Chapitre huitième

   Après que Suave, Encre et Katell eurent fait irruption dans le bureau de Fallacy pour raconter ce qu'il venait de se passer, les deux rois vampires se regardèrent longuement. 

-Tu vas sûrement me prendre pour un fou, avança prudemment Macabre, mais ce n'est pas la première fois que j'entends parler d'un irlandais nommé Jack. 

   Encre porta un regard surpris vers son mari mais le squelette aux os noirs ne prononça pas un mot, se contentant de chercher parmi les livres de son bureau pour en sortir un ouvrage épais, vieux et rapiécé. 

-Katell, connais-tu les légendes celtes des temps anciens ? demanda le roi anglais en tournant consciencieusement les pages jaunies. 

   Surprise, la jeune fille prit le temps de répondre. 

-Eh bien, oui, pour certaines elles restent gravées dans les âmes de mon peuple. Mais je n'ai pas souvenir d'un homme celte qui correspondrait à cette description que sa Majesté de France  a faite.

-Mon amour, qu'est-ce que tu as en tête ? interrogea le peintre tandis que Suave se penchait légèrement au-dessus des caractères. 

   Fallacy désigna la page et commença à lire ce qui y était inscrit, et cette histoire était celle d'un homme nommé Jack. 

-Jack-O-Lantern, murmura le majordome en surprenant l'assemblée. 

   Les vampires et la jeune fille le regardèrent avec surprise. Suave, conscient d'avoir parlé sans y avoir été invité, baissa le crâne en reculant, mais Fallacy posa une main sur son épaule pour l'autorisé à continué, l'encourageant d'un sourire. 

-Suave, tu connais cette légende ? demanda Encre en ayant bon espoir. 

-Plus jeune, M'lord aimait que je lui lise souvent des contes et d'autres histoires lorsqu'il n'arrivait pas à dormir, répondit-il en évitant le regard de son maître. Cette légende parle d'un homme damné qui ne trouvait ni repos, que ce soit en enfer ou au paradis, et qui se voyait contraint d'errer entre la vie et la mort la nuit de Samain.

 -Ce n'est pas qu'une légende, intervint Macabre en prenant un autre livre qui ressemblait plus à un registre. Il y a environ une bonne centaine d'années, nous avons dû mener une guerre dans l'ombre, contre les Nécromanciens... 

   Au fur et à mesure qu'il tournait les pages, Fallacy se faisait de plus en plus nerveux, tripotant nerveusement ses mains. Encre lui prit doucement le poignet avant d'entrelacer ses doigts avec les siens et de caresser le dos de sa main, essayant de le rassurer. Le roi lui offrit un sourire triste mais reconnaissant avant de fixer les pages, inquiet. 

-Durant cette guerre, il y avait une rumeur qui courait, continua le français. Une rumeur selon laquelle il était possible d'obtenir la vie éternelle grâce à ce que les Nécromanciens nommaient l'Émeraude de Lucifer. 

-Le Joyau le plus brillant de Sa Création, murmura Katell en ouvrant de grands yeux émerveillés. Selon la légende, Lucifer aurait perdu cette émeraude lors de sa Chute, au temps du temps avant le temps... 

-L'on dit aussi que le Graal des légendes aurait été taillé dans cette pierre précieuse, ajouta Encre en essayant de comprendre ce que tout cela avait à voir avec Jasper. Mais quel peut-être le rapport avec cet inconnu et Jasper ? 

   Macabre prit le temps de trouver le passage qu'il cherchait et lut à haute voix ce qui y était inscrit. 

-"Il ne dit rien, nous vîmes simplement sa silhouette au loin, et toute la mort qui empestait de son aura. Elle était froide mais semblait se couler entre les hommes pour mieux faire ressentir sa présence. Il ne dit rien, il fit juste un geste en direction du bois et nous vîmes ensuite sortir des ténèbres un être qui ressemblait à un chien noir aux yeux rubis, et de sa gueule s'échappa un hurlement qui hantât nos nuits depuis lors. Cet homme était le Maître de la Mort, il ne se battit point mais regarda les massacres de nos frères, et nous sûmes que jamais plus nous ne trouverions de paix en nos âmes, car lorsque son regard se posa sur nous, nous y vîmes les prunelles d'un damné qui ne pouvait vivre ou mourir."

