Tout était hors d'atteinte.

Soudainement, son âme eut un douloureux battement, l'un de ceux qui résonnent dans la poitrine comme un cri de désespoir.

Le noir laissa place à la forêt qu'il connaissait depuis tout jeune, depuis ces vingts années d'existence. Mais il faisait chaud, comme s'il se trouvait devant la cheminée de sa chambre, et la lune éclairait les environs comme si le soleil s'était levé la nuit.

Le jeune vampire baissa les yeux vers sa main, et il vit qu'il tenait un fil rouge. Intrigué, il regarda où ce dernier menait et le vit serpenter à travers les bois clairs. Sans réfléchir, il le suivit et le vit s'entrelacer entre les branches, en continuant de se diriger vers une clairière plus loin.

Mais ce n'était pas une clairière. C'était une cheminée devant lui, qui réchauffait les lieux et le laissait pantois, lui faisant clairement comprendre que tout ceci était un rêve sans queue ni tête.

Quand il voulut se retourner, il n'y avait plus la forêt, il était désormais dans sa chambre, au chaud, et il y avait une autre personne qui semblait tout aussi perdue que lui. En la reconnaissant, Jasper se jeta dans ses bras.

-Suave ! Suave pitié dis-moi que je suis réellement à la maison, avec toi !

La chaleur du majordome contre lui, sa main qui lui caressait doucement le crâne, son parfum bien à lui, doux mais emprunt d'une fragrance amer plus ténue.

-Je ne peux vous mentir, m'lord, murmura à peine Suave en gardant le plus jeune contre lui. Je suis ici sans l'être, et ces contactes sont de simples souvenirs.

-Arrête d'être si formel, imbécile...

Contre lui, Jasper se retenait de pleurer, une boule au creux de la gorge. Le squelette aux os blancs lui offrit un regard tendre et qui se voulait rassurant malgré tout.

-M'lord, je ne sais si nous pourrons nous voir souvent de cette manière, mais je n'ai pas le temps de vous expliquer les détails... Savez-vous où vous vous trouvez ? Ou l'endroit où vous vous rendez ?

jasper inspira pour se clamer et regarda ensuite son majordome avec sérieux, bien que la voix tremblante.

-Je ne sais pas où l'on va, mais nous sommes toujours dans une forêt, et je ne peux pas utiliser ma magie. Jack entrave aussi mes métamorphoses en chauve-souris, je ne peux rien faire.

-Jack ? interrogea Suave. Est-ce cet homme qui vous retient ?

-Oui, mais d'après le peu de conversation que j'ai déjà eu avec lui, il obéit à quelqu'un...

-Savez-vous à qui ?

-Non, soupira le prince en secouant la tête. Mais cette personne a l'air puissante, car Jack n'est pas un homme qui obéit facilement... Son attitude est étrange, il semble regretter ses choix mais ne fait rien pour désobéir, comme s'il y était contraint...

Son attitude brave laissa place à un sanglot qui fit trembloter ses jeunes épaules, puis il regarda son majordome avec angoisse, craignant de devoir se réveiller. Suave s'agenouilla face à lui et lui prit la main en souriant pour le rassurer.

-M'lord, j'ai juré de vous protéger et de vous obéir sur mon âme et mon sang... Il vous suffit d'un seul ordre, et j'obéirai, même si je dois y laisser ma vie. Soyez brave, soyez le digne prince que vous êtes. Il vous suffit d'ordonner, master...

Jasper le regarda en rougissant, conscient désormais qu'il n'était plus temps de s'embarrasser de son âme d'enfant. Il devait grandir et trouver comment se débrouiller par lui-même, en attendant son père, en attendant Suave.

-Suave... Viens me chercher, c'est un ordre.

Le majordome lui offrit un galant baisemain en laissant sa pupille en forme de cœur briller d'une lueur d'un rose sombre.

-Yes, my Lord...

Le rêve cessa brusquement mais ils avaient tous deux, gravée à l'encre de leurs âme, leur promesse à tenir.

******

-Mais les Nécromanciens sont, ironie du sort, morts depuis près d'un siècle !

L'agacement du roi d'Angleterre se faisait bien sentir, et même Macabre commençait à en avoir marre de répéter qu'il répétait ce que d'autres vampires lui avaient rapporté.

