Chapitre 1
Prostré sous une table, Minho tentait de se faire le plus discret possible alors que les cris déchiraient la nuit tout autour de lui et que le sang coulait à flots. Il était entré dans la taverne au début de la dispute entre un ivrogne et un soldat de la couronne, la confusion générale l'aidant à s'infiltrer tout en douceur. L'assemblée ayant été concentrée sur l'altercation, personne n'avait tenté de l'empêcher d'entrer malgré sa présentation déplorable. Si l'établissement n'était pas de première qualité, il n'accueillait tout de même qu'à partir de la petite bourgeoisie et Minho, avec son statut peu élevé de voleur, n'était pas le genre de client attendu.
Un corps s'écrasa lourdement contre le mur derrière lui, le faisant tressaillir. Il n'avait pas choisi cette taverne par hasard, elle avait une mauvaise réputation, et il devait se concentrer pour ne pas se faire repérer. La querelle d'ivrognes prit une tout autre tournure lorsque les belligérants sortirent leurs armes et Minho retint une exclamation horrifiée. Depuis sa cachette, il frissonna en priant silencieusement pour que personne ne remarque sa présence. Il ne savait pas se battre autrement qu'avec ses poings et il venait de comprendre un élément important qui lui avait échappé jusque-là. Il n'avait eu aucun mal à reconnaître les soldats de la couronne, malgré les capes sombres qu'ils portaient, ils avaient une manière de marcher qui leur était propre. En revanche, ceux qu'il avait pris pour de simples hommes alcoolisés venaient de révéler leur véritable nature.
Minho rampa en arrière pour se sortir de sous la table. Voler des soldats était une chose dangereuse, mais qu'il savait faisable, ce n'était pas sa première fois. En revanche, s'en prendre à des pirates était une grande première bien plus menaçante pour sa vie. Personne ne lui viendrait en aide si l'un de ces forbans décidait de le passer au fil de sa lame.
Le voleur rampa sur le sol en faisant de son mieux pour ne pas rendre de la bile. Dans les rues malfamées de Yirrub il était facile de trouver un corps avant que les agents de la ville n'aient le temps de l'enlever. Le quartier pauvre n'était pas une préoccupation principale du royaume, seul le minimum était effectué. Minho avait donc vu des cadavres depuis son plus jeune âge, il repérait l'odeur de loin ce qui lui permettait d'en rester éloigné, mais pour la première fois il observa le visage d'un mort de près. Il étouffa une plainte dans la paume de sa main et se recroquevilla.
Le soldat devait avoir son âge, peut-être un peu plus ou un peu moins, mais il n'allait plus jamais vieillir. Une lame avait transpercé son crâne en passant par l'œil d'où ressortait un flot rouge et grumeleux. Le jeune homme eut un haut-le-cœur. Il n'avait rien mangé depuis plus d'une journée, mais il allait rendre le peu de contenu de son estomac s'il restait une seconde de plus ici. Les larmes aux yeux, la gorge nouée, il se força à ignorer le cadavre à côté duquel il rampa pour regagner la sortie. Il regrettait d'être venu ici. Il aurait dû se contenter de détrousser les quelques malheureux qui osaient s'aventurer à Yirrub pour essayer de se remplir le ventre.
Les échardes du plancher irrégulier s'enfonçaient comme des petites aiguilles dans la peau nue de ses avant-bras et dans la chair de son ventre qui se révélait lorsqu'il rampait pour s'échapper. Les hurlements s'intensifièrent, les bruits de chute, de casse et de projections aussi. Il ne savait pas qui l'emportait, mais il ne s'en souciait plus. Toute son attention était focalisée sur un seul objectif : la sortie de la taverne. Enfin, il sentit un vent frais caresser son visage et son regard désespéré accrocha la porte principale. Le battant avait été à moitié sorti de ses gonds et ne tenait plus que de travers, mais ce n'était pas important. Minho était assez souple pour se faufiler dans l'espace ouvert.