   Il y eut ensuite un long silence, mais tous ressentirent ce frisson de peur et d'angoisse, un frisson désagréable qui descendait le long de leur colonne vertébrale et glaçait les muscles. Encre serra un peu la main de son mari, sensible à cette atmosphère et à un récit qui ressemblait bien trop à un témoignage pour ne pas en être un. Katell se cachait derrière eux, intimidée, et Macabre referma le livre en regardant les autres avec des yeux inquiets. 

-Peu importe son nom, reprit Macabre en regardant Suave. Si ce que Jasper t'a décrit à travers ses rêves est un homme semblable, il se peut qu'il soit responsable des danses macabres qui ont lieu en Empire germanique. Encre, vous avez vu cet homme, vous savez quelle aura de mort il dégage, et quelle force il possède. 

-Cela pourrait nous aider à déterminer où il emmène Jasper ! éclaira Katell en souriant, comme si elle avait retrouvé l'espoir. Vous êtes d'une perspicacité remarquable, messire ! 

-Mais comment être sûr que c'est bien ce Jack qui retient Jasper ? s'inquiéta Encre en sentant toute la fragilité de cette piste, malgré le fait qu'il ait déjà fait face à cet être et qu'il avait vu ce chien. Si ce n'est pas le cas... 

-Encre... 

   Le peintre tourna la tête vers son mari et le vit lui aussi anxieux que lui, le regardant avec des pupilles hésitantes. 

-Je comprends toute ta retenue, mais avons-nous vraiment le choix ? S'il y a une chance que nous retrouvions Jasper malgré le peu d'informations dont nous disposons, je suis près à courir ce risque... 

   Le peintre regarda son mari, puis les autres, et il vit dans leurs regards toute la lumière qu'apporte l'espoir. Il savait que c'était une course-contre la montre, un jeu du chat et à la souris qu'il n'appréciait pas du tout. Mais comme Fallacy le disait, ils n'avaient pas le choix.

-Je connais des amis qui nous aiderons à prendre un bateau jusqu'en France, intervint Macabre en voyant les deux époux se concerter en silence. 

-Je viens avec vous. 

   Tous tournèrent la tête vers le majordome qui, cette fois, n'avait pas peur de dire ce qu'il pensait. Dans ses pupilles se trouvait toute la force de caractère dont il pourrait faire preuve pour secourir son jeune maître. Cependant, Katell sembla un peu mal à l'aise. 

-Messires, est-ce vraiment une bonne idée ? D'après ce que je sais, un lien magique aussi puissant pourrait être repérable par un sorcier aguerri... 

-J'apprécie votre sollicitude, mademoiselle, répondit Suave en cachant tant bien que mal une certaine froideur à l'égard de la jeune fille. Mais je puis vous assurer que je saurais me montrer utile. De plus, j'ai juré de protéger mon jeune maître aussi longtemps que je vivrai. Un majordome de la famille des princes de la nuit ne peut désobéir à son serment. Enfin, le lien de sang qui nous unit ne fera que se renforcer si nous sommes sur la bonne piste, ce qui peut permettre à mes maîtres de gagner du temps. Je regrette, mais je tiens à imposer ma présence à ce voyage, qu'importe la bienséance que j'outrepasse.

   Il y eut un court silence avant que Fallacy ne lui accorde un sourire léger. 

-Je ne voyais pas les choses autrement, Suave. 

   Encre eut lui aussi un sourire et alla quérir Fibi pour lui demander d'envoyer chercher Charlos et Songe. La jeune servante s'exécuta bien vite et revint avec les deux concernés dans le salon. En voyant son amant, Macabre sentit tout le poids de la royauté quitter ses épaules. Il regarda l'astronome pendant un instant avant que celui-ci ne vienne se jeter dans ses bras en l'embrassant avec passion.

-Macabre, murmura Songe en le détaillant avec minutie. Cela faisait si longtemps... Pardonne mon absence, mais je ne pouvais refuser l'offre d'un roi et ami cher... 