-Fallacy, calme-toi, lui intima Encre en essayant de concilier les deux caractères des monarques, assez tempétueux soit dit en passant. Macabre, qui sont ces Nécromanciens dont parle mon mari ?

Le français soupira et alla se servir un verre de vin avant de le boire d'une traite, laissant ses souvenirs reformer la scène clairement devant ses yeux, comme un macabre caléidoscope.

-Les Nécromanciens étaient un groupe très important de sorciers qui avaient trouvé le moyen de devenir immortels sans l'être de nature, expliqua-t-il en regardant le vin restant dans la coupe comme s'il s'agissait de sang. Pour cela ils faisant appel à une magie encore plus sombre et ténébreuse que la Messe Noire, la Nécromancie.

-Mais dans les contes et les légendes, il ne s'agit que d'un pouvoir qui permet de ramener les morts à la vie, intervint le peintre en étant un peu perdu.

Fallacy intervint alors en se servant à son tour un verre, l'air grave.

-Il ne s'agit que d'une déformation des ignares et des mortels qui ne comprennent pas la nature de la magie... La Nécromancie permet de voler la vie des autres, elle est composée d'énergie mortifère, elle se nourrit de vie.

-Un sort nécromant te permet de t'emparer de toutes les années de vie d'un autre, reprit Macabre dans un murmure. Et plus tu voles la vie, plus tu deviens puissant. Ce type de magie ne ramène pas les morts à la vie, ramène la vie à ceux qui sont morts, elle leur permet de vivre indéfiniment. Mais le jour où ,tu passes un marché avec cette magie, c'est aussi le jour de ta mort. Lorsque tu prends l'âme des vivants, tu deviens un meurtrier et ton âme se retrouve noyée avec une autre, comme une pièce de tissu que tu recoudrais à l'infini, rapiécé de toute part.

-Tu ne peux pas mourir, mais tu ne fais plus parti des vivants non-plus, termina le squelette aux yeux tricolores en avalant son verre. Mais les Nécromanciens sont morts dans une guerre qui s'est déroulée en Europe le siècle dernier...

Encre regarda les deux rois qui, silencieux, n'osaient continuer. Sans mots, il comprit que cela avait été une épreuve que de mener ces batailles. Essayant d'être délicat, il demanda néanmoins d'une petite voix :

-Macabre, que se passe-t-il près de la frontière germanique ? Vous avez parlé de morts qui reviennent à la vie, mais d'après ce que je comprends, c'est impossible...

Le français avala le reste de sa boisson d'une traite et se resservit une coupe avant de continuer, un peu secoué.

-À Strasbourgh, en Alsace, une femme est arrivée un matin dans les rues de la ville. Elle s'est mise, selon plusieurs témoins, à danser en ayant les yeux dans le vague, comme envoûtée, et elle a continué de danser toute la journée, puis la nuit, puis le lendemain et le surlendemain avant de finir par tomber d'épuisement le quatrième jour. Mais lorsque les habitants l'ont vu, certains ont été pris de la même folie. Ils se sont mis à danser en marmonnant des litanies que personne ne comprenait, et ils en ont entraînés d'autres pendant près d'un mois. C'était il y a presque quatre mois.

-Enfin Macabre ! s'impatienta le roi anglais qui n'avait aucunement envie de résoudre des affabulations alors que son fils était retenu quelque part. Strasbourg est sous la juridiction du saint Empire Germanique ! Elle ne concerne pas la France !

La tension monta d'un cran et Macabre foudroya le monarque du regard, énervé et sur les nerfs lui aussi.

-Cette... épidémie, elle s'est répendue en France ! Et je dois faire face à des chasseurs de sorcières, la nouvelle lubie des germains ! Ils traquent des femmes et les pendent en place publique, en les accusant de magie noire ! Le monde devient fou Fallacy... cette couronne me pèse, je n'en peux plus...

Abattu, le vampire se laissa tomber sur une chaise et soupira en se prenant la tête à deux mains. Fallacy sentit sa colère retomber et posa une main sur son épaule. Encre regarda les deux monarques, puis fit un signe de tête à Fallacy et sortit en les laissant tous les deux pour qu'ils puissent discuter. Lorsque sa main quitta la poignée de porte, elle tremblait légèrement.

   Le français prit une grande inspiration pour se calmer et retourna en compagnie des autres.