Le jeune voleur se redressa sur ses coudes en pâlissant. Tout le sang reflua de son visage, ses membres faiblirent. Son regard venait de plonger droit dans celui d'un pirate. Il eut l'impression de chuter dans les abîmes et son cœur s'emballa. Il devait partir d'ici en vitesse sinon il ne donnait pas cher de sa peau. Il le ressentait dans chaque fibre de son corps : ce pirate ne comptait pas lui laisser l'opportunité de s'échapper. Minho bondit sur ses jambes et il entendit un cri faire écho à son geste. Quelqu'un tenta de lui barrer le chemin sans succès, mais une brûlure lui chauffa quasi aussitôt la joue. Minho se jeta dans l'ouverture en roulant sur lui-même, le bruit de ses propres battements de cœur résonnants dans ses oreilles. La terre boueuse macula ses vêtements usés, mais il ne s'attarda pas dessus ni sur les picotements de sa peau éraflée. Il se releva aussi vite que possible, courant loin de l'établissement. Il était livré à lui-même, personne n'interviendrait ici, tout le monde fermait les yeux sur ce qu'il se passait dans ce quartier.
Minho percuta quelqu'un sortant d'une ruelle adjacente et au sang qui tachait son uniforme il comprit qu'il s'agissait d'un des soldats de la taverne qui s'était échappé. L'homme lui jeta un regard mauvais et leva la main dans sa direction, mais s'arrêta en entendant du bruit derrière le voleur. La porte arrière de la taverne s'ouvrit pour laisser sortir une partie des pirates qui hurlant après le fuyard. Minho écarquilla les yeux et se cacha aussitôt dans un renfoncement. Les mains sur la bouche et les yeux écarquillés, il pria pour que les battements fous de son cœur ne le trahissent pas. Il se doutait qu'il n'était pas la personne la plus importante pour les pirates, mais s'ils lui tombaient dessus ils n'allaient pas montrer de la pitié pour autant.
Il ne savait pas depuis combien de temps il était prostré de la sorte, les fesses sur la terre froide et le dos contre le mur irrégulier d'une maison, mais tout à coup le bruit cessa. Plus de cris, plus de râles d'agonie ou de hurlements de douleur. Juste un silence quasi irréel qui le fit frissonner des pieds à la tête. Comme le calme avant une tempête particulièrement dévastatrice. Minho se redressa malgré ses jambes engourdies tout en jetant un rapide regard dans la rue principale. Elle était déserte.
Un éclat singulier sur le sol attira son attention à la manière d'un oiseau intrigué par une chose brillante. Une sorte de petit pochon brun, mal fermé par une cordelette usée, mais dont l'ouverture laissait entrapercevoir une possibilité de richesse. Minho se mordit la langue, il était difficile de résister à la tentation malgré le danger qui régnait. C'était peut-être la chance de sa vie, celle de trouver une bourse pleine de pièces d'or qui lui permettraient de quitter ce maudit quartier et de vivre une vie de roi.
L'appât du gain prit le pas sur la raison et le voleur quitta sa cachette de fortune pour s'approcher de sa cible. Bien qu'il s'agisse d'un axe principal, seules quelques torches en fin de vie diffusaient une faible lueur, la lune haute dans le ciel remplissait un meilleur rôle d'éclairage. À pas de loup, Minho s'approcha de la bourse en tissu. Il s'accroupit et l'ouvrit du bout des doigts. Son cœur battait comme un fou dans sa cage thoracique et l'excitation d'avoir fait la découverte de sa vie le faisant cligner des yeux bien plus qu'il ne l'était nécessaire.
— Qu'est-ce que- !
Minho plaqua une main contre ses lèvres sèches pour contenir son exclamation de surprise. Fébrilement, ses doigts repoussèrent les pans de tissu et une bille ciselée s'en échappa, roulant lentement sur le sol. De la taille d'un œil, elle scintillait d'un éclat lumineux quasi irréel. Minho la prit dans sa main et l'approcha de son visage pour mieux la regarder. La bille était froide et une sensation d'humidité s'en dégageait, pourtant sa peau restait sèche même en contact direct, et une sorte de tourbillon bleuté tournoyait en son cœur. Le voleur n'avait jamais vu une pierre précieuse de ce genre. Elle avait la couleur externe d'un diamant, bien qu'il n'en ait jamais vu de près, mais tout le reste était unique.
Un large sourire barra le visage du jeune homme qui retint un cri de pure joie, il avait touché le gros lot ! Les pièces d'or ne valaient rien comparé à ce trésor, il allait pouvoir en tirer une véritable fortune auprès de la guilde marchande du coin. Les acheteurs n'étaient pas très regardants sur la provenance des marchandises ce qui permettait à Minho d'y faire affaire lorsqu'il faisait des trouvailles de qualité.