-Tes lettres me donnaient l'impression que tu étais dans chacune des phrases que tu traçais à l'encre de ton cœur, souffla le roi de France en souriant innocemment. 

   Charlos alla s'inclina devant son maître qui lui expliqua la situation. Songe s'écarta ensuite à regret de son amour et regarda le peintre avec peine. 

-Fibi m'a rapidement expliqué ce qui se passait... Je viens avec vous. 

-Non, c'est dangereux, essaya de le dissuader Encre en montrant sa sollicitude. Je refuse de mettre ta vie en danger comme... comme la dernière fois... 

   Songe posa un regard inquiet sur l'artiste qui se crispa en repensant à de mauvais souvenirs, puis il prit son visage en coupe dans ses mains en mimant un sourire. 

-Il ne m'arrivera rien, Adrian n'est plus, et j'ai appris à me battre, même si je répugne me prêter à l'exercice... Je saurai me défendre et ne serai pas une gêne. Ma décision est prise Encre... 

   Voyant que rien ne pourrait faire fléchir le squelette aux os blancs et aux yeux d'or, le peintre accepta à contrecœur, essayant de se rassurer en calmant les battements de son âme. De son côté, Fallacy revenait vers eux en tenant un Charlos fébrile par le bras. 

-Ce serait un honneur de vous avoir avec nous, Songe, sourit le roi avant de désigner l'apprenti. Quant à mon cher apprenti, je crois pouvoir affirmer qu'il peut assurer la régence jusqu'à mon retour. Il a toute ma confiance... 

-M-Mais enfin, Master ! protesta le jeune vampire, rouge de gêne mais flatté. J-Je ne saurai jamais être comme vous !... 

-Mais tu es un jeune homme de sang royal, frère de Kara, roi d'Espagne, et tu as largement les compétences d'un dirigeant. Tu feras un bon régent, ne t'inquiète pas... 

   Fibi se chargea de faire asseoir le jeune homme et alla lui servir un verre de vin pour le remettre de ses émotions. Puis le roi anglais regarda son majordome, son mari, ses deux amis et la jeune Katell qui ne pipait mot, et il prit sa décision. 

-Ne perdons pas de temps, nous avons un bateau à prendre. 

******

   Dans les ténèbres, une silhouette froide regarde l'être dormir. Elle sait qu'il n'est rien pour elle, mais elle regrette. Elle se demande aujourd'hui si elle n'aurait pas mieux fait de le condamner à l'immortalité plutôt qu'à l'éternité. 

-Un mort qui marche... Ironique ou cynique ? 

   Le corps endormi sursauta et se redressa d'un coup, pointant une dague argentée sur l'intruse. Cette dernière le regarda un instant de ses pupilles de lune, puis elle posa sa main sur celle de Jack et il sentit le froid lui mordre la peau, lui qui ne ressentait plus rien depuis si longtemps. 

-Le dernier qui marchait parmi les hommes après sa première vie apportait la Lumière... Qu'apportes-tu au monde, Stingy Jack ? 

   Mais Jack resta tétanisé, tremblant devant celle qu'il côtoyait sans jamais l'approcher. 

-Comment... 

-Tu te perds, enchaîna l'être glacé. Et si tu oublies qui tu es, tu y perdras ton âme. Pose-toi les bonnes questions. Tu ne peux changer le passé ni le futur... 

   D'un coup, le rêve cessa et Jack se redressa dans le fauteuil où il s'était, chose étrange, assoupi. Ce cœur desséché qu'était le sien se remit à battre douloureusement alors que sa respiration sifflante brisait le silence de la nuit. Son regard se posa sur Jasper qui dormait, le Chien niché contre lui. 

   Il espérait encore, et ça le faisait souffrir. Mais il n'avait que ce qu'il méritait. 

-Dullahan... Pitié veille sur lui... 

   Et, pour la première fois depuis des années, une larme imbiba les bandages délavés qui entourait ses yeux. Elle coula sur sa joue et fut la perle d'espoir qui lui faisait si mal.

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