Dans le salon, il vit que Suave s'était assoupi, aussi le laissa-t-il dormir, sachant pertinemment que Jasper comptait énormément pour le majordome. Katell chantonnait, un livre sur les genoux, et attendait simplement.

-Katell, pourrais-je te poser une question ? amorça le peintre en parlant dans sa langue natale.

   Le jeune fille releva le nez de son livre et regarda le squelette en arrêtant de chanter, un mince sourire flottant sur ses lèvres.

-Bien sûr, messire. Je ne puis rien refuser au roi d'Angleterre.

-Je m'excuse par avance si ma question te semble déplacé, mais tu n'as pas l'air d'être une vampire, et tu es une jeune fille seule qui a voyagé depuis la France jusqu'en Angleterre... Comment ?

   La bretonne sembla gênée et baissa les yeux en jouant nerveusement avec ses manches.

-En Bretagne, ma mère est morte à ma naissance, et mon père, un homme riche mais cupide, n'a voulu qu'agrandir sa fortune en me promettant à un jeune homme à la dot conséquente... Je suis venue en Angleterre avec un ami à moi, pour rendre visite à Jasper mais également pour changer de vie. J'espère pouvoir trouver ce que je cherche ici, en Angleterre. Et je crois que je l'ai trouvé...

   Elle lui offrit un sourire réconfortant et inclina la tête.

-Si je puis me permettre, majesté, comment un peintre tel que vous a-t-il pu ne pas se faire remarquer en France ? Le roi de France a accueilli il y a un certain temps un peintre italien renommé à son service, l'art et les sciences le fascinent !

   Le concerné fronça les arcades. Avait-il laissé échapper qu'il était peintre ? Possible, ce n'était qu'un détail.

-Ce Leonardo est un génie qui m'a toujours fasciné, sourit Encre en devenant nerveux à son tour. Je l'ai rencontré une fois, mais je n'étais qu'un jeune homme à cette époque... Mes parents étaient de riches marchands, et je les accompagnaient souvent en Germanie, en Espagne, mais aussi en Orient et jusqu'au bout de l'Asie. Une année, nous étions allés à Florence, en Italie, et je l'avais vu, travaillant pour un peintre célèbre, un certain Verrochio. Il était d'une beauté à couper le souffle, et son talent pour l'art était indéniable ! Je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi... particulier. C'était un homme que l'on pourrait comparé à un ange, si plein de grâce et de sagesse à un si jeune âge... C'est ce jour-là que j'ai voulu être peintre, et c'est ce regard qui m'a décidé à apprendre les couleurs, apprendre les morphologies, la lumière et l'art de peindre et de dessiner. Mais la France n'a plus été une terre pour moi il y a 5 ans...

   Troublé, il se crispa et tourna la tête comme pour chasser ses souvenirs, essayant de sourire à Katell.

-La vie est ainsi, mais je n'aurais voulu revenir en France pour rien au monde... Ici, j'ai trouvé le bonheur et l'amour de ma vie.

   La jeune fille lui prit gentiment la main et sourit un peu pour tenter elle aussi de le rassurer.

-Le monde est plein de surprise, messire. Vous n'avez pas à justifier vos choix, du moment que c'est votre cœur qui les induit dans cette voie.

   Encre de sentit très à l'aise avec la jeune fille, elle était cultivée et ouverte d'esprit, et elle parvenait, rien qu'en parlant, à faire oublier au peintre la douleur de son âme.

   Ils continuèrent ainsi de parler jusqu'à ce que le majordome se réveille en sursaut, se redressant comme un diable sortant d'une boîte, faisant sursauter les deux français. Inquiet, il semblait chercher quelque chose ou quelqu'un autour de lui.

-M-M'lord... bredouilla-t-il en essayant de rassembler ses pensées. L-la forêt... u-un homme...

-Suave, calme-toi, lui intima le peintre en le rassurant comme il pouvait. Calme-toi et explique-nous doucement ce que tu as vu...

   Le squelette en livrée déglutit et prit le temps de calmer sa respiration avant de murmurer sa réponse. Ladite réponse glaça tout le monde, alors que Suave reprenait son air sérieux et professionnel.

-Nous devons en informer maître Fallacy, reprit Suave en se levant.

   Katell et Encre se regardèrent et, d'un commun accord, se dirigèrent vers le bureau du roi. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top