Le jeune homme sauta sur ses jambes et leva les bras vers le ciel, son trésor précieusement tenu dans son poing fermé. Adieu la vie de misère dans les rues nauséabondes de Yirrub, il allait partir et voyager où il le souhaitait. La fortune qu'il allait obtenir en échange de la gemme serait plus que suffisante pour finir sa vie sans se soucier de l'argent. Incapable de se départir de son sourire, Minho sautilla dans la rue pour rejoindre le taudis qui lui servait de maison tout en faisant sauter la pierre dans sa main. Il ne se lassait pas de son éclat et de la sensation de fraicheur agréable qu'elle dégageait. Son excès de joie lui fit perdre toute notion de danger et il en oublia pendant un instant qu'il n'était pas seul dans le quartier.
Le bruit d'une porte s'ouvrant sauvagement le fit sursauter et il en fit tomber la précieuse bille sur le sol. Minho se retourna en direction du brouhaha, les épaules tendues et le regard inquiet. Un gémissement de dépit mourut sur ses lèvres quand ses prunelles noires accrochèrent le regard du même pirate que dans la taverne. Celui-ci sembla également le reconnaître et s'apprêtait à l'invectiver quand il remarqua la gemme sur le sol. Minho commença à reculer, le cœur au bord des lèvres. Il n'aimait vraiment pas la tournure que prenait sa soirée. C'était de pis en pis au fil des secondes.
— Capitaine ! beugla le pirate. Il est ici !
Le sang quitta le visage du voleur. Son regard fou balaya la rue dans l'espoir d'y trouver son salut, mais il n'y avait rien pour l'aider. La porte de la taverne s'ouvrit une nouvelle fois pour en laisser sortir deux silhouettes. Ce fut le déclic pour Minho dont les jambes acceptèrent enfin de se remettre à bouger. Il se baissa en vitesse pour récupérer son bien et détala aussi vite qu'il le pouvait. Malgré le sang qui battait à ses tempes et son cœur qui tambourinait dans sa cage thoracique, il entendit l'ordre de le poursuivre et de le ramener mort ou vif. La panique s'empara de son être et une décharge d'adrénaline transcenda son corps. Jamais Minho n'avait couru aussi vite pour sa vie, jamais en vingt-et-un ans elle n'avait été aussi près de s'achever.
Les images du soldat mort à quelques centimètres de lui inondèrent sa mémoire et il serra les dents. Il ne voulait pas finir comme lui, pas alors qu'il tenait enfin sa chance de connaître une vie décente. La pierre précieuse dans sa main se mit à palpiter au même rythme que son organe vital, mais Minho ne le remarqua pas, trop occupé à tenter de trouver une échappatoire. Dans son dos il entendait les vociférations des pirates qui lui hurlaient de s'arrêter et de rendre ce qu'il avait pris. Il savait qu'ils se rapprochaient de plus en plus, leur forme physique étant bien meilleure que la sienne, mais il n'avait aucune intention de se rendre. S'arrêter reviendrait à leur donner l'autorisation de le tuer et il tenait trop à la vie pour ça. Tant qu'il avait une chance, il poursuivrait.
Minho bifurqua dans les ruelles qu'il connaissait par cœur et grimpa sur les hauteurs de la ville. Il espérait fatiguer les pirates qui étaient plus lourdement armés et vêtus que lui, mais ils résistaient au-delà de ses estimations. Le voleur serra les dents, le souffle court et les muscles en feu. Il était rapide et agile, mais sur de petites distances, c'était la première fois qu'il parcourait autant de terrains et son corps criait grâce. Minho se faufila dans un espace entre deux maisons dont les murs rocheux lui éraflèrent la peau. Il siffla de douleur alors que l'étroitesse du passage accrochait ses vêtements et lui demandait des efforts pour avancer ne serait-ce que quelques centimètres. Il entendit les pirates arriver au niveau de son passage et souffla de soulagement en les voyant bloquer à l'entrée. L'espace était trop petit pour des hommes avec une carrure supérieure à la sienne.
Il s'extirpa du passage en étouffant un grognement de douleur et prit une seconde pour souffler, les mains à plat sur les genoux et le corps penché en avant. Il s'entendait respirer comme un âne en fin de vie, mais il ne parvenait pas à se faire discret. Son corps avait atteint ses limites. Minho leva le regard vers les étoiles et pria pour que la poursuite cesse, ses jambes n'étant plus en mesure de le porter bien loin.
Son regard balaya l'esplanade sur laquelle il était arrivé et il avança précautionneusement, malgré tout intrigué. Il ne savait pas que cet endroit existait, pourtant il vivait dans le quartier depuis toujours. Le sol boueux des rues avait laissé place à de la roche naturelle et Minho s'approcha du bord. Il sentait les embruns marins et le vent puissant. Ses doigts se resserrèrent autour de la perle et une sensation de fraîcheur se diffusa dans tout son corps. Soufflé, Minho écarquilla les yeux. C'était impossible. Il entendait le vent et la mer, il les ressentait de tout son être. Le voleur en laissa tomber la gemme et la sensation disparut, comme envolée.
— C'était quoi ça ? balbutia Minho.
Il regarda la pierre avec hésitation et serra les poings. Il ne pouvait pas la laisser par terre à cause d'une hallucination, elle valait bien trop pour qu'il se permette de faire son peureux. Le jeune homme l'attrapa du bout des doigts et souffla dessus pour en enlever la poussière. Heureusement, elle n'avait pas le moindre impact et était aussi belle que lorsqu'il l'avait trouvée. Une petite décharge lui traversa la pulpe de l'index.
— Qu'est-ce que t'es donc jolie petite perle ? souffla Minho en l'observant sous tous les angles.
Il se figea un instant et soupira, il ne parvenait pas à croire qu'il venait de faire la conversation avec un caillou. La solitude devait le rendre fou, à moins que ce ne soit la faim. Peut-être même le mélange des deux.
Minho s'approcha un peu plus du rebord et son regard se perdit en contrebas. La mer se déchaînait contre la falaise, les vagues se brisaient contre la roche avec force pour finir par exploser en des millions de gouttelettes froides. Le voleur releva un peu les yeux et le vit alors, le pavillon noir. Il ne parvenait pas à distinguer ce qui était dessiné dessus à cause de la nuit et du début de tempête, mais il ne faisait aucun doute qu'il s'agissait du bâtiment des pirates. Yirrub étant un quartier côtier et mal famé, il n'était pas rare de voir les forbans y accoster. C'était même tellement courant que les habitants ne se donnaient plus la peine de sonner l'alarme. Minho eut un sourire désabusé, s'il avait su qu'il y avait des pirates dans cette taverne peut-être qu'il aurait été plus prudent, mais il ne s'était pas assez renseigné, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.
— T'es plutôt doué pour te sauver p'tite souris.
Minho tressaillit et se retourna d'un bond. Son talon toucha le bout du rebord de la falaise et il se sentit partir en arrière. Le voleur battit des bras pour se stabiliser et parvint à ne pas chuter de justesse. Une sueur froide coula sur sa nuque et il déglutit. Un regard en arrière et il se vit tomber dans les flots en colère, le corps empalé sur un rocher pointu.
Un pirate se trouvait à quelques mètres de lui, lame sortie. Le voleur recula de quelques millimètres et l'homme siffla.
— Tu vas tomber, viens par là.
— Je ne veux pas mourir, balbutia Minho.
— C'est ton seul choix, mais si tu me donnes « l'œil de la tempête » je t'accorderai une mort plus agréable que la noyade, sourit sarcastiquement le pirate. C'est une offre en or non ?
Le voleur baissa les yeux sur la perle qu'il tenait dans la main et ferma les yeux. Il ne voulait pas mourir, mais s'il le devait absolument, alors ce ne serait pas en aidant l'homme qui lui voulait du mal. Il resserra le poing et plongea un regard dur dans celui du pirate. Ce dernier fronça les sourcils.
— Ne fais pas de bêtise p'tite souris.
— Si tu veux cette perle, tu vas devoir venir la chercher sur mon cadavre, siffla le voleur.
Minho écarta les bras et se laissa partir en arrière. Il entendit un hurlement de rage faire écho à sa chute et le vent qui chantait à ses oreilles. Il était plus frais à mesure qu'il chutait et teinté d'humidité. Minho ferma les yeux et son corps percuta l'eau. L'impact lui brisa les os et il hurla sa douleur alors que l'eau s'engouffrait dans sa bouche ouverte. C'était douloureux, si douloureux.
Nda :
Bon, j'ai dépoussiéré ce premier chapitre qui prenait l'humidité dans mes brouillons depuis très très longtemps, donc c'est normal s'il y a quelques variations par rapport à mon style des dernières histoires, ça va changer au fil des chapitres ! J'espère que vous avez aimé cette mise en bouche et je vous dis à la semaine prochaine pour la suite !
Dalion~ Kiss :3
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